IV. LES CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS : QUELLE POLITIQUE POUR LES ANNÉES À VENIR ?
La part des crédits consacrés par la PJJ aux centres éducatifs fermés (CEF) n'a cessé d'augmenter , passant de 49 millions d'euros en 2007 (soit 6 % du budget global de la PJJ) à 89,6 millions d'euros en 2012 (soit 11,6 % du budget global). Pour 2014, les crédits prévus dans le projet de loi de finances initiale pour reconduire le financement des CEF existants s'élèvent à :
- 68 150 005 euros pour les 34 structures du secteur associatif habilité (SAH) ;
- 23 105 736 euros pour les 17 structures du secteur public ;
soit un total de 91 255 741 euros, ce qui représente toujours 11,6 % des crédits de la PJJ.
1. Des structures visant à une prise en charge renforcée
Créés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, ces établissements ont été conçus afin d'offrir aux magistrats une solution éducative alternative à l'incarcération à destination des mineurs délinquants les plus difficiles .
Ce sont de petites structures, pouvant accueillir une douzaine de mineurs, relevant soit du secteur public (15 établissements), soit du secteur associatif habilité (33 établissements). 48 centres éducatifs fermés sont ainsi actuellement en fonctionnement pour un total de 553 places. 17 établissements sont mixtes. Un centre éducatif fermé est habilité exclusivement pour la prise en charge des jeunes filles.
Les mineurs placés y font l'objet d'une prise en charge éducative renforcée, assurée au quotidien par une équipe de 24 éducateurs, à laquelle s'ajoutent souvent un enseignant et, le cas échéant, un ou plusieurs personnels de santé (notamment dans les centres dits « renforcés en santé mentale »).
En raison de ce fort taux d'encadrement, le coût d'un placement en CEF est élevé. Les données de 2012 concernant les coûts de journée par jour par mineur sont de :
- 557 euros pour le secteur associatif habilité ;
- 732 euros pour le secteur public ;
- 587 euros tous opérateurs confondus (SP/SAH), contre 501 euros par jour et par mineur en centre éducatif renforcé.
Ce coût complet a toutefois connu une baisse depuis 2009 en passant de 600 euros à 587 euros, en partie parce que les associations gestionnaires ont dû faire passer leurs effectifs de 27 à 24 ETP par centre en 2012, sur le modèle des CEF publics.
Les écarts de prix de revient entre secteur public et secteur privé doivent être relativisés.
Ainsi le coût plus élevé par mineur dans le secteur public s'explique en partie par un taux d'occupation plus faible que dans le SAH.
En outre les périmètres et caractéristiques des deux secteurs ne sont pas totalement comparables. Les coûts du secteur associatif habilité comprennent la totalité des coûts liés au fonctionnement de la structure au quotidien, mais aussi l'essentiel de la charge de soutien (frais de siège, gestion des ressources humaines et comptable, formation continue, investissements immobiliers, etc.).
Les coûts du secteur public intègrent également les coûts indirects tels que les fonctions support (directions interrégionales, directions territoriales, administration centrale), les loyers, les travaux immobiliers ou la formation, qui sont ré-imputés par déversement sur les charges des structures. En revanche, à la différence des établissements associatifs, ils n'intègrent pas les amortissements mais le coût total des investissements immobiliers de l'exercice, ce qui peut faire varier significativement le coût affiché d'une année à l'autre. Le secteur public intègre aussi le coût des arrêts maladie, alors qu'il est pris en charge par l'assurance maladie pour les établissements habilités.
Le taux de prescription des places en CEF par rapport au total des places disponibles est en 2012 de 87 %, soit 7 % d'augmentation par rapport à 2010. Le taux d'occupation effectif est inférieur d'environ 10 % soit un taux d'occupation moyen de 77 %. La cible du taux d'occupation minimale est fixée à 80 %. Le ministre considère en effet que le taux d'occupation ne peut atteindre 100 % dans ces établissements en raison des contraintes inhérentes à l'accueil d'un public particulièrement difficile, notamment le renouvellement des placements dont la durée est limitée, les fugues, les incarcérations, les hospitalisations, etc.
2. La nécessité de ne pas développer les CEF au détriment des autres modes de prise en charge
Ce dispositif a fait l'objet d'une étude, conduite par nos collègues Jean-Claude Peyronnet et François Pillet dans le cadre d'une mission d'information confiée par votre commission des lois.
Dans leur rapport d'information, nos collègues soulignent la nécessité de mieux évaluer le dispositif . Un tel exercice s'avère délicat à mettre en oeuvre, en raison du passé judiciaire et institutionnel souvent très lourd des mineurs placés en CEF. Les trop rares informations disponibles mettent en évidence l'existence d'une corrélation inverse entre le taux de réitération et la durée du placement : les mineurs restés plus de 170 jours (cinq mois et demi) en CEF réitèrent significativement moins que les autres. Toutefois, seul un tiers des mineurs placés en CEF restent plus de six mois. En 2011, la durée moyenne de placement en CEF était de quatre mois, en 2012 de 3,5 mois.
En dépit de ces incertitudes, nos collègues ont estimé que le dispositif des CEF méritait d'être conservé et étendu , car il est fortement sollicité par les juges des enfants et, dans certaines régions, proche de la saturation. En outre, il permet d'offrir à ces mineurs une « dernière chance » avant la prison, contribuant ainsi à la diminution du nombre de mineurs détenus.
Néanmoins, ils ont considéré qu'un certain nombre d'aménagements devraient être apportés. En particulier, un effort devrait être consenti afin d'améliorer le pilotage du dispositif et le soutien aux équipes éducatives, et les échanges de « bonnes pratiques » entre établissements devraient être encouragés.
Les rapporteurs sont par ailleurs parvenus à la conclusion que ce dispositif devrait continuer à prendre en charge les adolescents les plus difficiles (le cas échéant, en continuant à les accueillir après l'âge de la majorité lorsque le placement a été commencé avant cet âge), et que son extension ne devrait pas se faire au détriment des autres modes de prise en charge de la PJJ .
Or, le précédent Gouvernement avait lancé un plan de transformation de 20 EPE en CEF.
Huit ouvertures de CEF ont ainsi été réalisées en 2012 :
- Bures sur Yvette (direction interrégionale Ile-de-France/Outre-Mer) en septembre 2012 ;
- Laon (direction interrégionale Grand Nord) en octobre 2012 ;
- Bruay la Buissière (direction interrégionale Grand Nord) en novembre 2012 ;
- Angoulême (direction interrégionale Sud-Ouest) en mai 2013 ;
- Epinay-sur-Seine (direction interrégionale Île-de-France/Outre-Mer) en février 2013 ;
Ce mouvement se poursuit en 2013 par l'ouverture de 2 CEF :
- Cambrai (direction interrégionale Grand Nord) ;
- Marseille Viton (direction interrégionale Sud Est) ;
- le CEF de Guadeloupe (direction interrégionale Île-de-France/Outre-mer), repris par une autre association gestionnaire après fermeture de l'établissement fin 2012, va également rouvrir.
Ces projets avaient été initiés avant un moratoire déclaré par la Garde des Sceaux en août 2012.
En revanche, votre rapporteur se félicite de ce que celle-ci souhaite désormais que les projets de création soient privilégiés afin de maintenir des places en hébergement classique et garantir ainsi une offre de placement territoriale diversifiée. Le PLF 2014 comporte ainsi les moyens, en crédits et effectifs, pour la création de deux nouveaux CEF.
En revanche, les fédérations d'associations entendues par votre rapporteur regrettent ces nouvelles ouvertures, considérant que les CEF existants sont mis en difficultés en raison de la décision de réduction des effectifs (passage de 27 à 24 ETP) et qu'aucune évaluation globale du dispositif n'a encore été rendue publique, permettant de justifier l'ouverture de nouveaux établissements.
Le centre éducatif fermé de Châtillon-sur-Seine Votre rapporteur s'est rendu au centre éducatif fermé de Châtillon-sur-Seine, qui dépend de la DTPJJ côte d'Or Saône et Loire. Il s'agit d'un CEF public, ouvert en décembre 2006, qui prend en charge 11 mineurs délinquants âgés de 16 à 18 ans et fonctionne en file active (accueil des mineurs tout au long de l'année). Les agents en charge du centre sont au nombre de 13 titulaires et 13 contractuels, dont 18 éducateurs. Le turn-over est important parmi le personnel, de sorte que la problématique des ressources humaines et de la formation des personnels est prégnante pour la DTPJJ et le directeur du centre. Contrairement à ce qui a pu se passer pour d'autres CEF, celui de Châtillon-sur-Seine a bénéficié d'un fort soutien du maire, compte tenu, notamment, de la nécessité de soutenir l'économie locale. Présent lors de la visite de votre rapporteur, il s'est montré très satisfait de l'expérience. Comme dans d'autres CEF, le séjour des mineurs est organisé en trois modules de deux mois. Lors du premier module, les jeunes ne quittent pas le centre et se consacrent à des travaux de menuiserie dans l'atelier interne, au sport et aux cours dispensés par un professeur des écoles. Les jeunes poursuivent ces activités dans le cadre des deuxième et troisième modules mais avec une ouverture croissante à l'extérieur sous la forme de stages en entreprises. En effet, le CEF dispose d'un réseau d'une quarantaine de petites entreprises locales qui accueillent les mineurs en formation. Les jeunes participent également à des chantiers sous la conduite d'un professeur de génie civil (ont ainsi été menées à bien des travaux de rénovation du château de Montfort et la construction d'un escalier dans la gendarmerie de Châtillon-sur-Seine). Les responsables du centre ont fait état de la difficulté de « gérer » la mixité au sein d'un CEF. Si une majorité de CEF n'accueille que des jeunes gens (l'un d'entre eux n'accueillant, à Doudeville, que des jeunes filles), un certain nombre sont mixtes. Toutefois, la présence des jeunes filles est conçue pour être minoritaire, et les demandes sont naturellement beaucoup moins nombreuses. Le CEF de Châtillon-sur-Seine a ainsi parfois accueilli des jeunes filles, mais la cohabitation avec les jeunes gens a été difficile. Au total, les responsables de la PJJ ont estimé que, faute d'avoir été suffisamment pensée, la mixité dans les CEF ne fonctionne pas réellement. Par ailleurs, les interlocuteurs de votre rapporteur ont souligné la prégnance des difficultés d'ordre psychologique et psychiatrique des mineurs du centre. Si une psychologue est présente au centre et si un partenariat a été mis en place avec un psychiatre de Montbard, le renforcement « santé mentale » du centre n'est pas effectif du fait de l'absence de réel « parcours de santé mentale » mis en place pour les jeunes avec les partenaires locaux. De manière plus générale, il est difficile d'assurer une continuité de la prise en charge psychiatrique pour des jeunes qui connaissent de nombreuses ruptures de parcours et qui sont souvent placés dans des établissements loin de leur lieu de résidence, où ils étaient parfois suivis depuis plusieurs années par un psychologue ou un psychiatre. Toutefois, pour autant que votre rapporteur a pu en juger au cours de sa visite, le CEF de Châtillon-sur-Seine semble bien fonctionner. En particulier, le taux d'occupation est bon, les placements d'une durée raisonnablement longue et le nombre d'incidents relativement peu élevé (stable autour de 20 par an). Le nombre de mineurs dont le séjour a été interrompu pour une incarcération (à la suite d'agressions contre le personnel, sur d'autres jeunes ou de fugues) est également modéré (5 en 2012 et 5 en 2013). |