INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Pour la première année, votre commission des lois a souhaité se saisir d'un avis spécifique sur les crédits consacrés par le projet de loi de finances à la politique de l'asile, considérant que celle-ci reposait sur des principes distincts de ceux susceptibles de fonder une politique d'immigration. Il est en effet légitime et nécessaire de définir une politique d'immigration. Mais la politique de l'asile, fondée sur des droits garantis par une convention internationale et par des lois, relève d'une logique différente. Aussi n'est-il pas pertinent de faire de l'avis budgétaire sur le droit d'asile un codicille de l'avis budgétaire sur l'immigration.
La politique de l'asile est en effet inscrite dans le socle de nos principes républicains. Dès la Révolution française, l'article 120 de la Constitution du 24 juin 1793 proclame que « le Peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans ».
Mais c'est au lendemain des massacres perpétrés pendant la Seconde guerre mondiale que s'impose l'idée qu'un Etat ne peut rester indifférent aux souffrances d'un peuple sans renier ses valeurs et mettre en danger sa propre sécurité. Aussi le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 énonce-t-il dans son quatrième alinéa que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ». Puis la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, dont la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile a introduit en droit interne les stipulations, a défini les modalités d'octroi du statut de réfugié aux personnes qui en font la demande, ainsi que les droits et les devoirs attachés à ce statut.
Avec plus de 50.000 demandes formulées sur son territoire en 2010, la France est aujourd'hui la seconde terre d'asile dans le monde (après les États-Unis), la première en Europe.
Un tel constat ne doit néanmoins pas conduire à une satisfaction sans limite. L'accroissement du nombre de demandes d'asile susceptibles d'être infondées, corollaire des restrictions apportées à l'immigration économique depuis bientôt quarante ans, a conduit les pouvoirs publics à mettre en oeuvre des procédures simplifiées d'examen des demandes d'asile, au risque de mettre en danger la sécurité de personnes recherchant pourtant légitimement la protection de la France et de réduire les garanties juridiques dont ils doivent pouvoir bénéficier. La sous-budgétisation constante depuis plusieurs années des crédits nécessaires à l'accueil de demandeurs d'asile a par ailleurs conduit à une saturation des dispositifs d'accueil et d'hébergement, rendant plus difficile l'exercice de leurs droits par ces personnes.
Aussi le présent avis budgétaire entend-il, au-delà du rappel des grandes lignes du budget consacré à l'asile en 2012, s'efforcer de dresser un bilan de la politique de l'asile mise en oeuvre par le Gouvernement au cours des années récentes.
I. DES MARGES DE MANoeUVRE BUDGÉTAIRES RÉDUITES
En 2012, les crédits consacrés à l'exercice du droit d'asile par le programme n°303 : « immigration et asile » augmenteront de 25% par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2011, passant de 327,75 millions d'euros à 408,91 millions d'euros (hors fonds de concours et attribution de produits), en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement.
Dans le même temps, les crédits consacrés à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) par le programme n°165 : « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » augmenteront également de façon significative, passant de 18,75 millions à 22,23 millions d'euros en autorisations d'engagement (+18,52%) et de 20,52 millions à 25,21 millions d'euros en crédits de paiement (+22,86%).
Au total, l'effort consenti en faveur de la politique de l'asile s'élèverait en 2012 à 434,12 millions d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 24,65% par rapport aux crédits ouverts en 2011.
Ces crédits demeurent toutefois inférieurs à l'activité réellement constatée en 2010 : 456,5 millions euros en crédits de paiement s'agissant du programme n°303 : « immigration et asile », et 20,85 millions d'euros de crédits de paiement en ce qui concerne le programme n°165 : « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives », soit un total de 477,36 millions d'euros réellement exécutés en 2010 .
Aussi la forte augmentation de crédits en faveur de l'asile prévue par le PLF 2012 reflète-t-elle moins un effort particulier de la Nation en faveur de cette politique qu'une sous-dotation de ce programme depuis plusieurs années.
En effet, l'accueil des demandeurs d'asile constitue une obligation qui résulte de principes constitutionnels et des engagements internationaux et européens de la France. De ce fait, les crédits consacrés à l'asile sont extrêmement sensibles aux flux des demandeurs d'asile, eux-mêmes tributaires de données géopolitiques.
A. L'ACCUEIL DES DEMANDEURS D'ASILE SUR LE TERRITOIRE DE LA RÉPUBLIQUE : UNE EXIGENCE QUI RELÈVE DE PRINCIPES CONSTITUTIONNELS ET DU RESPECT DES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX ET EUROPÉENS DE LA FRANCE
Si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en proclamant que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République », manifeste le caractère constitutionnel du droit d'asile 3 ( * ) , les conditions d'examen et d'octroi du statut de réfugié sont définies par la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et par la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, qui crée l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).
L'article 1 er , A, 2 de la convention de Genève stipule qu'est reconnu comme réfugié toute personne qui, « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
La qualité de réfugié doit ainsi être reconnue à un étranger qui fait état de craintes de persécutions pour l'un de cinq motifs énumérés ci-dessus.
Afin de ne pas priver de protection des personnes qui n'entreraient pas dans le champ de ces stipulations, la loi n°2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile a institué une protection subsidiaire , dont le bénéfice est reconnu à une personne qui ne remplit pas les conditions pour être admise au statut de réfugié mais « qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes :
a) la peine de mort ;
b) la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;
c) s'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international » 4 ( * ) .
Ces dispositions, qui reposent très largement sur l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (qui prohibe la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants) ainsi que sur son Protocole n°6 concernant l'abolition de la peine de mort, ont été transcrites dans la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 dite « directive qualification ».
L'examen des demandes d'asile relève de la compétence de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) , établissement public administratif désormais placé sous la tutelle du ministère de l'Intérieur. Les décisions de l'OFPRA peuvent faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) , juridiction administrative spécialisée placée sous le contrôle de cassation du Conseil d'Etat.
Les conditions d'examen des demandes d'asile et la situation des demandeurs sont encadrées par le droit communautaire depuis l'adoption de trois directives tendant à définir des normes minimales en matière d'octroi d'une protection, de procédure applicable et d'accueil des demandeurs d'asile (directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 dite « directive accueil », directive 2004/83/CE précitée du Conseil du 29 avril 2004 dite « directive qualification » et directive 2005/85/CE du Conseil du 1 er décembre 2005 dite « directive procédure »).
Pendant l'instruction de leur demande de protection par l'OFPRA ainsi que, le cas échéant, pendant l'instruction de leur recours devant la CNDA, les demandeurs d'asile sont en principe (voir infra ) autorisés à demeurer sur le territoire de la République .
Ils ne sont pas autorisés à travailler mais ont le droit de bénéficier :
- soit d'un hébergement accompagné en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) ;
- soit du versement d'une prestation financière - l'allocation temporaire d'attente (ATA) - qui peut être associée à un hébergement d'urgence .
Le Conseil d'Etat veille à la mise en oeuvre de ces dispositions. S'appuyant notamment sur la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 dite « directive accueil », qui prévoit que des conditions matérielles d'accueil doivent être garanties à tous les étrangers qui déposent une demande d'asile, tant qu'ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs d'asile, il considère que « la notion de liberté fondamentale englobe, s'agissant des ressortissants étrangers qui sont soumis à des mesures spécifiques réglementant leur entrée et leur séjour en France [...] le droit constitutionnel d'asile, qui a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié » et que « la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement sur leur demande est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté » 5 ( * ) .
La reconnaissance du statut de réfugié ouvre droit à la délivrance d'une carte de résident, tandis que l'octroi de la protection subsidiaire ouvre droit à celle d'une carte de séjour temporaire.
* 3 Pendant longtemps, le Conseil constitutionnel a soutenu que le quatrième alinéa de ce Préambule était « mis en oeuvre par la loi et par les conventions internationales introduites en droit interne avec l'autorité prévue à l'article 55 de la Constitution » (CC, décision n°92-307 DC du 25 février 1992). Ce n'est qu'en 1993 qu'il consacre l'effet direct de ce quatrième alinéa, en en déduisant une obligation pour les « autorités administratives et judiciaires françaises de procéder à l'examen de la situation des demandeurs d'asile qui relèvent de cet alinéa » (CC, décision n°93-325 DC, 13 août 1993).
* 4 Auparavant, la loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile dite « loi Chevènement » n°98-349 du 11 mai 1998 avait institué l'asile territorial, qui permettait au ministre de l'Intérieur d'accorder, « dans des conditions compatibles avec les intérêts du pays », l'asile territorial à un étranger qui établissait que sa vie ou sa liberté était menacée dans son pays ou qu'il y était exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.
* 5 Voir par exemple CE, ordonnance du 23 mars 2009, M. A. et Mme B., n°325884-325885.