B. PRÉSERVER LES OUTILS PERMETTANT A L'ETAT ACTIONNAIRE DE CÉDER DES TITRES TOUT EN MAINTENANT SON INFLUENCE.

Afin de contribuer à la réindustrialisation et à la compétitivité de notre pays, le Gouvernement suggère que l'État actionnaire pourrait dégager des marges de manoeuvres financières en cédant des participations. Or, dans son avis budgétaire de l'an dernier, votre rapporteur a montré que l'idée assez répandue selon laquelle les cessions de titres par l'Etat s'accompagneraient nécessairement d'un désengagement et d'une perte de pouvoir de ce dernier était, en réalité, fausse. En témoigne la situation de nombreux actionnaires du secteur privé qui parviennent à maintenir leur influence majoritaire, ou au moins déterminante, en mobilisant très peu de capital.

Dans les questionnaires budgétaires, le rapporteur a souhaité obtenir un bilan détaillé de l'utilisation de la palette d'outils du droit français permettant de préserver l'influence de l'Etat dans les entreprises en dissociant le capital et les droits de vote. Il s'agit essentiellement du vote double et du recours à des holdings détenant soit directement des participations, soit d'autres holdings.

En réponse, le Gouvernement a apporté quelques indications.

De façon générale, les outils de dissociation du capital et des droits de vote sont utilisés par l'Etat pour préserver son influence dans les sociétés dans lesquelles il est minoritaire . Il s'agit essentiellement de l'utilisation du droit de vote double, prévu dans le droit commun des sociétés à l'article L. 225-123 du code de commerce qui permet, par ce moyen, de récompenser la fidélité de l'actionnaire.

A titre d'exemple, l'Etat dispose, via la société holding TSA qu'il détient à 100 %, de droits de vote double dans le capital de Thalès. Au 30 juin 2013, TSA possédait ainsi 26,89 % du capital de Thalès, mais 37,14 % des droits de vote. Par ailleurs, le jeu des droits de vote double a permis l'Etat de maintenir une influence inchangée au sein des organes de gouvernance de Safran, à l'issue de la cession de 3,12 % du capital de la société intervenue en mars 2013. Le Gouvernement considère ainsi les droits de vote double comme un outil efficace dont l'Etat se sert dans les conditions de droit commun.

Le rapporteur note que cette réponse semble limiter l'utilisation du droit de vote double aux participations minoritaires de l'Etat et souhaite que ce dernier puisse lancer une réflexion, au cas par cas, sur la nécessité de conserver des seuils de participation très supérieurs à 51 % dans un certain nombre d'entreprises dont l'activité ne présente pas un caractère stratégique pour notre pays.

Votre rapporteur a également souhaité attirer l'attention sur les éventuels effets pervers que pourraient entrainer, pour l'Etat actionnaire, l'adoption et la mise en oeuvre de l'article 5 de la proposition de loi n° 7 , adoptée par l'Assemblée nationale et transmise au Sénat visant à reconquérir l'économie réelle .

APERÇU DE LA RÉFORME ENVISAGÉE EN MATIÈRE DE DROITS DE VOTE DOUBLE

L'article 5 de la proposition n° 7 (2013-2014) visant à reconquérir l'économie réelle, a pour but de modifier l'article L. 225-123 du code de commerce afin de généraliser les droits de vote double.

A l'heure actuelle, en droit et en pratique, le droit de vote double est déjà prévu dans les statuts de la majorité des entreprises françaises .

Historiquement , la création d'actions à droit de vote plural trouve son origine dans une loi du 16 novembre 1903, qui autorisait les sociétés à créer des actions de priorité pouvant comporter un droit de vote multiple. Utilisé de façon parfois abusive par certains actionnaires pour prendre le contrôle d'une société avec une participation réduite au capital social, la création de telles actions a ensuite été prohibée par la loi du 13 novembre 1933. Cependant, ce texte a maintenu la faculté de préciser dans les statuts un droit de vote double sous certaines conditions. Cette possibilité perdure donc au travers d'une disposition juridique parfaitement stable depuis maintenant 80 ans .

Le droit en vigueur , c'est-à-dire l'article L. 225-123 du code de commerce autorise ainsi les statuts d'une société anonyme à prévoir un droit de vote double pour toutes les actions inscrites au nom d'un même titulaire depuis 2 ans au moins. Soulignons que seules peuvent bénéficier des droits de vote double les actions nominatives, les actions au porteur en étant exclues. Une telle exclusion, qui se justifie par la nécessité d'identifier les actionnaires est indirectement défavorable aux actionnaires institutionnels, qui conservent en général leurs titres au porteur, pour avoir la possibilité de les céder plus rapidement.

En pratique , 52,5 % des sociétés du CAC 40, 58 % de celles du SBF 120, 68 % des sociétés du SBF 250, et, plus généralement, 80 % des sociétés familiales y ont recours.

En droit comparé , les droits de vote multiples, sont possibles et pratiqués dans la plupart des pays de l'OCDE : 80 % des sociétés suédoises l'utilisent, 42 % des sociétés hollandaises, 40 % des sociétés finlandaises, 25 % des sociétés danoises, 20 % des sociétés polonaises, 6 % des sociétés cotées américaines, 5 % des sociétés anglaises et hongroises mais quasiment aucune société irlandaise. En revanche, certains États interdisent purement et simplement ce type d'actions : il en va ainsi de l'Allemagne (depuis 1998), de l'Australie, de l'Autriche, de la Belgique, de la Corée du Sud, de l'Espagne, de l'Estonie, de la Grèce, de l'Italie, du Luxembourg ou de la République tchèque. Il convient également de signaler que le nombre de droits de vote par action, limité à deux en France, peut atteindre dix au Danemark, en Hongrie ou en Suède et 1 000 au Japon.

Dans ce contexte, la proposition de loi vise à automatiser l'acquisition des droits de vote double en inversant la logique actuelle de choix par l'assemblée générale.

Selon l'article L. 225-123 du code de commerce en vigueur, il est nécessaire d'obtenir une majorité « positive » des deux tiers d'une assemblée générale pour pouvoir inscrire les droits de vote double au statut d'une société.

Applicable aux sociétés ayant leur siège social en France, l'article 5 de la proposition de loi prévoit que les droits de vote double seraient de droit après un délai de 2 ans de détention, et qu'il serait nécessaire de rassembler une majorité « négative » des deux tiers de l'assemblée générale pour pouvoir les supprimer.

Une telle initiative peut paraître positive à première vue, mais la rigidité du mécanisme envisagé risque de soulever plus de difficultés pour l'Etat actionnaire qu'il ne va en résoudre. En effet, du jour au lendemain, l'Etat pourrait, dans certains cas, franchir des seuils qui l'obligeront à lancer une OPA et à acquérir des titres dont il n'a ni besoin ni les moyens de financer. Sauf à céder des titres de façon contrainte ou dans la précipitation, une de ses seules « parades » consisterait, dès lors, à convertir ses titres « au porteur », comme les fonds d'investissement qui souhaitent faire des allers-retours rapides, car les actions au porteur ne bénéficient pas du droit de vote double. Cette conversion s'accompagnerait d'une perte de valeur pour l'Etat actionnaire.

Sans entrer dans un débat de fond sur l'opportunité de modifier un des piliers du droit et de la vie des sociétés commerciales, votre rapporteur se contente ici de signaler, en ce qui concerne l'impact d'une telle initiative, d'éventuels effets contraires à la préservation des intérêts patrimoniaux de l'Etat actionnaire.

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