b) Les principales solutions envisagées
(1)
Les données du problème
(a) L'importance des
besoins d'investissement
Tout d'abord, il convient de souligner à quel point les besoins en investissement forestier sont importants.
Sur la base de travaux menés dans le cadre des orientations régionales forestières récemment actualisées, le Programme de développement rural national a évalué à 1.140.000 hectares les surfaces de taillis et mélanges futaies-taillis à transformer par plantation, à 2.500.000 hectares les surfaces de taillis et de mélange futaie-taillis à améliorer par travaux ponctuels et à 85.000 hectares les futaies dégradées à reboiser.
Il reste en France environ 4 millions d'hectares de forêts posant des problèmes d'exploitabilité, malgré un effort important accompli sur près de 500.000 hectares au cours des quinze dernières années.
Un très gros problème réside dans la conduite de peuplements sur lesquels des investissements initiaux forts ont été consentis car les travaux (non subventionnables) encore nécessaires après les quatre premières années d'aides aux investissements seront encore largement déficitaires durant une période comprise entre 15 et 40 ans selon les essences et les types de sylviculture.
Au-delà des aides de l'Etat, qui ne portent que sur certains types d'investissement et n'existent plus depuis les années 60 pour la restructuration foncière, les besoins annuels de prêts à intérêt compatible avec la rentabilité des placements forestiers seraient compris entre 230 et 300 millions de francs pour la restructuration, et aux environs de 300 millions de francs pour les investissements productifs.
(b) Les caractéristiques de l'investissement forestier
La forêt et la filière bois sont des domaines où les investissements se réalisent sur le très long terme, ainsi les périodes de révolution des différentes essences se comptent en plusieurs dizaines d'années. Cette spécificité forestière justifie la création d'un mécanisme adapté de soutien à l'investissement.
En outre, les investissements dans la filière bois et la forêt sont à risques. La période de chablis et les tempêtes de la fin 1999 l'ont démontré.
Enfin, la suppression du Fonds forestier national a eu pour conséquence de faire du budget de l'Etat le seul soutien public de la forêt et de faire disparaître un " guichet " qui permettait aux propriétaires forestiers d'accéder à la souscription de prêts bonifiés.
L'ensemble de ces spécificités forestières rend donc délicate la définition d'un outil adéquat de soutien à l'investissement forestier. Pourtant, la forêt pourrait constituer un investissement rentable.
Depuis vingt ans, les rendements de l'investissement forestier sont sensiblement inférieurs à ceux des actifs financiers. Néanmoins, la forêt occupe une place, certes limitée, mais significative dans le portefeuille des investisseurs. Cet intérêt pour le secteur sylvicole s'explique notamment par la corrélation négative de son rendement avec celui des autres actifs financeurs, lui permettant ainsi de jouer un rôle de diversification de la filière bois.
D'ailleurs, depuis une quinzaine d'années, les fonds de pension et les compagnies d'assurance nord-américains montrent un intérêt croissant pour l'investissement forestier. Ainsi, Calpers (un des premiers fonds de pension américains) a commencé en 1986 par acquérir 250 millions de dollars d'actifs forestiers et en possède désormais 1,6 milliard. Le montant des actifs forestiers détenus par les institutionnels américains s'élève à 6 milliards de dollars, montant certes faible si on le rapporte au total des actifs, mais significatif. Le mouvement est d'ailleurs le même en Grande-Bretagne et dans les pays scandinaves où opèrent plusieurs sociétés d'investissement forestier.
En France, les investisseurs institutionnels avaient constitué, avant les tempêtes bien sûr, des patrimoines non négligeables, de l'ordre de 7 milliards de francs, principalement à la fin des années 70. Ils sont actuellement moins intéressés mais le marché reste actif, avec des volumes et des prix qui étaient en hausse en 1998 (1,8 milliard de francs de transactions annuelles), animé principalement par des particuliers.
Les flux financiers de la filière bois en France étaient les suivantes en 1995 :
- récolte : 11 milliards de francs ;
- première transformation et pâte à papier : 30 milliards de francs ;
- produits issus du bois : 185 milliards de francs.
Le marché du bois présente trois caractéristiques déterminantes pour les résultats financiers d'un investissement forestier :
- d'abord, c'est une matière première aux utilisations nombreuses, à la fois adaptable et substituable, ce qui se traduit par une forte élasticité de la demande par rapport au prix ;
- ensuite, l'offre est largement prévisible, sauf catastrophe naturelle exceptionnelle comme les tempêtes de décembre 1999 ;
- enfin, le marché des produits forestiers est ouvert et mondialisé : il s'agit d'un des principaux postes du commerce mondial (100 milliards de dollars dans lequel la France occupe une place non négligeable - 9 milliards de dollars).
La valeur d'une forêt se détermine classiquement en additionnant les éléments suivants :
- le sol, qui représente un espace, un droit de chasse et une capacité de production, est évalué en France entre 2000 et 8000 F / hectare (chiffres avant tempêtes) ;
- les divers bâtiments, infrastructures ou étangs que peut contenir la forêt ;
- les peuplements forestiers, dont la valeur dépend de la valeur de marché des arbres mûrs et des espoirs de recettes que portent les arbres jeunes. Pour la France, le niveau moyen des transactions de forêts ne portant pas de bâtiments était de 18.500 francs en 1998, en hausse de 1% par rapport à 1997. Toutes forêts confondues, la moyenne s'est établie en 1998 à 21.000 francs / hectare pour les lots de plus de 50 hectares.
La rentabilité d'une forêt est déterminée fondamentalement par trois facteurs :
- la production de bois ;
- l'évolution du prix des bois ;
- le prix du sol.
Le rendement est fondamentalement déterminé par la croissance des arbres et l'évolution des prix, ce qui permet de distinguer deux grandes catégories d'investissement forestier :
- l'achat d'un stock de bois sur pied, dont les résultats dépendront d'abord du prix d'achat et des évolutions des cours ;
- l'investissement dans la production sylvicole qui dépendra avant tout du site et du gestionnaire.
Les risques liés à l'investissement forestier existent :
- les risques naturels sont rares mais possibles comme l'ont cruellement rappelé les tempêtes de 1999 ;
- le risque principal provient des variations de rendement qui dépendent essentiellement des variations de prix du bois et du sol. Ici se situe cependant une des originalités du placement forestier : l'évolution temporelle des prix du bois présente une corrélation négative avec celle des actifs financiers. Cette propriété explique le rôle de diversification que peut jouer la forêt dans un portefeuille.
La liquidité de l'investissement forestier est faible à première vue ce qui lui confère le statut d'investissement à long terme. Mais il faut souligner ici que la plupart des essences d'arbres offrent une large plage de temps durant laquelle le gestionnaire peut récolter ou pas, en fonction de ses objectifs financiers tout en conservant de bons résultats. Ainsi, si la forêt n'est pas " liquide ", les peuplements peuvent l'être.
Cette analyse des caractéristiques de l'investissement forestier montre à quel point un dispositif spécifique de soutien financier est nécessaire. Il l'est d'autant plus aujourd'hui, après le traumatisme des tempêtes, pour redonner confiance aux forestiers.
(2) les solutions proposées
Actuellement deux solutions principales ont été évoquées :
- la création d'un plan d'épargne-forêt , préconisée notamment par M. Jean-Louis Bianco dans son rapport et qui serait l'équivalent, pour le non-bâti, du plan d'épargne-logement. Il doit permettre d'apporter les fonds nécessaires au financement des investissements forestiers, à moyen et long terme, à des taux bonifiés, et à la restructuration des propriétés forestières.
Les bénéficiaires de ce plan seraient les propriétaires forestiers, personnes physiques et morales (groupements forestiers notamment).
Ce plan ferait l'objet d'avantages fiscaux spécifiques (exonération d'impôt, exonération des droits en cas de succession) et l'épargne serait rémunérée à un taux incluant le statut fiscal accordé aux fonds déposés dans le plan.
Cette épargne forestière doit permettre de financer des opérations de restructuration foncière, de réaliser des investissements et d'assurer une mutualisation du risque.
- la création d'un fonds commun de placement et d'investissement forestier : ce fonds se distingue du plan d'épargne-forêt car il suppose la possibilité d'investissements extérieurs au seul secteur forestier venus notamment d'investisseurs institutionnels, le but étant de mobiliser des capitaux nouveaux au profit de la forêt.
Il s'agit d'un dispositif financier et fiscal d'incitation à l'investissement forestier calqué sur le modèle des fonds communs de placement à risques dans l'innovation.
Il s'agirait d'un véritable outil de mutualisation car les risques sont répartis du fait de la diversification et du nombre important des actionnaires. Les risques sont atténués du fait d'une gestion organisée et protégée par des assurances. Les apports de ceux qui ont des capitaux disponibles permettent de remettre en état des forêts sinistrées apportées par d'autres.
Pour tenir compte de la durée de l'investissement, de la faible rentabilité de la forêt et du risque encouru, des incitations fiscales à l'investissement sont prévues :
- pour les personnes physiques : déduction du revenu net global de 25 % de l'investissement dans la limite d'un plafond de revenu ;
- pour les personnes morales : pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés, amortissement exceptionnel égal à 50 % du montant des sommes effectivement versées pour la souscription de parts de Fonds commun de placement et d'investissement forestier, dans la limite de 25 % du bénéfice imposable de l'exercice.
Les deux solutions envisagées (plan d'épargne forêt et fonds commun de placement) ne sont pas complètement antinomiques. Il s'agit aujourd'hui de trouver une solution consensuelle alliant les avantages de deux dispositifs évoqués.