B. UN TEXTE QUI S'ÉLOIGNE DE LA LOI DE SIMPLIFICATION PAR PLUSIEURS ASPECTS
La présente proposition de loi ne correspond pas aux canons de la loi de simplification par plusieurs de ses aspects.
Les contours de la politique de simplification ont pourtant été définis par Jean-Luc Warsmann dans son rapport remis en tant que parlementaire en mission. Il a en effet appelé à « recentrer la politique de simplification de deux objectifs principaux : la réduction du " fardeau administratif " , le renforcement de la sécurité et de la cohérence juridique » 73 ( * ) .
De même, il a énuméré les éléments de la simplification : « constat de l'inutilité d'une obligation, suppression d'un doublon, harmonisation des règles, allègement d'un régime d'autorisation, sécurisation et dématérialisation des procédures, accessibilité à des documents administratifs, précision apportée à un dispositif, amélioration de l'information du justiciable, suppression de commissions, mise en conformité avec le droit communautaire... » 74 ( * )
1. Deux réformes de fond qui auraient mérité un texte spécifique
« Les lois de simplification n'ont pas vocation à réformer un pan entier de l'action publique , tel que la réduction drastique de nombre de statuts particuliers de la fonction publique ou encore la simplification du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. De telles réformes doivent probablement être menées, mais, en tant que telles, pas dans le cadre d'une loi de simplification » affirmait Jean-Luc Warsmann dans son rapport sur la simplification du droit 75 ( * ) .
La présente proposition de loi ne respecte pas ce précepte. Elle comporte en effet au moins deux réformes d'ampleur qui auraient justifié , comme l'a d'ailleurs souligné lors de son audition par votre rapporteur pour avis le professeur Pierre Delvolvé, le dépôt de propositions (ou de projets) de loi spécifiques :
- la réforme des groupements d'intérêt publics (GIP) ;
- la réforme du droit de préemption urbain.
2. La transposition « en catimini » de la « directive services »
Outre des réformes de fond, plusieurs articles de la présente proposition de loi procèdent à la transposition de la « directive services » 76 ( * ) .
Cela ne semble là aussi guère conforme au statut de la loi de simplification car, comme l'indiquait le comité d'enquête sur le coût et le rendement des services publics, « la transposition en droit interne de dispositions communautaires ne peut être considérée comme de la " simplification " , sauf si elle se traduit par la suppression d'une disposition de droit national intrinsèquement plus complexe » 77 ( * ) .
Parmi les 25 articles délégués au fond à votre commission, les articles suivants visent, au moins partiellement, à transposer cette directive :
- l'article 10 portant adaptation des règles applicables au personnel navigant de l'aviation civile à cette directive ;
- l'article 19 simplifiant les règles applicables aux opérateurs réalisant les diagnostics et les contrôles relatifs au plomb ;
- l'article 27 quinquies portant sur la direction ou la gérance d'une auto-école ;
- l'article 85 mettant en conformité les conditions d'exercice de la profession de géomètre-expert avec le droit communautaire ;
D'autres articles instruits par les autres commissions permanentes ont ce même objectif.
Votre rapporteur pour avis regrette le choix opéré par le Gouvernement pour transposer cette directive, qui conduit à empêcher un véritable débat parlementaire sur ce texte , certains allant jusqu'à évoquer « une mise à l'écart illégitime du Parlement » 78 ( * ) .
Proposé en janvier 2004 par la Commission européenne afin de favoriser l'émergence d'un marché intérieur des services, le texte avait suscité une vive controverse, notamment dans notre pays, liée notamment au principe du pays d'origine. Remaniée en profondeur par le Parlement européen, elle avait finalement été adoptée par le Conseil et le Parlement européens le 12 décembre 2006.
Éléments de la « directive services » La directive poursuit quatre objectifs : - faciliter la liberté d'établissement et la liberté de prestation de services au sein de l'Union européenne ; - renforcer les droits des usagers des services ; - promouvoir la qualité des services ; - établir une coopération administrative entre les États membres. Elle comprend quatre volets principaux pour sa mise en oeuvre, qui s'imposent aux États membres : - le recensement exhaustif des régimes d'autorisation applicables aux activités de services et la vérification de leur conformité aux exigences de la directive ; - la transmission à la Commission d'un ensemble de fiches et d'un rapport de synthèse justifiant les choix effectués en matière de régime d'autorisation ; - l'instauration de « guichets uniques » pour fournir des informations sur les droits et les formalités à accomplir pour exercer une activité de service ; - mettre en oeuvre le système d'information du marché intérieur. Le délai de transposition de la directive a été fixé initialement au 28 décembre 2009 79 ( * ) . |
Source : Rapport n° 319 (2009-2010), Ibid., p. 12-13.
Le Gouvernement a fait le choix de ne pas recourir à une loi-cadre pour transposer cette directive, à l'inverse du choix qui a été opéré par plusieurs États-membres (Pays-Bas, Grande-Bretagne, Espagne, République tchèque) et a la préférence de la Commission européenne.
Outre qu'il n'est pas conforme à la tradition française de transposition, un tel choix n'aurait pas constitué une solution idéale pour transposer une directive au champ aussi large et au contenu aussi technique.
Cependant, comme l'indiquait Jean Bizet en juin 2009, « le Gouvernement français justifie son choix en grande partie par des considérations politiques tendant à la forte sensibilité des implications de la " directive services " , sur les professions réglementées par exemple. Une loi-cadre de transposition pourrait en effet servir d'"épouvantail " à tous ceux qui seraient tentés d'instrumentaliser un exercice essentiellement technique à des fins électorales » 80 ( * ) .
Le Gouvernement a fait, pour ces raisons, le choix de la transposition par des dispositions sectorielles, introduites dans un nombre important de textes.
Textes adoptés par le Parlement contenant des
dispositions
- loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie : dispositions relatives à la détention de capital pour les sociétés d'exercice libéral, réforme de l'urbanisme commercial, suppression de l'autorisation d'ouverture pour les établissements hôteliers... ; - loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques : réforme de l'activité des ventes de voyage, réforme du classement des hébergements touristiques... ; - loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires : régimes d'autorisations relatifs à certains établissements et services sociaux et médicaux-sociaux ; - loi n° 2010-626 du 9 juin 2010 encadrant la profession d'agent sportif : modification du régime des agents sportifs ; - loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement : adaptation du régime d'agrément pour l'exercice de l'activité de distributeur et d'applicateur des produits phytosanitaires. - loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services : réformes de certaines professions (professionnels de l'expertise-comptable, activité d'agent artistique, agents immobiliers...), participation obligatoire des ordres professionnels aux guichets uniques,...) ; - loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche : abrogation du régime d'autorisation pour l'accès à l'activité de toilettage pour chiens et chats, suppression de l'agrément pour les négociants d'animaux vivants, allègement des régimes encadrant les collecteurs de céréales et d'oléagineux ; |
Source : Cellule « Transposition de la directive services » , Ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi
Ce choix présente aux yeux de votre rapporteur pour avis l'inconvénient majeur de noyer le débat sur ce texte et de conduire, comme le craignait Jean Bizet en juin 2009, à une « transposition " en catimini " » 81 ( * ) .
Mais, dès lors que ce mode de transposition a été choisi et mis en oeuvre, il est logique de poursuivre dans cette voie : une loi cadre n'aurait en effet plus de sens aujourd'hui.
Votre rapporteur pour avis note par ailleurs que la France est en position délicate vis-à-vis des autorités européennes. La Commission a en effet lancé en janvier 2010 une procédure d'infraction pour défaut de transposition complète, comme pour une vingtaine d'autres états membres.
En conséquence, votre rapporteur pour avis ne vous proposera pas de supprimer les dispositions de transposition figurant dans ce texte .
* 73 Proposition n° 22 in : Rapport sur la qualité et la simplification du droit, Ibid., p. 77.
* 74 Ibid., p. 78.
* 75 Ibid., p. 88.
* 76 Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.
* 77 Rapport du 26 janvier 2006, p. 26.
* 78 Rapport n° 319 (2009-2010) fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi relative à la protection des missions d'intérêt général imparties aux services sociaux et à la transposition de la directive services, Annie Jarraud-Vergnolle, p. 16.
* 79 En avril 2010, soit quatre mois après la fin du délai de transposition, seuls 7 Etats membres (République tchèque, Estonie, Hongrie, Lituanie, Malte, Pays-Bas et Suède) avaient pleinement transposé la directive.
* 80 « " Directive services " : à six mois de l'échéance » , Rapport d'information n° 473 (2008-2009) fait au nom de la commission des affaires européennes sur l'état de la transposition de la « directive services », Jean Bizet, p. 15.
* 81 « Directive services », à six mois de l'échéance » , Ibid., p. 16.