B. LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER L'ATTRACTIVITÉ DES MÉTIERS ET LA FIDÉLISATION DES PERSONNELS PÉNITENTIAIRES
L'administration pénitentiaire souffre à la fois d'une double incapacité, à recruter d'abord et à retenir ses agents ensuite, ce qui révèle un profond mal-être parmi les personnels pénitentiaires.
1. Le manque d'attractivité des métiers pénitentiaires
L'administration pénitentiaire est confrontée à une grave crise des recrutements .
En 2017, moins d'un candidat sur trois inscrits était présent aux épreuves écrites. Il en ressort un taux de sélection très faible : près de 78 % des candidats présents aux écrits ont été admissibles.
Année |
Nombre d'inscrits |
Présents aux écrits |
Admissibles |
Présents aux épreuves sportives |
Présents aux épreuves orales |
2015 |
16 011 |
7 240 |
4 493 |
3 598 |
3 417 |
2016 (Session 1) |
21 052 |
9 559 |
5 529 |
4 625 |
4 356 |
2016 (Session 2) |
14 798 |
6 158 |
5 368 |
4 313 |
4 049 |
2017 |
22 379 |
6 954 |
5 417 |
3 984 |
3 772 |
Source : réponses au questionnaire budgétaire
Cette crise des recrutements s'explique par la dureté des conditions de travail et la faiblesse des rémunérations , dans un contexte de concurrence avec les autres métiers de la sécurité (policiers municipaux, sécurité privée et, dans une moindre mesure, gendarmerie et police nationales).
La mauvaise image des métiers de l'administration pénitentiaire en raison de la pénibilité du métier, aggravée par le contexte de surpopulation carcérale, semble renforcer cette dynamique contraire.
2. Le manque de fidélisation des personnels, en particulier en région parisienne
La profession de surveillant pénitentiaire souffre également d'une désaffection de ses propres personnels : ce défaut de fidélisation des personnels se manifeste à la fois par des mouvements de mutation fréquents et des départs de la profession.
a) Un taux de mutation très important
Au centre pénitentiaire de Bois d'Arcy, entre 25 et 35 % des effectifs sont renouvelés chaque année. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces demandes de mutation :
- l'opportunité professionnelle représentée par l'ouverture de nouvelles structures et services, comme les ERIS ou les PREJ ;
- le désir de retourner auprès de ses attaches familiales ;
- la pénibilité du travail ; ce facteur joue particulièrement pour les maisons d'arrêt en surpopulation carcérale. Plus l'effectif est tendu, plus les surveillants sont susceptibles d'être rappelés pour des heures supplémentaires, y compris sur leurs repos hebdomadaires.
Le phénomène de turn over a pour conséquence de placer dans les établissements les plus difficiles, ceux de la région parisienne, les personnels les moins expérimentés.
b) Un taux préoccupant de départs
Outre qu'il est coûteux en formation et en recrutement, le phénomène des démissions précoces de la profession est également très préoccupant.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces départs précipités.
En premier lieu, les conditions de travail du premier poste sont particulièrement difficiles. 90 % de la dernière promotion de surveillants (mai 2017) ont été affectés dans 8 établissements de la région parisienne, soit dans des maisons d'arrêt surpeuplées qui concentrent la population carcérale la plus difficile. Ce sont également les établissements où les taux de vacance atteignent 30 % : les primo-arrivants sont très faiblement encadrés. Ces affectations sont d'autant plus difficiles que, comme l'ont souligné les représentants des organisations professionnelles entendus par votre rapporteur, les stages effectués pendant la scolarité se dérouleent rarement en région parisienne.
Ensuite, les phénomènes de surpopulation carcérale et de sous-effectif appauvrissent considérablement l'intérêt du métier et entretiennent un fort niveau de violence.
En région parisienne, dans une maison d'arrêt, un surveillant peut gérer seul une coursive d'une centaine de détenus, sa journée étant seulement rythmée par l'organisation de mouvements des détenus vers les douches ou les cours de promenades. Le temps de chaque activité étant davantage contraint à chaque augmentation de la population carcérale, ce qui n'est pas sans engendrer des tensions, voire des violences, aucun temps n'est disponible pour permettre un véritable travail humain, notamment de réinsertion.
Enfin, la grille indiciaire des surveillants pénitentiaire qui, contrairement aux gendarmes et aux policiers, relèvent de la catégorie C, ne permet pas de retenir les personnels.
c) Le cas particulier de la région parisienne
Il existe un problème particulier d'attractivité de la profession de surveillant dans les établissements d'Île-de-France .
La quasi-totalité des surveillants travaillant dans des établissements d'Île-de-France proviennent d'autres régions : une majorité des surveillants proviennent de la région Hauts de France et des outre-mer.
Or, en Île-de-France, les loyers sont particulièrement élevés et les logements difficiles à trouver . Les personnels sont donc généralement amenés à habiter dans un studio ou en collocation, ce qui ne permet pas de faire venir leur famille. D'autres enfin ne prennent aucun logement en région parisienne : soit ils dorment dans leurs véhicules, soit ils effectuent de longs trajets routiers quotidiens. La plupart tente de planifier des semaines de travail courtes et intenses permettant un retour dans leur région d'origine où ils continuent d'habiter.
Cette situation difficile, qui s'ajoute au déracinement géographique, emporte des conséquences sur la vie professionnelle et personnelle des agents : le temps passé dans les transports, la fatigue liée aux horaires décalés et l'éloignement par rapport à sa famille sont générateurs de stress. De plus, cette situation est généralement coûteuse en raison à la fois du paiement de deux loyers et des frais de transports.
Face à ce constat, il est nécessaire d'accompagner et de soutenir les personnels de surveillance, particulièrement lors d'une mutation .
Les personnels de la filière « insertion et probation » sont également soumis à un manque d'attractivité lié à leurs conditions de travail.
Comme pour les métiers de la surveillance, un fort taux de rotation des agents est constaté en région parisienne. Des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation quittent leur emploi en raison de la réussite à un autre concours ou parce qu'ils souhaitent retourner en province ; la majorité de ceux qui le conservent évoque la « fatigue professionnelle ». Malgré l'augmentation des effectifs, le rythme de travail des personnels d'insertion et de probation est intense, particulièrement en maison d'arrêt.
3. Les pistes de revalorisation de l'attractivité
a) Les mesures catégorielles
La direction de l'administration pénitentiaire travaille actuellement à la création d'une prime de fidélisation, versée après un engagement à rester plusieurs années dans un établissement difficile.
Votre rapporteur suggère également de réfléchir à faciliter l'avancement des carrières des personnes qui travaillent dans les établissements les plus difficiles tels que les établissements de la région parisienne.
Il estime également souhaitable de revaloriser la prime de résidence en cas de mutation en région parisienne : la prime actuelle, d'un montant d'environ 50 euros, ne correspond pas à la réalité des loyers.
b) Une politique d'accompagnement axée sur le logement
De manière quasi-unanime, les représentants des organisations professionnelles entendus par votre rapporteur ont mentionné les problèmes rencontrés par les personnels pour se loger.
Il apparaît nécessaire que l'administration pénitentiaire développe tant des solutions d'hébergement temporaire que des solutions durables de logement.
Comme à Fleury-Mérogis ou aux Baumes, à proximité de la maison d'arrêt des Baumettes, des immeubles de logements à loyers modérés doivent être en partie dédiés aux surveillants pénitentiaires.
Des politiques volontaristes en faveur du logement, comme celle développée par la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Lyon, doivent être encouragées : la DISP propose 200 logements provenant du contingent préfectoral destiné à l'ensemble des fonctionnaires de l'État et deux résidences sont gérées par la fondation d'Aguesseau, qui possède un parc social réservé au ministère de la justice.
Quand l'emprise foncière le permet, votre rapporteur suggère d'établir des partenariats avec des bailleurs sociaux afin de construire quelques logements à loyer modéré à proximité des établissements.
Il recommande également la mise en oeuvre d'un plan dédié au logement dans le cadre de la réflexion globale sur la gestion des ressources humaines lancée, en octobre 2017, par la garde des sceaux en soutien aux chantiers de la justice.
c) Le souhait d'une reconnaissance accrue envers les personnels pénitentiaires
Au-delà de l'aspect financier, les personnels pénitentiaires sont en attente de signes concrets de reconnaissance des spécificités de leur métier. Votre rapporteur a pu apprécier, au cours de sa visite du centre pénitentiaire de Bois d'Arcy, la motivation et l'implication de tous les personnels qui permettent d'assurer une prise en charge de qualité des détenus.
Néanmoins, ces personnels attendent aujourd'hui des avancées concrètes sur des points qui ne doivent pas être jugés accessoires par l'administration.
Les surveillants pénitentiaires souhaitent ainsi être officiellement et concrètement reconnus comme la troisième force de sécurité intérieure du pays .
Les syndicats entendus par votre rapporteur ont ainsi souligné l'importance de la participation, depuis 2016, des personnels de l'administration pénitentiaire au traditionnel défilé du 14 juillet aux côtés des autres forces de sécurité du pays.
Cette reconnaissance peut également se manifester par l'octroi aux surveillants pénitentiaires des mêmes avantages que les gendarmes et les policiers.
Ainsi, la région Ile-de-France a annoncé la gratuité des transports dans la région pour les policiers de petite et grande couronne : une extension aux surveillants pénitentiaires serait très appréciée.