N° 144
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 13 décembre 2001 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances rectificative pour 2001 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
Par M. Jean FAURE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Xavier de Villepin, président ; MM. Michel Caldaguès, Guy Penne, André Dulait, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Robert Del Picchia, Jean-Paul Delevoye, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe François, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Henri Torre, André Vallet, Serge Vinçon.
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 3384 , 3427 , 3428 et T.A. 736
Sénat : 123 et 143 (2001-2002)
Lois de finances rectificatives.. |
Mesdames, Messieurs,
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a souhaité se saisir pour avis de l'article 36 du projet de loi de finances rectificative pour 2001 relatif à la transformation de DCN (direction des constructions navales) en entreprise nationale.
Il s'agit là en effet d'une disposition importante, en raison de la place occupée par DCN dans notre industrie de défense, de son rôle central pour la construction et l'entretien des bâtiments de la Marine et des vives inquiétudes qu'inspire depuis plusieurs années l'avenir de ce service industriel de l'Etat.
Votre rapporteur pour avis résumera tout d'abord les différents arguments que votre commission a régulièrement développés ces dernières années, en particulier lors de l'examen des budgets successifs, et qui plaident en faveur d'une réforme urgente de DCN, et en premier lieu d'un changement de son statut.
Il présentera ensuite l'objet de la réforme prévue par l'article 36 du projet de loi, qui s'organise autour de trois principes : la transformation, en 2003, de DCN en société de droit privé détenue à 100 % par l'Etat, le maintien des personnels au sein de DCN, assorti de garanties sociales fortes, et la conclusion d'un contrat d'entreprise établissant les relations financières entre l'Etat et la future société.
Enfin, il soulignera les multiples questions que cette réforme, certes indispensable, laisse aujourd'hui en suspens, en insistant sur la nécessité, pour l'Etat, de prendre des engagements clairs et fermes sur les moyens qu'il consentira pour donner à la société toutes les chances de réussite.
I. L'URGENCE D'UNE RÉFORME
DCN est un établissement étatique ancien, hérité des arsenaux, qui a permis à la France de maîtriser toutes les technologies navales de pointe et qui possède de très importants atouts techniques et industriels. DCN est cependant confrontée depuis 10 ans à une évolution radicale de l'environnement stratégique et industriel qui a mis en lumière et aggravé ses handicaps internes. DCN risque en outre d'être marginalisée dans les alliances européennes en cours de constitution dans son secteur, alors que son volume d'activité et la technicité de ses produits devraient en faire un acteur majeur.
A. DES PERSPECTIVES DIFFICILES POUR LE DEUXIÈME INDUSTRIEL EUROPÉEN DE LA CONSTRUCTION NAVALE MILITAIRE
DCN est devenu le second constructeur naval militaire européen grâce à sa position de constructeur quasi exclusif de la marine française, deuxième marine européenne derrière la Royal Navy, et à la possession par celle-ci de tous les outils d'une marine océanique (sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, sous-marins nucléaires d'attaque, porte-avions, flotte de surface moderne).
Sa compétitivité et son savoir faire sont toutefois menacés dans un contexte de forte réduction du volume des commandes de la Marine nationale. Elle est contrainte de restructurer son outil industriel, réforme d'autant plus difficile à mener qu'elle garde le statut d'une administration.
1. DCN, un acteur majeur de la construction navale militaire
. Le statut et l'implantation de DCN : un héritage historique fort
DCN est issue d'une longue tradition d'intervention de l'Etat dans la conception et la fabrication des armements navals. Comme dans d'autres domaines, celui-ci a été amené à créer et à gérer lui-même les outils nécessaires à sa politique. Cette volonté politique est à l'origine de la création des premiers arsenaux sous le règne de Louis XIII en 1631 par Richelieu pour rivaliser avec les puissances navales de l'époque : les Provinces Unies, l'Espagne et l'Angleterre.
Cette politique volontariste se renforcera et s'institutionnalisera au cours du XVIIe et du XVIIIe siècle. Le corps du génie maritime est créé par ordonnance royale le 27 mars 1765. Certaines implantations actuelles de DCN datent de cette époque. L'arsenal de Ruelle est créé en 1751 pour la fonte des canons de marine. L'arsenal de Cherbourg s'est spécialisé dans la construction des sous-marins dès 1897. L'établissement de Saint-Tropez existe depuis 1907 et a été repris par l'Etat en 1937 pour poursuivre son activité dans le domaine des torpilles.
L'implantation actuelle et la spécialisation des implantations de DCN sur le territoire sont stabilisées depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
En métropole, Brest (3 906 personnes fin 2000) s'est spécialisé dans la construction et la réparation des bâtiments de surface de grande dimension puis dans l'entretien des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE). Cherbourg (2 824 personnes) se consacre à la construction des sous-marins, Toulon (2 669 personnes) à l'entretien et la réparation des bâtiments de surface et des sous-marins d'attaque. Lorient ( 1 861 personnes) assure la construction des bâtiments de surface de moyen tonnage (frégates). En dehors des ports militaires, Indret est spécialisé dans la propulsion, classique et nucléaire, Ruelle dans les canons, l'usinage de pièces de grandes dimensions et dans l'électronique, Saint-Tropez dans les torpilles. Depuis 1945, seuls les arsenaux de Guérigny (1970) et ceux dans les colonies ont été fermés.
Les établissements de DCN sont confrontés à des problèmes de plan de charge. Les établissement de Ruelle et de Saint-Tropez sont particulièrement concernés en raison de la faiblesse du nombre de leurs personnels, de l'ordre de quelques centaines et d'une spécialisation qui ne leur assure pas une activité suffisante, alors que l'entreprise doit chercher à réduire ses coûts de structure et de personnel.
. Des atouts techniques et industriels plaçant DCN au deuxième rang en Europe
Le premier atout de DCN est sa maîtrise de l'ensemble des techniques les plus pointues de la construction navale militaire ce qui lui permet d'être le maître d'oeuvre d'ensemble des grands programmes navals mais aussi d'assurer la maîtrise d'oeuvre de la plate-forme (architecture navale, coque, énergie-propulsion) et du système de combat (intégration des armes, des systèmes de détection, de communication et de traitement de l'information). Elle est également l'un des seuls industriels au monde à être capable de fabriquer des sous-marins nucléaires d'attaque et lance-engins, des sous-marins classiques, des porte-avions et des bâtiments d'assaut amphibie et des frégates allant des plus complexes comme les frégates antiaériennes à des modèles plus simples mais extrêmement performants et polyvalents comme les frégates de type La Fayette.
Elle est aussi l'un des rares industriels à intégrer l'ensemble des métiers de la construction navale : conception, construction neuve et entretien. La capacité de mener des opérations d'entretien est un atout très important car il assure une certaine stabilité du chiffre d'affaires et du plan de charge des établissements concernés. Cette activité représente pour DCN 30 à 35 % de son activité. A contrario, GIAT-Industrie n'a pas pu bénéficier de cet apport.
. La place de DCN en Europe
Avec un chiffre d'affaires hors taxe de 1,43 milliard d'euros presque exclusivement dans le domaine militaire, DCN est de loin le premier acteur du secteur en France . En dehors de Thalès qui intervient dans le domaine naval essentiellement à l'exportation et comme systémier, les autres acteurs français se limitent à la construction de bâtiments de petit tonnage. Il s'agit des Constructions mécaniques de Normandie avec un chiffre d'affaires de 0,03 milliard d'euros dans le domaine militaire et de Alstom Marine dont le chiffre d'affaires militaire est de 0,09 milliard d'euros. Dans les domaines de la propulsion, interviennent Technicatome (nucléaire) et SEMT-Pielstick et Wärtsila (classique-diesel).
En Europe, le principal industriel naval militaire est BAe Systems , issu de la fusion de BAe et de Marconi Systems, qui a racheté trois chantiers navals et assure, essentiellement au bénéfice de la Royal Navy, la construction et l'intégration des systèmes d'armes des navires. Son chiffre d'affaires militaires s'élève à 1,83 milliard d'euros mais n'est qu'une partie de l'activité du groupe dont le chiffre d'affaires est de 18,75 milliards d'euros et l'effectif de 83 400 personnes. Il bénéficie donc d'une assise financière considérable lui permettant de compenser les à-coups des marchés militaires. Dans le domaine de la propulsion, Rolls Royce est le principal concurrent étranger. Comme BAe, son activité n'est pas que navale mais également aéronautique, lui offrant la possibilité d'économies d'échelles importantes, les technologies des moteurs d'avions pouvant être appliquées aux turbines à gaz assurant la propulsion des bâtiments de combat.
Les industriels allemands ont une activité mixte à la fois civile et militaire. Le groupe German Submarine Corporation (GSC) est issu de l'alliance de l'allemand HDW et du Suédois Kockums. Il est le leader mondial dans le domaine des sous-marins, ayant exporté une cinquantaine de sous-marins de type « U 209 ». En Italie , la construction navale militaire est assurée par le groupe Fincantieri. Elle représente 20 % de son chiffre d'affaires et 0,27 milliard d'euros. Sa privatisation est engagée. En Espagne enfin, le chiffre d'affaires militaire du groupe public Izar , regroupement de Bazan et de AESA, représente 0,47 milliard d'euros. Sa privatisation est envisagée dans les deux prochaines années.