EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 7 novembre 2012, sous la présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente, la commission examine le rapport pour avis de M. Louis Duvernois sur les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2013 .
Un débat s'engage après l'exposé du rapporteur pour avis.
Mme Claudine Lepage . - Je souhaite attirer l'attention sur un sujet dont la presse s'est abondamment fait l'écho récemment. Il s'agit de la situation du lycée Voltaire de Doha, au Qatar.
Ce lycée est homologué par l'Agence de l'enseignement français à l'étranger et géré jusqu'à présent par la Mission laïque française (MLF). Suite à des désaccords tant sur la gestion administrative que sur le contenu des programmes, la MLF va se retirer d'ici la fin de l'année. En effet, un désaccord a vu le jour au sujet d'un manuel d'histoire dont le remplacement a été demandé et d'un manuel d'enseignement de l'arabe, remplacé par un manuel mêlant apprentissage de la langue et religion. C'est la première fois, depuis de nombreuses années, que la MLF quitte ainsi un pays.
Comme vous le savez, le Qatar vient d'entrer dans l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en qualité de membre associé, ce qui n'a, d'ailleurs, pas manqué de susciter un certain scepticisme. Mais ce pays, qui compte un très faible nombre de francophones, a sans doute convaincu l'organisation de son engagement en faveur de la promotion et de la défense de la langue française. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Seulement l'adhésion à l'OIF suppose également le partage et la promotion d'un certain nombre de valeurs communes telles que la paix, la démocratie ou le respect des droits de l'homme...
Ce récent épisode nous révèle la responsabilité que la France doit avoir, à l'égard de tous ceux qui entendent, même en toute bonne foi, participer au développement de notre langue et notre culture. Sans préjuger des intentions des autorités qataries, il me semble que nous devons être vigilants. C'est pourquoi, je vais interroger la ministre déléguée à la Francophonie sur sa position, sachant, en outre, que le Qatar entend financer d'autres établissements du type du lycée Voltaire dans le Golfe et en Afrique.
Mme Dominique Gillot . - Je voudrais intervenir sur la situation de Campus France. Je ne partage pas vos propos sur cet établissement. Le nouvel opérateur est né dans des conditions difficiles. La création d'un opérateur unique part d'une bonne intention pour rendre plus performante la chaîne de gestion de l'accueil des étudiants étrangers venant dans notre pays, notamment parce que l'association EGIDE ne donnait pas entièrement satisfaction. En effet, depuis plusieurs années, elle accusait un déficit chronique, selon les propos du rapporteur pour avis sur les crédits pour 2012. Cette création s'est faite dans le souci d'externaliser les charges de fonctionnement dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et de parvenir à un équilibre financier des services rendus aux étudiants étrangers.
Depuis la dernière discussion budgétaire, on peut se réjouir d'une évolution, en particulier s'agissant de l'intégration des activités internationales du CNOUS, à la suite de l'accord des ministères de tutelle de Campus France sur le nombre d'équivalents temps-plein (ETP) à transférer au nouvel établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Il y a eu quelques difficultés au sein du conseil d'administration sur la reprise des conventions. Un tiers n'a pas encore été transféré.
L'EPIC est né avec un an de retard, à la suite d'une gestation douloureuse. Les déclarations tendant à dénoncer le manque de coopération du CNOUS et des CROUS sont fausses. Cela ne facilite pas la bonne compréhension de la situation.
La réforme ne remplit pas encore ses objectifs. D'un point de vue financier, il n'est pas certain que la réforme soit bénéfique. Comme le souligne M. Hervé Gaymard, dans son rapport de février 2012, l'activité internationale du CNOUS était bénéficiaire de plus de 2 millions d'euros parce que la masse salariale était payée sur la dotation ministérielle. Ce modèle économique a été rompu. À cela s'ajoute le fait que les 25 ETP, qui coûtaient au CNOUS 900 000 euros par an, ont désormais un coût de 1,4 million d'euros. Ce surcoût correspond aux cotisations patronales supplémentaires liées au changement de statut de l'opérateur.
Du point de vue de la gestion de l'accueil des étudiants, des dysfonctionnements ont été signalés.
Nous avons intérêt à faciliter l'affirmation de Campus France dans son action. Pour l'avenir, il faudra trancher clairement sur le contenu des missions qui lui sont assignées. Le statut d'EPIC, tout comme l'augmentation du montant des frais de gestion, doit nous interroger sur le rôle de Campus France. Est-ce un outil de la « coopération » qui contribue au développement des pays émergents, tout en assurant le rayonnement de l'enseignement supérieur français à travers le monde ? Ou bien s'agit-il d'un opérateur chargé uniquement d'assurer des services commerciaux rendus à des pays étrangers ?
Pour ma part, je souhaite voter les crédits affectés à l'action extérieure de l'État pour 2013.
Mme Françoise Cartron . - Le groupe socialiste votera les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » pour 2013. Nous ne pouvons pas suivre le rapporteur sur ce point.
M. Jacques Legendre . - Je voudrais remercier le rapporteur pour son analyse fouillée, qui nous fournit des renseignements difficiles à obtenir. J'aurais dû être en possession de ces renseignements en tant que représentant du Sénat au conseil d'administration de l'Institut français mais je n'ai jamais été convié à la moindre réunion de cet organisme. Y a-t-il effectivement un conseil d'administration en exercice à l'Institut français ?
Je ferai tout d'abord quelques constats sur l'organisation de l'action extérieure de la France. Il y a eu la volonté de la renforcer autour de quelques organismes nouveaux, en premier lieu l'Institut français. Il importe de ne pas lui réduire trop fortement ses crédits dès sa création, ce qui compromettrait fortement ses résultats. Un changement de statut entraîne souvent, dans un premier temps, une augmentation des charges de fonctionnement. Il faut s'interroger sur la volonté de voir réussir cet établissement.
Se recentrer autour de deux formes d'action, l'Institut français et les alliances françaises a un sens, à condition toutefois de les coordonner. Il importe de donner sa chance à l'Institut français d'atteindre son objectif. Il ne faut pas perdre de vue que notre diplomatie culturelle est aussi une diplomatie d'influence. Cette spécificité française est en train d'être reprise par d'autres pays comme la Chine.
Vous avez parlé ensuite de Campus France auquel je suis aussi très attaché. Le rayonnement d'un pays se mesure aussi à sa capacité à attirer les étudiants étrangers. Alors que nos universités exercent une certaine attractivité, nous pêchons souvent sur le niveau de l'accueil, de l'intendance. De ce point de vue, il faut éviter que ne persiste une rivalité entre ce nouvel organisme et le CNOUS. Pour éviter les querelles, il faut que Campus France soit armé pour réaliser ce travail en liaison avec les CROUS.
Ma troisième remarque concerne France Expertise Internationale (FEI). Je m'interroge aussi sur cet élément qui engage notre capacité à répondre à une demande d'experts étrangers.
La Francophonie vient de vivre un moment important avec le Sommet de la Francophonie qui s'est tenu à Kinshasa. J'y siège en tant que secrétaire général de l'Assemblée parlementaire de la francophonie. J'ai également vécu cet épisode qatari qui marque une certaine perte d'influence de la France sur de telles décisions. Le Qatar, membre observateur, pourquoi pas ? Même si le nombre de francophones y est très faible. Le statut de membre associé nécessite en revanche l'adhésion à la charte de la Francophonie et l'existence de valeurs partagées. Ce sont des questions à poser au Qatar. La position de la délégation française était de l'accepter en tant que membre observateur mais le lobbying des qataris a fait que les chefs d'État de la Francophonie ont appuyé la position de ce pays pour être reçu comme membre associé. Tout pays doit toujours se demander pourquoi il souhaite faire partie de la Francophonie.
Je crois qu'il faut arrêter d'accroître en permanence le nombre des membres de l'Organisation internationale de la Francophonie, au risque d'en faire une ONU bis . Cela discrédite l'institution. La Francophonie doit d'abord approfondir son action avant de croître.
La Francophonie continue, en France, à être sous-estimée par une partie de nos élites. Lors du Forum sur la langue française qui s'est tenu à Québec, le président Abdou Diouf nous a appelés à être des « indignés linguistiques ». Je suis un indigné linguistique car la France ne joue pas son rôle pleinement.
Je suivrai la proposition de notre rapporteur même si je pense que ce vote ne constitue pas l'essentiel sur ce point.
M. Jean-Pierre Plancade . - Je voudrais remercier notre collègue pour son rapport remarquable et précis. Mais je ne suivrai pas ses conclusions. Ce budget diminue régulièrement sans pour autant que la commission ne s'en soit émue par le passé.
Le groupe RDSE votera les crédits affectés à l'action extérieure de l'État dans le projet de loi de finances pour 2013.
Mme Corinne Bouchoux . - Nous ne partageons pas les conclusions du rapporteur pour avis. Les membres du groupe écologiste voteront en faveur de ce budget. La circulaire Guéant a été plus néfaste pour notre action à l'égard des étudiants étrangers que les soucis réels de Campus France.
Mme Catherine Morin-Desailly . - Notre groupe soutiendra la proposition du rapporteur pour avis. La crise ne date pas de cette année. La RGPP avait engagé un certain nombre de réformes et notre commission avait déjà alerté sur cette diminution préoccupante des crédits.
M. David Assouline . - On ne peut se réjouir des réductions budgétaires. Jusqu'à présent, il y a eu un consensus pour les regretter, mais à aucun moment le groupe UMP a appelé à rejeter les crédits.
Mme Dominique Gillot . - La dotation de l'État à Campus France est de 4,2 millions d'euros pour 2013. Elle inclut la subvention pour charges de service public que percevait le groupement d'intérêt public (GIP) Campus France et une subvention complémentaire au titre des activités transférées du CNOUS.
M. Jacques Legendre . - Notre commission a déjà appelé à deux reprises à ne pas adopter le budget de l'action extérieure de l'État proposé par le précédent gouvernement et s'en était remise à la sagesse du Sénat.
M. Louis Duvernois, rapporteur pour avis . - Je partage l'analyse qui est faite sur le lycée Voltaire au Qatar. Il faut s'inquiéter d'une telle décision. Je mentionnerai que le nom Voltaire avait été choisi par l'Émir du Qatar lui-même ! Je n'ai pas de réponse particulière à apporter mais ce glissement est préoccupant.
Avec mon collègue Jacques Legendre, nous avons participé au Forum sur la langue française au Québec. Qui finançait le forum ? Le Qatar !
L'OIF est confrontée à deux postures, l'ouverture et la souplesse, prônées par le Rwanda et la Guinée, ou l'opposition forte à la domination de l'anglais, conduite par le Québec et le Congo. Il n'appartient pas à notre commission de se prononcer sur ce point.
Campus France est un établissement public. Il est en phase de quasi-doublement de ses activités. Il a pu maîtriser la progression de ses effectifs et a procédé à une réévaluation de ses tarifs de base de + 45 %. Auparavant, le CNOUS facturait aux gouvernements étrangers des frais de gestion de l'ordre de 50 euros. Ce tarif était inchangé depuis 1998.
Les conventions reprises par Campus France représentaient, au 1 er octobre 2012, un volume de fonds de près de 30 millions d'euros, soit 75 % des dépenses effectuées par le CNOUS au titre des bourses des gouvernements étrangers (BGE) en 2011. Elles seraient de 95 % si les conventions avec la Lybie et la Syrie étaient intégrées. Cet établissement public dispose de relais locaux dans 110 pays, soit un réseau comparable à celui du British Council. Campus France veut multiplier les co-localisations auprès des grandes universités constituées en pôles recherche et d'enseignement supérieur (PRES) pour compenser la réduction de la logistique du CNOUS dans l'accueil des étudiants étrangers.
S'agissant de l'Institut français, le ministère des affaires étrangères a annoncé que la réserve légale ne serait pas mise en oeuvre, lui permettant de préserver ainsi 1,8 million d'euros. Cela demeure insuffisant. Je soulignerai aussi la faiblesse de la contribution du ministère de la culture qui s'était pourtant engagé à participer à son financement.
Face aux manquements des pouvoirs publics et des milieux économiques dans le respect de la langue française que j'expose dans mon rapport pour avis, je rappelle qu'une proposition de loi déposée par nos collègues Jacques Legendre et Philippe Marini, adoptée par le Sénat à l'unanimité, complétant la loi relative à l'emploi de la langue française dite « loi Toubon » et prévoyant un rapport obligatoire sur l'usage du français au sein des entreprises de plus de 500 salariés n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
À propos de l'adoption des crédits du programme 185, permettez-moi de préciser qu'à deux reprises, en 2010 et 2011, ils n'ont pas été adoptés en commission sur la recommandation de notre ancien collègue socialiste Yves Dauge, pour nous en remettre à la sagesse du Sénat en séance.
Contrairement à la proposition du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » .