C. DES PRIORITÉS AFFICHÉES EN FAVEUR DES PERSONNELS DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES ET DES VICTIMES
1. Les perspectives statutaires et indemnitaires des personnels des juridictions judiciaires
a) Une revalorisation indemnitaire et statutaire des magistrats conditionnée à leur implication dans le fonctionnement des juridictions judiciaires
? Une substantielle revalorisation de la prime forfaitaire versée aux magistrats judiciaires
Après une forte réévaluation du taux indemnitaire entre 1988 et 1996 (de 19 % à près de 37 % du traitement brut), celui-ci a stagné à partir de 1996.
Afin de prendre en compte les responsabilités importantes et les sujétions croissantes imposées aux magistrats, le garde des sceaux s'est engagé en 2003 à revaloriser leur régime indemnitaire en vue d'assurer la parité avec les primes versées aux magistrats administratifs.
La loi de finances initiale pour 2003 a ainsi octroyé aux magistrats une majoration de 4 % de la prime forfaitaire de fonction, entrée en vigueur à compter du 1 er octobre 2003 (arrêté du 22 octobre 2003). La loi de finances pour 2004 a financé l'extension en année pleine de cette mesure tout en relevant de 4 % supplémentaires le montant de la prime forfaitaire ainsi portée à 45 %, à compter du 1 er octobre 2004. Le projet de budget pour 2005 poursuit cet effort en prévoyant une nouvelle revalorisation de 1 % de ce taux qui s'établira ainsi à 46 %.
FINANCEMENT DE LA REVALORISATION INDEMNITAIRE DES MAGISTRATS
(2003-2005)
En millions d'euros
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2003 |
2004 |
2005 |
Coût total |
Loi de finances initiale
|
2,9
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12,1
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10,2
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25,2
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Source : ministère de la justice
? L'instauration d'une prime modulable, une meilleure prise en compte des potentialités de chacun
Trois décrets du 26 décembre 2003 15 ( * ) entrés en vigueur le 1 er janvier 2004 ont modifié les modalités du régime indemnitaire . Ont été maintenues la prime forfaitaire 16 ( * ) , la prime complémentaire 17 ( * ) et l'indemnité d'astreinte 18 ( * ) , déjà prévues par les textes antérieurs. En outre, ont été instaurées :
- une majoration dégressive avec le temps de la prime forfaitaire au bénéfice des magistrats affectés dans les juridictions connaissant un déficit de candidatures préjudiciable à leur fonctionnement destinée à rendre l'exercice des fonctions dans ces ressorts plus attractif ; cette disposition s'applique à la cour d'appel et au tribunal de grande instance de Bastia ainsi qu'au tribunal de grande instance d'Ajaccio pour une durée maximale de sept ans (arrêté du 17 septembre 2004) ;
- une prime pour travaux supplémentaires attribuée aux magistrats auxquels sont imposées des sujétions particulières du fait de l'absence prolongée de leurs collègues (plus de deux mois) et financée par une redistribution du reliquat des crédits indemnitaires non consommés ; le nombre de points attribués aux magistrats dans ce cadre a été limité à cinq ;
- une prime modulable à laquelle est affectée la revalorisation indemnitaire de 4 % obtenue en loi de finances pour 2003, attribuée en fonction de la contribution du magistrat au bon fonctionnement de l'institution judiciaire . Calculée en pourcentage du traitement indiciaire brut, elle est décidée par le premier président de la cour d'appel et par le procureur général respectivement pour les magistrats du siège et du parquet de leur ressort.
Un arrêté du 26 décembre 2003 a relevé le taux moyen et le taux maximal d'attribution de la prime d'attribution individuelle fixé en 2003 pour y affecter les 4 % supplémentaires prévus par la loi de finances pour 2004.
Trois arrêtés du 17 septembre 2004 portent à compter 1 er octobre 2004 :
- de 4 à 8 % le taux moyen de la prime modulable applicable aux magistrats judiciaires , le taux maximal de cette prime ayant été augmenté de 10 à 15 % ;
- de 9 à 13 % le taux moyen de la prime modulable applicable aux magistrats de la Cour de cassation , le taux maximal passant de 15 à 20 % .
Les critères de la modulation des taux indemnitaires individuels relèvent de la libre appréciation des chefs de cour. Le ministère de la justice a recensé les critères les plus fréquemment utilisés, dont le nombre varie de deux à six. Ils portent notamment sur l'expérience professionnelle, la technicité du contentieux traité, l'efficience, la disponibilité, les contraintes ou l'exercice de responsabilités particulières et la participation à des tâches annexes ou extra juridictionnelles.
Ce dispositif est mis en oeuvre progressivement .
De janvier à septembre 2004, un taux uniforme de 4 % a été appliqué à l'ensemble des magistrats judiciaires, à l'exception de ceux de la Cour de cassation qui perçoivent une prime modulable selon des modalités propres à cette juridiction depuis avril 2002. Cette période a correspondu au temps nécessaire pour définir les modalités concrètes de la réforme.
Le taux modulable est entré en vigueur le 1 er octobre 2004 . Les chefs de cour ont notifié à chaque magistrat de leur ressort le taux d'attribution individuelle applicable aux trois derniers mois d'exercice de l'année en cours. Ils devront renouveler cette opération dès le mois de décembre 2004 en vue d'actualiser le montant de ces taux pour l'année 2005.
L'opinion des magistrats à l'égard de l'instauration d'une prime modulable est loin d'être unanime.
Les chefs de la cour d'appel de Douai ont indiqué à votre rapporteur pour avis que l'instauration d'une « prime au mérite » n'avait pas soulevé de difficultés particulières, seuls deux recours ayant été recensés dans le ressort de cette juridiction qui comprend environ 300 magistrats. Ils ont indiqué les critères qu'ils avaient retenu : la participation active à la vie de la juridiction et à des activités extérieures et l'acceptation de responsabilités supérieures à celles conférées par le grade.
Dans la pratique, les chefs de cour d'appel n'ont pas fait un usage identique de la faculté nouvelle de moduler une part de la prime forfaitaire, certains ayant choisi de lisser le montant de cette prime (à 8 % en moyenne) en la distribuant à parts égales entre tous les magistrats, tandis que d'autres ont utilisé avec une plus grande amplitude la gamme des taux.
Le Syndicat de la magistrature et l'Union syndicale des magistrats ont contesté cette réforme, considérant qu'elle portait atteinte à l'indépendance des magistrats. Ils ont regretté l'absence de motivation des décisions relatives à l'attribution de cette prime, évoquant le risque que la modulation résulte d'une décision arbitraire. Ils ont mis en avant que la diversité des tâches exercées par les magistrats ne permettait pas véritablement aux chefs de cour d'évaluer leur charge de travail.
En outre, en octobre dernier, les magistrats du tribunal de grande instance de Moulins, opposés à la mise en place d'une rémunération au mérite, ont décidé à l'unanimité de redistribuer entre eux et à parts égales la prime modulable versée individuellement cette année 19 ( * ) . Ils ont justifié leur démarche en expliquant que celle-ci constitue « une forme d'évaluation individuelle déguisée, réalisée sans critères, ni garantie, ni même d'homogénéité d'une cour d'appel à l'autre » et qu'elle peut être utilisée ou vécue « comme un levier de pouvoir entre les mains de la hiérarchie, totalement incompatible avec le statut d'indépendance de la magistrature qui demeure une des garanties fondamentales du justiciable . » (extrait de la motion adoptée le 13 octobre 2004). En tout état de cause, il paraît aujourd'hui prématuré de dresser un bilan de la mise en oeuvre de cette prime.
? La poursuite d'une meilleure prise en compte de l'exercice des responsabilités d'encadrement
Afin de rendre plus attractives les fonctions d'encadrement supérieur de l'Etat, il a été décidé, le 30 août 2000, dans le cadre d'une réunion interministérielle, d'accorder une nouvelle bonification indiciaire aux emplois d'encadrement supérieur des administrations centrales et des services déconcentrés.
Entrée en vigueur dès 2001 pour les membres des juridictions administratives, cette réforme a été étendue aux magistrats de l'ordre judiciaire progressivement.
La loi de finances initiale pour 2004 a financé une première phase d'attribution de la nouvelle bonification indiciaire dont le coût s'est élevé à 867.714 euros. 117 emplois sont concernés par cette revalorisation statutaire (premier président et procureur général près la Cour de cassation, présidents de chambres et avocats généraux, doyens de chambre, chefs de cour, certains chefs des tribunaux de grande instance...) 20 ( * ) .
Le projet de loi de finances pour 2005 prévoit une mesure nouvelle d'un montant de 998.140 euros pour étendre le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire à d'autres emplois de magistrats.
b) Les mesures en faveur des personnels des greffes, des avancées jugées insuffisantes par les organisations professionnelles
? Les avancées prévues par le projet de budget pour 2005
- La poursuite de la revalorisation du régime indemnitaire des personnels de catégorie C
Dans la continuité du mouvement engagé depuis 2001 en faveur d'une revalorisation des taux indemnitaires versés aux personnels de catégorie C, le projet de budget pour 2005 prévoit une mesure nouvelle d'1,9 million d'euros afin de financer une hausse de 1 point du taux moyen . Porté de 21 à 22 % par la loi de finances pour 2004, celui-ci s'établira à 23 % et dépassera de deux points le taux moyen applicable aux greffiers en chef et aux greffiers. Entre 1998 et 2005, le régime indemnitaire des fonctionnaires de catégorie C aura bénéficié d'une revalorisation de sept points , comme le montre le graphique ci-après.
TAUX INDEMNITAIRES MOYENS DES FONCTIONNAIRES DES
GREFFES
1998-2002-2005
Source : ministère de la justice
Depuis 1998, près de 69 % des dépenses indemnitaires financées en loi de finances initiale ont été attribuées à ces personnels. Depuis 2002, les fonctionnaires de catégorie C ont bénéficié d'un point supplémentaire chaque année. De ce fait, le taux moyen qui leur applicable est désormais supérieur de deux points à celui des greffiers et greffiers en chef.
L'ensemble des organisations syndicales représentant les personnels des greffes a regretté l'écart croissant entre le régime indemnitaire des magistrats et celui applicable au personnel des greffes estimant que cette évolution aggravait les inégalités entre les différentes catégories de personnels. Observant que la hausse du taux moyen des personnels de catégorie C réservée par le projet de budget pour 2005 n'était que la stricte application du protocole du 1 er décembre 2000 21 ( * ) , elles ont en outre déploré l'absence de progression du régime indemnitaire des greffiers en chef et des greffiers.
- La montée en puissance de la réforme statutaire des greffiers en chef et des greffiers
La valorisation du métier de greffier en chef constituait un objectif de la loi d'orientation et de programmation du 9 septembre 2002. Une réforme statutaire a donc été engagée en vue de leur offrir un déroulement de carrière plus favorable (décret n° 2002-1557 du 24 décembre 2002). Le coût budgétaire de cette réforme d'un montant de 18 millions d'euros, entrée en vigueur le 1 er janvier 2003, a été anticipé par les précédentes lois de finances initiales.
Une nouvelle grille indiciaire divisée en deux grades a été définie. Une restructuration du corps plus avantageuse a été opérée, 417 emplois du grade de base ayant été « repyramidés » en emplois du premier grade. 340 emplois ont déjà été localisés. Poursuivant ce mouvement, le projet de budget pour 2005 prévoit la transformation de postes de greffiers en chef du premier grade en emplois de greffiers en chef de deuxième catégorie 22 ( * ) .
Entrée en vigueur le 1 er juin 2003, la réforme des emplois de greffiers a amélioré leurs perspectives statutaires tout en faisant progresser les indices du premier grade et du second (décret n° 2003-466 du 30 mai 2003). En effet, une nouvelle grille indiciaire de type intermédiaire (dite CII « classement indiciaire intermédiaire ») composée de deux grades a permis de revaloriser significativement leur niveau de rémunération. Les transformations d'emplois induites par cette réforme ont été anticipées en loi de finances initiale pour 2004.
- La promotion interne des agents de catégorie C
Le projet de budget prévoit la poursuite du plan de transformation d'emplois d'agents administratifs en adjoints administratifs mis en place en 2001. 400 agents seront concernés par ce dispositif. Ces effectifs s'ajoutent aux transformations déjà opérées les trois années précédentes (950 chaque année). Le ministère de la justice envisage, à terme, la création d'un corps unique de catégorie C en filière administrative regroupant agents et adjoints administratifs qui, en pratique, exercent des tâches analogues.
De plus, le projet de loi de finances pour 2005 prévoit de « repyramider » 150 emplois d'adjoints administratifs en emplois d'adjoints administratifs de première classe (101) et de deuxième classe (49).
La constitution d'un corps de secrétaires administratifs , fonctionnaires de catégorie B exerçant, à la différence des greffiers, des fonctions exclusivement administratives (responsables de gestion adjoints dans les services administratifs régionaux, fonctions de secrétariat dans les juridictions...) est en cours. Vivement souhaitée par les syndicats de fonctionnaires, elle permet d'offrir des perspectives de carrière nouvelles aux agents de catégorie C. Elle résulte de la réforme statutaire des greffiers qui a consacré la distinction entre les fonctions juridictionnelles et les activités administratives.
Le ministère de la justice a annoncé le recrutement de 979 agents sur cinq ans. 60 postes ont été créés en loi de finances initiale pour 2004. Le recrutement de 40 secrétaires administratifs supplémentaires dont 20 par transformations d'emplois d'agents administratifs est prévu par le projet de budget pour 2005.
Les organisations syndicales entendues par votre rapporteur pour avis ont déploré le rythme - trop lent - de ces créations d'emplois, observant qu'aucun concours n'avait été ouvert à ce jour. Il paraît urgent de mettre en oeuvre une réforme annoncée l'année dernière. Telle est la raison pour laquelle le décret fixant les conditions et les modalités de recrutement et de déroulement de carrière des secrétaires administratifs doit être publié rapidement.
Le ministère de la justice a en outre indiqué qu'un examen professionnel serait organisé en 2005 pour permettre aux personnels de catégorie C « faisant fonction de greffiers » d'accéder aux emplois de greffiers en application du décret précité du 30 mai 2003. 40 postes devraient être ouverts, qui viendraient s'ajouter aux 80 postes déjà ouverts en 2004.
? Les inquiétudes exprimées par les personnels des greffes
Ces mesures ont été jugées insuffisantes par les organisations syndicales entendues par votre rapporteur. Deux sujets les préoccupent particulièrement.
Ils ont tout d'abord jugé urgent de créer un corps de fonctionnaire de catégorie B exerçant des fonctions techniques , afin de donner des perspectives de carrière aux agents de la filière technique, précisant qu'un tel corps existait d'ailleurs au sein de l'administration pénitentiaire. Ils ont jugé indispensable le maintien de la filière technique au sein des juridictions judiciaires, estimant que le recours à des prestataires externes pouvait porter atteinte au secret professionnel et à la confidentialité des dossiers.
Elles se sont inquiétées des conséquences du plan de résorption de l'emploi précaire dans les juridictions judiciaires. En effet, en 1999, le ministère de la justice a recruté 1.050 agents de justice âgés de 18 à 26 ans pour une durée de cinq ans dans le cadre du programme « emplois-jeunes ». Ces agents qui exercent des fonctions d'accueil dans les tribunaux, dans les maisons de justice et du droit et au sein des conseils départementaux d'accès au droit apportent une aide précieuse aux fonctionnaires des greffes.
Au 1 er septembre 2004, on dénombrait 675 contrats en cours dans les services judiciaires dont 460 arriveront à terme en 2005. La CFDT s'est tout particulièrement inquiété des conséquences « dramatiques » du départ des agents de justice sur le fonctionnement des maisons de justice et du droit, lesquelles, faute de personnel, risquaient d'être paralysées. L'ensemble des organisations syndicales ont souhaité la pérennisation de ces emplois, considérant que ces agents disposaient de compétences reconnues et appréciées.
Le ministère de la justice envisage plusieurs mesures pour permettre aux agents de justice de continuer à exercer sinon dans les juridictions judiciaires, du moins dans la fonction publique. Ainsi, des recrutements en qualité de contractuels pourront être proposés à certains. Un projet de décret est également à l'étude afin d'abaisser les conditions d'ancienneté requises pour faciliter l'accès de ces agents aux concours ouverts par le ministère de la justice (agents administratifs, greffiers...). En outre, les cours d'appel se sont vues assigner l'objectif de favoriser un large accès aux sessions de préparation aux concours et aux cours par correspondance dans le cadre de la formation continue régionale pour permettre à ces derniers de passer avec succès les concours de la fonction publique.
* 15 Décret n° 2003-1284 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l'ordre judiciaire, décret n° 2003-1285 et décret n° 2003-1286 concernant respectivement les magistrats de la Cour de cassation et certains personnels de l'Ecole nationale de la magistrature.
* 16 Dont le taux en pourcentage du traitement indiciaire brut s'élève désormais à 39 % pour les chefs de cour d'appel, les membres de l'inspection générale des services judiciaires, 38 % pour les présidents de chambre et avocats généraux, les juges d'instruction et les membres du parquet, 37 % pour les conseillers et les substituts généraux de cour d'appel, les vice-présidents des tribunaux de grande instance et 35 % pour les magistrats du siège des tribunaux de grande instance.
* 17 Distribuée notamment aux magistrats délégués à l'équipement (82 euros), aux magistrats affectés à la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (220 euros).
* 18 Fixée à 46 euros par astreinte de nuit dans un plafond de 534 euros par mois et par magistrats. Cette prime est versée aux magistrats du parquet des tribunaux de première instance.
* 19 Les taux des primes servies initialement à ces magistrats oscillaient entre 5 et 10 %, ce qui correspondait à des primes individuelles d'un montant variant de 92 à 450 euros. La décision des magistrats du tribunal de grande instance a eu pour effet de lisser cette prime, laquelle s'est finalement établie à 115 euros pour chacun d'entre eux.
* 20 Voir décret n° 2004-676 du 5 juillet 2004 et arrêté du même jour.
* 21 Un protocole d'accord a été signé entre le Gouvernement et les organisations syndicales CFDT, CGT, FO et USAJ à la suite de l'important mouvement de grèves engagé par les fonctionnaires des greffes pour obtenir des revalorisations indemnitaires.
* 22 Permettant de « repyramider » les postes de greffiers en chef dans trois cours d'appel (Toulouse, Nîmes et Grenoble) et sept tribunaux de grande instance.