III. QUELS ENSEIGNEMENTS TIRER DU RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES ?
Dans son rapport de septembre 2006 sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes analyse de façon très détaillée les régimes de la SNCF et de la RATP, ainsi que celui des IEG. En revanche, les magistrats financiers n'abordent pas spécifiquement les retraites des mines et des marins.
A. LA LOGIQUE RÉTRIBUTIVE DES RÉGIMES SPÉCIAUX
Le principe de contributivité sur lequel est fondée l'assurance vieillesse résulte de l'article 2 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites : « Tout retraité a droit à une pension en rapport avec les revenus qu'il tire de son activité ». Cette unique phrase revêt une double portée :
- vis-à-vis des retraités présents et futurs, il engage la collectivité à préserver par priorité les taux de remplacement sur les autres variables permettant d'assurer l'équilibre financier des régimes de retraites ;
- il suppose que le rapport entre revenus de l'activité professionnelle et niveau de retraite soit mieux assuré.
Dans son rapport, la Cour des comptes souligne à l'inverse que les systèmes de retraite spéciaux sont caractérisés par des avantages spécifiques qui ne sont pas fondés sur le niveau des cotisations versées . Les magistrats financiers désignent d'ailleurs cette situation en employant le terme tout à fait inhabituel de « régime rétributif » 6 ( * ) :
« Les régimes spéciaux du secteur public sont des régimes de retraite à prestations définies, par répartition, qualifiés de rétributifs parce que la pension liquidée est calculée en appliquant un taux de liquidation à un salaire de référence égal au dernier salaire d'activité. Ces caractéristiques distinguent nettement les régimes spéciaux des régimes des salariés du secteur privé (régime général et régimes complémentaires) :
- le régime général de base est un régime à prestations définies, qualifié de contributif parce que la pension liquidée est calculée en appliquant un taux de liquidation à un salaire de référence égal à la moyenne des meilleures années de la carrière ;
- les régimes complémentaires Arrco et Agirc sont des régimes à cotisations définies, fonctionnant selon la technique du point. La notion de salaire de référence n'intervient pas mais la pension liquidée reflète la totalité de la carrière salariale via les cotisations versées. »
1. L'ampleur des déficits actuariels à moyen et long terme
La Cour des comptes s'inquiète tout particulièrement des besoins de financement futurs des systèmes de retraite de la SNCF et de la RATP, pour lesquelles elle fournit une première estimation inédite pour la période 2005-2050 :
« Le déficit actuariel est égal à la somme actualisée des soldes techniques annuels projetés et il est rapporté à la somme des assiettes de cotisations actualisées sur la même période afin de déterminer la variation du taux de cotisation nécessaire dès 2005 pour annuler le déficit actuariel de la période de projection. »
(en millions d'euros)
Déficits actuariels et variation du taux de cotisation
Ces chiffres très élevés, qui s'inscrivent dans une perspective de long terme, ne permettent pas au lecteur d'apprécier spontanément toute la gravité de la situation. Aussi, les magistrats financiers se sont-ils attachés à calculer l'augmentation des taux de cotisation qui serait nécessaire pour combler de tels déficits :
« Sous la réserve, qu'en projection, les hypothèses concernant l'évolution des effectifs cotisants seront vérifiées, on peut faire le constat suivant :
- en maintenant à son niveau de 2004 la subvention versée au régime de la SNCF, il aurait fallu, quel que soit l'horizon de projection, augmenter dès 2005 le taux de cotisation de neuf à dix points pour couvrir les besoins de financement. Le trait particulier de ce régime est la stabilité de la hausse du taux de cotisation nécessaire pour rétablir son équilibre financier ;
- la situation du régime de la RATP se dégrade de plus en plus au fur et à mesure que l'horizon de projection s'allonge. En maintenant à son niveau de 2004 la subvention versée à ce régime, les augmentations de taux de cotisation devraient être de plus en plus fortes pour combler les déficits. A l'horizon 2015, une hausse de 3,9 points aurait été suffisante en 2005 pour retrouver l'équilibre financier. En considérant l'horizon 2025, il aurait fallu en 2005 augmenter le taux de cotisation de 8,3 points et à l'horizon 2050 de 16,3 points. Ce doublement des augmentations de taux tous les dix ans traduit l'ampleur et le creusement des déficits du régime de la RATP. »
Il semblerait tout à fait inconcevable de solliciter la solidarité nationale pour des besoins de financement additionnels d'une telle ampleur. Le vieillissement de la population entraînera en effet mécaniquement, au cours des prochaines décennies, une dégradation des finances publiques et des comptes sociaux. Selon les évaluations du COR, le solde technique du régime général serait ainsi déficitaire de 39 milliards d'euros par an à l'horizon 2040 et de 52 milliards dix ans plus tard.
Malgré les besoins beaucoup plus faibles des régimes des mines et des marins, il apparaîtra de toute évidence de plus en plus difficile de trouver un financeur de dernier ressort pour assumer le coût du statu quo sur les régimes spéciaux.
2. Une situation plus avantageuse que celle des autres assurés sociaux
Votre rapporteur considère que, sans stigmatiser les assurés sociaux des régimes spéciaux des grandes entreprises publiques, l'effort de solidarité dont ils bénéficient justifie que leur situation fasse l'objet d'un débat public. Dans ce contexte, les observations de la Cour des comptes mettent en évidence la situation plus avantageuse dont ils relèvent par rapport aux ressortissants des systèmes de retraite de droit commun du secteur privé et des trois fonctions publiques.
Cet avantage relatif réside tout d'abord dans le mode de calcul des pensions qui, dans la plupart des cas, repose encore :
- sur un traitement de référence déterminé sur la base des six derniers mois d'activité ;
- auquel on applique un taux de 2 % par annuité ;
- sur la base de trente-sept années et demie d'activité.
Les magistrats financiers soulignent par ailleurs que 7 ( * ) « par rapport aux régimes des salariés du secteur privé et des trois fonctions publiques, ces régimes spéciaux :
- n'utilisent pas la durée d'assurance tous régimes pour déterminer le taux de liquidation ;
- n'appliquent pas l'augmentation de la durée tous régimes programmée dans le futur ;
- n'introduisent pas de pénalisation financière au niveau de la pension liquidée lorsque la durée de services est inférieure à celle ouvrant le taux plein. Autrement dit, le taux d'annuité (2 %) est constant, garanti et indépendant de la durée de services effectivement accomplie ;
- n'encouragent pas la poursuite de l'activité puisqu'il n'y a pas de gain en termes de pension. »
En réponse aux questions posées par votre commission 8 ( * ) , la RATP a par ailleurs chiffré le coût des avantages en termes d'âge précoce de cessation d'activité et de mode de calcul favorable des pensions à 180 millions d'euros par an, par rapport à un total de 731 millions d'euros versés. La SNCF considère pour sa part que le coût pour l'entreprise des spécificités de son régime de retraite peut être évalué à 513 millions d'euros par an sur les 4,5 milliards d'euros de prestations versées aux assurés sociaux. La relative faiblesse de ces évaluations surprend quelque peu votre rapporteur qui ne dispose malheureusement pas des moyens d'en apprécier lui-même la réalité.
3. Des régimes fondés sur une solidarité inversée ?
Bien que ce constat, pourtant établi de longue date, soit contesté par les organisations syndicales des grandes entreprises publiques, la générosité des prestations des régimes spéciaux n'est permise que par un recours massif à des financements extérieurs. Or, l'immense majorité des assurés sociaux français dispose d'un système de retraite au rendement bien moindre que celui des cheminots ou des agents de la RATP. Pour ces deux régimes, on peut donc parler de solidarité inversée. Cela n'est évidemment pas le cas pour les mineurs et les marins qui perçoivent des pensions plutôt modestes.
La SNCF
Les cotisations constituent moins de 40 % des produits de la branche vieillesse (37,3 % en 2006). Le solde provient de sources extérieures : les mécanismes de compensation tiennent une part décroissante (6,2 % en 2006 contre 18 % en 1995) tandis que la subvention de l'État contribue désormais pour plus de la moitié du total (54 % en 2006 contre 48,9 % en 1995).
Régime de retraite spécial de la SNCF |
||||||||
(montants exprimés en millions d'euros) |
||||||||
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
Prév.
|
|
Nombre de cotisants |
177.716 |
179.471 |
179.552 |
177.120 |
172.675 |
168.132 |
165.425 |
162.944 |
Nombre de bénéficiaires |
320.200 |
316.000 |
312.000 |
309.015 |
305.108 |
301.531 |
298.800 |
296.300 |
Rapport cotisants/bénéficiaires de droits directs et de droits dérivés |
0,54 |
0,57 |
0,58 |
0,57 |
0,57 |
0,56 |
0,55 |
0,55 |
Montant des charges de vieillesse |
4.322,0 |
4.393,3 |
4.462,4 |
4.527,7 |
4.566,1 |
4.661,6 |
4.781,2 |
4.885,8 |
Montant des cotisations |
1.407,0 |
1.475,6 |
1.670,8 |
1.692,5 |
1.709,0 |
1.748,5 |
1.782,7 |
1.830,5 |
Ecart entre les cotisations et les charges |
- 2.915,0 |
- 2.917,7 |
- 2.791,6 |
- 2.835,2 |
- 2.857,1 |
- 2.913,1 |
- 2.998,5 |
- 3.055,3 |
Transferts reçus de la compensation démographique |
591,0 |
506,4 |
508,5 |
436,0 |
397,3 |
337,8 |
297,1 |
248,0 |
Contribution financière de l'Etat |
2.135,0 |
2.223,4 |
2.259,2 |
2.376,2 |
2.437,3 |
2.552,1 |
2.582,1 |
2.785,0 |
Total des ressources externes du régime |
2.726,0 |
2.729,8 |
2.767,7 |
2.812,2 |
2.834,6 |
2.889,9 |
2.879,2 |
3.033,0 |
Part relative des ressources externes dans le financement des charges du régime |
63,1 % |
62,1 % |
62,0 % |
62,1 % |
62,1 % |
62,0 % |
60,2 % |
62,1 % |
La RATP
A la RATP, le besoin de financement du régime a été assuré jusqu'en 2005 par une cotisation fictive de l'employeur couvrant plus de 60 % des charges du régime. La réforme intervenue en 2005 s'est traduite par une augmentation de plus de 90 millions d'euros par an des cotisations à la charge de l'entreprise. Une subvention directe de l'Etat couvrant presque 50 % des dépenses a en outre été instituée.
Régime de retraite spécial de la RATP |
||||||||
(montants exprimés en millions d'euros) |
||||||||
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
Prév. 2007 |
|
Nombre de cotisants |
40.555 |
41.949 |
42.984 |
43.325 |
43.645 |
43.750 |
43.850 |
43.900 |
Nombre de bénéficiaires |
42.611 |
42.591 |
42.642 |
42.776 |
43.834 |
44.191 |
44.660 |
45.153 |
Rapport cotisants/bénéficiaires de droits directs et de droits dérivés |
0,95 |
0,98 |
1,01 |
1,01 |
1,00 |
0,99 |
0,98 |
0,97 |
Montant des charges de vieillesse |
665,0 |
675,2 |
690,9 |
716,3 |
735,9 |
759,1 |
785,5 |
815,2 |
Montant des cotisations des actifs |
232,0 |
251,2 |
267,8 |
276,3 |
281,6 |
289,6 |
397,6 |
407,3 |
Ecart entre les cotisations des actifs et les charges |
- 433,0 |
- 424,0 |
- 423,1 |
- 440,0 |
- 454,3 |
- 469,5 |
- 387,9 |
- 407,9 |
Cotisations fictives et contribution de l'Etat (1) |
415,0 |
415,0 |
409,7 |
433,4 |
452,0 |
465,9 |
384,8 |
405,0 |
Part relative des cotisations fictives et des contributions publiques dans le financement des charges du régime |
62,4 % |
61,2 % |
59,3 % |
60,5 % |
61,4 % |
61,4 % |
49,0 % |
49,7 % |
(1) La contribution directe de l'Etat s'est substituée depuis 2006 à la contribution fictive de l'employeur. |
Le régime des marins
La part des ressources externes dans le financement des prestations des marins atteint presque 86 %. Ces transferts proviennent surtout de l'Etat (62 % des charges du régime) et dans une moindre mesure de la compensation démographique (24 %).
Régime de retraite spécial des marins |
||||||||
(montants exprimés en millions d'euros) |
||||||||
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
Est. 2006 |
Prév. 2007 |
|
Nombre de cotisants |
43.972 |
43.690 |
42.891 |
41.905 |
40.533 |
39.400 |
38.800 |
38.300 |
Nombre de bénéficiaires |
112.867 |
113.971 |
115.459 |
116.914 |
118.101 |
118.544 |
119.720 |
120.910 |
Rapport cotisants/bénéficiaires de droits directs et de droits dérivés |
0,39 |
0,38 |
0,37 |
0,36 |
0,34 |
0,33 |
0,32 |
0,32 |
Montant des charges de vieillesse |
1.002,2 |
1.013,2 |
1.054,0 |
1.070,4 |
1.073,8 |
1.089,3 |
1.116,4 |
1.132,4 |
Montant des cotisations |
137,7 |
135,8 |
134,5 |
145,1 |
136,6 |
144,3 |
120,7 |
122,2 |
Ecart entre les cotisations et les charges |
- 864,5 |
- 877,4 |
- 919,5 |
- 925,3 |
- 937,2 |
- 945,0 |
- 995,7 |
- 1.010,2 |
Transferts reçus de la compensation démographique (en millions d'euros) |
353,7 |
317,7 |
350,0 |
318,0 |
298,0 |
285,4 |
266,5 |
213,8 |
Contribution financière de l'Etat |
541,0 |
541,1 |
502,5 |
544,4 |
568,3 |
600,6 |
690,8 |
757,8 |
Total des ressources externes
|
894,7 |
858,8 |
852,5 |
862,4 |
866,3 |
886,0 |
957,3 |
971,6 |
Part relative des ressources externes dans le financement des charges du régime |
89,3 % |
84,8 % |
80,9 % |
80,6 % |
80,7 % |
81,3 % |
85,7 % |
85,8 % |
Le régime des mines
Pour le régime des mines, les ressources externes font principalement appel à la compensation démographique, qui couvre 56 % des charges du régime, et à l'Etat, qui en prend en charge 39 %
Régime de retraite spécial des mines |
||||||||
(montants exprimés en millions d'euros) |
||||||||
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
Est. 2006 |
Prév. 2007 |
|
Nombre de cotisants |
21.710 |
20.222 |
18.953 |
17.752 |
15.837 |
13.147 |
11.569 |
10.286 |
Nombre de bénéficiaires |
397.426 |
393.002 |
387.122 |
380.140 |
376.558 |
371.111 |
365.243 |
358.470 |
Rapport cotisants/bénéficiaires de droits directs et de droits dérivés |
0,05 |
0,05 |
0,05 |
0,05 |
0,04 |
0,04 |
0,03 |
0,03 |
Montant des charges de vieillesse |
2.312,0 |
2.359,6 |
2.428,4 |
2.155,1 |
2.117,8 |
2.069,7 |
1.963,4 |
1.947,0 |
Montant des cotisations |
78,0 |
75,8 |
72,9 |
67,7 |
63,4 |
63,1 |
57,4 |
53,0 |
Ecart entre les cotisations et les charges |
-2.234,0 |
-2.283,8 |
-2.355,5 |
-2.087,4 |
-2.054,4 |
- 2.006,6 |
- 1.906,0 |
- 1.894,0 |
Transferts reçus de la compensation démographique |
1.712,0 |
1.555,6 |
1.587,9 |
1.441,5 |
1.305,0 |
1.231,7 |
1.103,8 |
977,9 |
Contribution financière de l'Etat |
342,0 |
472,6 |
452,8 |
528,2 |
628,2 |
576,2 |
757,6 |
758,6 |
Total des ressources externes du régime |
2.054,0 |
2.028,2 |
2.040,7 |
1.969,7 |
1.933,2 |
1.807,2 |
1.861,4 |
1.736,5 |
Part relative des ressources externes dans le financement des charges du régime |
88,8 % |
86,0 % |
84,0 % |
91,4 % |
91,3 % |
87,4 % |
94,8 % |
89,2 % |
* 6 Rapport de la Cour des comptes de septembre 2006, p. 315.
* 7 Rapport de la Cour des comptes, septembre 2006, p. 318.
* 8 Rapport n° 59, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 - Tome IV - Assurance vieillesse (session 2006/2007) - p. 33 et suivantes.