C. LA RECONQUÊTE DE L'HINTERLAND DOIT DEVENIR NOTRE PRIORITÉ
• Dans la compétition entre les hubs portuaires, une évidence s'impose désormais : la bataille se joue à terre , à l'échelle des hinterlands. Notre pays doit trouver les moyens de consolider l'hinterland de ses ports, et d'assurer la coordination entre les stratégies de développement des grands ports maritimes et les différentes politiques publiques. Il ne suffit pas de proclamer que ce désenclavement est une préoccupation forte de l'État : il faut que cela soit suivi d'effets, avec une programmation ambitieuse d'investissements qui ne fasse pas les frais de l'assainissement des finances publiques.
À l'étranger, les autorités portuaires investissent dans des plateformes logistiques à l'intérieur des terres et recherchent des alliances avec des « intégrateurs de fret » , grandes entreprises de transports qui maitrisent les différents segments de la chaîne logistique terrestre (et aérienne), qui passent par des services, aussi bien que par des investissements. Hambourg est la première gare fret d'Europe et le port de cette ville est sans conteste le plus performant d'Europe pour la desserte ferroviaire. Sur 9,7 millions de conteneurs opérés par le port hanséatique, plus d'un quart sont acheminés par voie ferrée : le fret ferroviaire est prépondérant pour des trajets de plus de 150 kilomètres car ce mode de transport est considéré comme le plus fiable et le moins cher par nos voisins allemands. Cette préférence pour le rail a de quoi surprendre puisque ce mode de transport est régulièrement décrié en France pour son manque de fiabilité et de compétitivité par rapport à la route.
• Sur ces aspects, votre rapporteur déplore depuis longtemps l'attitude de l'administration, qui se contente de poursuivre les projets déjà amorcés, en prétendant que ce ne sont pas les infrastructures portuaires qui sont déficientes. Une dynamique d'innovation est nécessaire dans nos ports. Le chantier multimodal du Havre ne permettra pas à lui seul de rattraper les ports d'Anvers ou de Rotterdam. L'hinterland naturel du Havre est l'Île-de-France, soit environ 1,5 million de conteneurs, et ceux d'Anvers ou de Rotterdam ne sont guère plus grands si l'on se limite à des considérations géographiques. Mais ces ports ont eu l'ambition d'élargir leur horizon à l'Europe centrale et aux pays nordiques. De façon encore plus surprenante, la moitié des conteneurs d'Île-de-France est traitée à Anvers : contrairement au Havre, ce port dispose d'une plateforme logistique lui permettant de retraiter les conteneurs qui ne sont pas pleins, pour en faire des conteneurs pleins. Le fait que des ports étrangers (notamment ceux de la mer du Nord : Anvers, Zeebrugge, Rotterdam) soient en capacité de concurrencer nos ports sur leur propre hinterland en dit long sur le chemin qui reste à parcourir.
La stratégie portuaire française doit ainsi avoir pour ambition de concurrencer Rotterdam ou Anvers sur leur propre hinterland , en élargissant notre horizon à la Suisse, l'Allemagne, l'Europe du Sud ou l'Europe centrale. Cette vision nécessite une dynamique d'investissement, en infrastructures portuaires et ferroviaires, qui n'est toujours pas à la hauteur. Le jour où un conteneur déchargé au Havre et acheminé par voie ferroviaire vers l'Europe Centrale arrivera à destination en moins de temps qu'il n'en faut au bateau duquel il a été déchargé pour rejoindre Hambourg, nous aurons gagné !
HINTERLANDS DES PRINCIPAUX PORTS FRANÇAIS ET EUROPÉENS
Source : DGITM
• À ce sujet, votre rapporteur souligne, depuis de trop nombreuses années, l'intérêt d'une liaison fluviale directe à travers une chatière pour le port du Havre , mais les pouvoirs publics semblent peu empressés de faire avancer ce dossier. Seuls des crédits d'étude seront effectivement versés pour ce projet dans le cadre des CPER 2015-2020. L'administration estime que le trafic actuel n'est pas suffisant pour rentabiliser à la fois la chatière et le terminal multimodal qui vient d'être construit. Or c'est précisément la logique inverse qu'il faudrait adopter , en faveur d'une politique de l'offre : l'amélioration de la qualité du service proposé aux clients grâce à ces deux systèmes permettrait précisément de détourner du trafic, puisque Le Havre est mieux placé géographiquement que ses concurrents de mer du Nord. Sans compter que le modèle économique du terminal multimodal n'est pas équilibré : il se révèle surdimensionné puisqu'il est calibré pour un trafic deux fois plus élevé que les niveaux actuels, et nécessite de surcroît de trouver un accord raisonnable avec les dockers. Par conséquent, la SNCF n'a pas véritablement intérêt à utiliser le terminal à ce stade, mais comme cette installation existe, l'administration refuse d'étudier toute solution complémentaire qui serait susceptible de lui faire concurrence.
Plus largement, dans la perspective de l'ouverture du Canal Seine-Nord , il devient urgent d'engager simultanément les travaux dans le port, notamment la création de la chatière , les travaux ferroviaires en liaison avec le port notamment la ligne Serqueux-Gisors , les travaux fluviaux à commencer par la mise au gabarit européen de l'Oise (Mageo) afin que les ponts et écluses soient adaptés pour permettre la navigation à trois niveaux de conteneurs et un fonctionnement sans interruption. Il y a urgence d'en faire un projet global et spécifique ! L'État dispose des moyens juridiques pour raccourcir les procédures et accélérer les travaux , en utilisant par exemple un appel d'offres conception-réalisation ou dialogue compétitif. Ce ne sont bien sûr que des suggestions et il appartient aux techniciens de proposer le montage le mieux adapté , mais il y a urgence ! Sur le plan financier, il est indispensable que l'État mobilise les acteurs intéressés, à commencer par l'Union Européenne, qui s'est fixée pour priorité de développer le fluvial et le ferroviaire, et les collectivités locales, notamment la région.
• À l'heure actuelle, au-delà de quelques gesticulations administratives, l'État ne s'implique toujours pas suffisamment, d'un point de vue financier et opérationnel, dans nos grands ports maritimes, qui ne jouent pas dans la même catégorie que leurs voisins européens . Dans la compétition pour devenir les « hubs » des plus grandes compagnies d'armateurs, les grands ports concurrents sont aidés par des politiques publiques volontaristes au service d'une économie maritime puissante . Ils investissent bien au-delà de leur circonscription portuaire , dans l'ensemble de la chaîne logistique. Ces ports offrent des services complets et intégrés, du transbordement massifié par de puissantes plateformes logistiques et multimodales à une desserte « en profondeur » vers l'hinterland. A tel point que , pour un opérateur transcontinental, il est moins cher de faire un seul arrêt à Rotterdam pour toute l'Europe et d'y transborder ses marchandises, plutôt que de faire plusieurs arrêts.
Force est de constater que les participations de l'État au fonctionnement et aux investissements portuaires s'amenuisent année après année . On observe néanmoins une certaine prise de conscience puisqu'une légère reprise de l'investissement est observée en 2015 , à la fois pour les GPM métropolitains et d'outre-mer. Il est cependant difficile de mesurer précisément l'effort global de l'État , qui est ventilé entre plusieurs instruments budgétaires et entre plusieurs modes de transport (en particulier le ferroviaire), même si, comme cela a été signalé précédemment, le soutien financier aux seules infrastructures portuaires est, quant à lui, en constante diminution.
INVENTAIRE DES PRINCIPALES OPÉRATIONS D'INVESTISSEMENT DE L'ÉTAT DANS LES GRANDS PORTS MARITIMES (GPM)
GPM |
Opérations CPER 2007-2013 |
Opérations CPER 2015-2020 |
Le Havre |
Chantier multimodal (18.7M€) |
Création de parcs logistiques (6M€) |
2 e phase de Port 2000 (62M€) |
Ecluses Tancarville et François 1 er (9,5M€) |
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Rouen |
Amélioration des accès nautiques (23,5M€) |
Reconversion du site Pétroplus (20M€) |
Plateformes multimodales (4M€) |
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Accès nautiques (7M€) |
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Nantes Saint-Nazaire |
Terminal à conteneurs de Montoir (12,6M€) |
Restructuration du site de Saint-Nazaire (20M€) |
Hub logistique (2,9M€) |
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La Rochelle |
Aménagement de l'Anse Saint-Marc (4,44M€) |
Réalisation du deuxième quai de l'Anse Saint Marc (3,17M€) |
Terminal chef de baie (5M€) |
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Bordeaux |
Grattequina (2,96M€) |
Amélioration des accès nautiques (12M€) |
Aménagement de la passe de l'Ouest (3,07M€) |
Développement des filières industrielles (15,6M€) |
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Marseille |
Forme 10 (6,47M€) |
Modernisation de la darse 2 (12M€) |
Réorganisation des terminaux passagers (14M€) |
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Dunkerque |
Terminal méthanier (25M€) |
Cercle d'évitage (4M€) Poste à quai 20M€) |
La Réunion |
Extension du port Est Phase II (3M€) |
Extension du port Est (13M€) |
Guyane |
Réhabilitation des quais de Dégrad des Cannes (6M€) |
Extension de quai (3,5M€) et outillages (3,5M€) |
Guadeloupe |
Aménagement du port de Basse-Terre (2M€) |
Extension du terminal conteneurs (9M€) |
Martinique |
Extension de la pointe des Grives (2,5M€) |
Modernisation des terminaux (7,3M€) |
Source : DGITM
ÉVOLUTION DE L'INVESTISSEMENT DANS LES GRANDS PORTS MARITIMES MÉTROPOLITAINS (EN MILLIONS D'EUROS)
Données : DGITM
ÉVOLUTION DE L'INVESTISSEMENT DANS LES GRANDS PORTS MARITIMES D'OUTRE-MER (EN MILLIONS D'EUROS)
Données : DGITM