EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 23 novembre 2022, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement ».
M. Christian Cambon, président . - Nous examinons maintenant les crédits des programmes 110, « Aide économique et financière au développement », et 209, « Solidarité à l'égard des pays en développement », de la mission « Aide publique au développement ».
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis sur les programmes 110 et 209 de la mission « Aide publique au développement » . - Je vais vous présenter les grandes évolutions de la mission « Aide publique au développement » (APD) au sein du PLF pour 2023, composée des programmes 110 et 209. J'évoquerai plus particulièrement la hausse très forte des crédits humanitaires et de gestion de crise.
Cette année encore, les crédits de l'aide publique au développement augmentent de manière importante. La mission APD passe ainsi, en crédits de paiement (CP), de 5,1 à 5,9 milliards d'euros, soit une hausse de 16,04 %.
Cette hausse correspond à deux grandes tendances.
D'abord, il s'agit d'une nouvelle progression des bonifications de prêts et des dons de l'Agence française de développement (AFD), ceux-ci approchant du milliard d'euros. L'aide-projet directement gérée par les ambassadeurs au profit de l'influence française, via les fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), est également en augmentation, passant de 70 à 80 millions d'euros. Concrètement, les crédits supplémentaires en dons permettront d'intervenir plus fortement dans les secteurs sociaux, l'éducation et l'agriculture, avec une concentration géographique dans les pays d'Afrique subsaharienne. C'est bien là, selon nous, le coeur de notre politique de solidarité internationale et nous ne pouvons donc que nous en féliciter.
L'autre explication de la hausse globale des crédits est la très forte augmentation de l'enveloppe budgétaire « Gestion et sortie de crise ». Celle-ci regroupe les aides budgétaires post-conflit, le fonds d'urgence humanitaire, l'aide alimentaire, l'initiative FARM ( Food and agriculture resilience mission ) en réponse aux conséquences de la guerre en Ukraine, enfin la réserve pour crise majeure. Au total, ces crédits passent de 297 millions d'euros en 2022 à 730 millions d'euros en 2023, soit une augmentation de 145 %.
L'année prochaine, l'aide humanitaire atteindra ainsi pour la première fois des proportions comparables à l'aide-projet de l'AFD. Deux raisons principales à cela :
Un effort de rattrapage salutaire d'abord, car l'aide humanitaire française était en net retrait par rapport à celle des pays comparables, Allemagne ou Royaume-Uni notamment. De ce fait, nous ne faisions plus partie du tour de table des grands bailleurs humanitaires, ce qui était assez dommageable pour notre image internationale. L'Allemagne, par exemple, dégage annuellement une aide de 2 milliards d'euros environ. Avec les augmentations prévues, nous remontons au 7 e rang des 27 bailleurs européens.
En revanche, il faut souligner que le nombre d'agents du centre de crise et de soutien (CDCS), qui gère la plus grande partie de notre aide humanitaire, stagne autour de 110 équivalents temps plein (ETP) depuis plusieurs années, alors même que le volume de son budget et de ses missions a été littéralement décuplé depuis 2015, passant de 20 à 200 millions d'euros. Le centre de crise et de soutien doit pourtant mettre en oeuvre lui-même 20 % de ces crédits et contrôler les 80 organisations non gouvernementales (ONG) partenaires qui mettent en oeuvre le reste, ce qui implique un travail très important de montage des dossiers, d'analyse de la solidité financière, de la gouvernance, de la transparence et des résultats de l'ensemble de ces ONG partenaires. Il serait donc sans doute temps d'augmenter ces ETP.
Plus concrètement, cette hausse des crédits humanitaire et de gestion de crise reflète malheureusement la dégradation de l'état du monde et la multiplication des crises.
Ainsi, l'augmentation des crédits permettra notamment d'intervenir davantage en Afrique subsaharienne, selon deux modalités. D'abord, l'enveloppe en hausse du fonds d'urgence humanitaire permettra de mieux faire face aux besoins humanitaires de populations de plus en plus vulnérables. Ensuite, l'enveloppe de l'aide alimentaire programmée, qui passe de 120 à 160 millions d'euros, sera mise en oeuvre pour lutter contre une insécurité alimentaire favorisée par l'agression russe en Ukraine.
Deuxième zone géographique où notre aide est particulièrement sollicitée : l'Ukraine, mais aussi la Moldavie et la Roumanie.
En Ukraine, le Centre de crise a organisé le soutien humanitaire français, avec une trentaine opérations menées depuis le début de la guerre, surtout dans le domaine de la sécurité civile : fourniture de camions de pompiers, de matériel de désincarcération, d'hébergements d'urgence, etc. Au début d'octobre, 1000 tonnes de fret humanitaire ont été acheminées à Kharkiv sur un bateau offert par la CMA CGM.
Notre effort en faveur de l'Ukraine ne concerne pas seulement l'aide humanitaire, mais aussi l'aide au développement. L'AFD a été sollicitée très rapidement et une opération de prêt de 300 millions d'euros a été décidée par le co-secrétariat du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) le 15 mars 2022. Ce prêt a été versé dès le 4 avril, en appui aux dépenses sociales liées aux services publics. Je pense qu'il y a lieu de se féliciter de cette réactivité, qui montre que l'AFD peut aussi être un instrument politique capable de mettre en oeuvre rapidement les priorités du Gouvernement.
L'AFD a également apporté une aide à la Moldavie. À court terme, un financement budgétaire de 15 millions d'euros a été débloqué en soutien à la protection sociale, fortement impactée par l'afflux de réfugiés ukrainiens. En outre, une subvention de 2 millions d'euros a été versée à un consortium de 3 ONG françaises pour soutenir l'accès à l'éducation des enfants et au marché du travail pour les réfugiés. À plus long terme, un accord de coopération a été signé entre l'AFD et le Gouvernement moldave, couvrant les secteurs de l'énergie et du ferroviaire, afin de renforcer l'indépendance du pays vis-à-vis de la Russie et de promouvoir une plus grande intégration de l'espace européen.
Enfin, en Roumanie, Expertise France va soutenir l'acheminement des céréales ukrainiennes pour un coût de 200 000 euros.
Pour conclure, ce budget en hausse devrait permettre à notre pays de redevenir un acteur significatif de l'aide humanitaire internationale. Au moment où nos adversaires attaquent notre image par tous les moyens et sur tous les continents, cette évolution peut nous permettre de développer un contre-discours plus offensif.
Cette approbation globale ne doit cependant pas nous empêcher d'être vigilants sur certains sujets. En particulier, la hausse des crédits ne constitue pas une panacée qui exonère le Gouvernement de la mise en oeuvre des orientations de la loi du 4 août 2021. Celle-ci laisse encore à désirer sur plusieurs aspects, comme la mise en place de la commission d'évaluation, qui se fait attendre.
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis sur les programmes 110 et 209 de la mission « Aide publique au développement » . - Si l'APD s'intègre dans une stratégie des trois D - développement, diplomatie, défense -, elle est avant tout le fruit de la loi du 4 août 2021. Un accord avait été trouvé prévoyant que la France atteindrait l'objectif de 0,7 % du revenu national brut (RNB). Or le Gouvernement a choisi de modifier les « règles du jeu », puisqu'il a décidé de revenir à un objectif de 0,6 % en 2027. À ce stade, la ministre n'a pas répondu à nos questions sur le respect de la trajectoire financière. On ne peut que le regretter et déplorer qu'il n'y ait pas eu de débat.
En ce qui concerne la question de l'enfance, nous considérons que les orientations adoptées ne sont pas optionnelles. Mais, selon l'Unicef, le Gouvernement a d'abord promis de décliner une stratégie sur l'enfance, puis une feuille de route, puis une lettre de mission, puis une simple cartographie des programmes existants...
Le taux d'aide bilatérale fixé par la loi, à l'initiative du Sénat, soit 65 % minimum de l'aide totale, était loin d'être atteint en 2021, puisqu'il s'élevait à 60 %. Je rappelle que le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon, les États-Unis ont tous une part d'aide bilatérale plus importante que la France. Si un effort est certes fourni, il n'est pas assez soutenu.
En ce qui concerne le rapport entre les prêts et les dons, la situation actuelle montre que nous avons eu raison de plaider pour davantage de dons. Le directeur général du Trésor nous l'a confirmé : nous continuons à aider via des prêts de nombreux pays fragiles sur le plan de la dette. Cela peut être problématique. Nous sommes obligés de lancer régulièrement des initiatives de suspension du service de la dette dans la mesure où les pays ne sont pas capables de rembourser. Cette politique de « stop and go » présente donc de sérieux inconvénients.
Le Gouvernement a remis au Parlement le rapport prévu par la loi du 4 août 2021 relatif à la taxe sur la transaction financière (TTF). J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'échanger avec la ministre, mais j'ai bien compris qu'il ne fallait pas s'attendre à des évolutions. Je rappelle qu'en 2023, la TTF devrait rapporter plus de 1,7 milliard d'euros, dont moins d'un tiers sera consacré à l'aide publique au développement, alors que c'était pourtant son objet !
Les frais d'écolage faussent l'appréciation du montant de notre aide. Les bourses et frais d'écolage représentent en effet près des trois quarts de l'aide à l'éducation déclarée par la France, ce qui pose un problème sur la réalité de l'aide en question.
S'agissant du criblage des bénéficiaires de l'aide, beaucoup d'ONG considèrent que le système actuel est trop difficile à gérer pour elles. Un débat est en cours sur le sujet, dans un contexte où des annonces récentes ont été faites concernant le Mali et le Burkina Faso. Marie-Arlette Carlotti s'est penchée sur cette question.
La loi du 4 août 2021 prévoit également une réunion annuelle du Cicid ; or force est de constater qu'il ne s'est pas réuni depuis 2021. La ministre nous a annoncé qu'il se réunirait prochainement, mais sans donner de précision. Le contrat d'objectif et de moyens 2023-2025 de l'AFD nous sera présenté seulement après, puisque son contenu sera en partie déterminé par les conclusions de ce Cicid. On peut donc s'attendre à des retards.
Concernant les biens mal acquis, les choses avancent ; la loi a reçu un début d'application s'agissant de deux affaires : l'une relative à la Guinée équatoriale, puisque des biens mal acquis ont été saisis et vendus, et que d'autres opérations sont en cours ; l'autre affaire concerne les biens - deux immeubles de bureaux et un haras situé dans le Val-d'Oise - de Rifaat el Assad, l'oncle de Bachar, qui vont être saisis et vendus.
Je souhaitais dire également que la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, qui a fait couler beaucoup d'encre entre les deux assemblées lors de l'examen de la loi, n'a toujours pas été créée dix-huit mois plus tard : là encore, c'est problématique.
Avant de conclure, j'indique que les couloirs du Sénat bruissent d'une rumeur selon laquelle un amendement visant à réduire l'APD pourrait être déposé par la commission des finances, mais nous n'avons pas été officiellement informés.
Malgré tous les manques évoqués, nous émettons un avis favorable à l'adoption des crédits de ces programmes.
M. Christian Cambon, président . - Je dois préciser que nous avons eu l'occasion, avec Hugues Saury, d'exprimer nos plus expresses réserves par rapport à l'initiative de certains membres de notre groupe à la commission des finances.
M. Joël Guerriau . - Que vouliez-vous dire en parlant des annonces sur le Burkina Faso et le Mali ?
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis . - Dans un premier temps, nous avons découvert dans la presse que la France allait suspendre son aide publique au développement au Mali, à cause des problèmes avec la junte au pouvoir, et peut-être aussi au Burkina Faso. Après quelques recherches, il s'avère en fait que ce n'est pas l'aide globale qui a été interrompue. Certaines aides seront maintenues, d'autres pas. Se pose alors la question du criblage : comment éviter que des aides n'aillent à des groupes djihadistes, terroristes, etc. ? Mais un tel mécanisme est très compliqué à gérer pour les ONG. Je déplore que ces décisions aient été prises sans consulter le Parlement. Je rappelle aussi que ces pays font partie des pays prioritaires pour l'aide au développement.
Mme Marie-Arlette Carlotti . - Nous avons beaucoup travaillé dans cette commission sur la loi du 4 août, nous l'avons portée et j'espère que les objectifs fixés seront maintenus.
Sur l'enfance en effet, on observe en effet une régression. J'avais posé une question au Gouvernement sur l'implication de la France dans la constitution d'états civils fiables et sur notre contribution au fonds créé par le groupe de travail pour l'agenda sur l'identité juridique de l'Organisation des Nations unies. Certains enfants ne sont pas enregistrés à la naissance ; ils n'ont donc pas d'existence juridique et sont ainsi vulnérables à toutes les agressions possibles. Jean-Yves Le Drian m'avait promis de vérifier, mais je n'ai jamais obtenu de réponse claire. On ne peut admettre qu'un enfant ne soit « personne » !
En ce qui concerne le criblage, de nombreuses collectivités territoriales se posent des questions. Une liste noire d'associations qu'il ne faudrait plus subventionner, au motif par exemple que leur président a tenu des propos contre la France, aurait été dressée. Mais cette liste n'a pas été publiée et nous ne la connaissons pas. Les collectivités qui ont des liens de coopération décentralisée avec le Mali s'interrogent pour savoir si elles doivent continuer ou non à soutenir telle ou telle association ; je leur réponds dans l'immédiat qu'il faut faire du cas par cas et ne pas casser les liens avec les associations qu'elles connaissent bien et qui peuvent porter la démocratie dans ce pays. Une grande confusion règne en tout cas, nous avons besoin de clarté.
M. Christian Cambon, président - De manière générale, je regrette le peu d'informations que nous avons sur l'aide au développement. J'ai appris par la presse que le Gouvernement avait affecté plus de 80 millions d'euros sur le budget de l'AFD à la Moldavie. Mais nous n'avons pas été consultés. Et, en dépit de toutes les promesses, la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, pour la création de laquelle nous nous sommes battus, n'est toujours pas en place.
M. Pierre Laurent . - Nous devons chercher à obtenir des explications sur la suspension de l'aide au Mali. Il semble que, de fait, une interdiction globale de financement des associations ait été décidée par le Gouvernement français, par le biais d'une méthode qui aboutit à stigmatiser les ONG. En retour, le gouvernement malien a interdit à ces ONG de travailler au Mali. Les projets de coopération décentralisée sont à l'arrêt. Sous prétexte de ne pas alimenter des organisations djihadistes, on risque, au contraire, de leur laisser un espace considérable sur le terrain. ! Le travail remarquable accompli par les ONG et les associations travaillant dans le cadre des projets de coopération décentralisée sera perdu. Il s'agit donc d'une décision inquiétante prise sans aucune transparence, brutalement, qui laisse tous les acteurs concernés désemparés. Nous devrions demander au Gouvernement des explications.
M. Christian Cambon, président . - Il serait utile d'interpeller le Gouvernement en séance à ce sujet.
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis . - Effectivement, il serait utile d'avoir des précisions, car le Gouvernement affirme que l'aide humanitaire est maintenue ; or les informations provenant de différents canaux africains disent que l'aide est stoppée.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Je souhaite apporter une simple précision. En réalité, l'aide à la Moldavie était prévue depuis longtemps : l'engagement avait été pris lors de la Conférence des donateurs de la plateforme de soutien à la Moldavie qui s'est tenue, à Berlin, le 5 avril 2022. La France s'est engagée à hauteur de 125 millions d'euros, dont 75 millions, par le biais de l'AFD.
Mme Michelle Gréaume . - Le budget de l'aide publique au développement augmentera l'année prochaine, ce dont nous pouvons nous réjouir. Les crédits du programme 110 relatif aux aides économiques sous forme de prêts progressent de 25,6 %, et ceux du programme 209, « Solidarité à l'égard des pays en développement », augmentent de 12,6 %. C'est à travers ces financements en matière d'aide bilatérale et d'aide multilatérale, notamment via l'aide humanitaire, que les dons et les actions concrètes sont rendus possibles.
Il existe toutefois un problème de transparence. En effet, le pilotage de l'APD est assuré tous les cinq ans par la réunion du Cicid qui fixe les grandes orientations en la matière. Ce comité exclut les organisations de la société civile, les ONG et même le Parlement. La Cour des comptes a alerté sur l'absence de transparence qui prévaut.
Nous déplorons un manque de vision à long terme, d'objectifs clairs, de stratégie globale. Les choix en matière d'orientations ou de zonage sont pris sans concertation. Enfin, le refus de déplafonner la TTF, qui a été créée à l'origine pour soutenir la solidarité internationale et rééquilibrer la finance mondiale, bénéficie aujourd'hui au budget général de l'État et au remboursement de la dette.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s'abstiendra.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 110, « Aide économique et financière au développement », et 209, « Solidarité à l'égard des pays en développement », de la mission « Aide publique au développement ».