B. DES TEXTES « INDIGNES DU PARLEMENT » ?
Lors de ses auditions, votre rapporteur pour avis a pu constater le scepticisme de nombre de ses interlocuteurs sur le concept même de lois générales de simplification du droit, le professeur Pierre Delvolvé allant jusqu'à estimer qu'il s'agissait de textes « indignes du Parlement ».
Sans partager les propos précédents, votre rapporteur pour avis estime néanmoins que les lois générales de simplification ne sont qu'un outil imparfait de simplification du droit .
Dans son rapport rédigé en tant que parlementaire en mission, Jean-Luc Warsmann a présenté ce que sont, à ses yeux, les avantages des lois de simplification :
« Les avantages de la loi de simplification sont nombreux. Elle permet de traiter à la fois de sujets importants de modernisation mais aussi de corriger de nombreuses dispositions législatives mal rédigées, dépassées ou même de petites "scories" qui, bien que mineures, peuvent être source d'insécurité juridique.
En un seul texte, donc en un seul passage au Conseil d'État et un seul débat au Parlement, sont regroupées des mesures de tous les ministères, qui devraient, autrement, les porter par eux-mêmes. Elle est donc économie du temps du Gouvernement et du Parlement. Par ailleurs, les mesures sont, pour la plupart, consensuelles et le débat parlementaire est rapide. » 38 ( * )
Votre rapporteur pour avis ne partage pas cette analyse et estime que les éléments présentés comme des avantages constituent au contraire les principaux défauts des lois générales de simplification.
1. L'intérêt limité de bon nombre de dispositions des lois de simplification
Les lois de simplification qui se sont succédées depuis 2003 comprennent un nombre important de dispositions à la portée réduite .
De nombreux articles de ces textes ne consistent ainsi qu'en des modifications formelles du droit en vigueur. Quelques exemples issus de la loi de 2009 sont de ce point de vue révélateurs :
- l'article 10 a procédé à l'actualisation de la terminologie du code civil. Il s'est agi notamment de remplacer « des vocables juridiques dont la vétusté nuit à la compréhension du droit dans la vie courante » 39 ( * ) ;
- l'article 11 a procédé à des coordinations ;
- l'article 55 a effectué une modification rédactionnelle dans le code du travail ;
- l'article 117 a corrigé des erreurs de référence dans le code de l'urbanisme ;
- l'article 118 a corrigé une erreur matérielle.
Si l'ensemble des ces dispositions sont utiles à la qualité de la loi et peuvent parfois permettre de remédier à une situation d'insécurité juridique, votre rapporteur pour avis souligne qu'elles présentent peu d'intérêt sur le fond.
Plus grave, certaines dispositions des lois de simplification paraissent inutiles .
Il en est ainsi de la suppression de dispositions législatives obsolètes ou de la suppression de la référence à des mesures réglementaires qui n'ont pas été prises par le Gouvernement.
Quel est en effet l'intérêt de cette démarche ? Supprimer des dispositions qui de toute façon ne sont plus appliquées a-t-il un sens ? Nuisent-elles à l'accessibilité du droit ? N'est-il pas impossible par nature que cette démarche soit exhaustive ?
Plus largement, discuter de ce type de dispositions, est-ce vraiment le coeur de métier du Parlement ? Votre rapporteur pour avis ne le pense pas.
2. La complexité d'examen de ces textes par le Parlement
Comme l'a montré la liste des ordonnances prises sur le fondement de la loi de simplification de 2004, les sujets traités par les lois de simplification sont très divers et relèvent de tous les ministères .
Votre rapporteur pour avis note ainsi que si la commission des lois du Sénat est compétente pour les lois de simplification, elle délègue assez systématiquement l'instruction de certains articles aux autres commissions permanentes.
Pour l'examen de la précédente loi de simplification, elle avait ainsi délégué une partie des 77 articles du texte tel qu'adopté par l'Assemblée nationale à trois commissions : la commission des affaires économiques (onze articles), la commission des affaires sociales (dix articles) et la commission des finances (quatre articles).
L'organisation de l'examen de ces textes s'avère en conséquence un véritable numéro d'équilibriste , illisible pour les parlementaires.
Par ailleurs, le fait que ces textes évoquent des sujets très variés, relevant du champ de compétence de plusieurs commissions, complexifie considérablement l'organisation des débats parlementaires.
Comment en effet organiser le débat en passant, sans transition, de dispositions relatives au logement à des dispositions relatives à la santé par exemple ? Comment mobiliser les parlementaires spécialisés sur les différents sujets sur ces textes « fourre-tout » ?
3. La complexité des textes visant à simplifier le droit
Le fait que les lois de simplification traitent de nombreux domaines les rend elles-mêmes particulièrement complexes, illisibles pour les parlementaires et plus encore pour les simples citoyens .
Le processus d'examen de ces textes par le Parlement conduit systématiquement à leur complexification :
- les différents ministères cherchent en effet à y insérer des dispositions de coordination, de correction rédactionnelle ou de simplification pour lesquelles ils n'ont trouvé aucun autre vecteur législatif. Comme l'indique d'ailleurs joliment le rapporteur de la présente proposition de loi à l'Assemblée nationale, « certaines mesures ont été élaborées en concertation étroite avec le Gouvernement » 40 ( * ) ;
- les parlementaires déposent, à l'occasion de l'examen de ces textes, des amendements sur l'ensemble des sujets imaginables, sans pouvoir jamais se voir opposer l'argument du « cavalier législatif ». Les lois de simplification traitant de tous les sujets, comment considérer en effet qu'un amendement est sans rapport avec l'objet du texte ?
Cela explique l'évolution exponentielle du nombre d'articles de ces textes au cours de leur examen par le Parlement .
Évolution du nombre d'articles des deux
dernières lois de simplification
au cours de leur examen par le
Parlement
Nombre d'articles dans la proposition de loi initiale |
Nombre d'articles à l'issue de la première lecture par l'Assemblée nationale |
Nombre d'articles à l'issue de la première lecture au Sénat |
Évolution du nombre d'articles 41 ( * ) |
|
Loi de 2007 |
12 |
16 |
31 |
+ 158 % |
Loi de 2009 |
50 |
77 |
140 |
+ 180 % |
Du fait de leur complexité et de leur « gonflement » en cours de lecture, les lois de simplification peuvent être facilement source d'erreurs , à l'exemple de la précédente loi de simplification.
Au détour de ses articles 124 et 125, relatifs à la clarification des règles relatives à la responsabilité pénale des personnes morales, la possibilité de dissolution des personnes morales condamnées pour escroquerie avait disparu du code pénal.
Cette disposition avait échappé aux parlementaires, au ministère de la Justice et, pire encore, au procureur chargé de requérir contre l'Église de scientologie qui, non conscient du changement de la loi, avait requis contre elle la dissolution. Au final, l'Eglise de scientologie n'avait pu être condamnée à la dissolution.
Or à la lecture du rapport de notre collègue Bernard Saugey, votre rapporteur pour avis ne s'étonne pas qu'une erreur ait pu se glisser dans ces articles. Pour en être convaincu, il suffit de relire le commentaire de ces articles, au début duquel figure la liste des articles de codes modifiés.
Articles 58 et 59 (art. 213-3, 215-3, 221-5-2, 221-7, 222-6-1, 222-16-1, 222-18-2, 222-21, 222-33-1, 222-42, 223-2, 223-7-1, 223-9, 223-15-1, 223-15-4, 225-4, 225-4-6, 225-12, 225-12-4, 225-16, 225-16-3, 225-18-1, 226-7, 226-12, 226-24, 226-30, 227-4-1, 227-14, 227-17-2, 227-28-1, 311-16, 312-15, 313-9, 314-12, 314-13, 321-12, 322-17, 323-6, 324-9, 414-7, 422-5, 431-20, 433-25, 436-5, 441-12, 442-14, 443-8, 444-9, 445-4, 450-4, 511-28, 717-3 et 727-3 du code pénal ; art. 60-1 et 60-2 du code de procédure pénale ; art. L. 227-8, art. L 473-4 du code de l'action sociale ; art. L. 324-1, art. L. 741-3 du code de l'aviation civile ; art. L. 310-27 et 310-28 du code des assurances ; art. L. 310-6, art. L. 321-15 et L. 654-7 du code de commerce ; art L. 121-72, art. L. 213-6, art. L. 218-7 du code de la consommation ; art. L. 152-12, art. L. 511-6, art. L. 521-4, art. L. 642-28 du code de la construction et de l'habitation ; art. L. 2339-2, art. L. 2339-3, art. L. 2342-78, art. L. 2343-11 du code de la défense ; art. 209 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ; art. L. 459 du code des douanes ; art. L. 622-8, art. L. 623-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; art. L. 216-12, art. L. 218-24, art. L. 218-57, art. L. 218-70, art. L. 218-80, art. L. 226-10, art. L. 331-27, art. L. 332-25-1, art. L. 428-7-1, art. L. 437-23, art. L. 514-18, art. L. 521-21, art. L. 522-16, art. L. 541-47, art. L. 713-5 du code de l'environnement ; art. L. 2223-36 du code général des collectivités territoriales ; art. L. 333-4 du code de justice militaire ; art. 143 du code minier ; art. L. 163-10-1, art. L. 351-1, art. L. 353-4, art. L. 465-3, art. L. 571-1, art. L. 573-7, art. L. 573-11 du code monétaire et financier ; art. L. 114-55, art. L. 213-5, art. L. 510-12 du code de la mutualité ; art. L. 442-5 du code du patrimoine ; art. L. 19, art. L. 39-2, art. L. 39-10, art. L. 65, art. L. 97-3 du code des postes et des communications électroniques ; art. L. 335-8, art. L. 343-6, art. L. 521-12, art. L. 615-14-3, art. L. 623-32-2, art. L. 716-11-2 du code de la propriété intellectuelle ; art. L. 216-6, art. L. 317-8, art. L. 321-4, art. L. 413-5 du code de la route ; art. L. 215-10, art. L. 215-11, art. L. 215-13, art. L. 228.8, art. L. 237-1, art. L. 237-2, art. L 237-3, art. L. 251-20, art. L. 251-21, art. L. 253-17, art. L. 257-12, art. L. 671-10 du code rural ; art. L. 1115-2, art. L. 1126-4, art. L. 1133-9, art L. 1133-10, art. L. 1142-26, art. L. 1274-2, art. L. 1324-3, art. L. 1337-4, art. L. 1337-7, art. L. 1337-9, art. L. 2164-2, art. L. 3512-3, art. L. 4161-6, art. L. 4162-1, art. L. 4163-2, art. L. 4223-1, art. L. 4223-2, art. L. 4243-1, art. L. 4243-2, art. L. 4314-4, art. L. 4314-5, art. L. 4323-4, art. L. 4323-5, art. L. 4334-1, art. L. 4334-2, art. L. 4344-4, art. L. 4344-5, art. L. 4353-1, L. 4353-2, art. L. 4263-2, art. L. 4363-3, art. L. 4372-1, art. L. 4372-2, art L. 5426-1, art. L. 5431-4, art. L. 5435-1, art. L. 5441-12, art. L. 5442-8, art. L. 5451-3, art. L. 6222-1, art. L. 6222-2, art. L. 6324-2 du code de la santé publique ; art. L. 243-12-2, art. L. 951-11 du code de la sécurité sociale ; art. L. 232-28, art. L. 332-30 du code du sport ; art. L. 412-2 du code du tourisme ; art. 90-1 du code du travail maritime) - Clarification des règles relatives à la responsabilité pénale des personnes morales |
Source : Rapport n° 209 (2008-2009), Ibid., p. 209
Comment s'étonner qu'une erreur ait pu se glisser au milieu de deux articles qui font près de quarante pages ?
Les lois de simplification du droit sont donc des textes complexes voire des textes de complexification du droit . Notre collègue Bernard Saugey l'indiquait d'ailleurs en 2009 : « l es retouches conjoncturelles isolées peuvent être de nature à altérer l'équilibre général du bloc législatif modifié et y introduire des incohérences, voire des contradictions » 42 ( * ) .
4. Une mise en application non accélérée
Dernier élément enfin, le caractère d'urgence de la simplification n'assure pas pour autant une mise en application accélérée des lois de simplification. Comme pour les autres textes, les mesures d'application tardent en effet à être mises en oeuvre par le Gouvernement.
C'est le cas pour la dernière loi de simplification : à la mi-juillet 2010, soit près d'un an après sa promulgation, seules 14 des 26 mesures d'application prévues avaient été prises.
Parmi les mesures d'application non encore prises, on peut relever :
- le décret en Conseil d'État visant à créer un guichet unique pour l'accès aux informations sur les réseaux d'énergie ;
- les décrets visant à centraliser le contentieux du recouvrement des contraventions commises au détriment des services publics de transport ferroviaires et de personnes ;
- le décret visant à simplifier les conditions de validité des donations et legs consentis au profit des établissements de santé, sociaux ou médico-sociaux ou des établissements d'utilité publique.
* 38 Rapport sur la qualité et la simplification du droit, Ibid., p. 87.
* 39 Commission spécialisée de terminologie et de néologie en matière juridique, citée in : Rapport n° 209 (2008-2009) fait au nom de la commission des Lois, Bernard Saugey, p. 62.
* 40 Rapport n° 2095 (XIIIème législature), Ibid., p. 17.
* 41 Les lois de 2007 et 2009 ont été adoptées définitivement par le Parlement après leur examen en seconde lecture par l'Assemblée nationale.
* 42 Rapport n° 209 (2008-2009), Ibid., p. 17.