B. SUR LE TERRAIN, UNE MISE EN oeUVRE PERFECTIBLE : LES RÉSULTATS CONTESTABLES DE LA RGPP
Malgré ce bilan globalement satisfaisant, votre rapporteur observe que la RGPP n'a pas rempli toutes ses promesses. En effet :
- la montée en puissance du préfet de région reste largement de l'ordre de la théorie ;
- les incertitudes sur le sort des sous-préfectures n'ont toujours pas été levées ;
- les mutualisations n'ont engendré que peu d'économies, alors même qu'elles étaient conçues par la RGPP comme un levier fondamental de réalisation de gains de productivité.
1. La difficile mise en place d'une animation de l'administration déconcentrée de l'État à l'échelle régionale
(1) Au coeur de la RGPP, une volonté affichée de renforcer le préfet de région
Reposant sur une vision de la région comme « maille territoriale la plus adaptée à la programmation et à l'impulsion des stratégies de l'État », la RGPP dans les services déconcentrés a eu pour objectif, dès ses origines, de renforcer substantiellement les prérogatives du préfet de région afin d'assurer l'unité de l'action territoriale de l'État.
Si ce renforcement était encore largement informel en 2008 et 2009, il a été consacré par un décret du 16 février 2010 9 ( * ) qui régionalise le cadre d'action de l'État déconcentré et confie d'importantes prérogatives aux préfets de région, notamment en affirmant leur prééminence par rapport aux préfets de département.
Le niveau régional devient donc le « niveau de droit commun pour le pilotage des politiques publiques » et le niveau d'exécution des politiques nationales et communautaires.
Les apports du décret du 16 février
2010 : les nouveaux pouvoirs
Aux termes du décret du 16 février 2010, le préfet de région : - a autorité sur les préfets de département, sauf dans quelques matières où ceux-ci conservent une autorité exclusive (ordre public, contrôle de légalité, police des étrangers) ; - est doté d'un droit d'évocation , dans les matières où il a autorité sur les préfets de département. Ce droit permet au préfet de région de prendre des décisions en lieu et place des préfets des départements de la région concernée par la compétence évoquée ; - élabore le projet d'action stratégique de l'État dans la région (PASE), qui devient le document unique de référence sur l'ensemble du territoire régional ; - est responsable de la répartition des crédits des budgets opérationnels de programme (BOP) entre actions et entre départements, ce qui doit lui permettre d'adapter au mieux les politiques publiques aux enjeux territoriaux ; - exerce de plein droit les fonctions d'ordonnateur secondaire des dépenses déconcentrées de l'État ; - est doté de compétences importantes en matière de mutualisations : il arrête le schéma régional des mutualisations et le plan interministériel de gestion prévisionnelle des ressources humaines, approuve les schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI) élaborés et proposés par les préfets de département, et constitue les plates-formes CHORUS partagées des services placés sous son autorité ; - arrête, avec le préfet de département, un « schéma organisant la mutualisation des moyens entre les services de l'État » au niveau du département ; ce schéma doit être conforme aux orientations fixées par le schéma régional ; - a autorité sur les services déconcentrés à compétence régionale des administrations civiles de l'État ; - est consulté préalablement à toute proposition de nomination, d'affectation ou de mutation des chefs de service et des sous-préfets ; - est le délégué territorial des établissements publics de l'État comportant un échelon régional ; - est assisté par un comité de l'administration régionale , dont les compétences sont étendues (toujours chargés d'élaborer la stratégie de l'État en région, le CAR est désormais « consulté sur l'utilisation de tous les crédits ouverts au profit des services de l'État en région ») et qui est composé des préfets de département, du recteur d'académie, du directeur général de l'ARS, et des responsables des six nouvelles directions régionales. |
(2) Des résultats décevants sur le terrain : le fonctionnement imparfait des instances de concertation régionale
Toutefois, le renforcement des préfets de région est balbutiant : en effet, ceux-ci rencontrent certaines difficultés dans la mise en oeuvre des nouveaux pouvoirs qui leur sont donnés par le décret du 16 février 2010, si bien que la montée en puissance de l'échelon régional ne semble pas être advenue dans les faits.
Tout d'abord, votre rapporteur remarque que le « droit d'évocation » confié aux préfets de région est rarement utilisé : selon M. Henri-Michel Comet, secrétaire général du ministère de l'intérieur, seuls les préfets des régions Picardie et Centre ont, à ce jour, fait usage de ce droit (tous deux dans le domaine de la délivrance de permis de construire pour les éoliennes).
Par ailleurs, selon un rapport récent de l'Inspection générale de l'administration (IGA) 10 ( * ) , les préfets de région peinent à assumer leur rôle d'animation des politiques publiques à l'échelle régionale. Le système de « pilotage » régional de l'action de l'État souffre ainsi de deux lacunes :
- les comités de l'administration régionale (CAR) ne remplissent pas pleinement leur rôle de définition de la stratégie régionale : ces comités, qui auraient dû être le lieu de l'impulsion régionale, fonctionnent plutôt comme « un lieu de consensus, qui a vocation à valider les arbitrages et initiatives du préfet de région », si bien que « la remontée des débats à ce niveau est perçue, légitimement, comme un dysfonctionnement des niveaux antérieurs de concertation ». La collégialité à l'échelle régionale est donc insuffisante ;
- le fonctionnement des « pré-CAR » (qui réunissent les secrétaires généraux des préfectures et les directeurs régionaux afin de préparer les réunions du CAR) est, lui aussi, perfectible : selon le rapport précité de l'IGA, ils exercent essentiellement une fonction de « communication sur l'exécution du budget, les prévisions de recrutement et l'avancement des démarches de mutualisation » : en d'autres termes, les pré-CAR n'ont pas été « le lieu de définition d'une démarche concertée d'allocation des ressources » qu'ils auraient dû être dans la mise en oeuvre de la RGPP, et n'ont pas contribué à la définition d'une méthode d'allocation des crédits partagée entre tous les préfets de département et le préfet de région.
Synthétiquement, l'IGA considère que « le pilotage bilatéral tend à se substituer aux instances collégiales, ce qui ne facilite pas la transparence des informations du niveau départemental et limite l'appropriation par chaque unité opérationnelle de la contrainte collective ».
Plus généralement, il semble que la pertinence du nouveau rôle des préfets de région reste contestée, notamment par les préfets de département : ainsi, « certains préfets de département pointent les difficultés de mise en place d'une stratégie régionale qui soit autre chose qu'une agrégation des objectifs départementaux. Considérant qu'il est de leur responsabilité de mettre en oeuvre les réformes stratégiques, ils estiment qu'il leur revient au premier chef de fixer les objectifs de performance au niveau départemental, en fonction des contraintes locales » : la régionalisation de l'action de l'État est donc loin de faire l'unanimité sur le terrain .
Plus encore : l'objectif de renforcement du préfet de région est remis en cause par le ministre de l'intérieur lui-même . M. Brice Hortefeux a ainsi déclaré devant votre commission que, « d'abord partisan d'une relation hiérarchique entre le préfet de région et les préfets de département », il avait renoncé à cette idée afin d'éviter que le premier ne devienne « une instance d'appel pour les élus » 11 ( * ) .
2. Des mutualisations dont l'impact financier reste incertain
(1) Un contexte plus favorable à la réalisation de mutualisations
La réalisation de mutualisations était également l'un des objectifs majeurs de la RGPP.
En la matière, l'année 2010 a permis des avancées importantes : alors que les obstacles techniques à la mise en oeuvre de mutualisations étaient nombreux en 2009, comme votre rapporteur avait pu le souligner, de nouveaux outils techniques ouvrant la possibilité d'opérer des mutualisations à l'échelle interministérielle ont récemment été créés.
Les mutualisations s'appuient tout d'abord sur le renforcement des secrétaires généraux aux affaires régionales, qui a été acté par un décret du 25 mai 2009.
Le rôle des secrétaires
généraux aux affaires régionales
Le décret du 25 mai 2009 dote les SGAR de nouvelles missions d'animation d'une gestion mutualisée des moyens des services de l'État à l'échelon régional. Ils ont désormais pour missions de : - Piloter les mutualisations des fonctions de soutien ; - Favoriser la mobilité des fonctionnaires entre les services ; - Coordonner la communication sur les politiques publiques. Le SGAR, sous l'autorité du préfet de région et en partenariat avec France Domaine, met en place la stratégie immobilière de l'État dans la région et l'optimisation de l'occupation des locaux par les services déconcentrés de l'État. Il gère également pour le compte du préfet de région le BOP 309 (« Entretien des bâtiments de l'État »). Le SGAR a pour autre mission nouvelle d'organiser et d'animer une plate-forme d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines . Destinées à favoriser le développement de mobilités au sein d'un même bassin d'emplois et à professionnaliser la gestion personnalisée des ressources humaines, ces plates-formes correspondent à un enjeu fort pour l'administration territoriale de l'État. Aujourd'hui les 22 plates-formes métropolitaines sont déployées. L'objectif assigné est d'élaborer un plan de gestion interministérielle des ressources humaines, de mettre en commun une bourse régionale des emplois à pourvoir, de présenter une offre de formation interministérielle, de mutualiser toutes les fonctions support de GRH telle l'organisation de concours communs et l'action sociale. De même, les SGAR, sous l'autorité des préfets de région, ont pour mission de coordonner les actions d'information et de communication portant sur les politiques publiques menées par tous les services déconcentrés de l'État en région, de professionnaliser et mutualiser la fonction « achats » des services de l'État dans la région . C'est donc naturellement que les SGAR deviendront, au 1 er janvier 2011, les gestionnaires -pour le compte des préfets de région- des BOP 333 (« Moyens mutualisés des préfectures ») nouvellement créés et qui constitueront un puissant levier de mutualisation en matière de fonctionnement. Pour conduire ces nouvelles missions, chaque SGAR s'est vu en moyenne renforcé de 8 agents , à comparer à l'effectif moyen initial de 47 personnes environ. Source : réponse au questionnaire budgétaire établi par votre rapporteur. |
En outre, votre rapporteur avait noté, l'année passée, que l'un des freins principaux à la réalisation de mutualisations était la nomenclature des programmes, qui sont distribués entre ministères (et non pas selon une logique interministérielle) : en conséquence, en vertu du principe de spécialité des crédits, le services déconcentrés ne pouvaient pas « fongibiliser » les crédits relevant d'enveloppes ministérielles différentes, ce qui était peu compatible avec la RGPP et son objectif de renforcement de l'interministérialité dans les préfectures.
Cet obstacle technique a été levé avec la création d'un programme 333, intitulé « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées » , qui consacre le caractère interministériel des directions départementales et permet aux préfets de conduire effectivement des mutualisations et de mettre en oeuvre une gestion immobilière unifiée.
En pratique, ce nouveau programme permet :
- de mutualiser les moyens de fonctionnement des DDI au sein d'une action unique : dotée de plus de 87 millions d'euros pour 2011, celle-ci porte sur toutes les dépenses « support » (transport, mobilier, frais postaux, bureautique, téléphone, reprographie, etc.), à l'exception des dépenses de nettoyage et de gardiennage ;
- de mutualiser les dépenses consacrées aux charges immobilières (loyers, charges connexes...), pour un montant de 350 millions d'euros pour 2011 : le but de ce regroupement est de permettre une gestion plus efficiente des dépenses de l'État.
De plus, les mutualisations sont encouragées et accompagnées par le pouvoir central : ainsi, une circulaire du Premier ministre du 30 juillet 2010 a fixé les orientations que les préfets de région devront prendre en compte pour arrêter le schéma régional des mutualisations. Aux termes de cette circulaire, les mutualisations devront prioritairement concerner les ressources humaines, les achats, la communication, les archives, les services juridiques et les systèmes d'information.
Enfin, une instance nationale interministérielle de suivi des projets de mutualisation , constituée de représentants des ministères et de la direction générale de la modernisation de l'État (DGME), devrait se réunir avant la fin de l'année pour examiner les projets en cours et, sur cette base, assurer un rôle de diffusion des « bonnes pratiques » et proposer des solutions pour résoudre les difficultés rencontrées sur le terrain.
Une mutualisation originale : l'exemple du pôle juridique interministériel de la préfecture des Ardennes Le pôle juridique interministériel a été créé au 1 er janvier 2010 afin de centraliser le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire en préfecture et de mutualiser l'expertise juridique pour tous les services de l'État dans le département. Il s'agit de la seule mutualisation actuellement existante dans ces domaines. Le pôle juridique est constitué de trois cellules : - centralisation du contrôle de légalité et du contrôle budgétaire : les agents du pôle juridique effectuent le contrôle des actes et proposent, le cas échéant, une lettre d'observation aux sous-préfectures et à la direction des relations avec les collectivités locales ; - mutualisation du contentieux : en liaison avec les services concernés, le pôle juridique interministériel assure la rédaction des mémoires en défense pour les directions de la préfecture (hormis les contentieux de la Direction de la réglementation et des libertés publiques), des directions départementales interministérielles et de la CAF, ainsi que de la représentation devant le tribunal administratif ; - expertise et veille juridiques . |
(2) Des résultats décevants en pratique : des mutualisations encore restreintes et peu génératrices d'économies
Malgré ces avancées, les mutualisations conduites jusqu'à présent ont eu des résultats relativement décevants par rapport aux objectifs assignés aux préfectures (qui devaient dégager d'importantes marges de manoeuvre budgétaires grâce aux mutualisations) : en effet, non seulement le nombre de mutualisations réalisées reste relativement faible, mais surtout, elles n'ont produit que des économies faibles, voire nulles.
Ainsi, selon le rapport précité de l'IGA, la quasi-totalité des régions a entrepris des projets de mutualisation ; le taux moyen de concrétisation est de 2,8 projets par région , seule une préfecture (à savoir la préfecture du Languedoc-Roussillon) n'en ayant réalisé aucune. Dans 70 % des cas, les mutualisations réalisées touchent l'intégralité des départements de la région.
Toutefois, la portée de ces mutualisations demeure limitée :
- les mutualisations sont concentrées sur des domaines peu nombreux, 86 % d'entre elles concernant trois domaines qui ont trait aux fonctions « support » (les standards, la gestion des ressources humaines et les achats). Au total, près de 98 % des projets de mutualisation concernent les fonctions « support ». L'IGA souligne ainsi que « les mutualisations restent encore peu développées dans le secteur des missions des préfectures » : seuls huit projets en ce sens ont été mis en oeuvre, principalement pour la gestion des demandes d'asile ;
- les gains réalisés grâce aux mutualisations sont , le plus souvent, faibles . 21 % des mutualisations ne produisent d'ailleurs aucune économie, et seulement 24,5 % d'entre elles génèrent des gains budgétaires hors dépenses de personnel.
En outre, votre rapporteur observe que la création des DDI n'a eu, en elle-même, que des conséquences limitées sur la réalisation de mutualisations. À titre d'illustration, il souligne que peu de mutualisations immobilières ont été effectivement mises en oeuvre : en effet, le nombre de sites occupés par les préfectures de département n'a diminué que d'un tiers alors que, dans le même temps, le nombre de directions était divisé par cinq.
Selon l'IGA, les raisons pour lesquelles les mutualisations n'ont pas pris l'ampleur escomptée sont nombreuses et diverses ; votre rapporteur note cependant que la « difficulté à articuler les mutualisations régionales entre préfectures avec les mutualisations interministérielles », « l'inquiétude des préfectures de département face à l'affirmation de la préfecture de région » et « la faiblesse des gains potentiels des mutualisations » représentent plus du tiers des explications avancées par les préfectures pour justifier la non-réalisation de mutualisations.
Il semble donc nécessaire que l'administration centrale mette de nouveaux dispositifs de soutien à d'accompagnement à la disposition des préfectures de département et de région, afin d'aider ces dernières à dépasser les problèmes qu'elles rencontrent sur le terrain.
3. Des incertitudes persistantes sur le sort des sous-préfectures
En ce qui concerne le devenir des sous-préfectures, votre rapporteur maintient les craintes qu'il avait exprimées l'année dernière.
À titre de rappel, deux réformes sont actuellement mises en oeuvre pour moderniser et rationaliser le réseau des sous-préfectures :
- d'une part, le remplacement des sous-préfets par des conseillers d'administration . Prévu par un décret du 17 octobre 2007, ce remplacement pouvait concerner 15 postes (sur une liste totale de 115 arrondissements) ; or, seuls trois postes de sous-préfet sont actuellement occupés par des conseillers d'administration, dans les arrondissements de Montdidier (Somme), de Saint-Pierre (Martinique) et de Boulay-Moselle (Moselle). Ce total n'a pas évolué depuis la fin de l'année 2009 ;
- d'autre part, la mise en place de « Maisons de l'État » en lieu et place des sous-préfectures ; cette réforme n'a été mise en oeuvre que dans l'arrondissement de Boulogne-Billancourt et implique la suppression de cet arrondissement (la « Maison de l'État » se limitera en effet à assurer certaines prestations de proximité et ne sera pas dotée d'une personnalité juridique autonome). La « Maison de l'État » de Boulogne devrait être effectivement créée au cours de l'année 2013.
Votre rapporteur constate qu'aucune évolution n'est intervenue sur ce dossier depuis l'année dernière : ainsi, le ministère n'envisage ni de nommer de nouveaux conseillers d'administration à des postes de sous-préfet (et il n'envisage pas non plus de clarifier le statut et d'améliorer les conditions de travail des conseillers d'administration déjà en poste dans des sous-préfectures), ni de créer d'autres « Maisons de l'État » et de doter cette nouvelle instance d'un cadre juridique précis et objectif.
Dès lors, il ne peut que maintenir les réserves, voire les critiques qu'il avait formulées dans son avis sur le PLF pour 2010, et constater que ces réformes « au coup par coup » -qui semblent peu préparées, peu concertées et dénuées de méthode globale- doivent être repensées et réévaluées. Il appelle également le gouvernement à définir une stratégie nationale de gestion des sous-préfectures, qui ne doivent pas être soumises à des réformes parfois ressenties comme arbitraires par les personnels et par les élus locaux.
* 9 Décret n° 2010-146 du 16 février 2010 modifiant le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets.
* 10 Rapport n° 10-028-01 relatif à l'évaluation de la régionalisation des BOP « Administration territoriale ».
* 11 Audition du 9 novembre 2010 sur le PLF pour 2011.