COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DE MME STÉPHANIE CHERBONNIER,
CHEFFE DE L'OFFICE ANTI-STUPÉFIANTS (OFAST)

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MERCREDI 10 MAI 2023

M. François-Noël Buffet, président. - Nous accueillons Mme Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Office antistupéfiants (Ofast).

Madame, nous comptons sur vos éclairages pour mieux connaître l'état des trafics dans notre pays et pour appréhender leur évolution, car il s'agit d'un enjeu criminel majeur.

Nous souhaitons également bénéficier de votre expertise pour préparer l'examen, dès la semaine prochaine, du projet de loi visant à donner à la douane les moyens de lutter contre les nouvelles menaces et, quinze jours plus tard, des projets de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice et du projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire.

En effet, l'Ofast collabore étroitement avec l'administration des douanes pour la prévention et la répression du trafic de drogue. C'est une structure jeune, créée le 1er janvier 2020 en remplacement de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) et qui constitue, contrairement à son prédécesseur, un service à compétence nationale. L'Office est le chef de file du plan national de lutte contre les stupéfiants et, plus largement, de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Initialement doté d'une centaine d'agents, il s'appuie aujourd'hui sur environ 200 personnes au niveau central. Ses effectifs se composent à la fois de policiers, de gendarmes et de douaniers : ce mélange des cultures est le reflet de la feuille de route confiée à l'Office, dont la vocation première est de renforcer la coordination entre les services.

Mme Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Office antistupéfiants. - Avec la création récente de l'Ofast, dont l'objectif est de lutter contre la menace grandissante du trafic de stupéfiants, il s'agissait de remplacer l'OCRTIS, qui ne jouait plus son rôle de cohésion au sein du ministère de l'intérieur, par une structure plus interministérielle et ouverte aux niveau national et international. Cette structure centrale compte 24 implantations territoriales : 14 antennes et 10 détachements. Le détachement est de taille plus petite que l'antenne, laquelle a une dimension plus stratégique d'analyse de la menace et de lien avec les partenaires. Celui du Havre, créé en 2021, va devenir une antenne en raison de la menace qui pèse sur ce territoire, liée à l'arrivée massive de cocaïne via son port ; actuellement, 8 policiers relevant de l'Office sont sur place, ce qui est faible au vu des 10 tonnes de cocaïne arrivées en 2022.

L'Office est non plus un office central, mais un service à compétence nationale (SCN), comme la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) dont la forme juridique est similaire. Même si nos missions sont différentes, nous travaillons en partenariat avec cette dernière. En effet, le processus de lutte contre le trafic de stupéfiants englobe la détection et le contrôle des flux de marchandises, ainsi que le démantèlement des organisations criminelles. La mission confiée à l'Ofast est celle d'un « chef de filat » visant à coordonner les acteurs entre eux, en laissant à chacun la place qui est la sienne.

Nous avons publié récemment les chiffres des saisies de produits stupéfiants pour 2022, qui sont à un niveau historiquement élevé pour tous types de produits.

S'agissant du cannabis, tous services confondus - police, gendarmerie, douanes -, 130 tonnes de résine et d'herbe ont été saisies, en augmentation de 15 % par rapport à 2021. Pour l'essentiel, les saisies ont lieu dans des véhicules routiers. La résine arrive du Maroc et passe par l'Espagne avant d'arriver en France ou dans un autre pays européen. L'herbe est plutôt produite en Espagne. La cannabiculture reste marginale dans notre pays. La moitié des plants sont saisis outre-mer, en particulier en Polynésie française, grâce à la forte implication de la gendarmerie nationale.

Le sujet le plus préoccupant est la cocaïne, avec 27,7 tonnes saisies en 2022, contre 26,5 tonnes en 2021, année du premier dépassement des 20 tonnes. Aux Pays-Bas, plus de 110 tonnes ont été saisies à Anvers, et près de 47 tonnes sur le port de Rotterdam. Il s'agit d'une préoccupation très européenne. Une attention particulière est portée au Havre, premier port d'arrivée, et au port de Marseille.

Pour ce qui concerne l'héroïne, 1,4 tonne a été saisie en 2022, soit une augmentation de 8 % par rapport à 2021.

On observe une forte augmentation des saisies de drogues de synthèse, avec de nombreux nouveaux produits - 3-MMC, cocaïne rose, etc. -, prisés par un public jeune et consommés dans un cadre festif, et de grande nocivité.

Le trafic de cocaïne, qui pose aussi problème en termes de consommation, est le sujet d'aujourd'hui ; celui de demain sera les drogues de synthèse.

Nous faisons face à des organisations criminelles diversifiées, et notre mission est de démanteler les groupes français et les groupes étrangers implantés sur notre territoire. Nos cibles d'intérêt prioritaire, dont nous réactualisons chaque année la liste en lien avec nos partenaires - notamment la douane -, sont les gros trafiquants. Certains font l'objet de notices rouges d'Interpol ou de mandats d'arrêt internationaux. L'objectif est de les intercepter, généralement à l'étranger. Nous avons constaté, via le déchiffrement de messageries cryptées, que ces organisations étaient très connectées entre elles. La criminalité associée au trafic de stupéfiants est constituée de violences criminelles, d'homicides, de règlements de compte, d'enlèvements et séquestrations, de blanchiment et de corruption.

Le volet corruption est aujourd'hui central. C'est en effet la corruption dite, indûment, de basse intensité qui permet au trafic de prospérer - consultation d'un fichier par un policier, un douanier ou un gendarme ; destruction de scellés dans le greffe d'un tribunal, etc. La corruption peut être publique ou privée, et concerner nos institutions. Il convient donc de repenser le contrôle interne, nos méthodes de recrutement et de suivi des personnels. Il faut aussi veiller aux vulnérabilités des « travailleurs du port » : dockers, mais pas uniquement, d'autres professions sont ciblées par les organisations criminelles, comme celle des chauffeurs routiers. Pour sortir un container d'un port, il faut pouvoir y accéder - les badges sont contrôlés - et savoir le manipuler.

Cette approche globale permet d'englober tous les pans du trafic.

En ce qui concerne les moyens déployés, il faut avoir un regard non pas franco-français, mais européen, voire international, pour coopérer avec les zones de production et de rebond et les territoires refuges.

Au niveau national, nous avons accentué le partage de renseignements. Auparavant, chaque acteur conservait ses propres informations, pour réaliser de belles prises. L'objectif est désormais de monter des dossiers suffisamment structurés pour poursuivre au plan judiciaire. On a donc mis les acteurs autour de la table et défini une stratégie, formulée dans le plan national de lutte contre les stupéfiants du 17 septembre 2019, lequel est en cours de réécriture. Le partage de renseignements passe aussi par l'association de nouveaux acteurs, notamment les services de renseignement du premier cercle.

Au niveau international, nous développons deux types de coopération.

Il s'agit, d'une part, d'une coopération bilatérale classique, notamment avec la Colombie et le Panama, des pays qui nous aident dans nos démarches, et avec les Émirats arabes unis - nombre de nos cibles prioritaires ont trouvé refuge à Dubaï. Il convient de construire et de développer dans le temps ces relations.

Il s'agit, d'autre part, de coopération multilatérale. Au niveau européen, notre partenariat avec Europol, l'agence européenne de police criminelle, est central, notamment pour le déchiffrement des messageries cryptées. Nous entretenons aussi des rapports privilégiés avec les Pays-Bas, la Belgique, l'Espagne, l'Allemagne et l'Italie, pays avec lesquels nous partageons des renseignements sur les grands ports européens, qui sont tous concernés par l'importation de cocaïne.

Ces dernières années, nous avons pu constater l'inventivité et la puissance financière des organisations criminelles.

Leur inventivité permet à celles qui sont atteintes - et non pas démantelées -, du fait de saisies importantes et d'arrestations, de trouver des moyens de contournement pour importer les produits. De simples sacs de sport déposés dans des containers, nous sommes passés à des produits qui polluent directement des marchandises - des bananes, par exemple - ou les systèmes de refroidissement des containers, ou encore à la dissimulation, indétectable, de cocaïne dans du sucre, du café ou du charbon, et à la cocaïne liquide. Les organisations envoient ensuite sur le territoire des chimistes capables d'isoler les stupéfiants des produits contaminés. De ce point de vue, la coopération avec nos partenaires est essentielle. Le déchiffrement des messageries cryptées est un moyen important pour contrecarrer les organisations criminelles, dont les membres n'échangent plus par téléphone. Ces organisations comportent désormais des équipes spécialisées soit dans les séquestrations, soit dans les meurtres, soit dans la distribution. La France n'est pas épargnée par ces activités.

L'angle financier est primordial pour lutter contre les trafics. La perte de produits, par exemple à la suite d'une saisie, figure parmi les risques intégrés pas les organisations criminelles. Les saisies d'avoirs financiers ont davantage d'effets et sont en forte croissance : plus de 111 millions d'euros en 2022, en augmentation de 12 % par rapport à 2021, ce qui représente 13 % du montant global des saisies réalisées en matière d'avoirs criminels. Nous avons des marges de progression en la matière.

J'en viens aux moyens dont dispose l'Ofast.

Au 1er mars 2023, l'Office employait 191 personnels, contre 230 annoncés initialement. Fin 2023, il comptera plus de 230 agents. L'augmentation a été moins rapide que prévue mais il me semble préférable d'avoir des recrutements échelonnés. Mon adjoint est un magistrat de l'ordre judiciaire, détaché dans un emploi de contrôleur général. Notre équipe comprend une forte proportion de policiers, mais aussi 30 gendarmes et 7 douaniers. Le pôle opérationnel est dirigé par un commissaire divisionnaire, le pôle renseignement par un colonel de gendarmerie et le pôle stratégie par un administrateur des douanes. Il s'agit d'une structure intégrée, ce qui est important en termes de définition de la stratégie et d'association de chaque administration.

M. Alain Richard, rapporteur. - Nous allons modifier assez substantiellement le code des douanes : son article principal, qui définissait de façon très large les pouvoirs d'investigation de la douane a été déclaré son conforme à la Constitution. Nous allons le remplacer, si le projet de loi visant à donner les moyens de faire face aux nouvelles menaces est adopté, par une série d'articles qui redéfinissent les pouvoirs d'investigation de la douane, en les encadrant dans le sens du respect des libertés individuelles et en prévoyant le plus souvent l'intervention d'un magistrat. Ces mesures nouvelles vous posent-elles un problème en termes d'efficacité des enquêtes douanières ?

Mme Agnès Canayer. - Élue du Havre, je constate que la lutte contre le trafic de stupéfiants est un enjeu non seulement à l'échelle des ports ou en termes de criminalité, mais aussi pour l'ensemble des populations locales, compte tenu des ramifications de cette activité dans les villes portuaires.

L'augmentation des saisies de cocaïne est-elle due à la meilleure efficacité des services ou à une croissance du trafic de stupéfiants ? En dehors des moyens humains, l'Ofast a-t-il d'autres besoins pour remplir sa mission ? Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, qui réforme notamment l'autorisation des perquisitions de nuit, aura-t-il un impact sur l'activité de l'Office ?

Mme Dominique Vérien. - Le Premier ministre des Pays-Bas a récemment été menacé. Un tel risque est-il envisageable en France ? Quelles sont vos forces en Guyane ? Y a-t-il un danger de contagion des méthodes des trafiquants brésiliens ?

M. Jean-Yves Leconte. - La dépénalisation partielle de certains produits, dont le cannabis, a fait l'objet de débats et a été expérimentée dans plusieurs pays. Par ailleurs, on le voit notamment dans certains États d'Amérique latine, en se développant les trafics grignotent l'État de droit, puis l'État tout court.

Compte tenu de la situation géopolitique, quelles interfaces observez-vous entre les territoires où la consommation est légale et ceux où elle ne l'est pas ? Quelles sont les conséquences du retrait de la France du Sahel, notamment en termes de renseignement ? Comment gérez-vous les contraintes européennes dans le domaine de l'accès aux données de connexion ?

M. Jérôme Durain. - L'attractivité des métiers de la police est en berne ; on parle même d'une crise des vocations. Qu'en est-il pour l'Ofast ? Quels sont vos besoins concrets en matière de déchiffrement, de captation judiciaire et de mise à niveau technologique ? Comment les filières du trafic s'adaptent-elles aux processus de légalisation, notamment ceux lancés aux États-Unis et au Canada ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Lors d'un déplacement de plusieurs membres de notre commission aux Antilles, et à l'occasion de notre rencontre avec des agents de l'Ofast de Saint-Martin et de la Guadeloupe, nous avons été effarés par l'absence de moyens matériels dont ils disposent, ce qui fait de ces îles des passoires. Par ailleurs, leur vie est très particulière puisque tout le monde les connaît... Entourées d'îles qui ne sont pas françaises - la Dominique, Sainte-Lucie, Antigua -, les îles françaises sont le point d'entrée en Europe de la drogue, mais ces agents n'ont pas les moyens de contrôler les côtes. Quelles solutions pourraient-elles être trouvées ?

Mme Valérie Boyer. - Peut-on parler de narco-quartiers en France, et si oui, où se trouvent-ils ?

Le ministre de l'intérieur a déclaré qu'il existait un lien entre les trafics de drogue et les mineurs isolés. Le constatez-vous ? Travaillez-vous avec les collectivités locales sur ces questions ?

Mme Brigitte Lherbier. - Lorsque j'étais universitaire, la police culpabilisait les enseignants en leur disant que les étudiants étaient responsables du développement des trafics sur le campus... Échangez-vous avec des médecins, des personnels hospitaliers, ou des enseignants qui connaissent ces problèmes et veulent protéger la santé de leurs élèves ? Sont-ils des acteurs de votre réseau de renseignement ?

M. Christophe-André Frassa. - Dubaï a été épinglé dans un article de L'Obs du 20 avril dernier comme étant le paradis des trafiquants français. Quel a été l'élément déclencheur de sa coopération avec l'Ofast, alors que c'était un havre de paix pour les narcotrafiquants français et européens ?

Mme Marie Mercier. - Qu'en est-il du captagon, appelée aussi la drogue des terroristes ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - La police d'Île-de-France n'hésite pas à qualifier le Maroc de narco-État. On n'en parle pas assez.

Notre pays est inondé de ces produits et les prix ont beaucoup baissé ces dernières années. Avons-nous une politique de prévention digne de ce nom ? Les psychiatres nous ont alertés à cet égard. L'usage de drogue a des conséquences psychologiques sur la jeunesse, et notamment une dépendance rapide. C'est un sujet de société qui n'est pas abordé comme tel.

La France ne suit-elle pas la même voie que certains pays d'Amérique du Sud ? Le trafic pose en effet des problèmes de sécurité et perturbe la vie quotidienne des habitants de certains quartiers. Cette économie parallèle concerne l'ensemble du territoire. Quelle est votre analyse de cette dérive ?

M. François-Noël Buffet, président. - Disposez-vous de moyens juridiques suffisants pour mener à bien votre mission ? Faudrait-il améliorer cet arsenal ? Sur quel point pourrait-on avancer ?

Mme Stéphanie Cherbonnier. - Première question : la réforme du code des douanes et les nouvelles dispositions que vous examinerez.

Il convient de veiller à ne pas casser, via l'autonomisation des acteurs, le chef de filat de l'Ofast et le dispositif de partage de renseignements. Mais la modification de l'article 60 du code des douanes n'aura pas pour conséquence de mettre fin aux contrôles par la douane. Par ailleurs, des dispositions européennes s'appliquent à toutes les forces de sécurité.

Quant aux nouveaux pouvoirs conférés à la DNRED, liés aux techniques spéciales d'enquête - sonorisation, captation d'images -, leur mise en place ne doit pas empêcher que les différents acteurs se parlent entre eux ; à défaut, la judiciarisation risque d'intervenir trop tardivement. Prenons l'exemple d'un container pollué par un produit : le renseignement doit être partagé par les services le plus tôt possible, sans qu'aucun ne le capte en vue de se l'approprier. Le projet de loi prévoyant de donner à la douane des pouvoirs qui sont actuellement réservés à des services agissant sous le contrôle d'un magistrat instructeur ou du parquet, il faut trouver le juste équilibre entre l'action de la douane et celle des services judiciaires. C'est la seule limite que j'identifie dans le nouveau dispositif. Ces affaires ne doivent pas aboutir dans n'importe quel parquet. Les dossiers d'envergure d'importation de cocaïne doivent rester sous l'autorité de l'une des huit juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) que compte notre pays, voire de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) lorsqu'ils sont particulièrement complexes, et doivent faire l'objet d'un suivi quasi centralisé. Mieux vaudrait favoriser la coordination des acteurs, en associant davantage la douane durant la phase judiciaire.

Pour résumer, il faut, d'une part, veiller à ne pas judiciariser trop tard et, d'autre part, permettre le contrôle plein et entier de l'autorité judiciaire sur l'action d'agents non soumis aux mêmes contraintes que les officiers de police judiciaire (OPJ).

Deuxième question : les enjeux portuaires.

L'augmentation des saisies est certes liée à un meilleur partage des renseignements entre la douane et les forces de sécurité intérieure, mais force est aussi de constater que le volume des produits qui entrent sur notre territoire et chez nos voisins européens connaît une croissance majeure. Sur le plan judiciaire, l'arsenal est complet. Nous agissons systématiquement dans le cadre de l'article 706-73 du code de procédure pénale. La faille de la procédure judiciaire, c'est que l'on y détaille l'ensemble de nos actions - ce que l'on fait, comment et quand : les organisations criminelles ont donc accès, via leurs avocats, à l'intégralité de nos méthodes de travail.

Dans le domaine des stupéfiants, les infiltrations sont très compliquées à mettre en oeuvre parce que l'ensemble de la procédure est soumise au principe du contradictoire et que les risques encourus par les agents infiltrés sont très grands. Même si ces mesures figurent dans l'arsenal juridique français, on préfère souvent ne pas les utiliser. En Belgique, il est possible d'écarter certains éléments - les « dossiers distincts » - de la procédure contradictoire ; bien sûr, il y a toujours un contrôle du juge. Monsieur le Président vous parliez des évolutions législatives souhaitables, c'est un point auquel il faudrait réfléchir.

L'Ofast appartient au second cercle des services de renseignement. Si nous travaillons avec ceux du premier cercle, nous ne disposons pas de tous les pouvoirs de ces derniers. Par exemple, nous ne pouvons pas procéder à la captation de messages échangés sur des téléphones par satellite Iridium.

Troisième question : les menaces qui pèsent sur les Pays-Bas.

Aux Pays-Bas, la prise de conscience en matière de stupéfiants a eu lieu du fait de l'existence d'un réseau criminel qui a émis des menaces à l'encontre des représentants des institutions ; la Belgique connaît la même situation. En France, nous devons donc être vigilants : c'est l'un des éléments de l'approche globale que nous devons avoir. J'ai incité tous les OPJ de l'Ofast à agir sous anonymat, comme le permet la loi au travers du référentiel des identités et de l'organisation (RIO), car il faut anticiper ce type de menaces - je rappelle qu'il y a dans notre pays des meurtres de policiers à leur domicile.

Quatrième question : l'action à la frontière guyanaise.

Au sujet de la Guyane, il faut évoquer deux points : l'activité des passeurs et le trafic au départ du port de Dégrad-des-Cannes. Une antenne de l'Ofast est implantée dans ce territoire, qui comptera 20 équivalents temps plein (ETP) en septembre 2023. Un attaché de sécurité intérieure a été nommé au Surinam. Les moyens de contrôle ont été renforcés à tous les niveaux, de Saint-Laurent-du-Maroni jusqu'à l'aéroport de Cayenne-Félix-Éboué.

Cinquième question : les méthodes « brésiliennes ».

Ces méthodes pourraient être dites tout autant « colombiennes » ou « mexicaines », et il s'agit bien, madame Vérien, de violences criminelles qu'il convient de ne surtout pas ignorer.

Sixième question : la dépénalisation partielle du cannabis.

Nous devons être prudents en la matière : la légalisation ne conduirait pas à la fin des trafics, les consommateurs recherchant un niveau de toxicité très élevé qui ne sera pas proposé dans le cadre de ventes autorisées.

Septième question : les conséquences du désengagement au Sahel.

Il n'a pas eu d'impact immédiat sur notre connaissance du trafic. Nous examinons attentivement les arrivées de cocaïne en provenance d'Afrique de l'Ouest, le Golfe de Guinée étant très impacté : c'est la route la plus courte, avec celle en provenance du Brésil. Nous avons des partenariats avec la marine sénégalaise et avec le centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (MAOC-N), agence internationale basée à Lisbonne. La marine française réalise également de nombreuses interceptions. Sur ces nouvelles routes du trafic, qui sont identifiées, nous travaillons aussi avec les services de renseignement du premier cercle.

Huitième question : les contraintes européennes dans le domaine des données de connexion.

Elles n'ont pas de conséquences, pour l'instant, sur notre activité opérationnelle, mais nous avons des inquiétudes, notamment sur la limitation de la conservation des données de connexion. Nous avons en effet besoin d'accéder à ces données, d'opérer des captations judiciaires et de déchiffrer les messageries cryptées, car ces outils nous permettent de conduire nos investigations.

Neuvième question : les conséquences de la réforme de la police nationale et l'attractivité de l'Ofast.

L'Ofast a fait l'objet d'une certaine publicité et emploie une équipe jeune, ce qui le rend attractif. Par ailleurs, qui dit nouveaux modes d'investigation dit nouveaux profils. Nous recrutons beaucoup de contractuels, à l'instar de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), pour travailler sur des sujets techniques et d'analyse que nous ne maîtrisons pas complètement. L'attractivité est aussi liée au large panel de métiers proposés.

Dixième question : le déplacement de votre commission aux Antilles.

L'Ofast a une antenne Caraïbes implantée à Fort-de-France et deux détachements, l'un en Guadeloupe et l'autre à Saint-Martin. Je ferai le point avec le chef de l'antenne sur l'éventuel manque de moyens, sachant que le contrôle aux frontières ne relève pas de ces agents. Pour ce qui concerne le partenariat avec les îles voisines, nous avons depuis un an à Sainte-Lucie une unité permanente de renseignement au sein de laquelle des enquêteurs français travaillent avec les autorités locales en vue de partager du renseignement. Nous souhaitons faire de même avec la Dominique. Pourquoi pas avec Antigua ? Les îles ne peuvent rester isolées et doivent se connecter avec leurs voisines ainsi qu'avec les grandes agences étrangères qui rayonnent sur la zone - la DEA (Drug Enforcement Administration) et la NCA (National Crime Agency). Nous ne voulons pas laisser ces dossiers à la seule main des autorités territoriales ; nous déployons donc une stratégie nationale dans ces territoires.

Onzième question : les narco-quartiers.

On a tendance à qualifier de « narco » bien des sujets... Aujourd'hui, la drogue se diffuse partout, en zones urbaines, périurbaines et même rurales. Aucun territoire n'est épargné. Une cartographie des points de deal a été mise en place en 2021. Cela permet ensuite de savoir quelles sont les forces en présence et quelle action concrète on y conduit, à court ou plus long terme dans le cadre d'une enquête judiciaire.

Douzième question : les mineurs isolés.

Quelques phénomènes ont été identifiés. Les groupes criminels disposent d'une manne, en termes de ressources humaines, très étendue et vont chercher dans divers départements y compris des départements autres que celui du point de deal des « charbonneurs », des revendeurs, des « chouffeurs », des transporteurs, des équipes pour les enlèvements-séquestrations. On constate une hyperspécialisation de l'organisation et une déterritorialisation des emplois. Les mineurs isolés sont évidemment recrutés, comme d'autres populations en situation de précarité. En Guyane, parmi les passeurs interceptés, les « mules », la moitié est composée de Guyanais et l'autre moitié d'étrangers. Pour 2 000 ou 3 000 euros, ils acceptent de traverser l'Atlantique avec des produits stupéfiants dans le corps ou dans des valises, en courant un risque pénal et sanitaire très grave. Une mère de famille, ayant deux enfants mineurs, transportant in corpore des produits stupéfiants, cela pose tout de même question... C'est de l'exploitation de la vulnérabilité sociale.

Treizième question : nos liens avec les collectivités locales.

Nous avons mis en place dans chaque département des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), qui réunissent tous les acteurs chargés de la lutte contre les trafics et mettent en place des partenariats avec, entre autres, des bailleurs sociaux et des municipalités : il y a donc un lien avec les territoires.

Quatorzième question : l'approche de santé publique vis-à-vis des jeunes.

En matière de stupéfiants, l'approche doit être double, répressive certes, mais avant tout préventive. Nous travaillons ainsi avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), organisme placé sous l'autorité du Premier ministre et présidé par un médecin, Nicolas Prisse, qui a mis en place un plan triennal de lutte contre les addictions auquel est intégré le plan national de lutte contre les stupéfiants, dit « plan stup' ».

Quinzième question : la coopération avec les Émirats arabes unis.

Si l'on veut mettre en place une coopération internationale, encore faut-il en faire la demande auprès du pays avec lequel on souhaite travailler, et se déplacer pour comprendre ses contraintes. C'est ce que nous avons fait avec ce pays et des réussites opérationnelles s'en sont suivies. Nous avons établi un partenariat avec des services émiratis et avons accueilli dans nos services, en immersion, des policiers de Dubaï, ce qui a créé un cercle vertueux. Mon travail est d'entretenir cette relation, comme toute coopération en la matière.

Les autorités dubaïotes ont compris que se trouvaient sur leur territoire non seulement des trafiquants de stupéfiants, mais aussi, potentiellement, des tueurs, d'où leur volonté de coopérer avec l'Ofast.

Seizième question : le captagon.

Ce produit n'a pas été saisi sur le territoire français, mais il a fait l'objet de travaux relatifs au financement du terrorisme et à la piraterie. Nos attachés de sécurité intérieure suivent ce dossier dans les zones concernées. Des saisies importantes ont été effectuées en Espagne assez récemment.

Dernière question : le cannabis en provenance du Maroc.

Ce sujet devra faire l'objet d'une réflexion dépassant l'approche répressive en lien avec la santé publique, comme je l'ai évoqué précédemment

M. François-Noël Buffet, président. - Nous vous remercions pour vos explications détaillées et la précision des informations que vous nous avez données. Aux Antilles, dans le cadre de la mission évoquée par Mme Marie-Pierre de La Gontrie, nous avons été interpellés au sujet de ce trafic. Par ailleurs, j'ai récemment assisté à une saisie au Havre par des agents dont les conditions d'enquête sont difficiles, mais qui font un travail éminemment stratégique.