C. LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 8 JUILLET 2011 : UNE ADAPTATION DIFFICILE DES JURIDICTIONS POUR MINEURS
Le juge des enfants cumulait auparavant, de façon dérogatoire avec les règles applicables en matière de justice pénale des majeurs, les fonctions de magistrat instructeur, de juge du fond et de juge d'application des peines. Ainsi le même juge des enfants pouvait instruire une affaire, juger le mineur puis suivre ce dernier dans le cadre de l'application des peines.
Or, le Conseil constitutionnel a en partie remis en cause cet état du droit dans sa décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011.
Il a en effet estimé que si « aucune disposition de l'ordonnance du 2 février 1945 ou du code de procédure pénale ne [faisait] obstacle à ce que le juge des enfants participe au jugement des affaires pénales qu'il a instruites » et que « le principe d'impartialité des juridictions ne [s'opposait] pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l'issue de cette instruction, prononcer des mesures d'assistance, de surveillance ou d'éducation », en revanche, « en permettant au juge des enfants qui a été chargé d'accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d'impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution ». Le Conseil constitutionnel avait fixé au législateur jusqu'au 1 er janvier 2013 pour adapter l'organisation de la justice pénale des mineurs à ces exigences.
Dès lors, l'article 5 de la loi n° 2011-1940 du 26 décembre 2011 visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants a modifié l'article L. 251-3 du code de l'organisation judiciaire afin de prévoir, à compter du 1er janvier 2013, que « le juge des enfants qui a renvoyé l'affaire devant le tribunal pour enfants ne peut présider cette juridiction. Lorsque l'incompatibilité prévue au [précédent] alinéa et le nombre de juges des enfants dans le tribunal de grande instance le justifient, la présidence du tribunal pour enfants peut être assurée par un juge des enfants d'un tribunal pour enfants sis dans le ressort de la cour d'appel et désigné par ordonnance du premier président ».
Sans attendre la date du 1 er janvier 2013, les juridictions pour mineurs se sont efforcées de s'organiser pour mettre en oeuvre ces nouvelles dispositions . D'après les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, l'organisation adoptée est très diverse d'un tribunal à l'autre, la situation étant plus difficile dans les 34 juridictions qui ne comportent qu'un seul juge des enfants. Par ailleurs, le recours à la mutualisation entre juges des enfants relevant de la même cour d'appel se traduit par des contraintes de transport et par un coût significatif. Cette réforme alourdit également le temps de travail des magistrats.
Afin de connaître les conditions de mise en oeuvre de cette réforme, une note de la direction des services judiciaires a été adressée le 4 janvier 2013 à l'ensemble des chefs de juridiction, pour leur demander d'effectuer un bilan de la mise en application des dispositions de la loi du 26 décembre 2011 et de procéder à un recensement complet des organisations mises en place au sein des tribunaux pour enfants ainsi que des difficultés associées à ces changements .
Il résulte de cette enquête nationale que :
- parmi les 30 tribunaux pour enfants ne comportant qu'un seul juge des enfants , 4 juridictions indiquent s'en tenir à une application littérale de la loi du 26 décembre 2011 et quelque peu contraire à l'esprit de la décision du Conseil constitutionnel (le juge des enfants qui instruit le dossier préside également le tribunal pour enfants mais l'ordonnance de renvoi est rendue par un autre magistrat au vu des éléments du dossier) ; 13 juridictions indiquent avoir séparé les fonctions d'instruction et de jugement en ayant recours à un autre magistrat du TGI ou un magistrat placé qui président le tribunal pour enfants ; les 13 juridictions restantes déclarent avoir séparé les fonctions d'instruction et de jugement au moyen d'une mutualisation entre tribunaux pour enfants du ressort de la cour d'appel. Dans cette dernière hypothèse, les magistrats estiment que la mutualisation augmente significativement leur charge de travail et leurs frais de déplacement ;
- parmi les 47 tribunaux pour enfants comportant deux juges des enfants , 4 juridictions indiquent s'en tenir à une application littérale de la loi du 26 décembre 2011 (cf. dessus) tandis que 40 juridictions fonctionnent désormais en binôme (selon les juridictions, le juge des enfants qui connaît la situation du mineur n'instruit pas le dossier mais préside le tribunal pour enfants ou instruit le dossier pénal en laissant la présidence du tribunal pour enfants à un autre juge des enfants) ;
- parmi les 63 tribunaux pour enfants comportant 3 juges des enfants et plus , 16 juridictions indiquent s'en tenir à une application littérale de la loi du 26 décembre 2011 tandis que 39 juridictions fonctionnent en binôme comme décrit ci-dessus.
Pour faciliter la prise de connaissance du dossier par le magistrat qui doit intervenir dans la procédure du mineur alors qu'il n'est pas habituellement chargé de son suivi , la généralisation du dossier unique de personnalité apparaît comme une solution efficace.
Par ailleurs, quelques pistes de modifications organisationnelles ou juridiques sont explorées :
- prévoir pour chaque audience un juge des enfants suppléant, de telle sorte qu'il soit remédié à toute absence du juge des enfants désigné spécialement pour la présidence de tous les tribunaux pour enfants ;
- déléguer en interne un juge non spécialisé ;
- désigner un magistrat juge des enfants au niveau du ressort de la cour d'appel pour assurer les audiences du tribunal pour enfants ne comportant qu'un seul juge des enfants.
- rédiger un code des mineurs pour harmoniser des pratiques souvent diverses entre juridictions ;
- limiter la mise en examen aux infractions les plus graves et les plus complexes et privilégier les saisines directes en restaurant la COPJ aux fins de jugement en chambre du conseil avec possibilité d'ajournement pour approfondir la personnalité du mineur.
En tout état de cause, votre rapporteur souligne que les difficultés soulevées par cette réforme et la mise en place dans certains tribunaux d'une organisation contraire à l'esprit de la décision du Conseil constitutionnel (même si cette organisation est rendue possible par l'ambiguïté de la loi du 26 décembre 2011) mettent en exergue la nécessité d'une remise à plat de la justice des mineurs et de l'octroi de moyens humains suffisants aux juridictions.