II. UN PROGRAMME IMMOBILIER INSUFFISANT POUR RÉSORBER LA SURPOPULATION CARCÉRALE

Votre rapporteur pour avis a pris bonne note de la présentation par le Gouvernement d'un programme immobilier ambitieux afin de permettre une amélioration des conditions de détention. Il regrette néanmoins que ces annonces interviennent en fin de mandat, ne permettant pas de résorber la surpopulation carcérale si la tendance à l'augmentation se poursuit.

A. LA SURPOPULATION CARCÉRALE : UN CONSTAT ALARMANT

1. Une augmentation croissante du nombre de personnes placées sous écrou...

Au 1 er octobre 2016, le total de la population sous écrou s'établissait à 78 982 personnes , soit une augmentation de 3,8 % en un an. À la même date, le nombre de personnes écrouées détenues en métropole et en outre-mer s'élevait à 68 514, contre 65 765 au 1 er octobre 2015, soit une augmentation de 4,2 % sur l'année.

On distingue au sein de cette population :

- 19 615 prévenus (17 614 au 1 er octobre 2015) ;

- 2 823 femmes (2 142 au 1 er octobre 2015) ;

- 729 mineurs écroués (692 au 1 er octobre 2015).

Cette augmentation des personnes détenues s'explique à la fois par l'augmentation des entrées dans la population placée sous main de justice et l'allongement des peines exécutées entre 2011 et 2014 5 ( * ) .

2. ...qui alimente la surpopulation carcérale

L'inadéquation du parc immobilier carcéral à la croissance de la population carcérale a engendré une surpopulation chronique . Au 1 er octobre 2016, le taux d'occupation ou « densité carcérale », qui rapporte le nombre de personnes détenues au nombre des places opérationnelles d'un établissement, était de 117,2 % .

Cette moyenne dissimule de grandes disparités sur un parc immobilier de 255 établissements ou quartiers.

Alors que 134 établissements ou quartiers ne souffrent pas de la surpopulation, 42 établissements ou quartiers pénitentiaires ont une densité carcérale supérieure à 150 % (contre 33 en 2014).

La surpopulation concerne principalement les maisons d'arrêt dans lesquelles la moyenne nationale s'établit à presque 140 % alors que le taux au sein des établissements pour peine est de 88,3 %. Cette situation est d'autant plus dramatique que les maisons d'arrêt hébergent principalement les personnes en détention provisoire, présumées innocentes, ainsi que, de manière résiduelle, les personnes condamnées à des peines inférieures à deux ans d'emprisonnement. Or votre rapporteur regrette qu'au 1 er juillet 2016, comme au 1 er juillet 2015, 21 % des personnes condamnées détenues en maison d'arrêt purgeaient une peine supérieure à deux ans d'emprisonnement, en raison de délais de transfèrement vers les établissements pour peine anormalement longs. Un détenu peut ainsi attendre jusqu'à deux années pour être transféré dans une maison centrale.

La situation des femmes détenues dans la région sud-est

Votre rapporteur pour avis a effectué une visite de la maison d'arrêt de Nice le 11 juillet 2016. À cette occasion, il a pu constater les conditions de détention extrêmement dégradées des femmes incarcérées dans cet établissement qui, de manière générale, connaît une importante surpopulation avec 700 détenus en moyenne depuis le début de l'année pour seulement 363 places (réparties dans 271 cellules). Le « quartier femmes » hébergeait, au moment de la visite de votre rapporteur, 70 détenues réparties au sein de 15 cellules seulement, certaines d'entre elles regroupant jusqu'à 5 détenues . Il a ainsi été expliqué à votre rapporteur qu'au sein de la zone sud-est et depuis la fermeture de l'ancien centre pénitentiaire de Draguignan qui comptait 20 places en quartier maison d'arrêt pour femmes, seuls les établissements de Nice et de Marseille-Les Baumettes accueillent un « quartier femmes ». En effet, le nouveau centre pénitentiaire de Draguignan, dont la date d'ouverture n'est du reste pas encore connue, n'accueillera que des détenus masculins. Dans les conditions actuelles, la direction de la maison d'arrêt de Nice est régulièrement amenée à demander au centre pénitentiaire de Marseille le transfert de détenues condamnées afin de désencombrer le « quartier femmes ». Votre rapporteur s'interroge sur les raisons qui ont conduit le ministère de la justice à ne pas prévoir la construction d'un « quartier femmes » au sein du nouveau centre de Draguignan, de surcroît dans une région qui connaît un tel déficit de places dans les établissements pour peine.

Les conditions de détention très dégradées du centre pénitentiaire de Fresnes

A l'occasion de son audition, Mme Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a attiré l'attention de votre rapporteur pour avis sur les conditions de détention particulièrement dégradées qui prévalent au centre pénitentiaire de Fresnes.

Votre rapporteur a par conséquent décidé d'effectuer une visite de cet établissement le 22 novembre 2016. Il apparaît en effet que ce centre pénitentiaire, ouvert en 1898, présente des conditions de détention très attentatoires à la dignité des personnes détenues. Celui-ci présente l'un des taux de surpopulation carcérale les plus élevés d'Île-de-France avec 2 860 personnes détenues pour seulement 1 460 places opérationnelles, obligeant ainsi à affecter trois détenus par cellule de 9 m² (341 cellules au total). Votre rapporteur pour avis tient tout d'abord à saluer l'énergie, le dynamisme et la bonne volonté de l'équipe de direction, mais également de l'ensemble du personnel affecté au sein de cet établissement. Celle-ci est en effet confrontée, avec des moyens budgétaires largement insuffisants, à un nombre incalculable de désordres matériels (toiture, réseaux, évacuation des eaux, cellules, sanitaires, mais également parc de logements pour le personnel de l'administration pénitentiaire), inhérents à un établissement aussi ancien et qui n'a jamais fait l'objet d'une rénovation d'ampleur devenue pourtant indispensable.

Dans ce contexte, l'établissement est, au sens propre, envahi par les nuisibles, qu'il s'agisse des punaises de lit mais également des rats qui sont en nombre considérable compte tenu des quantités de déchets projetées par les détenus au travers des fenêtres des cellules. La direction de l'établissement a fait de la lutte contre les nuisibles l'une de ses priorités même si les résultats d'une telle action, aussi volontariste soit-elle, seront nécessairement limités. Les opérations de lutte contre les punaises de lit sont particulièrement lourdes à mettre en oeuvre car elles nécessitent de vider totalement la cellule. Les opérations de dératisation sont quant à elles contrecarrées par les projections incessantes de déchets, malgré le changement des caillebotis des fenêtres pour limiter le phénomène et malgré la politique de ramassage volontariste impulsée par la direction.

Votre rapporteur pour avis considère que la situation de cet établissement, indigne de notre République, est très alarmante et impose des mesures drastiques. L'objectif d'une rénovation de fond en comble de l'établissement doit impérativement être mis en tête des priorités de l'administration pénitentiaire dans les prochains mois.

Le phénomène est également prégnant en outre-mer où la densité moyenne s'établit à 124,4 %. Au 1 er octobre 2016, la Polynésie française était particulièrement affectée puisque les quartiers centre de détention et maison d'arrêt de Faa'a Nuutania comptaient respectivement un taux d'occupation de 228,8 % et de 240,7 %. Votre rapporteur souligne que la Polynésie française explique 96,2 % des condamnations prononcées par les juridictions administratives à l'encontre de l'État à raison des conditions de détention.

Votre rapporteur pour avis regrette l'incapacité du Gouvernement à anticiper la construction d'un programme immobilier permettant des conditions d'hébergement dignes . Ainsi, au 1 er octobre 2016, le nombre de matelas au sol a augmenté de 44,7 % en un an (1 430 contre 988).

Cette situation dramatique s'explique par les estimations sous-évaluées qui ont fondé le budget triennal 2015-2017 : se fondant sur une application très optimiste de la contrainte pénale et des aménagements de peine, elles prévoyaient un taux d'occupation de 108 % pour 2015 et de 106 % pour 2016 et 2017.

La surpopulation carcérale est également aggravée par les dispositifs de rénovation en cours, dont celui de la maison d'arrêt de Paris-La Santé.

Le constat de la surpopulation carcérale est alarmant : ce phénomène dégrade significativement les conditions de détention en engendrant une concurrence dans l'accès à un travail, à une activité, à une formation, aux unités de vie familiale ou encore aux soins. La promiscuité entraîne des situations indignes en termes d'hygiène et d'insalubrité (aggravée par la présence massive de nuisibles, comme les rats ou les punaises de lit, en nombre plus élevé que les détenus dans certaines prisons pourtant surpeuplées), mais également propices aux faits de violence commis entre détenus, mais également sur le personnel pénitentiaire.

Présentation du module « respect »

Pour nuancer, à la marge, ce constat très préoccupant, votre rapporteur pour avis a eu l'occasion d'observer le fonctionnement d'une unité de détention obéissant au module « respect » à l'occasion de sa visite du centre pénitentiaire de Beauvais le 16 juin 2016. Ces principes de fonctionnement, d'abord mis en oeuvre de manière expérimentale en 2015 au sein du centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan et du centre de détention de Neuvic puis étendus au CP de Beauvais en 2016, s'appuient sur une prise en charge globale des personnes détenues, hébergées dans un bâtiment ou secteur de détention dédié. Dans le cadre du module, les personnes détenues s'engagent sur un plan à la fois individuel (via un « contrat d'engagement ») et collectif (« règlement intérieur ») à respecter des règles de vie en détention ayant pour objectif d'assurer un cadre de vie plus apaisé au sein des unités d'hébergement. Elles s'engagent également à suivre un programme axé sur des activités ayant trait à la vie quotidienne de l'unité et répondant aux besoins identifiés pour l'individualisation de leur parcours de détention. En parallèle, les personnes détenues peuvent, en journée, circuler au sein de leur bâtiment d'hébergement et ont un accès libre aux activités qui sont proposées au sein de ce module. Les personnes détenues sont observées et régulièrement évaluées par une équipe technique distincte de la commission pluridisciplinaire unique (CPU). Au sein de l'établissement de Beauvais, l'équipe de direction a ainsi expliqué à votre rapporteur pour avis que chaque détenu affecté au sein du bâtiment placé sous ce module se voyait affecter un certain nombre de points pouvant être perdus en cas de comportement ne respectant pas les règles individuelles et collectives. En cas de perte de la totalité de ses points, le détenu est réaffecté dans un bâtiment de détention classique. Votre rapporteur pour avis a pu constater avec satisfaction le caractère très positif de cette expérimentation, les conditions de détention au sein de ce bâtiment du centre pénitentiaire de Beauvais étant sensiblement différentes de celles qui prévalent dans les autres bâtiments, tant en termes de volume sonore que de propreté des locaux. De telles conditions de détention ont également pour effet de réduire les occurrences d'actes violents et sont positives en matière de perspectives de réinsertion dans la société des détenus à l'issue de la peine, en responsabilisant les détenus au cours de leur incarcération.

La surpopulation carcérale détériore les conditions d'exécution de leur peine pour les personnes détenues, et donc la prévention de la récidive, mais elle affecte également les conditions de travail des personnels pénitentiaires : il est donc urgent de construire de nouvelles places.


* 5 Florence de Bruyn, Annie Kensey, « Durées de détention plus longues, personnes détenues en plus grand nombre (2007-2013) », Cahiers d'études pénitentiaires et criminologiques, septembre 2014, n° 40, DAP/PMJ5.

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