INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La mission « Outre-mer » fait, à compter de cette année, l'objet de deux avis budgétaires distincts. L'un, consacré aux départements d'outre-mer, a été confié à notre excellent collègue Félix Desplan ; le présent rapport pour avis est consacré à l'effort de l'État en faveur des collectivités d'outre-mer, de la Nouvelle-Calédonie et des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) -et, plus largement, à l'analyse de la situation économique, sociale et institutionnelle de chacun de ces territoires.
Marqué par un contexte budgétaire extrêmement contraint, le projet de loi de finances pour 2012 n'est pas pour autant synonyme de délaissement ou d'abandon pour les COM, la Nouvelle-Calédonie et les TAAF. Prenant leur part de l'effort demandé à chacun -aux administrations, aux citoyens et à tous les types de collectivités territoriales-, celles-ci continuent toutefois de voir leurs spécificités prises en compte.
Cette appréciation globale ne doit pas masquer le creusement des contrastes entre les différentes collectivités qui sont concernées par ce rapport. Des difficultés extrêmes de la Polynésie française à la confortable santé budgétaire de Saint-Barthélemy, en passant par la stagnation de Saint-Pierre-et-Miquelon, le fossé est en effet grand. Il incombe à l'État, dans le respect des particularités de chaque territoire et des choix des autorités locales -auxquelles la Constitution accorde le droit à un « statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'entre elles » pour les COM de l'article 74 voire, pour la Nouvelle-Calédonie, un échéancier d'autodétermination-, de faire en sorte que ce fossé soit peu à peu comblé, dans l'intérêt des populations.
Dans ce contexte, votre rapporteur se félicite de la création prochaine, au sein du Sénat, d'une Délégation à l'outre-mer ; pour reprendre les termes employés par le président Jean-Pierre Bel lors de son allocution du 11 octobre dernier, « ainsi les situations et les défis spécifiques de l'outre-mer seront-ils davantage pris en compte, et leurs atouts pleinement valorisés ».
I. LA MISSION OUTRE-MER : UNE MISSION AU MONTANT LIMITÉ QUI REND IMPARFAITEMENT COMPTE DE L'EFFORT FINANCIER TOTAL DE L'ÉTAT EN FAVEUR DES TERRITOIRES ULTRA-MARINS
Cette première partie est commune au présent rapport et au rapport de M. Félix Desplan sur les départements et régions d'outre-mer : tous deux prennent en effet appui sur la mission « Outre-mer ».
A. UNE MISSION AU VOLUME BUDGÉTAIRE LIMITÉ
A titre liminaire, vos rapporteurs constatent avec satisfaction que l'ensemble des réponses au questionnaire budgétaire ont été envoyées dans le délai imparti par services du ministère chargé de l'outre-mer. Toutefois, certaines questions font l'objet de réponses particulièrement succinctes.
1. Les dotations budgétaires de la mission
La mission « Outre-mer » regroupe les dotations allouées aux territoires ultramarins, inscrites au budget du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Le projet de loi de finances pour 2012 fixe leur montant à 2,179 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 2,035 milliards d'euros en crédits de paiement (CP).
Toutefois, conformément à l'annonce du Premier ministre le 24 août 2011, la mission outre-mer n'échappe pas à l' effort supplémentaire d'un milliard d'euros de maîtrise budgétaire voulu par le gouvernement, dans un contexte de déficit budgétaire élevé. Cet effort s'accompagne d'une diminution de 1,15 % des crédits en AE, soit 48 millions d'euros , portant le montant des AE à 2,131 milliards d'euros . Les crédits de paiement, quant à eux, sont maintenus à leur niveau fixé par la loi de finances initiale (LFI) pour 2011 pour s'élever à 1,979 milliards d'euros .
• La répartition des crédits
La mission Outre-mer comporte deux programmes :
- le programme 138 « emploi outre-mer » ;
- le programme 123 « conditions de vie outre-mer ».
Le programme 138 « emploi outre-mer » est doté de 1,33 milliard d'euros en AE, soit une baisse de 2,1 % par rapport au budget 2011, et 1,34 milliard d'euros en CP, correspondant à une hausse de 1,3 %.
Ce programme regroupe les crédits destinés aux aides aux entreprises propres à l'outre-mer (aide au fret, aide à la rénovation hôtelière et compensation des exonérations de charges sociales issues de la LODEOM 2 ( * ) , ces dernières représentant la moitié des crédits de la mission) ainsi que ceux destinés aux actions en faveur de l'inclusion dans l'emploi et de la formation professionnelle (formation en mobilité, service militaire adapté -SMA-, actions de formation et d'insertion dans les collectivités françaises du Pacifique).
Il compte deux actions :
- l' action n° 1 « soutien aux entreprises » : son objectif essentiel est la diminution des coûts de production, particulièrement ceux du travail, par des exonérations de charges sociales et patronales. Elle vise également à favoriser la création d'emplois pérennes par les entreprises du secteur marchand des départements d'outre-mer et de Saint-Pierre-et-Miquelon par un alignement de leurs charges d'exploitation ;
- l' action n° 2 « aide à l'insertion et à la qualification professionnelle » qui finances les principaux dispositifs d'insertion sociale des jeunes ultra-marins : le service militaire adapté (SMA) et l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM).
Le programme 123 « conditions de vie outre-mer » décline au sein de huit actions, d'une part, les crédits destinés au financement de dispositifs d'intervention spécifique à l'outre-mer (aides au logement, continuité territoriale, coopération régionale, dispositifs sanitaires, culturels et sociaux) et, d'autre part, les crédits destinés à l'accompagnement des collectivités territoriales dans leur effort en termes d'investissement (aménagement du territoire et politiques contractuelles, dotations d'investissement aux collectivités, fonds exceptionnel d'investissement et appui à l'accès au financement bancaire au travers des prêts octroyés aux collectivités).
Ce programme représente 808 millions d'euros en AE et 631 millions d'euros en CP, ce qui correspond, pour ces derniers, à une diminution de 2,5 % par rapport au budget 2011.
• Une mission au périmètre stabilisé
Selon les informations fournies à vos rapporteurs, aucune modification du périmètre de la mission outre-mer n'est à relever au titre du budget 2012 par rapport à la LFI pour 2011.
Pour mémoire, nous rappellerons que la mission outre-mer a fait l'objet d'importantes modifications depuis le budget 2008 destinées à redonner aux deux programmes de la mission une plus grande cohérence afin qu'ils regroupent les seuls crédits affectés aux dispositifs spécifiques dédiés aux collectivités ultramarines.
Ainsi, dès 2008 , les dispositifs d'aides à l'emploi de droit commun ont été transférés vers le ministère chargé de l'emploi ; le programme 160 a été supprimé à la suite du rattachement des fonctions support aux services mutualisés du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales tandis que les dotations versées aux collectivités du Pacifique et de Mayotte sont désormais incluses dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
En 2009 , une nouvelle action n° 8 « Fonds exceptionnel d'investissement », créé par l'article 31 de la LODEOM, a été ajoutée au programme 123. Enfin, au titre du budget pour 2011 :
- la dotation spécifique de construction et d'équipement scolaire de Mayotte émargeant à l'action n° 6 « Collectivités territoriales » a été transférée sur le programme 122 du ministère de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités Territoriales ;
- les crédits destinés au financement des opérations incluses au sein des contrats de projet État-Région (CPER) dans les quatre départements et régions d'outre-mer (DROM), en provenance du ministère de la culture et de la communication, du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et du ministère de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, ont été transférés vers l'action n° 2 du programme 123 (« Aménagement du territoire »).
2. Une analyse difficile de l'évolution des crédits de la mission
Entre 2008 et 2012, les crédits de la mission outre-mer ont connu une évolution importante, s'élevant à + 29 % en AE et + 22,2 % en CP. La progression des crédits atteindrait respectivement + 32 % et + 26 %, sans l'effort de restriction budgétaire ultérieur dont a fait l'objet la mission . Vos rapporteurs constatent que cette augmentation ne doit pas masquer une évolution contrastée : en effet, les crédits alloués à la mission en 2011 avaient fortement diminué par rapport à ceux de 2010 et l'augmentation entre 2011 et 2012 ne compense pas cette diminution préalable, comme le démontre le tableau suivant.
Tableau récapitulatif des crédits de la mission « Outre-mer » entre 2008 et 2012
LFI 2008 |
LFI 2009 |
LFI 2010 |
LFI 2011 |
PLF 2012 |
Évolution 2008-2012 (en %) |
|||||||
Millions d'euros |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
Mission Outre-mer |
1.653 |
1.619 |
1.962 |
1.871 |
2.168 |
2.023 |
2.156 |
1.977 |
2.131 |
1.979 |
29 |
22,2 |
Source : PAP annexé au projet de loi de finances pour 2012
Selon le gouvernement, l'augmentation des crédits de la mission reflète la prise en compte, dès le PLF pour 2010, des nouvelles priorités définies lors du conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM), qui s'était tenu le 6 novembre 2009 ainsi que les évolutions relatives aux dispositifs mis en oeuvre dans le cadre de la LODEOM.
Toutefois, force est de constater qu'il est difficile d'effectuer une comparaison des crédits entre 2008 et 2012 en raison des modifications de périmètre importantes dont a fait l'objet la mission à chaque budget. D'après les informations fournies par la délégation générale à l'outre-mer (DéGéOM), les crédits de la mission qui traduisent les engagements prévus par le CIOM de novembre 2009 et la LODEOM s'élèvent, au titre du PLF pour 2012, à 1,83 milliard d'euros répartis de la façon suivante :
- compensation intégrale des exonérations de charge (1,14 milliard d'euros en AE, action n° 1 du programme 138) ;
- poursuite de la montée en puissance du SMA 6000 (186 millions d'euros) ;
- maintien du niveau des crédits en faveur du logement (274,5 millions d'euros pour la ligne budgétaire unique (LBU)) ;
- pérennisation de la dotation spécifique de construction et d'équipement scolaire en Guyane (10 millions d'euros) ;
- financement des contrats de projet et de développement en cohérence avec les engagements de l'État (180 millions d'euros) ;
- soutien spécifique aux entreprises par l'aide au fret et l'aide à la rénovation hôtelière (27 millions d'euros);
- moyens en faveur du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) permettant de programmer de nouvelles opérations et de respecter les engagements pris (17 millions d'euros).
Toutefois, vos rapporteurs estiment qu'à l'exception du fonds exceptionnel d'investissement, les autres lignes budgétaires ne répondent pas directement aux conclusions du CIOM et de la LODEOM, auxquelles elles préexistent. Elles ont connu, au mieux, une forte augmentation de leurs crédits budgétaires sans toutefois répondre spécifiquement aux différentes problématiques soulevées lors des événements de 2009. Il convient toutefois de rappeler que l'augmentation des crédits de paiement consécutive à la LOGEOM et à la LFI pour 2010 visait à régulariser la situation de l'Etat vis-à-vis des organismes de sécurité sociale en matière d'exonération des charges sociales et patronales.
C'est pourquoi vos rapporteurs jugent qu'une réflexion devrait être conduite afin que la mission soit organisée autour de programmes et d'actions plus spécifiquement adaptés aux problématiques des territoires ultramarins.
3. Des indicateurs de performance peu pertinents
Compte tenu de l'ampleur de l'effort budgétaire et fiscal en faveur de l'outre-mer -notamment en matière de défiscalisation et d'allègement de charges sociales-, il appartient à l'État de s'assurer, d'une part, de l'efficacité économique et sociale des dispositifs mis en place dans ces territoires et, d'autre part, de mieux vérifier l'emploi des crédits attribués à l'outre-mer et à ses collectivités territoriales.
Vos rapporteurs s'interrogent sur la rentabilité des choix effectués par l'État en faveur de l'outre-mer et sur la réalité des capacités d'évaluation de l'impact économique et social réel des mesures de soutien et d'accompagnement. Il est en effet dans l'intérêt même des populations et des élus d'outre-mer de connaître l'efficacité des dispositifs mis en place en matière de développement, d'emploi et de niveau de vie, ne serait-ce que pour privilégier les instruments les plus efficaces. Les priorités données aux politiques d'exonération et de défiscalisation doivent donc s'accompagner d'une étude d'impact de ces dispositifs afin d'en mesurer toutes les conséquences économiques et sociales.
Or, force est de constater que les trois indicateurs de performance au titre du programme 138 « emploi outre-mer » ne permettent pas d'évaluer de façon complète et efficace l'impact des mesures considérées. Le même constat peut être avancé pour les cinq indicateurs de performance destinés à mesurer les crédits du programme 123 « conditions de vie outre-mer ». Par ailleurs, les réponses à certaines questions adressées à vos rapporteurs sont loin d'être satisfaisantes et semblent révéler des moyens d'évaluation insuffisants de la part des services chargés de l'outre-mer.
La question de la pertinence des indicateurs de performance et de la capacité de l'administration chargée de l'outre-mer de mesurer l'impact des mesures mises en oeuvre renvoie à celle de la réorganisation de l'administration centrale chargée de l'outre-mer. Vos rapporteurs constatent que l'évaluation, pourtant prônée par la loi organique relative aux lois de finances du 1 er aout 2001 (LOLF) qui doit permettre de mieux adapter les dispositifs mis en oeuvre, n'a pas encore suffisamment pénétré les politiques en faveur de l'outre-mer .
* 2 Loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique outre-mer, dite LODEOM.