INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Avec une dotation de 2,99 milliards en crédits de paiement 3 ( * ) en hausse de 7 % par rapport à 2011, et la création de 454 ETPT, le projet de budget pour l'administration pénitentiaire, dans un contexte marqué par une dépense publique fortement contrainte, paraît devoir échapper à la critique. Pourtant les perspectives que dessine le projet de loi de finances pour la politique pénitentiaire en 2012 et pour les années à venir suscitent la perplexité.
L'effort consenti pour les prisons est, en effet, pour l'essentiel, commandé par l'ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires. Au-delà de l'achèvement du programme « 13.200 places » engagé depuis 2002, le nouveau programme immobilier préparé par le ministère de la justice devrait porter à 80.000 le nombre de places de détention à l'horizon 2017.
Selon le Gouvernement, ces créations sont justifiées par la mise en oeuvre de l'encellulement individuel et l'exécution effective des peines d'emprisonnement. Toutefois, la loi pénitentiaire invoquée à l'appui du premier de ces arguments n'a jamais imposé l'encellulement individuel pour la totalité des personnes détenues. Quant à l'exécution des peines, elle n'exclut pas leur aménagement. Bien au contraire, le législateur a relevé de un an à deux ans le quantum de peine prononcé, susceptible de faire, sous certaines conditions, l'objet d'un aménagement.
Il est légitime d'augmenter le nombre de cellules individuelles et d'améliorer les conditions matérielles de détention. Toutefois la cible affichée par le Gouvernement, alors que le nombre de personnes détenues écrouées atteignait 63.600 au 1 er octobre 2011, dépasse de loin cette ambition. Aussi votre rapporteur redoute-t-il que l'accroissement des capacités de détention n'ait d'autre effet que d'encourager de nouvelles incarcérations à rebours de la volonté, exprimée notamment par les commissions d'enquête du Sénat et de l'Assemblée nationale de « rompre le cercle vicieux entre l'accroissement du nombre de détenus et l'augmentation des capacités d'accueil en prison » 4 ( * ) . Par ailleurs, la mise en oeuvre du nouveau programme immobilier risque de concentrer de nouveau les moyens sur la création d'emplois de personnels de surveillance au détriment des emplois de conseiller d'insertion, et partant des mesures d'aménagement de peine.
Un volet essentiel de la loi pénitentiaire se trouverait ainsi affecté par la priorité donnée aux constructions à venir.
Au reste, la traduction financière des grandes orientations de la loi pénitentiaire n'apparaît toujours pas réellement dans le projet de loi de finances.
Il est significatif -et regrettable- à cet égard, que les indicateurs de performance supposés éclairer les choix de la politique pénitentiaire n'aient transcrit que de manière très formelle, les objectifs poursuivis par le législateur en 2009.
I. LE PROJET DE BUDGET : PRIORITÉ AUX NOUVELLES CONSTRUCTIONS ET AUX EMPLOIS DE SURVEILLANTS INDUITS
A. LE PROJET ANNUEL DE PERFORMANCES : UNE PRISE EN COMPTE INSUFFISANTE DES ORIENTATIONS DE LA LOI PÉNITENTIAIRE
L'administration pénitentiaire constitue l'un des six programmes de la mission justice 5 ( * ) . Il se décline lui-même en trois actions :
- L'action n° 1 : « garde et contrôle des personnes placées sous main de justice » (garde des détenus, contrôle des personnes placées sous main de justice, aménagements de peine, alternatives à l'incarcération, parc immobilier, sécurité) ;
- L'action n° 2 : « accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice » (accueil, y compris maintenance et entretien des bâtiments pénitentiaires, accès aux soins, maintien des liens familiaux, activités de réinsertion) ;
- L'action n° 4 : « soutien et formation » (moyens de l'administration générale, développement du réseau informatique, formation des personnels).
Ces actions représentent respectivement 78,9 %, 15,5 % et 5,6 % des moyens de l'administration pénitentiaire.
Le programme administration pénitentiaire comprend un projet annuel de performances . Ce document présente plusieurs objectifs assortis d' indicateurs de performance . Ces éléments sont indispensables pour apprécier les priorités de l'administration pénitentiaire et permettre de contrôler leur suivi au-delà de l'exercice budgétaire.
OBJECTIFS ET INDICATEURS DE PERFORMANCE |
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Six objectifs |
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Objectif n° 1
En 2010 : 61,4.Cible 2013 :
<60.
- % de personnels formés « Terra » : en 2010 : 60. Cible 2013 : 85. - % de personnels de surveillance formés « Terra » : 2010 : 66. Cible 2013 : 85. |
Objectif n° 2
- taux d'occupation des places en centre ou quartier
semi-liberté :
- taux d'occupation des places en centre ou quartier
courte peine :
- nombre de places créées en centre de
semi-liberté
- nombre de places créées en quartier courte
peine :
- nombre de places créées en centre pour
peine aménagée :
- taux de places spécialisées
crées/nombre total de places créées :
En 2010 : 1,29. Cible 2013 : 1,19. |
Objectif n° 3
Cible 2013 : 24. |
Objectif
n° 4
-
% d'occupation des unités de vie
familiale
:
Prévision 2012 : 75. Cible 2013 : 80
-
% d'actualisation des protocoles
(évaluation de l'adaptation des procédures de collaboration entre
le ministère de la justice et celui de la santé) :
-
% d'occupation des UHSI
:
- % d'occupation des UHSA (nouveau) En 2010 : 66 Prévision 2012 : 75 Cible 2013 : 80 - % d'établissements pénitentiaires labellisés dans le processus de « prise en charge et accompagnement des personnes détenues » . En 2011 : 83,7. Prévision 2012 : 90. Cible 2013 : 100. |
Six objectifs (suite) |
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Objectif n° 5
- Taux de personnes détenues stagiaires de la formation professionnelle En 2010 : 8,5 %. Prévision 2012 : 10. Cible 2013 :10,2%
2010 : 24,6. Prévision 2012 : 25. Cible 2013 : 25,2%
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Objectif n° 6
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L' évolution des objectifs que se fixe l'administration pénitentiaire à travers ces indicateurs apparaît contrastée . Votre rapporteur se félicite que la cible retenue en 2013 pour le taux de détenus bénéficiant d'une activité rémunérée ait été fixée au-delà de 40 % -alors qu'elle avait été établie à 37,4 % dans le projet annuel de performance présenté l'année passée. Cet objectif s'accorde mieux en effet avec l'obligation assignée à l'administration pénitentiaire de développer des activités afin de répondre à l'article 27 de la loi pénitentiaire (obligation d'activité pour les détenus).
Néanmoins, l'indication ainsi donnée devrait être pondérée par le nombre d'heures travaillées.
En effet, le nombre de personnes détenues bénéficiant d'un emploi peut augmenter tandis que les heures effectuées par travailleur diminuent.
En revanche, votre rapporteur s'étonne de la très forte réévaluation du « taux d'évasions hors établissements pénitentiaires en aménagement de peine » (soit en 2013, un taux de 60 pour 10.000 personnes détenues contre 36 pour 10.000 affiché par le précédent projet annuel de performance). Les documents budgétaires relèvent que « le développement de certaines mesures d'aménagement de peine a concerné des publics qui ne bénéficiaient jusqu'alors pas de telles mesures avec un risque correspondant tenant à leur éventuelle incapacité à en respecter les termes ». Le taux d'évasion effectivement observé en aménagement de peine a atteint en 2010 61,4 pour 10.000 (contre une prévision de 36 pour 10.000).
L' « incapacité à respecter les termes » de la mesure peut aussi être liée au choix d'un dispositif inadapté à la personnalité de la personne condamnée en raison d'une analyse insuffisante des dossiers et d'un suivi individuel défaillant. A cet égard, on peut craindre qu'à la faveur du développement de la surveillance électronique (même si l'indicateur ne permet pas de mettre en cause un aménagement de peine en particulier), l'administration pénitentiaire ne soit tentée de faire l'économie de l'encadrement humain pourtant indispensable à la mise en place de ce dispositif. Il serait en tout cas paradoxal de fixer pour objectif un taux qui ne correspond pas à une gestion entièrement satisfaisante des aménagements de peine.
Au-delà du niveau des objectifs retenus, le choix des indicateurs eux-mêmes soulèvent des réserves que votre rapporteur avait déjà exprimées dans l'avis sur la loi de finances pour 2011. Sans doute certains indicateurs ont-ils été précisés. Tel est le cas de l'indicateur « améliorer l'accès aux soins » distinguant désormais le taux d'occupation des UHSI et celui des UHSA précédemment confondus. Il est toutefois douteux que ces taux traduisent en quoi que ce soit l'amélioration des conditions de détention. Il ne semble pas davantage pertinent d'appréhender l'amélioration de l'accès aux soins par le biais du nombre d'établissements pénitentiaires ayant actualisé leur protocole avec les services de soins, mesure à caractère purement administratif.
De même, l'indicateur -introduit l'année dernière- relatif au nombre de détenus par cellule fait l'objet d'une approche réductrice dans la mesure où il ne distingue pas entre maisons d'arrêt qui connaissent une surpopulation récurrente et établissements pour peine où prévaut, en principe, l'encellulement individuel.
Enfin, le projet annuel de performances présente certaines lacunes. Ainsi la sécurité des établissements (objectif n° 1) doit s'apprécier non seulement à travers le nombre d'incidents dont les personnels sont victimes mais aussi à travers les violences commises en détention sur les personnes détenues. En effet aux termes de l'article 44 de la loi pénitentiaire « l'administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ». L'évaluation des violences dont les détenus sont victimes serait un indicateur précieux de l'évolution des conditions de détention.
Comme l'a observé M. Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, lors de ses échanges avec votre rapporteur, les indicateurs retenus ne permettent pas réellement de mesurer la façon dont l'administration pénitentiaire garantit la sécurité au sein des établissements.
* 3 Le projet de loi de finances prévoyait même une enveloppe de trois milliards d'euros réduite de 10 millions par un amendement du Gouvernement adopté à l'Assemblée nationale.
* 4 La France face à ses prisons, commission d'enquête sur les prisons françaises, MM. Louis Mermaz et Jacques Floch, rapporteur, rapport de l'Assemblée nationale, p. 25.
* 5 Pour la commission des Lois, le programme consacré à la protection judiciaire de la jeunesse est traité dans l'avis présenté par M. Nicolas Alfonsi ; les quatre autres programmes -justice judiciaire, accès au droit et à la justice, conduite et pilotage de la politique de la justice, Conseil supérieur de la magistrature- sont traités par Mme Catherine Tasca.