II. L'EXTENSION DE LA TGAP À LA CONSOMMATION INTERMÉDIAIRE D'ÉNERGIE

A l'heure où le présent rapport est imprimé, votre rapporteur pour avis ne dispose pas du texte du projet de loi de finances rectificative, non encore déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Il fonde donc son analyse, dans les développements qui suivent, sur le communiqué de presse très détaillé du Gouvernement, publié au mois d'octobre dernier, seule information dont disposent d'ailleurs les entreprises susceptibles d'être assujetties à cette taxation. En tout état de cause, si le dispositif initialement envisagé devait être modifié, suite aux observations du Conseil d'Etat sur la rupture d'égalité devant l'impôt qu'il pourrait constituer, sa philosophie resterait identique.

A. UN PRINCIPE CONTESTABLE

1. L'extension de la TGAP aux consommations d'énergie : un principe contestable

Le principe de l'extension de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) aux consommations intermédiaires d'énergie des entreprises à compter du 1 er janvier 2001 a été annoncé en mai 1999, dans le contexte de la politique de lutte contre l'effet de serre . Conformément au programme national de lutte contre l'effet de serre, l'objectif affiché par le Gouvernement à l'horizon 2010 est que 2,4 millions de tonnes de carbone soient ainsi économisées par an dans les secteurs de l'industrie et du tertiaire.

Le principe qui sous tend cette démarche est celui de la " théorie du double dividende " : en alourdissant les charges liées aux activités polluantes, on réduit les comportements anti-environnementaux (premier dividende) ; on peut alors réduire en contrepartie les charges pesant sur les bas salaires (c'est le second dividende, on crée de l'emploi).

Mais l'application qui est faite de ce principe peut sembler contestable : en effet, de par la structure de leur main d'oeuvre, les entreprises industrielles ne seront pas les principales bénéficiaires des réductions de charges sur les salaires. En outre, l'industrie, très soumise à la concurrence internationale, va non seulement être pénalisée par le coût salarial du passage aux 35 heures, mais encore supporter, à l'avenir, la plus grande partie de la TGAP, du fait notamment de cette extension aux consommations intermédiaires d'énergie.

On ne peut que redouter une perte globale de compétitivité de l'industrie française.

Cette taxation supplémentaire de l'outil industriel français a soulevé de très vives réactions des acteurs concernés. Votre commission avait d'ailleurs, l'an dernier, déjà fait part de ses fortes réserves sur l'opportunité du dispositif envisagé.

Depuis 10 ans, le nombre des taxes environnementales spécifiques à la lutte contre les émissions polluantes (eau, air, déchets, bruit) a doublé et leur produit a triplé. Mais jusqu'en 1998, la majeure partie des taxes parafiscales payées par l'industrie lui étaient partiellement reversées, sous forme d'aides aux investissements anti-pollution de l'eau et de l'air. Le principe " pollueur-payeur " avait un corollaire : " dépollueur-bénéficiaire d'aides " , même si l'industrie investissait parfois jusqu'à 4 à 5 fois le montant des aides reçues en équipements de lutte contre la pollution.

La création de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), instaurée au 1er janvier 1999, a marqué un net changement de politique, en regroupant ces taxes parafiscales en une taxe unique versée au budget de l'Etat et, à partir de 2 000, au budget de la sécurité sociale .

Votre commission en particulier et le Sénat en général ont déjà affirmé leur opposition à une telle évolution, lors de la discussion des précédentes lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale.

2. Une application censée limiter des conséquences potentiellement très négatives sur la compétitivité de l'industrie française

Le Gouvernement a récemment arrêté le dispositif qu'il soumettra au vote du Parlement dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2000, ce texte législatif permettant la mise en place de l'extension de la taxe au 1 er janvier 2001.

Même si ce sujet ne relève pas à strictement parler de la discussion du projet de loi de finances pour 2001, dont votre commission est saisie pour avis, votre rapporteur souhaite s'attarder un instant sur cette question lourde d'enjeux pour l'industrie française, sans pour autant préjuger des débats à venir et de la position que pourrait proposer au Sénat sa commission des finances, compétente au fond pour l'examen du " collectif " budgétaire.

Car les projets gouvernementaux ont soulevé de nombreuses inquiétudes, que n'ont pas fait disparaître les arbitrages annoncés début octobre.

a) Les modalités de l'extension de la TGAP aux consommations intermédiaires d'énergie

Conscient des conséquences potentiellement très négatives de cette nouvelle taxation, le ministère de l'industrie a oeuvré pour en atténuer les effets, en obtenant des arbitrages qui, s'ils ont contribué à alléger quelque peu la facture globale pour l'industrie, ont en revanche singulièrement complexifié les choses.

Cette taxe, qui concernera les entreprises, s'appliquera aux consommations d'énergie représentant plus de 100 tonnes d'équivalent pétrole par an. Les activités agricoles, sylvicoles, piscicoles et halieutiques en seront exonérées.

Le Gouvernement estime qu'environ 40.000 entreprises seront concernées par la taxation, sur un total (hors agriculture) de 2.800.000 entreprises.

Les énergies seront taxées à la consommation, sur la base d'une déclaration des entreprises. La taxe sera une charge fiscalement déductible. Les énergies fossiles (produits pétroliers, gaz naturel, charbon) seront taxées en fonction de leur contenu en carbone, sur la base d'un taux de 260 francs par tonne d'équivalent carbone. La consommation d'électricité (énergie pourtant majoritairement produite en France, grâce à la technologie nucléaire, sans aucune émission de gaz à effet de serre !) sera taxée forfaitairement.

Les taux de taxe retenus sont les suivants :

TAUX DE LA TGAP PAR TYPE D'ÉNERGIE CONSOMMÉE

Taux en Francs

Taux en Euros

Fioul HTS

22 centimes/litre

33,54 Euros/1000 l

Fioul BTS

22 centimes/litre

33,54 Euros/1000 l

Fioul domestique

18,9 centimes/litre

28,81 Euros/1000 l

Charbon

174 F/tonne

26,53 Euros/t

GPL chauffage

208 F/tonne

31,71 Euros/t

Gaz naturel industriel

1,3 centime/kWh PCS

1,98 Euros/MWh PCS

Electricité industrielle

1,3 centime/kWh

1,98 Euros/MWh

Cette taxe concernera donc un grand nombre d'entreprises, et notamment les entreprises dont les procédés industriels sont fortement consommateurs d'énergie : sidérurgie et métallurgie, chimie, cimenteries, papier-cartons, certaines industries agro-alimentaires, production de matériaux divers (verres, briques...).

b) Une mise en oeuvre respectueuse de l'impératif de compétitivité de l'industrie française ?

Le Gouvernement estime que sa proposition respecte l'impératif de la compétitivité de l'industrie française, en faisant bénéficier les entreprises concernées, comme c'est le cas dans les autres pays européens qui ont mis en place une écotaxe énergie, de " modalités d'application propres à concilier l'objectif environnemental et le maintien de cette compétitivité dans un cadre international ".

Votre commission est loin de souscrire à cette analyse.

Des aménagements ont été apportés aux projets initiaux. Ainsi, les entreprises fortement consommatrices, c'est-à-dire celles consommant plus de 50 tep par million de francs de valeur ajoutée, seraient traitées dans le cadre d'un dispositif spécifique . Elles seraient incitées, dès 2001, à contracter avec l'administration des engagements de réduction de leurs émissions . Ces engagements seraient conclus pour une période de cinq ans et seraient quantifiés et contrôlables. Les objectifs de réduction seraient fixés en tenant compte des objectifs de réduction des émissions arrêtées par le Gouvernement dans le programme national de lutte contre le changement climatique, sur la base des meilleures technologies disponibles à des coûts acceptables, et des performances déjà réalisées par l'entreprise. Ils pourraient prendre en considération l'évolution de la production et intégrer, le moment venu, la faculté pour les industries concernées de participer à des échanges de crédits d'émission.

Pour les entreprises qui auraient contracté de tels engagements en 2001, la taxe porterait à partir de 2002 sur les consommations qui dépasseraient les objectifs fixés. En attendant que de tels engagements soient contractés, les entreprises seraient taxées en 2001 sur l'écart entre leur consommation annuelle et une part forfaitaire de leur consommation de l'année 2000, correspondant à un abattement à la base.

Cette part forfaitaire serait déterminée en fonction du ratio de consommation des entreprises, exprimé en tep par million de francs de valeur ajoutée :

entre 50 et 100 tep/MF

50 %

entre 100 et 200 tep/MF

80 %

entre 200 et 400 tep/MF

90 %

au-delà de 400 tep/MF

95 %

Enfin, pour éviter une double taxation, la production d'énergie ne serait pas taxée. La production et la consommation de chaleur ne le seraient également pas, non plus que l'énergie utilisée pour la traction (transports). Compte tenu de leur spécificité, les consommations de produits énergétiques en tant que matière première (présents principalement dans le secteur de la chimie de base) seraient également exonérées.

La recette attendue de cette extension de la TGAP aux consommations d'énergie des entreprises est estimée à environ 3,8 milliards de francs en 2001 . Elle serait affectée au Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC).

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