B. LE DOSSIER DES FARINES ANIMALES
1. L'interdiction de l'utilisation des farines carnées dans l'alimentation animale
Conformément au principe de précaution, et sous la pression des consommateurs inquiétés par les nouveaux développements liés à la crise de l'ESB, le Gouvernement français a décidé de suspendre, par un arrêté en date du 14 novembre 2000, l'utilisation des farines de viandes et d'os dans la fabrication d'aliments destinés aux animaux.
Produites par les équarrisseurs à partir des déchets animaux collectés dans les abattoirs et dans les boucheries, ces farines sont ensuite utilisées par les fabricants d'aliments pour animaux, qui les incorporent dans les granulés utilisés comme compléments nutritionnels.
L'interdiction de leur utilisation s'appliquait déjà, en vertu de l'arrêté du 24 juillet 1990, pour les aliments destinés aux ruminants.
L'arrêté du 14 novembre 2000 étend cette interdiction aux aliments destinés aux autres animaux d'élevage -porcs, volailles, poissons- ainsi qu'aux animaux de compagnie.
Par ailleurs, il élargit la portée de l'interdiction, jusqu'alors limitée aux protéines d'origine animale, aux graisses issues de la transformation des os et des farines.
Si l'interdiction de l'utilisation des farines dans les aliments destinés aux non ruminants ne se fonde, jusqu'à présent, sur aucun avis scientifique, elle a pourtant une justification pratique, puisqu'elle met fin aux risques de contaminations croisées accidentelles entre les filières de production d'aliments pour ruminants et pour non ruminants. Or, ces contaminations croisées sont considérées par les scientifiques comme l'explication la plus plausible des cas d'ESB apparus sur des bovins nés après 1990, c'est-à-dire après l'interdiction des farines animales.
L'arrêté prévoit, en outre, la suspension de l'importation des farines et graisses animales, ce qui représente un volume de 23.000 tonnes de produits importés.
L'arrêté ne résout cependant pas la question des viandes importées, provenant d'animaux qui continuent à être produits à partir de farines animales.
2. Les conséquences pour les filières d'élevage
La suspension de l'utilisation des farines carnées dans l'alimentation animale implique de trouver d'autres apports protéiques pour les animaux d'élevage.
Un recours accru aux oléogineux (soja, mais également colza et tournesol) et aux protéagineux (pois, fèves et luzerne), particulièrement riches en protéines végétales, devra être privilégié.
Par ailleurs, l'utilisation des graisses animales étant également prohibée, la demande devrait se réorienter vers l'huile de colza, voire, en raison de son prix moins élevé, vers l'huile de palme.
Outre le coût de production des aliments, qui devrait s'en trouver renchéri de 5 à 10 % pour les filières telles que l'aviculture qui utilisaient jusqu'à présent les farines, le recours à ces composants végétaux se heurte au problème de l'insuffisance des cultures oléo-protéagineuses en Europe. Les cultures d'oléagineux sont, en effet, soumises, en vertu de l'accord de Blair House conclu avec les Etats-Unis en novembre 1992, à un contingentement qui limite les surfaces d'oléoprotéagineux aidées à 5 millions d'hectares pour l'Union européenne, dont 1,5 hectares pour la France.
Par ailleurs, l'accord de Berlin sur l'Agenda 2000 a prévu l'alignement progressif, d'ici juillet 2002, du régime d'aides aux producteurs d'oléagineux sur celui, moins favorable, des producteurs de céréales. La perspective de réduction des aides décourage la production de ces cultures, dont les surfaces ont diminué de 20 % en Europe depuis deux ans.
Un accroissement des importations françaises d'oléo-protéagineux s'imposera à court terme, ce qui risque d'accroître la dépendance de la France à l'égard des Etats-Unis et du Brésil pour la fourniture de ces produits.
A ces obstacles économiques et politiques s'ajoutent des difficultés d'ordre technique, les protéines végétales risquant d'être à l'origine d'une croissance moins rapide des animaux d'élevage. Quant aux graisses végétales, elles pourraient modifier la consistance et le goût des viandes produites, notamment dans le cas des volailles.
3. Le devenir des farines animales
Le volume de farines à détruire, qui s'établissait jusqu'à présent autour de 200.000 tonnes devrait s'élever, avec la mesure d'interdiction, à plus d'un million de tonnes, dont 630.000 tonnes de farines de viandes et d'os (FVO) stricto sensu et 275.000 tonnes de graisses animales.
Le coût de cette destruction est estimé par les professionnels 5 milliards de francs par an.
Or, les capacités d'incinération et de stockage apparaissent limitées.
Les cimenteries françaises habilitées à brûler les farines comme combustible -une quinzaine en France-, qui détruisaient jusqu'à présent 130.000 tonnes de farines chaque année, pourraient être en mesure, à l'échéance de six mois, de doubler leur volume des farines incinérées.
Les incinérateurs de déchets ménagers et industriels, ainsi que des entreprises productrices d'énergie comme EDF et Charbonnages de France, pourraient également être sollicités. Il convient de souligner que la combustion à grande échelle de farines risque d'être à l'origine d'une augmentation du taux de dioxines libérées dans l'environnement, ces dioxines étant produites dans les cendres volantes des incinérateurs.
Il reste qu'une part importante de ces farines devra, à court terme, être stockée. Quelque 50.000 tonnes de farines feraient déjà l'objet d'un stockage dans une vingtaine de sites répartis sur le territoire national. Dans l'immédiat, une capacité supplémentaire de 200.000 tonnes doit être trouvée. Or, les communes sont réticentes à accepter l'installation de tels sites sur leur territoire, compte tenu des risques qu'ils présentent pour l'environnement. En cas de stockage défectueux, les farines pourraient être dispersées dans l'air par le vent, ou dans le sol par les eaux pluviales. Le stockage suppose en outre que des précautions soient prises pour éviter tout risque d'incendie.