EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Détermination du rayon des douanes

L'article 8 détermine la partie terrestre de la zone géographique dite « rayon des douanes » au sein de laquelle les agents des douanes disposent de prérogatives de contrôle étendues.

Il prévoit de nouveaux critères de définition plus restrictifs et conformes à la décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022.

La commission propose d'adopter cet article sans modification.

1. Une zone terrestre actuellement très étendue

Le rayon des douanes, défini à l'article 44 du code des douanes, est constitué de deux composantes, l'une maritime et l'autre terrestre. La zone maritime est comprise entre le littoral et une limite extérieure située en mer à 12 milles marins mesurés à partir des lignes de base de la mer territoriale. La zone terrestre est elle-même constituée de deux parties, l'une calculée à partir du littoral sur les frontières maritimes, l'autre à partir des frontières terrestres, l'ensemble constituant un périmètre autour du territoire.

La lettre de l'article 44 fixe par principe à 20 kilomètres la largeur de la zone constituant le rayon des douanes tant du côté du littoral que de celui des frontières terrestres.

Cette zone est cependant actuellement beaucoup plus étendue pour deux raisons. Du côté du littoral, la zone comporte également un rayon de 20 kilomètres autour du dernier bureau de douane situé en amont. Surtout, l'article 44 ouvre la possibilité de porter, « pour faciliter la répression de la fraude, la profondeur de la zone terrestre (...) jusqu'à 60 kilomètres par des arrêtés du ministre de l'économie et des finances ». Un arrêté unique a procédé à cette extension pour le territoire métropolitain il y a 54 ans1(*).

2. Une zone désormais définie uniquement par voie législative

La censure de l'article 60 du code des douanes par le Conseil constitutionnel a eu notamment pour conséquence de remettre en question les fondements de l'intervention des services des douanes dans le rayon douanier et les modalités de détermination de ce dernier.

Or, dans sa décision n° 93-323 du 5 août 1993, Loi relative aux contrôles et vérifications d'identité, le Conseil constitutionnel a censuré un dispositif conçu sur le modèle de l'article 44 du code des douanes au motif suivant : « en ménageant la possibilité de porter la limite de la zone frontalière concernée au-delà de vingt kilomètres, le législateur a apporté en l'absence de justifications appropriées tirées d'impératifs constants et particuliers de la sécurité publique et compte tenu des moyens de contrôle dont par ailleurs l'autorité publique dispose de façon générale, des atteintes excessives à la liberté individuelle ; que, de surcroît, le législateur a méconnu sa compétence en déléguant au pouvoir réglementaire le soin de fixer cette extension ».

Le Conseil a dès lors conclu que : « doivent être déclarés contraires à la Constitution les mots suivants « cette ligne pouvant être portée, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, jusqu'à 40 kilomètres par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre de la justice » et les mots « conjoint des deux ministres susvisés » qui en sont inséparables ».

Au regard des critères ainsi dégagés, l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article 44 du code des douanes ne fait guère de doute. L'article premier entend y remédier de deux manières : d'une part en limitant l'extension de la zone à 40 kilomètres de manière uniforme et sans exceptions tant à partir du littoral que de la frontière terrestre. La largeur retenue apparaît comme une moyenne établie entre les 20 kilomètres initialement prévus par l'article 44 et les 60 kilomètres possibles. D'autre part, l'article supprime la possibilité d'extension de la zone terrestre par arrêté ministériel. Il en résulte que seule la loi pourrait modifier à l'avenir le rayon douanier.

3. La position de la commission : une évolution juridique satisfaisante

L'article premier permet de garantir la constitutionnalité du rayon douanier et garantit donc l'existence de la zone géographique où les agents des douanes peuvent exercer la plus grande étendue de leurs prérogatives en matière de visite.

Il est possible de s'interroger sur la largeur de 40 kilomètres retenue, la largeur de la zone où les contrôles d'identité sont possibles pour la lutte contre la criminalité transfrontière étant pour sa part limitée à 20 kilomètres. La largeur retenue, qui est restreinte par rapport à celle actuellement en vigueur, ne paraît cependant pas disproportionnée au regard de l'objectif de mise en oeuvre de la législation douanière.

La commission des lois a donc estimé que l'article 1er pouvait être adopté sans modification.

La commission demande à la commission des finances, compétente au fond, d'adopter l'article 1er sans modification.

Article 2
Mise en conformité du droit de visite douanière

L'article 2 constitue l'objet premier du projet de loi. Il découle directement de l'obligation posée par la décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022 de définir, avant le 1er septembre 2023, un nouveau régime pour la visite douanière telle qu'elle est prévue à l'article 60 du code des douanes.

Afin de répondre aux critiques formulées par la Conseil constitutionnel, cet article entend remplacer l'article 60 par 11 articles présentant une gradation dans les pouvoirs des agents des douanes en matière de visite, en fonction du lieu et des motifs et adaptant en conséquence le contrôle exercé par le juge et les garanties offertes aux personnes contrôlées.

La commission propose d'adopter cet article sous réserve de plusieurs modifications tendant à clarifier et à renforcer les garanties prévues dans le cadre de la visite douanière.

1. Un droit de visite douanier censuré en raison de l'absence d'encadrement légal adéquat

Issu de la refonte du code des douanes en 1948, l'article 60 autorise les agents des douanes à procéder à la visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes. Ses dispositions permettent, comme l'indique la décision n° 2022-1010 QPC, « en toutes circonstances, à tout agent des douanes de procéder à ces opérations pour la recherche de toute infraction douanière, sur l'ensemble du territoire douanier et à l'encontre de toute personne se trouvant sur la voie publique ».

Saisi par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'absence de contrôle de l'autorité judiciaire du droit de visite, le Conseil constitutionnel, sans répondre à ce moyen, a censuré cet article. Cette censure n'avait pas été anticipée par les services ni par la doctrine en raison des encadrements jurisprudentiels progressivement mis en place, singulièrement par la chambre criminelle de la Cour de cassation. D'autres considérations pouvaient plaider pour le caractère exorbitant des dispositions de l'article 60, notamment le fait que la compétence des douanes porte sur le contrôle des marchandises et non des personnes. En pratique cependant, les marchandises ne circulent pas sans détenteurs, lesquels sont soumis aux visites douanières, limitant ainsi leur liberté d'aller et venir et portant atteinte à leur vie privée. Ces limites et atteintes doivent être mises au regard de l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions, qui justifie que les agents des douanes puissent procéder à la fouille des marchandises, des véhicules ou des personnes.

Dans sa décision, le Conseil a estimé qu'« en ne précisant pas suffisamment le cadre applicable à la conduite de ces opérations, tenant compte par exemple des lieux où elles sont réalisées ou de l'existence de raisons plausibles de soupçonner la commission d'une infraction, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d'une part, la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir et le droit au respect de la vie privée ».

Par conséquent, et sans que le Conseil ait eu besoin d'examiner les autres griefs, les dispositions contestées ont été déclarées contraires à la Constitution. Il a reporté les effets de cette censure au 1er septembre 2023.

2. Une réponse à la censure constitutionnelle fondée sur un rapprochement avec le droit commun

L'article se compose de deux parties.

Le I. de l'article propose de remplacer l'actuel article 60 du code des douanes par onze articles. Ils entendent répondre à la censure constitutionnelle en restant au plus près de la décision et en alignant la procédure de visite douanière sur celle des contrôles d'identité telle que prévue par le code de procédure pénale.

Suivant la lettre de la décision du Conseil constitutionnel, ces articles fondent le pouvoir de visite douanier sur deux critères, l'un lié aux lieux, l'autre aux raisons particulières de la visite.

L'article 60 nouveau prévoit la possibilité pour les agents des douanes de « procéder à la visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes » et en fixe les finalités, qui sont la mise en oeuvre :

- de la législation douanière, y compris la recherche de la fraude ;

- du règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013 établissant le code des douanes de l'Union et de ses règlements d'application ;

- du règlement (UE) n° 2018/1672 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 relatif aux contrôles de l'argent liquide entrant dans l'Union ou sortant de l'Union et abrogeant le règlement (CE) n° 1889/2005 ;

- des dispositions du chapitre II du titre V du livre Ier du code monétaire et financier, relatif aux obligations et déclaration dans les relations financières avec l'étranger.

Il soumet l'exercice de la visite au respect des modalités fixées aux articles 60-1 à 60-10.

L'article 60-1 fixe les conditions dans lesquelles les prérogatives des agents des douanes sont les plus étendues. Il leur ouvre en effet la faculté de procéder, à toute heure, à la visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes se trouvant ou circulant dans des zones et lieux qu'il détermine. Ces espaces précisément définis dans leur nature et leur étendue, sont ceux qui, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, présentent des risques particuliers d'infractions douanières et d'atteintes à l'ordre public liés à la circulation internationale des personnes. Il s'agit tout d'abord du rayon douanier, défini à l'article 44 du code des douanes et des bureaux des douanes. Sont également visés les lieux liés au trafic international : ports, aéroports, gares ferroviaires et routières, et leurs abords immédiats.

En plus de cette zone et de ces lieux sont visées les aires de stationnement autoroutières jusqu'au premier péage en dehors du rayon douanier et les gares ferroviaires situées entre la frontière et la première gare située hors du rayon douanier. S'agissant des gares situées sur les lignes à grande vitesse, une extension par arrêté du ministre en charge est possible, pour étendre la zone de visite dans la limite de cinquante kilomètres.

Les articles 60-2 et 60-3 fondent pour leur part le droit de visite sur des motifs particuliers.

L'article 60-2 prévoit la possibilité de visite à toute heure, sur la voie publique, dans les lieux attenants aux axes de circulation directement ouverts au public ainsi que dans les gares et aéroports non ouverts au trafic international, lorsque les agents disposent de raisons plausibles de soupçonner la commission d'une infraction douanière ou relative aux obligations et déclarations dans les relations financières avec l'étranger.

L'article 60-3 fixe les conditions permettant la recherche de certaines infractions, en l'absence même de soupçon. Le fondement est ici la particulière gravité des infractions limitativement énumérées par l'article : circulation irrégulière de stupéfiants, armes, contrefaçons, blanchiment douanier, notamment. Ces prérogatives sont soumises a priori à l'information du procureur de République, qui dispose de la faculté de s'y opposer et, a posteriori, à la demande de la personne concernée ou si les opérations de visite ont été conduites en son absence, à la rédaction d'un procès-verbal, également transmis au procureur.

L'article 60-4 fixe les conditions d'accès aux lieux où sont détenues les marchandises soumises à la surveillance douanière au sens du code des douanes de l'Union européenne. Ces visites, limitées aux locaux professionnels, sont autorisées pendant les horaires légaux des perquisitions mais aussi pendant les horaires d'ouverture au public et lorsqu'une activité est en cours impliquant la production, fabrication ou manipulation des marchandises.

L'article 60-5 pose une double limite aux opérations de visite conduites dans une zone donnée, ainsi par exemple lors des opérations de contrôle conduites le long d'un même secteur routier, par exemple. Celles-ci ne peuvent être conduites plus de douze heures consécutives et ne peuvent porter sur l'ensemble des personnes présentes ou circulant dans la zone. Ces limitations ne s'appliquent pas aux bureaux des douanes, qui sont susceptibles de rester ouverts en continu.

L'article 60-6 précise les actes auxquels peuvent procéder les agents des douanes lors des visites des personnes. Il est interdit de procéder aux fouilles à corps, notion définie par la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel comme impliquant le déshabillage. Le consentement écrit des personnes est nécessaire pour procéder à des épreuves de dépistage de stupéfiants. Le principe de respect de la dignité des personnes est réaffirmé, ce qui doit notamment conduire à procéder à ces visites hors du regard du public.

L'article 60-7 reprend la jurisprudence de la Cour de Cassation pour prévoir explicitement que l'immobilisation des marchandises et des personnes n'est possible que pendant la durée des opérations matérielles de visite. Il prévoit la possibilité pour les agents de prendre les mesures nécessaires pour la préservation des marchandises et la sécurité des personnes.

Est également prévue la possibilité de transférer les marchandises dans un lieu permettant la visite ou des examens approfondis lorsque ces derniers ne sont pas possibles sur place. En ce cas, le procureur de la République doit être informé des opérations de visite à l'issue d'un délai de quatre heures.

L'article 60-8 précise que les personnes concernées doivent être présentes lors des opérations de visite. S'agissant de la visite des locaux, un représentant peut être présent à la place de la personne concernée. En leur absence, une personne extérieure peut être requise par les agents des douanes. Il s'agit là d'une contrainte moindre que pour les perquisitions pour lesquelles deux témoins doivent être requis. Les nécessités opérationnelles liées aux visites douanières permettent cependant de justifier ce choix.

Pour la visite des moyens de transport ne constituant pas, au moment de la viste, une résidence2(*), la présence du conducteur, du propriétaire ou d'un tiers requis par l'autorité administrative est également nécessaire. Toutefois, la présence d'un tiers n'est pas requise en cas de risques graves pour les personnes ou les biens. Si la visite du véhicule se déroule en l'absence du conducteur ou du propriétaire, un procès-verbal est établi.

Pour la visite des bagages les opérations de visite sont conduites en présence de leur détenteur ou d'un tiers.

Enfin l'article 60-8 renvoi à l'article 189 du code des douanes de l'Union européenne pour les conditions de présence du déclarant lors de l'examen des marchandises ou des prélèvements d'échantillons réalisés en application de cet article.

L'article 60-9 précise les conditions dans lesquelles une personne peut être entendue par les agents des douanes. Il précise qu'ils ne peuvent recueillir des déclarations qu'en vue de la reconnaissance des objets découverts lors de la visite. Il interdit par ailleurs d'entendre une personne faisant l'objet d'une mesure de contrainte sous le régime de l'audition libre.

L'article 60-10 reprend une formule générique figurant également dans le code de procédure pénale afin de préciser que la découverte d'infractions autres que celles mentionnées aux articles 60-1 à 60-4 ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.

Le II. de l'article prévoit les coordinations nécessaires pour permettre l'application des dispositions relatives à la visite douanière dans le cadre de la vérification des règlementations non douanières qui incombent aux agents des douanes.

3. La position de la commission : un dispositif équilibré auquel des précisions doivent être apportées

Le dispositif proposé par l'article 2 pour réformer la visite douanière permet de répondre aux critiques formulées par le Conseil constitutionnel et de rendre plus accessibles des dispositions dont l'intelligibilité est nécessaire pour garantir le droit des personnes.

La commission des lois considère que, tout en garantissant la constitutionnalité de la visite douanière, le dispositif retenu préserve les spécificités opérationnelles de la douane et donc sa capacité de lutte contre les fraudes et les trafics, au premier rang desquels le trafic de stupéfiants.

Elle a néanmoins estimé utile d'apporter divers clarifications et précisions. À l'initiative du rapporteur, elle a donc adopté les amendements :

COM-27 précisant que l'arrêt déterminant les gares intérieures situées sur les lignes ferroviaires internationales entre lesquelles les visites douanières sont possibles doit être pris par le ministre en charge des douanes avec le ministre en charge des transports,

COM-30 précisant que les opérations de visite ne peuvent durer plus de douze heures consécutives sur un même lieu ou dans une même zone et que le contrôle ne peut porter que sur une fraction limitée du public présent, en dehors des personnes dont le comportement les signale à l'attention des agents,

COM-33 précisant le contenu des opérations matérielles de visite a été détaillé afin d'inclure la rédaction des procès-verbaux et le régime de l'audition libre clarifié,

COM-32 prévoyant que les fouilles individuelles sont conduites à l'abri des regards du public sauf impossibilité matérielle, afin de préserver le respect de la dignité des personnes, mais également de la sécurité des opérations, la commission ;

COM-34 précisant les conditions d'information du procureur de la République en cas de transfert d'une personne ou de marchandises pour les opérations de visite.

La commission a par ailleurs estimé que la définition d'un rayon de dix kilomètres autour des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières était plus précise quel la référence aux « abords » de ces lieux (COM-19 de M. Leconte) et que l'amplitude horaire des visites douanières dans les lieux privés pouvait être alignée sur celle prévue pour les perquisitions et étendue de 6 heures à 21 heures (COM-7 de M. Reichardt).

Elle a également adopté à l'initiative du rapporteurs les amendements rédactionnels et de clarification COM-26, COM-65, COM-28, COM-29, COM-31, COM-35, COM-36.

La commission regrette néanmoins que les coordinations prévues pour permettre le recours à la visite douanière pour la vérification des dispositions non douanières qui incombent aux agents des douanes soient incomplètes et espère que le Gouvernement pourra, d'ici à la séance, conduire ce travail à son terme.

La commission demande à la commission des finances, compétente au fond, d'adopter l'article 2 ainsi modifié.

Article 3
Adaptation du droit d'accès et de visite des navires

L'article 3 tend à préciser le régime de visite des navires et à étendre certaines des dispositions applicables à la visite douanière.

La commission propose d'adopter cet article sans modification.

1. Un régime de visite des navires déjà soumis au contrôle de constitutionnalité

Les articles 62 et 63 du code des douanes autorisent les agents des douanes à visiter tous les navires situés dans la zone maritime du rayon des douanes et dans la zone contiguë visée à l'article 44 bis du même code. La mise en oeuvre de ce pouvoir est destinée à leur permettre d'exercer les contrôles nécessaires en vue de « prévenir les infractions aux lois et règlements que l'administration des douanes est chargée d'appliquer sur le territoire douanier » et de «poursuivre les infractions à ces mêmes lois et règlements commises sur le territoire douanier ».

Les prérogatives particulièrement étendues des agents des douanes pour la visite des navires ont été limitées à la suite de la décision n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013 qui a censuré les articles 62 et 63 et imposé, d'une part, la mise en place d'un recours effectif contre ces opérations et, d'autre part, l'autorisation de la visite des parties des navires à usage privé ou d'habitation par le juge des libertés et de la détention, contrairement à la jurisprudence constante de la Cour de cassation3(*).

2. Des compléments nécessaires

Comme le relève l'étude d'impact du projet de loi, le régime des articles 62 et 63 autorise la visite des navires mais ne permet pas explicitement la visite des marchandises ni celle des personnes. L'article 3 du projet de loi procède donc à une coordination avec les nouveaux articles 60-6, 60-7, 60-9 et 60-10 afin d'offrir les mêmes garanties procédurales pour la visite des personnes et des marchandises à bord d'un navire que sur terre. L'article procède par ailleurs à une coordination en visant le code des douanes de l'Union européenne qui peut constituer le fondement de la visite d'un navire.

3. La position de la commission 

La commission considère que le dispositif proposé par l'article 3 vient apporter des précisions et des garanties procédurales utiles aux personnes faisant l'objet d'une visite à bord d'un navire. Elle a adopté l'amendement COM-66 présenté par le rapporteur tendant à apporter une précision sur le fondement en droit européen des visites de navires.

La commission demande à la commission des finances, compétente au fond, d'adopter l'article 3 ainsi modifié.

Article 4
Remises à officier de police ou de douane judiciaire en suite de contrôles douaniers faisant apparaître la commission d'un flagrant délit de droit commun

L'article 4 propose de créer dans le code des douanes un nouvel article fixant les conditions de remise à un officier de police ou de douane judiciaire des personnes ayant commis un flagrant délit de droit commun établi dans le cadre d'un contrôle douanier.

La commission a adopté cet article sans modification.

1. La nécessaire articulation entre prérogatives des agents des douanes et officiers de police judiciaire

Bien que disposant de prérogatives étendues, les agents des douanes ne sont pas officiers de police judiciaire et ne peuvent donc procéder à des actes d'investigation. Ils sont cependant appelés à constater, à l'occasion des contrôles auxquels ils procèdent, des infractions flagrantes relevant du code pénal ou d'autres dispositions pénales ne relevant pas de leur compétence. Comme le relève l'étude d'impact du projet de loi, l'affaire ayant conduit à la question prioritaire de constitutionnalité qui a entrainé la censure de l'article 60 du code des douanes relevait de la qualification de blanchiment pénal et non de blanchiment douanier.

Or la procédure à suivre dans de tels cas est pour l'essentielle fixée à l'heure actuelle par la jurisprudence de la Cour de Cassation. Outre la possibilité pour les agents des douanes de procéder, sous le contrôle du procureur de la République, à l'interpellation de la ou des personnes concernées, celle-ci les autorise à appréhender matériellement les indices et à s'assurer que leur intégrité ne soit pas remise en cause4(*). Les agents des douanes sont soumis à l'obligation de remettre dans les meilleurs délais les personnes interpellées et les indices appréhendés à l'officier de police judiciaire compétent.

L'article 4 du projet de loi propose d'insérer dans le code des douanes un nouvel article 67 ter-1 formalisant les pouvoirs et obligations des agents des douanes dans le cas où ils constatent une infraction punie d'une peine de prison ne relevant pas de leur compétence.

Il procède également à une innovation en permettant la remise de la personne interpellée non seulement à un officier de police judiciaire mais également à un agent des douanes habilité en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale. Il s'agit là d'une innovation, les « officiers de douanes judiciaires » ne pouvant pour le moment s'auto-saisir et donc se voir remettre les personnes interpellées à moins d'avoir été préalablement saisis par le procureur de la République territorialement compétent.

2. La position de la commission : un dispositif fondé sur les réalités opérationnelles

Les possibilités d'interpellation, d'appréhension des indices et d'immobilisation des personnes et des marchandises jusqu'à la remise à un officier de police judiciaire ne font pas l'objet de débat dans les cas d'infraction flagrante. Plus contestable sur le plan des principes est la possibilité de remise à un agent des douanes habilité. Les réalités opérationnelles des contrôles douaniers et la difficulté à mobiliser des officiers de police judiciaire conduisent cependant la commission à considérer le dispositif proposé comme équilibré.

La commission demande à la commission des finances, compétente au fond, d'adopter l'article 4 sans modification.

Article 5
Précision sur le fondement des contrôles aux frontières extérieures

L'article 5 du projet de loi propose un nouvel intitulé pour la section du code des douanes relative aux contrôles d'identité et modifie l'article 67 du code des douanes, en précisant qu'en métropole les contrôles aux frontières extérieures se font en application du règlement n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen).

La commission propose d'adopter cet article sans modification.

1. Une précision utile

Les agents des douanes effectuent un contrôle des personnes non seulement dans le cadre de la visite douanière mais également pour l'application du droit européen et singulièrement dans l'exercice de leur mission de garde-frontière définie par le règlement n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen).

L'article 5 rend plus explicite l'intitulé de la section du code des douanes relatif au contrôle des personnes et vise dans le règlement européen qui fonde ces contrôles dans l'article liminaire de la section.

2. La position de la commission

La commission estime utiles les précisions apportées par cet article.

La commission demande à la commission des finances, compétente au fond, d'adopter l'article 5 sans modification.

Article 8
Sonorisation et captation d'image

L'article 8 propose d'étendre aux enquêtes douanières une nouvelle technique spéciale, la sonorisation et la captation d'images, soumise aux mêmes modalités d'autorisation et de contrôle que les techniques spéciales auxquelles il est possible de recourir dans le cadre des enquêtes judiciaires.

La commission propose d'adopter cet article sans modification.

1. L'introduction d'une nouvelle technique spéciale d'enquête en matière douanière

L'article 8 entend ouvrir la possibilité pour les agents des douanes habilités par le ministre de recourir à la sonorisation et à la captation d'image dans des lieux ou véhicules privés sans le consentement des personnes.

Cette possibilité est réservée aux délits douaniers graves et complexes :

- la contrebande, l'importation ou exportation de marchandises dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publiques, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé des douanes ou lorsque les faits sont commis en bande organisée ;

- la contrebande, l'importation ou exportation de marchandises non prohibées portant atteinte intentionnelle aux intérêts financiers de l'Union lorsque les faits sont commis en bande organisée ;

- le blanchiment douanier.

Cette technique spéciale d'enquête est mise en oeuvre dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités que celles prévues pour l'enquête judiciaire

2. La position de la commission : une technique suffisamment encadrée

L'extension des techniques spéciales d'enquête pose toujours question au regard de l'intrusion qu'elles supposent dans la vie privée. Le besoin opérationnel doit donc être justifié. L'action des réseaux criminels auxquels sont confrontés les services douaniers, particulièrement au fait des techniques d'investigation et capables de mettre en place des contre-mesures, justifie qu'il puisse être recouru à la captation du son et de l'image des personnes soupçonnées.

Les garanties en matière de préservation des libertés, qui sont celles prévues pour l'enquête judiciaire, apparaissent adaptées.

La commission des lois a donc estimé que l'article 8 pouvait être adopté sans modification.

La commission demande à la commission des finances, compétente au fond, d'adopter l'article 8 sans modification.

Article 8 bis (nouveau)
Application des règles de procédure pénale en matière
de délinquance organisée à certaines infractions douanières

Résultant d'un amendement du rapporteur, l'article 8 bis permet l'application aux délits douaniers, lorsqu'ils sont commis en bande organisée, des dispositions du code de procédure pénale applicables à l'enquête, à la poursuite, à l'instruction et au jugement en matière de criminalité organisée.

L'ordonnance n° 2019-963 du 18 septembre 2019 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne au moyen du droit pénal a créé, à l'article 414-2 du code des douanes, un nouveau délit de contrebande et d'importation ou d'exportation sans déclaration couvrant toutes les « marchandises qui ne sont pas mentionnées à l'article 414 »5(*) ; ce même article sanctionne, par ailleurs, tout « fait intentionnel de fausse déclaration ou d'utilisation d'un document faux, inexact ou incomplet ou de non-communication d'un document » ayant pour objet ou pour effet l'obtention d'un bénéfice financier, quelle qu'en soit la nature. Ces délits sont punis de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l'objet de la fraude ; s'ils sont commis en bande organisée, la peine est portée à dix ans d'emprisonnement et le montant de l'amende peut atteindre dix fois la valeur de l'objet de la fraude.

Certains délits douaniers peuvent, s'ils sont commis en bande organisée, être soumis aux dispositions particulières prévues en la matière par le code de procédure pénale. Ils doivent, pour ce faire, être visés par l'article 706-1-1 dudit code ; celui-ci mentionne déjà des infractions pénales d'une particulière gravité, punies d'une peine d'emprisonnement minimale de dix ans, des infractions commises en bande organisée en matière fiscale ainsi que, en matière douanière, le dernier alinéa de l'article 414 (contrebande et importation ou exportation sans déclaration en bande organisée) et l'article 415 dans son intégralité (réalisation ou tentative de réalisation d'une opération financière entre la France et l'étranger portant sur des fonds provenant, directement ou indirectement, d'un délit douanier, d'une infraction à la législation sur les stupéfiants ou portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne, en bande organisée ou non). Toutefois, cet article n'intègre pas les délits prévus par l'article 414-2 lorsqu'ils sont commis en bande organisée.

C'est pourquoi la commission des lois a adopté un amendement COM-64 de son rapporteur qui, d'une part, répare cette lacune et, d'autre part, procède à une mise en cohérence afin de viser, s'agissant de l'article 415 du code des douanes, les seuls délits commis en bande organisée.

La commission demande à la commission des finances, compétente au fond, d'adopter l'article 8 bis ainsi rédigé.

Article 9
Possibilité de saisie probatoire en cas de retenue douanière

L'article 9 ouvre la possibilité d'une saisie probatoire en cas de retenue douanière (celle-ci constituant l'équivalent, en droit douanier, de la garde à vue), permettant aux agents des douanes de prendre connaissance des objets et du contenu des documents, quel qu'en soit le support, dont la personne retenue est en possession.

La commission a souscrit à cette évolution et souhaité, d'une part, rappeler que la retenue ne devait être mise en oeuvre qu'en cas de nécessité et, d'autre part, rendre compétent le procureur de la République, d'ores et déjà chargé du contrôle des retenues douanières, pour apprécier dès le début de la retenue le respect de cette exigence.

1. Le régime actuel de la retenue douanière

Le code des douanes offre de larges prérogatives aux agents des douanes, y compris la possibilité d'un placement des personnes en retenue douanière. Cette mesure privative de liberté, qui constitue un héritage ancien (ce dont témoigne l'emploi par le code de termes relativement datés, à l'image de la notion de « prévenus capturés » qui figure à l'article 333) et n'a été organisée qu'en 1987 (loi n° 87-502 du 8 juillet 1987), a été profondément remaniée en 20116(*) afin d'en aligner les principales caractéristiques sur celles de la garde à vue (voir infra).

La retenue douanière est décidée par un agent des douanes avec une simple information du procureur de la République7(*) et se déroule sous le contrôle ce dernier. Sa durée maximale est de 24 heures, renouvelable une fois sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République.

La retenue est possible à condition que soient respectées les conditions suivantes :

- elle doit porter sur un cas de délit douanier flagrant ;

- le délit concerné doit être puni d'une peine d'emprisonnement. Matériellement, cette précision limite la possibilité d'une retenue aux cas suivants :

? contrebande, importations ou exportations sans déclaration de marchandises prohibées ou de produits du tabac manufacturé (article 414 du code des douanes) ;

? exportations sans déclaration ou sous couvert d'une déclaration inapplicable d'or natif de Guyane, soustraction de la marchandise à la visite du service des douanes par dissimulation, détention ou transport illicites d'or natif dans le rayon des douanes de Guyane, sans justificatif (article 414-1) ;

? atteinte intentionnelle aux intérêts financiers de l'Union européenne ou de l'État (article 414-2) ;

? blanchiment douanier (article 415) ;

? opposition à fonction et refus d'obtempérer à des injonctions d'arrêt des agents des douanes (article du 416 bis) ;

? contravention à la législation et à la réglementation des relations financières avec l'étranger (article 459).

La loi n° 2011-392 relative à la garde à vue a soumis la retenue douanière aux droits et garanties prévus dans le cadre des gardes à vue. Cet alignement est complet s'agissant des droits de la personne retenue (droit d'être examiné par un médecin et assisté par un avocat ; droit de contacter un proche...) comme des prérogatives confiées aux agents des douanes, identiques à celles confiées aux officiers de police judiciaire par le code de procédure pénale8(*). Néanmoins, l'alignement est partiel s'agissant des modalités de mise en oeuvre de la mesure : contrairement à ce qui est prévu en matière de garde à vue par l'article 62-2 du code de procédure pénale, le code des douanes ne charge pas le procureur de la République, en cas de retenue douanière, de s'assurer que la privation de liberté constitue l'unique moyen de permettre le déroulement normal de l'enquête ou de garantir la présentation de la personne devant le parquet9(*).

À l'issue de la retenue douanière, et aux termes de l'article 323-9 du code des douanes, le procureur de la République peut ordonner que la personne retenue soit présentée devant lui, un officier de police judiciaire ou un agent des douanes habilité à effectuer des enquêtes judiciaires, ou qu'elle soit remise en liberté. Le même article précise que, lorsque la personne retenue est ensuite placée en garde à vue, la durée de la retenue s'impute sur celle de la garde à vue.

Le régime de la retenue douanière ne comporte, en l'état, aucune disposition spécifique en matière de saisies. Il emporte donc l'application des dispositions de droit commun prévues en la matière ; or, si le code des douanes précise les modalités des saisies pratiquées à l'occasion d'une visite domiciliaire, il reste lapidaire sur les autres types de saisies et se borne à prévoir que « Ceux qui constatent une infraction douanière ont le droit de saisir tous objets passibles de confiscation, de retenir les expéditions et tous autres documents relatifs aux objets saisis et de procéder à la retenue préventive des objets affectés à la sûreté des pénalités » (article 323, paragraphe 2).

La notion d'« objets passibles de confiscation » recouvre plusieurs catégories distinctes de biens, dont la liste varie en fonction de la nature de l'infraction découverte : dans le cas d'un délit (et donc dans le cas de la retenue douanière), sont concernés l'objet de la fraude ainsi que les moyens de transport et les objets servant à masquer la fraude.

L'étude d'impact jointe au projet de loi relève ainsi, légitimement, que « dans le cadre de la retenue douanière, les agents des douanes ne sont pas expressément autorisés à exploiter les indices et éléments susceptibles de constituer des preuves, et notamment ceux sur support numérique ». Une telle lacune constitue un frein à l'exercice par les agents des douanes de leurs pouvoirs d'enquête, a fortiori dans un contexte où leurs investigations portent fréquemment sur l'existence, ou non, d'un trafic organisé qui serait révélé par le flagrant délit, et où cette existence peut difficilement être démontrée sans avoir accès au téléphone portable des personnes retenues. Elle porte également préjudice à la réponse pénale : si la personne retenue est ensuite jugée sur la base de la seule procédure douanière, certains éléments de preuve ne peuvent pas être retenus, faute d'avoir pu être préalablement exploités ou saisis.

2. Le dispositif proposé par le projet de loi

Dans ce contexte, le projet de loi prévoit, sous la forme d'un nouvel article 323-11 du code des douanes, la création d'un régime permettant aux agents des douanes de prendre connaissance des objets et du contenu des documents, quel qu'en soit le support, qui se trouvent en la possession de la personne retenue, puis de les saisir s'ils se rapportent au flagrant délit.

Selon l'étude d'impact, cette nouvelle prérogative permettra principalement aux agents des douanes de « recueillir et [d']exploiter des éléments de preuve afin de confirmer l'implication des infracteurs », d'« identifier les éventuels co-auteurs et complices, notamment dans le cadre de convois d'acheminement de marchandises de fraude (produits stupéfiants en particulier), et les personnes intéressées à la fraude (commanditaires notamment) » et de « sécuriser les procédures douanières » ainsi que « les poursuites du ministère public en cas de délits dits mixtes” », de nature à la fois douanière et pénale.

Plus en détail, le système projeté serait le suivant :

- la prise de connaissance ne serait possible que « pour les nécessités de l'enquête douanière » et se déroulerait « en la présence constante et effective de la personne retenue », après information du procureur de la République qui pourrait s'y opposer ;

- seuls pourraient être saisis, à l'issue de cette prise de connaissance, les objets et documents se rapportant au flagrant délit, et ils seraient immédiatement inventoriés et placés sous scellés ;

- la prise de connaissance des données informatiques ne pourrait être faite que par des agents des douanes spécialement habilités ou par une personnalité qualifiée « pour effectuer des expertises techniques »10(*) ; quant à la saisie, elle se traduirait soit par une saisie du support physique des données, soit par une copie faite en présence de la personne retenue ;

- si cette copie n'a pas été faite au cours de la retenue, il resterait possible aux agents des douanes (et notamment à ceux de la direction nationale du renseignement et d'enquêtes douanières - DNRED) d'y procéder aux fins d'analyse, sur autorisation du procureur de la République et dans un délai de trente jours. Cette possibilité nouvelle serait ouverte dans deux cas : premièrement, lorsque la personne a été remise en liberté à l'issue de la retenue ; deuxièmement, lorsqu'à l'issue de la retenue, l'autorité judiciaire « met ou laisse à la disposition » des douanes les supports des données ;

- le cas échéant, les objets et documents saisis seraient remis à l'autorité à laquelle la personne est confiée à l'issue de sa retenue (procureur de la République, officier de police judiciaire ou agent des douanes habilité) ;

- enfin, les objets saisis seraient restitués à l'expiration d'un délai maximal de deux mois à compter de la saisie ; la décision de non-restitution, possible si « [la restitution] est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens, lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction ou lorsqu'une disposition particulière prévoit la destruction ou la confiscation des objets saisis », serait notifiée à l'intéressé et susceptible d'un recours auprès du président de la chambre de l'instruction puis, le cas échéant, d'un recours en cassation.

3. La position de la commission : compléter l'alignement du régime de la retenue douanière sur le droit commun et clarifier les modalités de saisie des données informatiques

La commission a adopté des amendements de son rapporteur visant à préciser le régime nouvellement créé de saisie des données informatiques hébergées sur les supports détenus par la personne retenue. Elle a, à cette fin précisé le contenu du procès-verbal établi à l'issue de la saisie.

Elle a également adopté un sous-amendement rédactionnel du rapporteur, encadrant, en complément à l'amendement COM-71 présenté par le rapporteur de la commission des finances, la procédure de transfert à l'État de la propriété des objets non-restitués (COM-82).

La commission a, par ailleurs, constaté que la possibilité pour les agents des douanes de procéder à la copie, pour analyse, des données informatiques détenues par une personne remise en liberté (c'est-à-dire, dans de nombreux cas, par une personne contre laquelle le parquet n'a pas souhaité déclencher de poursuites pénales, que ce soit pour des raisons d'opportunité ou de fond) était sans exemple dans le droit commun et qu'elle était porteuse de risques réels d'atteinte à la vie privée. Interrogée par le rapporteur, la DGDDI a précisé que ce dispositif devait permettre aux douanes, dans le cas où l'enquête pénale arrive à son terme et où la personne concernée n'est pas poursuivie, de « prendre le relai » avec une enquête douanière. Bien que cette hypothèse puisse correspondre à un véritable besoin opérationnel pour les agents, la rédaction proposée ne saurait être acceptée en l'état, faute d'offrir des garanties suffisantes. C'est pourquoi, à l'initiative du rapporteur, la commission a souhaité que l'exploitation des supports informatiques des personnes remises en liberté ne puisse intervenir que sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République et qu'elle soit, davantage que justifiée, exigée par les nécessités de l'enquête douanière (amendement COM-48 rect.).

La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 9 ainsi modifié.

Article 10
Gel des données informatiques distantes et aménagement des conditions d'exercice par la douane des prérogatives supposant la présence d'un officier de police judiciaire dans le cadre des visites domiciliaires

L'article 10 permet, pendant les visites domiciliaires douanières et fiscales, aux agents des douanes de procéder au « gel » des données informatiques hébergées sur un système distant, et aux agents des douanes habilités à effectuer des missions de police judiciaire sur le fondement de l'article 28-1 du code de procédure pénale à exercer les missions actuellement dévolues aux officiers de police judiciaire.

La commission des lois a tiré profit de ces évolutions, auxquelles elle a adhéré, pour remanier le régime de la visite domiciliaire afin, sur la forme, d'en améliorer la lisibilité et, sur le fond, d'assurer sa conformité à la Constitution et son alignement sur le droit commun.

1. Le régime actuel de la visite douanière domiciliaire

L'article 64 du code des douanes définit les conditions d'organisation et les modalités de déroulement des visites domiciliaires, qui sont l'équivalent douanier des perquisitions prévues par le droit commun. Celles-ci sont possibles seulement pour la recherche et la constatation des délits douaniers les plus graves (délits des première, deuxième et troisième classe, cette dernière portant sur les divers obstacles apportés par des tiers aux actions des agents des douanes ; contrebande ; importations et exportations sans déclaration ; contravention à la législation et à la réglementation des relations financières avec l'étranger) et peuvent se dérouler « en tous lieux, même privés, où les marchandises et documents se rapportant à ces délits ainsi que les biens et avoirs en provenant directement ou indirectement sont susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles ». Elles sont pratiquées par des agents des douanes spécialement habilités par le ministre en charge des douanes, accompagnés d'un officier de police judiciaire. Elles ne peuvent débuter ni avant six heures ni après vingt-et-une heures et sont effectuées en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant ; lorsque cette présence est impossible, l'officier de police judiciaire requiert deux témoins ne relevant ni de son autorité, ni de celle de l'administration des douanes.

L'assentiment de l'occupant des lieux n'est pas requis.

La visite domiciliaire a pour objectif principal de permettre aux agents des douanes de saisir les marchandises et des documents (y compris ceux qui sont hébergés sur un support informatique) se rapportant aux délits déjà cités ; si la visite a été autorisée par un juge des libertés et de la détention (voir infra), la saisie peut aussi porter sur les biens et avoirs provenant directement ou indirectement des mêmes délits.

S'agissant des pièces et documents présents sur un support informatique, le code des douanes prévoit que, lorsque l'occupant des lieux (ou son représentant) fait obstacle à leur accès, les agents des douanes peuvent procéder à la copie du support : ce dernier est alors placé sous scellés. Les douanes disposent de 15 jours à compter de la date de la visite pour accéder aux pièces ou documents présents sur le support informatique placé sous scellés. À la seule fin de permettre la lecture ou la copie de ces pièces et documents, le code ouvre la possibilité d'effectuer au préalable des opérations « nécessaires à leur accès ou à leur mise au clair ». L'occupant des lieux (ou son représentant) peut assister à l'ouverture des scellés, qui a lieu en présence d'un officier de police judiciaire, ainsi qu'à la lecture et à la saisie de ces documents présents sur ce support informatique.

Sauf flagrance, chaque visite doit être autorisée par une ordonnance motivée et circonstanciée11(*) du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure ; il peut assister à la visite, qui s'effectue en tout état de cause sous son contrôle. Il peut également ordonner, au cours de la visite domiciliaire, la visite d'un coffre bancaire ou d'un autre lieu dont l'existence aurait été révélée au cours de la visite et qui paraît susceptible, pour le coffre, de contenir des pièces, documents, objets ou marchandises ou, pour le lieu, d'abriter des biens ou avoirs se rapportant aux délits dont la commission est suspectée. Il lui appartient, enfin, de contrôler que les saisies effectuées portent sur des biens et avoirs qui proviennent directement ou indirectement du délit dont la preuve est recherchée.

En cas de flagrant délit, à l'inverse, aucune autorisation particulière n'est prévue ; même la simple information du procureur de la République avec pouvoir d'opposition de celui-ci, pourtant requise en cas de visite de locaux professionnels (article 63 ter), n'est pas exigée.

Des recours sont possibles, auprès du premier président de la cour d'appel, contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la visite et contre le déroulement des opérations de visite domiciliaire et de saisie12(*).

Le code confie, dans sa rédaction actuelle, plusieurs missions importantes à l'officier de police judiciaire chargé d'accompagner les agents des douanes. Ainsi, cet officier :

- requiert deux témoins en cas d'absence de l'occupant des lieux ou de son représentant ;

- veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense en « provoqu[ant] préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré » ce respect ;

- signe, avec les agents des douanes et l'occupant des lieux ou son représentant, le procès-verbal auquel est annexé un inventaire des marchandises et documents saisis ainsi que des biens et avoirs provenant directement ou indirectement des délits dont la preuve est recherchée ;

- est présent lors de l'ouverture des scellés, dès lors que l'inventaire sur place a posé des difficultés qui ont justifié le recours à ce procédé ou que des supports informatiques ont été placés sous scellés aux fins de permettre leur lecture et à leur copie ;

- est présent lorsque les agents des douanes font face à un refus d'ouverture des portes et doivent les faire ouvrir par un tiers.

Le code précise, à l'inverse (paragraphe 3 de l'article 64), que les agents des douanes peuvent intervenir sans l'assistance d'un officier de police judiciaire pour les visites organisées en lien avec certaines tâches, à savoir :

- « pour opérer les visites, recensements et contrôles à domicile chez les titulaires d'un compte ouvert d'animaux ou d'un titre de pacage » ;

- en cas de poursuite à vue pendant laquelle la personne poursuivie s'introduit dans « une maison ou un autre bâtiment », y compris hors du rayon des douanes.

Des dispositions « miroirs », reprenant à l'identique l'essentiel du dispositif décrit ci-avant, figurent à l'article L. 38 du livre des procédures fiscales en ce qui concerne la visite domiciliaire prévue pour la recherche et la constatation des infractions aux obligations relatives aux contributions indirectes et aux taxes diverses (titre III de la première partie du livre Ier du code général des impôts) et à l'accise (chapitres III et IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services) des alcools et tabacs, ainsi qu'aux législations édictant les mêmes règles en matière de procédure et de recouvrement.

Ce régime, dérogatoire par rapport à celui qui résulte du droit commun en matière de perquisitions, n'est pas applicable aux avocats : en effet, depuis la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, les dispositions du code de procédure pénale (article 56-1) sont applicables à toutes les opérations (visites domiciliaires et perquisitions) organisées dans le cabinet d'un avocat, à son domicile ou dans les locaux de l'ordre des avocats et des caisses de règlement pécuniaire de la même profession.

2. Les aménagements proposés par le projet de loi : supprimer l'accompagnement par un officier de police judiciaire et faciliter l'accès aux contenus informatiques distants

L'article 10 poursuit un double objectif : d'une part, il substitue à l'accompagnement par un officier de police judiciaire un accompagnement par un agent des douanes habilité en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale ; d'autre part, il aménage le dispositif existant de copie et de saisie de données informatiques pour tenir compte de la multiplication des systèmes de conservation distants (type « clouds ») comme de l'utilisation croissante, par les délinquants, de crypto-actifs.

2.1. La suppression de l'accompagnement par un officier de police judiciaire

Pour l'ensemble des actions ne pouvant aujourd'hui être effectuées par les agents des douanes qu'en la présence d'un officier de police judiciaire (voir supra), le projet de loi envisage la possibilité d'un accompagnement par un agent des douanes spécialement habilité sur le fondement de l'article 28-1 du code de procédure pénale.

La possibilité pour les agents des douanes d'effectuer
certaines missions de police judiciaire

Créé par la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de la procédure pénale, l'article 28-1 du code de procédure pénale ouvre la possibilité aux agents des douanes de catégories A et B d'être habilités à effectuer des enquêtes judiciaires sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d'instruction. Cette faculté est réservée aux fonctionnaires spécialement désignés par arrêté des ministres chargés de la justice et du budget, pris après avis conforme d'une commission dont la composition et le fonctionnement sont déterminés par décret en Conseil d'État.

Les fonctionnaires concernés sont placés sous la direction du procureur de la République, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l'instruction du siège de leur fonction dans les conditions prévues par le code de procédure pénale pour les OPJ. Ils sont, par ailleurs, placés sous la direction administrative d'un magistrat de l'ordre judiciaire.

Compétents sur l'ensemble du territoire national, les agents habilités des douanes peuvent rechercher et constater :

- les infractions prévues par le code des douanes ;

- les infractions en matière de contributions indirectes, d'escroquerie sur la taxe sur la valeur ajoutée et de vols de biens culturels ;

- les infractions relatives à la protection des intérêts financiers de l'Union européenne ;

- les infractions prévues par les articles L. 2339-1 à L. 2339-11 (relatives aux matériels de guerre, aux armes et aux munitions), L. 2344-7 (armes à sous-munitions) et L. 2353-13 (explosifs) du code de la défense ;

- les infractions prévues par les articles 324-1 à 324-9 du code pénal (blanchiment) ;

- les délits d'association de malfaiteurs prévus à l'article 450-1 du code pénal, lorsqu'ils ont pour objet la préparation de l'une des infractions mentionnées ci-avant et ci-après ;

- les infractions prévues au code de la propriété intellectuelle ;

- les infractions prévues aux articles L. 3512-23 à L. 3512-25 (produits du tabac) du code de la santé publique et à leurs textes d'application ;

- les infractions prévues par la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 en matière de jeux d'argent et de hasard en ligne. Dans cette hypothèse, les agents sont autorisés à recourir à une identité d'emprunt ;

- les infractions connexes.

Ils ne peuvent toutefois pas participer, sauf dans le cadre d'unités temporaires placées sous la direction du procureur de la République ou d'un juge d'instruction et composées d'officiers de police judiciaire et d'agents des douanes (II de l'article 28-1 précité), aux enquêtes liées au trafic de stupéfiants.

Pour être effectivement autorisés à mener des enquêtes et à recevoir des commissions rogatoires, les agents habilités doivent y être personnellement habilités par une décision du procureur général près la cour d'appel du siège de leur fonction. Cette habilitation peut être suspendue ou retirée.

Par ailleurs, les mêmes agents peuvent, s'ils sont affectés dans un service spécialisé et aux seules fins de constater les crimes et les délits punis d'une peine d'emprisonnement et commis par la voie des communications électroniques, bénéficier d'une habilitation complémentaire. Délivrée dans des conditions précisées par arrêté du ministre de la justice et du ministre de l'intérieur, elle leur permet de procéder sous pseudonyme à certains sans en être pénalement responsables (participation à des échanges électroniques, y compris avec des personnes susceptibles d'être les auteurs des infractions précitées ; extraire ou conserver par ce moyen des données sur les personnes susceptibles d'être les auteurs de ces infractions et tout élément de preuve ; acquérir tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service ou transmettre tout contenu en réponse à une demande expresse ; après autorisation du magistrat compétent (procureur de la République ou du juge d'instruction saisi des faits), mettre à la disposition des auteurs présumés d'infractions des moyens juridiques ou financiers ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d'hébergement, de conservation et de télécommunication).

Les agents douaniers habilités sont affectés au sein du service d'enquête judiciaire des finances (SEJF) qui se compose, au 1er janvier 2023, de 231 agents issus des douanes et de 38 agents issus des services fiscaux. Sur les 231 agents des douanes, 10 sont affectés au siège parisien du SEJF et 221 dans une unité territoriale.

Cette disposition est peu commentée dans l'étude d'impact, qui se limite à faire état de « la nécessité d'assurer une disponibilité opérationnelle, notamment dans le cas des procédures en flagrance pour lesquelles les interventions ne peuvent pas être programmées suffisamment en amont », sans que ce soit démontrée l'existence à ce jour de difficultés liées à une insuffisante disponibilité des services de police et de gendarmerie, et à préciser, s'agissant des difficultés de gestion qui pourraient se manifester en cas de mise en oeuvre d'une telle réforme, que « la réalisation de visites domiciliaires en présence d'un officier de douane judiciaire sera effectuée en concertation en amont avec le service des enquêtes judiciaires des finances (SEJF) afin de ne pas perturber l'activité de ce service ».

Bien que la possibilité d'une telle « concertation en amont » semble théoriquement combattue par l'argument qui précède sur l'imprévisibilité des visites domiciliaires, les réponses apportées par la DGDDI au rapporteur à l'issue des auditions permettent d'établir que cette évolution est envisagée en lien avec la suppression, programmée en 2025 ou 202613(*), du service de police nationale détaché (SNPD), constitué d'officiers de police judiciaire spécialement dédiés à l'accompagnement des visites domiciliaires. À cet égard, la DGDDI estime que cette réforme nécessiterait un abondement en effectifs d'agents habilités (soit la création de 26 postes, correspondant aux 26 postes d'OPJ supprimés14(*)) ; elle ne juge pas possible, pour des raisons fonctionnelles, que cette fonction d'assistance puisse être exercée par les agents des douanes déjà habilités et rattachés au SEJF, ces derniers devant à ses yeux se consacrer exclusivement à leurs fonctions d'enquête, ce qui paraît légitime au vu des statistiques transmises au rapporteur15(*).

Il convient, par ailleurs, de rappeler qu'aucune autorisation ou information préalable d'un magistrat n'est prévue pour les visites domiciliaires effectuées en cas de flagrance (voir supra) : la présence d'un officier de police judiciaire constitue ainsi, dans cette hypothèse, l'unique participation à la procédure d'un acteur qui ne soit pas issu de l'administration des douanes.

2.2. La mise en place d'une possibilité de « gel » des données informatiques

L'article 10 prévoit, par ailleurs, la possibilité d'un « gel » des données informatiques accessibles depuis les lieux visités mais stockées sur des systèmes informatiques distants.

Le droit en vigueur, s'il comporte des développements consacrés à la conduite à tenir en cas d'impossibilité matérielle d'accès aux pièces et documents stockés sur un support informatique physique (en l'espèce, une copie en vue de la saisie), ne permet en effet pas à l'administration des douanes de surmonter les difficultés identiques qui peuvent survenir pour la lecture de contenus hébergés à distance, par exemple sur un cloud ou sur certains serveurs de stockage en réseau (dits « NAS »). Or, faute de possibilité juridique de « geler » ces documents (par exemple par le biais d'un changement de mot de passe ou d'identifiant), le risque est réel qu'ils soient altérés, voire effacés par des complices ou des co-auteurs.

Cette lacune est d'autant plus problématique dans un contexte où, d'une part, le stockage sur des serveurs distants et le recours à des crypto-actifs s'étendent et où, d'autre part, l'administration des douanes dispose des compétences requises pour préserver l'intégrité des données distantes afin d'en tirer des preuves utiles à l'aboutissement des enquêtes, grâce notamment à l'expertise acquise en la matière par la division des investigations numériques et par le service Cyberdouane de la DNRED16(*).

En conséquence, le projet de loi prévoit l'insertion, aux articles 64 du code des douanes et L. 38 du livre des procédures fiscales, d'un nouvel alinéa permettant, lorsque la copie sur place de données stockées dans un système informatique non implanté sur les lieux visités présente des difficultés (en cas, par exemple, de difficultés d'accès au réseau), aux agents habilités d'appliquer « toute mesure permettant de protéger l'accès en ligne aux données concernées afin de veiller à la conservation des indices susceptibles de disparaître ». Il serait, en outre, précisé que les agents pourront procéder « ultérieurement » à leur téléchargement à distance, en présence d'un officier de police judiciaire (ou d'un agent des douanes habilité sur le fondement de l'article 28-1 du code de procédure pénale) ; l'occupant des lieux (ou son représentant) serait avisé qu'il peut assister au téléchargement, effectué dans les locaux du service chargé de la procédure selon les mêmes modalités que celles prévues par le code de procédure pénale pour ce qui concerne le droit commun des perquisitions.

3. La position de la commission : tirer profit du projet de loi pour garantir la pleine conformité à la Constitution de la visite domiciliaire

La commission souscrit au dispositif proposé par le Gouvernement dans le cadre de l'article 10 en ce qui concerne tant les nouvelles prérogatives confiées aux officiers de douane judiciaire que la possibilité donnée aux agents des douanes d'accéder aux contenus informatiques distants. Ces deux évolutions lui semblent en effet indispensables à la bonne marche des enquêtes douanières, à la fois pour favoriser une plus grande réactivité dans le déroulement des enquêtes et pour garantir une prise en compte renforcée des modes opératoires des trafiquants.

Sur l'accès aux contenus informatiques distants, il a toutefois paru utile à la commission, à l'initiative du rapporteur, de préciser certains points pour rendre pleinement lisible le périmètre des nouvelles missions confiées à l'administration des douanes. C'est ainsi qu'elle a, d'une part, encadré le délai dans lequel il sera possible pour ses agents d'exploiter les données hébergées sur un serveur distant, en fixant ce délai à trente jours (une telle durée est, selon la DNRED, conforme aux besoins opérationnels des agents comme aux contraintes techniques qui peuvent être rencontrées au cours de l'exploitation) (amendements COM-52 et COM-56) et qu'elle a, d'autre part, clarifié le régime des sanctions applicable lorsque l'occupant des lieux fait obstacle à l'accès aux pièces ou documents sur un tel support informatique, ainsi qu'à leur lecture ou leur saisie, en les alignant sur les peines déjà prévues par l'article 416 du code des douanes en pareille hypothèse (soit une amende de 50 000 € ou, lorsque ce montant est plus élevé, de 5 % des droits et taxes éludés ou compromis ou de la valeur de l'objet de la fraude) (amendement COM-54).

Au demeurant, la commission des lois a estimé que le présent projet de loi devait être l'occasion d'examiner certaines des dispositions du code des douanes qui, en dépit des modifications seulement marginales proposées par le Gouvernement, auraient mérité une réécriture globale et des améliorations substantielles. Tel est le cas de l'article 64 du code des douanes, dont la rédaction est obsolète et qui porte un régime dérogatoire par rapport au droit commun, sans que de telles dérogations paraissent aujourd'hui justifiées ; elles sont, plus encore, un facteur de risque juridique majeur, l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire dans la procédure de visite domiciliaire en cas de flagrance pouvant être interprétée comme un facteur de non-conformité à la Constitution.

Le rapporteur note, tout d'abord, que dans une décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, le Conseil a censuré des dispositions prises dans le cadre de l'état d'urgence qui autorisaient l'administration à copier des données stockées dans un système informatique dans le cadre de perquisitions, y compris en cas d'opposition de l'occupant du lieu ou du propriétaire des données et sans autorisation préalable par un juge. Le Conseil a toutefois, dans une décision portant sur un dispositif remanié mais ayant la même finalité que la prérogative précédemment censurée (décision n° 2016-600 QPC du 2 décembre 2016), validé des dispositions autorisant la copie de données effectuée au cours de perquisitions administratives, dès lors que les motifs pouvant justifier la saisie de telles données avaient été clairement définis par le législateur et que celui-ci avait imposé l'autorisation préalable, par un juge, de l'exploitation des données collectées, afin de limiter cette exploitation aux données ayant un lien avec le comportement constituant une menace pour la sécurité et l'ordre publics de la personne mise en cause.

À nouveau saisi, en 2018, des conditions d'exploitation des données informatiques saisies à l'occasion de visites domiciliaires mises en place à l'initiative des préfets aux fins de prévention du terrorisme (décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018), le Conseil a précisé sa position en pointant l'existence de plusieurs garanties. Il a ainsi relevé :

- premièrement, que « la copie des données informatiques [...] n'est possible que lorsque la visite révèle l'existence de données relatives à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics que constitue le comportement de la personne » ;

- deuxièmement, que « Réalisée en présence de l'officier de police judiciaire, cette copie ne peut être effectuée sans que soit établi un procès-verbal indiquant ses motifs et dressant l'inventaire des données saisies, et sans qu'une copie en soit remise à l'occupant du lieu, à son représentant ou à deux témoins ainsi qu'au juge ayant délivré l'autorisation » ;

- enfin, que « l'exploitation des données saisies nécessite l'autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par l'autorité administrative à l'issue de la visite. Cette autorisation ne peut porter sur des éléments dépourvus de tout lien avec la finalité de prévention de la commission d'actes de terrorisme ayant justifié la visite. Dans l'attente de la décision du juge, les données sont placées sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la visite et nul ne peut y avoir accès » ; en outre, l'ordonnance autorisant l'exploitation des données est « susceptible d'un recours, non suspensif, devant le premier président de la cour d'appel ».

Dans une décision analogue, rendue en 2022 et relative à la saisie de données informatiques par l'administration fiscale sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales (LPF) (décision n° 2021-980 QPC du 11 mars 2022), le Conseil constitutionnel a souligné le rôle du juge des libertés et de la détention dans la mise en oeuvre et le contrôle de la procédure en cause, en rappelant non seulement que de telles visites ne pouvaient intervenir qu'avec l'autorisation préalable et motivée de ce dernier, mais aussi que ce magistrat était chargé de suivre ces opérations tout au long de leur déroulement et, au besoin, de les suspendre ou de les arrêter.

Si ces conditions sont respectées en matière douanière (et en matière fiscale) pour les visites domiciliaires soumises au contrôle du juge des libertés et de la détention, donc hors flagrance, force est de constater que tel n'est pas le cas dans l'hypothèse d'une visite domiciliaire faisant suite à une infraction flagrante. Cette situation pose une difficulté juridique majeure.

Plus largement, l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire dans les visites domiciliaires conduites en cas de flagrance, sous quelque forme que ce soit, pose un problème de principe. Elle diverge du droit commun, le second alinéa de l'article 53 du code de procédure pénale rappelant que les enquêtes conduites « à la suite de la constatation d'un crime ou d'un délit flagrant » sont menées « sous le contrôle du procureur de la République », lequel n'est pas associé à la visite domiciliaire17(*). Cette absence est d'autant plus marquante que, en l'absence de définition autonome de la flagrance dans le code des douanes, c'est bien la caractérisation de cette notion résultant du premier alinéa du même article 53 qui s'applique.

Au surplus, elle crée une réelle insécurité juridique puisque le texte en vigueur n'offre aux agents des douanes aucun soutien judiciaire dans les hypothèses où, à la suite d'un délit flagrant et au vu des éléments découverts pendant la visite domiciliaire, il est nécessaire soit de procéder à l'ouverture d'un coffre, soit de mener une visite dans un lieu tiers. De même, une lecture stricte du code conduirait à considérer qu'aucun recours n'est possible contre le déroulement des visites domiciliaires conduites en cas de flagrance, rendant le droit en vigueur contraire à la Constitution et rendant celui-ci fragile face à une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité.

Ce problème de fond est renforcé par la pratique. En effet, les chiffres transmis par la DGDDI à la demande du rapporteur attestent que les visites domiciliaires sont, très majoritairement, réalisées à la suite d'une flagrance, rendant l'intervention du juge des libertés et de la détention statistiquement marginale. Ainsi, pour 2019, 2020 et 2021, sur 1 367 visites domiciliaires conduites, près de 90 % découlent ainsi d'un délit flagrant, y compris dans le cadre de « livraisons surveillées ».

Nombre de visites domiciliaires relevant de l'article 64 du code des douanes en flagrant délit

Nombre de visites domiciliaires relevant de l'article 64 du code des douanes douane sur ordonnance du JLD

Nombre de visites domiciliaires en flagrant délit dans le cadre d'une « livraison surveillée »

2019

2020

2021

2019

2020

2021

2019

2020

2021

283

258

307

39

39

65

103

136

137

Source : DGDDI.

Dans ce contexte, la commission des lois a prévu que, en cas de flagrance, le procureur de la République territorialement compétent serait informé par tout moyen, dès le début de la visite, et qu'il pourrait s'y opposer. Elle a rappelé que la visite s'effectue sous le contrôle de ce magistrat et que, à l'instar du juge des libertés et de la détention, il doit être tenu informé de son déroulement, pouvoir se rendre dans les lieux faisant l'objet de la visite et décider à tout moment sa suspension ou son arrêt. Elle a également prévu que le procureur de la République serait compétent pour autoriser l'ouverture d'un coffre ou la visite d'un autre lieu dans lequel pourrait se trouver des biens ou avoirs se rapporteur au flagrant délit initial (amendements COM-51 et COM-53).

Elle a, de même, fait apparaître explicitement l'applicabilité aux visites conduites à la suite d'une flagrance les modalités de recours applicables aux visites autorisées par un juge d'instruction.

Sur la forme, la commission déposera en vue de la séance publique, à l'initiative du rapporteur, un amendement de réécriture globale de l'article 64 du code des douanes, sur le modèle de ce qui est proposé pour le droit de visite douanière à l'article 2 du présent projet de loi. Cette réécriture permettra de clarifier l'organisation des dispositions relatives aux visites domiciliaires douanières sans remettre en cause les apports prévus par le projet de loi.

La commission a, par analogie, retenu la même solution s'agissant des visites domiciliaires prévues à l'article L. 38 du livres des procédures fiscales - qui, bien que marquées par une moindre prégnance statistique de la flagrance (54 % des cas recensés en 2019, 2020 et 2021), soulèvent sur le fond les mêmes difficultés que les dispositions de l'article 64 du code des douanes (amendements COM-55 et COM-57).

Nombre de VD relevant de l'article L. 38 du livre des procédures fiscales en flagrant délit

Nombre de visites domiciliaires relevant de l'article L. 38 du livre des procédures fiscales sur ordonnance du JLD

2019

2020

2021

2019

2020

2021

9

9

6

10

4

6

Source : DGDDI.

La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 10 ainsi modifié.

Article 11
Expérimentation d'un élargissement de la durée ouverte pour des traitements informatiques de données fondés sur le LAPI

L'article 11 vise à autoriser l'expérimentation, pour trois ans, d'une conservation étendue des données issues des dispositifs de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI), afin que puissent être pratiqués sur ces données de nouveaux traitements visant notamment à détecter les convois routiers liés aux trafics de toute nature.

La commission des lois a donné son accord à cette expérimentation, sous réserve d'un meilleur encadrement de son évaluation et de son déroulement. En particulier, elle estime nécessaire que plusieurs durées soient « testées » au cours de l'expérimentation et que chacune fasse, à terme, l'objet d'une présentation argumentée de ses avantages et inconvénients auprès du législateur et de la CNIL.

1. Le fonctionnement actuel des dispositifs de lecture automatisée
des plaques d'immatriculation (LAPI)

Les dispositifs de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI) ont été créés par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, qui avait autorisé leur mise en place de afin de permettre des recoupements avec le fichier des véhicules volés.

Ce système a, depuis lors, été progressivement étendu.

La loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers a ainsi autorisé les services de police, de gendarmerie et des douanes à mettre en oeuvre des dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des plaques d'immatriculation prenant la photographie des occupants du véhicule ; ces dispositifs ont vocation à être installés en particulier dans les zones frontalières, portuaires ou aéroportuaires, ainsi que sur les grands axes de transit national ou international.

Leur emploi est limité à la prévention et à la répression de certaines infractions d'une particulière gravité, à savoir :

- le terrorisme et les infractions s'y rattachant ;

- les infractions liées à la criminalité organisée au sens de l'article 706-73 du code de procédure pénale ;

- le vol et le recel de véhicules volés ;

- la contrebande, l'exportation et l'importation commises en bande organisée ;

- la réalisation ou la tentative de réalisation des infractions financières définies à l'article 415 du code des douanes, lorsqu'elles portent sur des fonds issus des infractions précitées.

La loi précitée de 2006 a également introduit la possibilité d'utiliser des dispositifs de LAPI, de manière temporaire, « pour la préservation de l'ordre public, à l'occasion d'événements particuliers ou de grands rassemblements de personnes, par décision de l'autorité administrative ».

Depuis 2016 (loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle) et aux fins de prévenir les infractions routières, le cadre d'utilisation du traitement automatisé des données issues du LAPI a été élargi au contrôle du respect des dispositions du code de la route, notamment concernant l'assurance des véhicules, par la consultation d'un fichier dédié mais aussi par la consultation du traitement automatisé du système d'immatriculation des véhicules et du traitement automatisé du système de contrôle automatisé (relatif aux infractions au code de la route). Cette disposition permet, entre autres, d'identifier les conducteurs qui n'ont pas payé une amende forfaitaire majorée et de retenir leur véhicule en application des dispositions de l'article L. 121-4-1 du code de la route.

Les informations ainsi collectées sont des données à caractère personnel au sens de la loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique et les libertés. Elles peuvent faire l'objet de traitements automatisés dans les conditions définies par les articles L. 233 -1 et L. 233-2 du code de la sécurité intérieure, avec notamment un rapprochement avec le fichier relatif aux véhicules volés ou signalés et avec le système d'information Schengen (SIS)18(*), relatif au contrôle des entrées dans l'espace Schengen et au sein duquel sont notamment inscrits des véhicules aux fins de contrôle discret et de contrôle spécifique pour la répression d'infractions pénales et pour la prévention de menaces pour la sécurité publique, ainsi que lorsqu'ils sont clairement associés à des infractions pénales graves ou lorsqu'ils sont recherchés aux fins d'une saisie ou de la preuve dans des actions en matière pénale.

Les données collectées par le biais des LAPI sont conservées pendant 15 jours19(*) ; au-delà de ce délai, elles sont effacées si elles ne donnent pas lieu à un rapprochement positif. Dans le cas contraire, elles peuvent être conservées pendant un mois (article L. 233-2 du code de la sécurité intérieure).

En pratique, le système existant consiste en des caméras vidéo installées sur des véhicules, sur des trépieds ou sur des systèmes fixes. Les images ainsi captées sont soumises à un traitement qui lit les plaques d'immatriculation, les compare aux fichiers déjà cités ci-avant et émet une « alerte » en cas de rapprochement positif20(*). Par ailleurs, le système permet un enregistrement de la photographie du numéro d'immatriculation du véhicule et de son taux de lisibilité, du numéro d'immatriculation lui-même, mais aussi de la photographie du véhicule et de ses éventuels occupants (ceux-ci ne sont toutefois pas reconnaissables : seul le nombre et, éventuellement, le sexe des passagers peuvent être identifiés, selon la CNIL), de la date et l'heure de chaque photographie et, pour chaque photographie, des coordonnées de géolocalisation21(*).

Ce système a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers) qui a considéré que ces dispositifs n'étaient pas de nature à instituer une surveillance généralisée des déplacements, notamment dans la mesure où ils comportaient plusieurs garanties substantielles, à savoir :

l'effacement des enregistrements à l'issue d'un délai bref (alors fixé à huit jours) en l'absence de rapprochement positif ;

- des critères de recherche fondés sur les caractéristiques des véhicules et non sur les images des passagers ;

- l'impossibilité de consulter les données n'ayant pas fait l'objet d'un rapprochement positif, sous réserve des besoins résultant d'une procédure pénale ;

la conservation des seules données ayant fait l'objet d'un rapprochement, pour une durée elle aussi limitée ;

- la limitation de l'accès aux données aux agents des services de police et de gendarmerie individuellement désignés et dûment habilités ;

- enfin, l'inscription des traitements automatisés des données recueillies dans le cadre de la loi du 6 janvier 1978.

2. Les caractéristiques de l'expérimentation proposée

Faisant valoir un « durcissement de la criminalité organisée », le Gouvernement souhaite expérimenter un système de consultation étendue des données issues des dispositifs de LAPI. Il s'agit, notamment, de mieux lutter contre les convois routiers transitant, en France, depuis ou vers des pays limitrophes (Espagne ou Belgique, en particulier) afin d'acheminer des produits stupéfiants : les organisations criminelles semblent, en effet, avoir adopté une stratégie d'étalement dans le temps et de fragmentation des convois afin de contourner les contrôles existants, en faisant sortir du territoire les véhicules destinés à faire partie d'un convoi plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant l'opération envisagée afin que ceux-ci soient « oubliés » par les autorités avant le passage à l'acte. L'administration des douanes relève à cet égard que, au cours du premier semestre 2021, sur 94 véhicules entravés, 50 l'ont été après un à deux mois d'enquête, 25 après trois à quatre mois et 19 après cinq à six mois ; elle souhaite en conséquence « sécuriser la préparation des entraves, en ayant une connaissance précise des convois à intercepter ».

En complément de ces chiffres partiels, le rapporteur a sollicité la DNRED pour obtenir des indications plus récentes et plus étendues dans le temps. En réponse, celle-ci a livré une analyse des dossiers portant sur le vecteur terrestre pour lesquels le LAPI a joué un « rôle central » et traités au cours de l'année 2022, ce qui correspondrait à 258 affaires. Selon son appréciation :

- 142 affaires (soit 55 % de l'échantillon) ont été traitées en moins de deux mois, dont 94 (37 % de l'échantillon) dans le délai légal d'un mois ;

- 59 affaires, entre 3 et 4 mois ;

- 57 affaires ont demandé 5 à 6 mois d'enquête.

Ces éléments justifient, aux yeux du Gouvernement, que les données puissent être conservées pendant une durée maximale de quatre mois.

Au-delà du sujet de la durée de conservation des données, l'administration des douanes estime nécessaire de « pouvoir interroger les capteurs au-delà des seules requêtes actuellement autorisées afin de connaître le mode opératoires de réseaux ». Elle souhaite, en d'autres termes, avoir accès aux données qui n'ont pas donné lieu à un rapprochement positif : pour reprendre les termes utilisés par l'étude d'impact, il s'agit de « réaliser des recherches sans cible prédéterminée dans le cadre d'une procédure douanière ou judiciaire : détection de plaques étrangères sur une période et un itinéraire donnés ; détection de comportements suspects », et donc d'ouvrir un périmètre d'action particulièrement large. En pratique, l'administration des douanes fait valoir que de telles recherches permettraient d'acquérir une meilleure connaissance des techniques utilisées par les trafiquants, notamment par le biais d'une analyse rétrospective des mouvements des véhicules suspects, et donc de mieux préparer et sécuriser les opérations d'entrave.

C'est dans ce contexte que l'article 11 ouvre la possibilité d'expérimenter, pour une durée de trois ans à compter de la publication d'un décret d'application pris en Conseil d'État après avis de la CNIL (voir infra) :

- la mise en oeuvre d'un traitement de données à caractère personnel destiné exclusivement à détecter des mouvements de véhicules susceptibles de révéler les infractions douanières déjà citées par le code de la sécurité intérieure (contrebande, importation ou exportation commises en bande organisée ; réalisation ou tentative de réalisation des opérations financières illicites qui portent des fonds issus des mêmes infractions) afin de permettre le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs. Ce traitement exclurait toute exploitation de la photographie des occupants des véhicules et consisterait exclusivement en une interconnexion ou une mise en relation avec les fichiers déjà cités par l'article L. 233-2 du CSI ;

l'extension du délai de conservation actuellement ouvert par le CSI, qui porté à titre dérogatoire à quatre mois, toujours « sous réserve des nécessités de leur conservation pour les besoins d'une procédure pénale ou douanière ».

La mise en oeuvre de ce traitement serait réservée aux seuls agents des douanes affectés au sein d'un service spécialisé de renseignement (donc au sein de la DNRED), individuellement désignés et spécialement habilités par le ministre chargé des douanes. Par ailleurs, il serait précisé que ce traitement « procède exclusivement à un signalement d'attention, limité à l'identification des infractions précitées » et qu'il « ne peut fonder, par lui-même, aucune décision individuelle ou acte de poursuite ».

La conception de cette expérimentation pourrait être confiée à un sous-traitant de droit privé. À l'inverse, les opérations de collecte, de traitement et de conservation des données personnelles resteraient le monopole de l'État. Au cours des auditions, la DNRED a indiqué au rapporteur qu'était envisagé un fonctionnement dans lequel l'État serait propriétaire des caméras et des données, mais non des systèmes d'analyse hébergés par des serveurs distants. Elle a également relevé que, pour permettre à l'expérimentation de se dérouler dans de bonnes conditions et pour éviter tout doute quant à la juste durée de conservation des données en fonction du cadre juridique applicable, il conviendrait sûrement que les données captées par les LAPI soient dupliquées sur un serveur ad hoc, dédié à l'expérimentation, permettant un traitement différencié de celui réservé aux données exploitées sur le fondement des articles L. 233-1 et suivant du code de la sécurité intérieure.

Cette expérimentation ferait l'objet, au plus tard six mois avant son terme, d'un rapport d'évaluation transmis au Parlement et à la CNIL visant notamment à évaluer l'efficacité du dispositif en matière de lutte contre la criminalité organisée, mais aussi l'« effectivité des garanties apportées pour assurer la protection des données personnelles et le respect de la vie privée ».

Les modalités de mise en oeuvre de cette expérimentation seraient définies par un décret en Conseil d'État, pris après avis de la CNIL (la demande d'avis étant accompagnée d'une étude d'impact relative à la protection des données à caractère personnel) et déterminant « notamment » les critères de recherche utilisés par le traitement automatisé ainsi institué, les modalités de pilotage et d'évaluation de l'expérimentation, le nombre maximal de dispositifs de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules concernés (qui s'élèverait, selon l'étude d'impact, au maximum à 200 capteurs, à comparer à la centaine de LAPI dont la DNRED déclare disposer aujourd'hui), ainsi que les axes de circulation où ils sont installés sur le territoire.

Il se déduit de l'étude d'impact que ce décret ne serait pas rendu public, ce statut étant cohérent avec la sensibilité de son contenu et permettant d'éviter que les trafiquants ne prennent connaissance des comportements ou indications ciblées par la DNRED.

Saisie en urgence de cette expérimentation, la CNIL a, par sa délibération n° 2023-026 du 23 mars 2023, émis un avis favorable. Elle a notamment observé que le projet de loi « ne [visait] pas à changer les finalités des dispositifs LAPI pouvant être actuellement installés », estimé « légitimes les traitements [nouveaux] qui pourraient être mis en oeuvre » et pointé l'existence de plusieurs garanties en matière de protection des données. Elle a, dans le même temps, souligné que les photographies des occupants des véhicules devraient être « supprimées ou floutées dès que possible », rappelé que le décret valant autorisation du traitement devrait comporter l'ensemble des éléments prévus par la loi « Informatique et libertés », et en particulier les catégories de données traitées ainsi que les modalités d'information des personnes concernées et appelé le Gouvernement à mettre en place « des mesures de sécurité protectrices de la vie privée portant sur le stockage des données collectées (chiffrement par exemple) ».

Surtout, la CNIL a commenté l'augmentation du délai de conservation des données issues des LAPI. Sur ce sujet, elle a indiqué que, « Sans remettre en cause le fait que la loi fixerait un délai maximal de quatre mois, la CNIL considère que ce délai ne devrait pas être obligatoire et que la durée effective de conservation testée devrait être inférieure au début de l'expérimentation et, le cas échéant, progressivement augmentée si cela apparaissait nécessaire et proportionné ». Elle a, de même, précisé que « Le rapport d'évaluation devra contenir des éléments permettant d'apprécier le caractère proportionné de la durée finalement retenue, notamment en comparant l'accroissement du nombre de données collectées et l'efficacité du dispositif pour détecter des comportements suspects ».

3. La position de la commission : renforcer l'évaluation de l'expérimentation pour assurer un équilibre entre la lutte contre les trafics et la protection de la vie privée

La commission des lois a accordé une vigilance particulière à l'article 11, qui est de nature à emporter de lourdes conséquences sur la vie privée d'un nombre conséquent de personnes.

Tout d'abord, la commission relève que la durée de quatre mois proposée par le Gouvernement repose sur des constatations empiriques plutôt que sur un travail statistique ou analytique poussé. Interrogées par le rapporteur, ni la DGDDI, ni la DNRED n'ont pu justifier ce délai autrement que par la prise en compte des besoins exprimés par les agents de « terrain ». Or, s'il est aisé de comprendre l'attrait opérationnel d'une telle mesure pour la DNRED, il n'est pas évident, dans une telle situation, d'apprécier le respect d'un juste équilibre entre, d'une part, les impératifs de la lutte contre la fraude et, de l'autre, la lourdeur des atteintes à la vie privée portées par ce nouveau dispositif envers les automobilistes circulant sur des axes routiers dits « criminogènes », cette notion semblant devoir concerner un nombre important de grands axes parmi les plus fréquentés.

La DNRED paraît, en revanche, être d'ores et déjà en mesure d'appréhender avec netteté la nature des traitements de données qui pourraient être utiles à la détection des mouvements de véhicules suspects ; évoqués au cours des auditions, ceux-ci semblent pertinents et proportionnés. Leur nature exacte sera précisée par décret en Conseil d'État, mais ne sera pas rendue publique afin d'éviter de nourrir les stratégies de contournement des infracteurs.

Le dispositif proposé appelle trois séries de remarques.

En premier lieu, s'agissant de la durée de conservation des données, la commission des lois a pris acte des contraintes auxquelles la DNRED est confrontée. À l'instar de la CNIL, sans s'opposer à ce que l'expérimentation puisse étendre la conservation jusqu'à quatre mois au maximum, elle considère que cette durée doit bel et bien être interprétée comme un plafond et qu'elle ne saurait être la seule à être « testée » par l'administration des douanes. Il est ainsi essentiel, afin que soit garanti le caractère proportionné de la mesure si celle-ci devait à terme être pérennisée, que différentes durées puissent être mises en oeuvre et soumises in fine à l'arbitrage du législateur, chacune étant accompagnée d'une présentation chiffrée et argumentée de ses avantages et de ses inconvénients.

Par conséquent, la commission des lois a adopté l'amendement COM-39 de son rapporteur prévoyant que plusieurs durées, comprises entre deux et quatre mois, devraient être testées au cours de l'expérimentation.

En deuxième lieu, en ce qui concerne la nature des nouveaux traitements de données pouvant être pratiqués, la commission a souscrit aux objectifs poursuivis par le Gouvernement comme aux solutions juridiques proposées par celui-ci. Il lui a toutefois paru utile de prévoir que, outre les mouvements de véhicules suspects, les traitements ainsi institués pourraient avoir pour but de détecter d'autres évènements prédéterminés (« doublons » de plaques, par exemple : amendement COM-37) et de rappeler qu'ils devraient s'inscrire dans le cadre fixé par la loi dite « Informatique et libertés » (amendement COM-38).

Enfin, pour permettre au législateur d'exercer toutes ses prérogatives à l'issue de l'expérimentation, il est indispensable que les modalités de l'évaluation de cette dernière soient dès à présent fixées avec précision et en toute transparence. C'est dans cette perspective, et à l'initiative du rapporteur (amendement COM-43), que la commission a :

prévu la remise de plusieurs rapports d'évaluation aux différents stades de l'expérimentation afin d'en documenter régulièrement l'avancée : le premier d'entre eux serait ainsi remis au Parlement et à la CNIL un an après le démarrage de l'expérimentation, le deuxième après deux ans, et le troisième six mois avant son terme ;

dressé la liste précise des données devant être recueillies, pour chaque durée de conservation expérimentée, puis intégrées aux rapports d'évaluation, notamment pour intégrer celles qui témoigneront de l'ampleur des atteintes à la vie privée (quantité de données conservées, par exemple) ou de l'efficacité des procédés testés en termes de nombre de détections ;

associé le ministère de la justice, détenteur de la compétence principale en matière de suivi de l'efficacité des politiques pénales, au pilotage et à l'évaluation de l'expérimentation. Cet ajout n'empêchera en rien le Gouvernement, dans les phases ultérieures de ses travaux (et notamment dans le cadre du décret de mise en oeuvre de l'expérimentation), d'aller au-delà de cette exigence en mettant en place un comité pluridisciplinaire rassemblant les douanes et la Chancellerie, mais aussi d'autres acteurs dont le concours pourrait être opportun.

La commission a, en parallèle, adopté plusieurs amendements rédactionnels et de clarification (amendements COM-40, COM-41, COM-42 et COM-44).

La commission demande à la commission des finances compétente au fond d'adopter l'article 11 ainsi modifié.

Article 12
Prévention de la commission d'infractions en ligne

L'article 12 entend mieux lutter contre les infractions douanières commises en ligne en permettant aux agents des douanes de demander la mise en place de mesures interdisant l'accès aux contenus illicites et, en cas d'échec, de demander leur déréférencement puis, le cas échéant, de faire appel à un juge.

Tout en s'interrogeant sur la pertinence et l'effectivité du système ainsi institué, la commission des lois n'a pas estimé être en mesure d'en proposer à ce stade une nouvelle rédaction. Sous réserve des modifications qui seront apportées à cet article par la commission des finances, compétente au fond, elle proposera en séance publique des amendements visant à garantir la cohérence de ce nouveau mécanisme.

1. Le cadre juridique actuel de la lutte contre les contenus illicites en ligne

La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, modifiée, pour la confiance dans l'économie numérique (dite « LCEN ») pose le principe selon lequel les hébergeurs de sites internet ne peuvent pas voir leur responsabilité civile ou pénale engagée à raison du caractère illicite des contenus qu'ils stockent. Ce principe connaît toutefois d'importantes dérogations, liées à la nécessité de lutter contre la diffusion des infractions en ligne.

Le dispositif juridique actuellement en vigueur fixe ainsi un cadre différencié selon la nature des acteurs concernés.

Tout d'abord, l'absence de responsabilité des hébergeurs de sites internet n'est valable que dans l'hypothèse où ils n'ont pas connaissance du caractère illicite des contenus ; or cette connaissance est présumée dès lors que le contenu a fait l'objet d'un signalement précis. L'hébergeur doit alors retirer les données concernées ou en rendre l'accès impossible.

Les fournisseurs d'accès à internet et les hébergeurs sont, par ailleurs, soumis à une obligation de vigilance pour des infractions considérées comme particulièrement graves (apologie des crimes contre l'humanité, incitation à la haine raciale, pornographie enfantine, atteintes à la dignité humaine et incitation à la violence (avec une mention spécifique sur les violences faites aux femmes), haine à l'égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap, provocation à la commission d'actes de terrorisme et de leur apologie) et doivent concourir à la lutte contre leur diffusion. À ce titre, la loi LCEN leur impose de « mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données et [de] rendre publics les moyens qu'elles consacrent à la lutte contre les activités illicites [précitées] ».

Pour tenir compte des cas dans lesquels il n'est pas donné suite à la procédure de signalement et de retrait évoquée ci-avant, le législateur a prévu la possibilité d'un blocage judiciaire ou administratif effectué par les fournisseurs d'accès. Le blocage administratif est limité aux contenus pédopornographiques et aux contenus provoquant à des actes terroristes ou faisant l'apologie de tels actes. Dans ces cas, l'autorité administrative peut formuler auprès des acteurs compétents une demande de blocage et/ou une demande de déréférencement, à laquelle il doit être donné suite dans un délai de 24 heures.

Enfin, depuis la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut « prescrire à toute personne susceptible d'y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne ».

Outre ces obligations, toutes issues de la loi LCEN précitée, d'autres textes prévoient des dispositifs spécifiques de retrait de contenus sur ordre de l'autorité administrative. Ainsi, en matière de consommation, l'article L. 521-3-1 du code de la consommation permet à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), après avoir constaté des infractions prévues par ce code, d'ordonner aux opérateurs de plateformes en ligne, aux personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne ou aux personnes qui exploitent des logiciels permettant d'accéder à une interface en ligne, de procéder à l'affichage d'un message avertissant les consommateurs du risque de préjudice encouru lorsqu'ils accèdent à un contenu manifestement illicite. Si l'infraction est passible d'une peine d'emprisonnement d'au moins 2 ans et porte une atteinte grave à la loyauté des transactions, cette prérogative est renforcée : la DGCCRF peut alors ordonner aux acteurs compétents de faire cesser le référencement des annonceurs ayant commis l'infraction, de limiter l'accès aux interfaces en ligne dont le contenu est illicite et/ou de procéder au blocage du nom de domaine pour une durée maximale de trois mois (renouvelable une fois et suivie, si l'infraction constatée persiste, d'une mesure de suppression ou de transfert du nom de domaine).

Cependant, bien qu'en matière douanière, la vente en ligne de marchandises prohibées à l'importation soit une réalité courante (celle-ci prend, le plus souvent, la forme d'une vente à distance depuis des pays tiers à l'Union européenne, les marchandises achetées en ligne étant ensuite expédiées vers la France par voie postale ou par fret express), aucun dispositif de lutte contre les contenus illicites en ligne n'est prévu à ce jour par le code des douanes ou par un autre texte.

2. Le dispositif proposé par le projet de loi

Pour combler cette lacune, le projet de loi comporte, en son article 12, un dispositif librement inspiré de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation précité et tendant à créer un chapitre « Prévention des infractions commises par l'intermédiaire d'internet » au sein du titre II du code des douanes. Ce nouveau chapitre emporterait la mise en place d'un système gradué, mais relativement complexe, autorisant certains agents des douanes (à savoir les agents ayant au moins le grade de contrôleur et spécialement habilités par leur chef de circonscription), lorsqu'ils constatent, d'une part, qu'une infraction mentionnée à l'article 414 des douanes (contrebande et importation ou exportation prohibée) ou une infraction de vente ou d'acquisition à distance de tabac mentionnée au 10° de l'article 1810 du code général des impôts22(*) et, d'autre part, que cette infraction est commise en ayant recours à un moyen de communication électronique, à faire usage de plusieurs leviers auprès des responsables de services en ligne23(*) :

- tout d'abord, ils pourraient les inviter à leur faire connaître, dans un délai qu'ils fixent, si les services proposés (communication au public en ligne et/ou stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages) ont permis la commission de l'infraction : il appartiendrait donc à un acteur privé de se prononcer sur ce sujet, à l'invitation de l'administration des douanes ;

- après avoir pris connaissance des observations apportées en réponse ou en l'absence d'observations dans le délai imparti, les agents des douanes pourraient émettre un avis motivé ayant vocation à établir que les services précités ont bien permis la commission de l'infraction ;

- après réception de cet avis motivé et dans un délai minimal de 48 heures, le responsable du service en ligne devrait informer les douanes des suites qui ont été données à cet avis en précisant les mesures qu'il entend prendre (ou qu'il a déjà prises) afin que les contenus ayant permis la commission des infractions visées soient retirés ou rendus inaccessibles, ainsi que la date de leur effectivité.

Selon les éléments transmis par l'administration en réponse aux interrogations du rapporteur, cette procédure aurait vocation à être mise en oeuvre principalement par Cyberdouane, service de la DNRED.

En cas d'échec de ce dispositif d'incitation, les agents des douanes habilités pourraient recourir à deux outils complémentaires. Ils pourraient ainsi demander :

- aux opérateurs compétents de toute nature (opérateur de registre ; bureau d'enregistrement de domaines ; exploitant de moteur de recherche, d'annuaire ou de service de référencement) de prendre toutes mesures utiles destinées à faire cesser le référencement des contenus illicites ou de procéder à la suspension du nom de domaine pour une durée de trois mois, renouvelable une fois ;

- puis, en cas de nouvel échec, au tribunal judiciaire de supprimer, en raison du caractère illicite de leurs contenus, un ou plusieurs noms de domaine. Cette demande serait faite selon la procédure prévue à l'article 375 du code des douanes, dont l'objet diffère sensiblement du dispositif projeté : en l'état, celle-ci permet à l'administration des douanes de « demander au tribunal judiciaire sur simple requête la confiscation en nature des objets saisis sur des inconnus ou sur des individus qui n'ont pas fait l'objet de poursuites en raison du peu d'importance de la fraude ».

Ces suppressions et déréférencements pourraient faire l'objet d'une mesure de publicité.

Les modalités d'application de ce nouveau chapitre seraient précisées par décret. Selon la DGDDI, celui-ci porterait, d'une part, sur les mesures que les intermédiaires doivent prendre lorsque l'administration a constaté que les contenus diffusés en ligne ont permis la commission d'une infraction et, d'autre part, sur les modalités de publicité des mesures prises.

3. La position de la commission : un système peu cohérent et dont l'efficacité reste douteuse

La commission des lois n'a pu que constater que ni l'étude d'impact, ni les éléments complémentaires communiqués par l'administration des douanes au rapporteur ne permettaient de vérifier la pertinence du dispositif proposé par l'article 12. Celui-ci pose, en effet, plusieurs difficultés :

- il n'est pas possible de comprendre, dans la rédaction actuelle du texte, comment les agents des douanes « constateront » la commission d'un délit, certaines des infractions citées par le projet de loi étant complexes (notamment la contrebande) et insusceptibles d'apparaître avec évidence par une simple consultation de site internet ;

les terminologies retenues sont ambivalentes et viennent ajouter au droit en vigueur des notions nouvelles qui, loin de le simplifier, peuvent en dégrader la lisibilité d'ensemble ;

- il comporte des lacunes problématiques : à titre d'exemple, la première demande adressée par les douanes auprès du responsable d'un service en ligne devrait faire l'objet d'une réponse dans le délai fixé par l'administration, sans qu'il soit prévu une durée « plancher » ;

- les voies de recours au juge suscitent une certaine perplexité, le renvoi à l'article 375 du code des douanes ne semblant pas l'option la plus cohérente et ne faisant l'objet d'aucune justification particulière ;

- enfin, le renvoi à un décret simple dans une matière sensible, qui peut porter atteinte à la liberté d'expression, ne correspond pas aux usages habituels qui consistent, a minima, en un renvoi à un décret en Conseil d'État.

Pour autant, le dialogue entre le Sénat et le Gouvernement sur cet article n'ayant pas abouti, la commission des lois, saisie pour avis de cet article, n'a pas jugé possible d'adopter à ce stade des amendements. Le cas échéant, le rapporteur proposera que cet article soit modifié lors de l'examen du texte séance publique.

La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 12 ainsi modifié.


* 1 Arrêté du 12 mai 1969 relatif au tracé de la limite intérieure de la zone terrestre du rayon des douanes.

* 2 Lorsqu'ils sont utilisés comme moyen de résidence, soit en circulation, soit en stationnement temporaire, c'est la procédure prévue à l'article 64 du code des douanes qui trouve à s'appliquer.

* 3 Ces modifications ont été apportées par la loi n° 2014-742 du 1er juillet 2014 relative aux activités privées de protection des navires.

* 4 Chambre criminelle de la Cour de Cassation décision du 26 octobre 2016, n° 16-82.463.

* 5 Cet article vise les marchandises prohibées par le code des douanes et les produits du tabac manufacturé.

* 6 Cette réécriture faisait suite à une censure prononcée par le Conseil constitutionnel sur question prioritaire de constitutionnalité (décision n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010).

* 7 Le placement en garde à vue peut, de même, être décidé par un officier de police judiciaire « d'office ou sur instruction du procureur de la République » aux termes de l'article 63 du code de procédure pénale.

* 8 Le code des douanes renvoie largement au code de procédure pénale sur ce sujet ; de même, il renvoie au code de justice pénale des mineurs pour le cas où la retenue concerne un mineur (article 323-10).

* 9 Étrangement, cette condition, qui n'est pas citée pour le déclenchement de la retenue, doit être vérifiée par le procureur de la République dans le cadre de la prolongation de la retenue au-delà de 24 heures, le code des douanes renvoyant expressément à l'article 63 du code de procédure pénale, qui lui-même renvoie à l'article 62-2, en la matière (article 323-2).

* 10 Article 67 quinquies A du code des douanes.

* 11 L'ordonnance est notifiée à l'occupant des lieux ou à son représentant ; elle comporte, notamment, la mention de la faculté offerte à l'occupant des lieux et/ou à l'auteur présumé de l'infraction de faire appel à un conseil de son choix ; elle doit être motivée par l'indication des éléments de fait et de droit qui laissent présumer, en l'espèce, l'existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée ; le cas échéant, elle doit viser expressément la possibilité de saisie des biens et avoirs. Le code des douanes rappelle en outre que « Le juge doit  vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation qui lui est soumise est bien fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession de l'administration de nature à justifier la visite ».

* 12 Ces modalités de recours ont été jugées, pour l'article L. 38 du LPF, conformes au droit à un recours effectif par le Conseil constitutionnel (décision n° 20120-19/27 QPC) : « si les dispositions contestées prévoient que l'ordonnance autorisant la visite est exécutoire au seul vu de la minute et que l'appel n'est pas suspensif, ces dispositions, indispensables à l'efficacité de la procédure de visite et destinées à assurer la mise en oeuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, ne portent pas atteinte au droit du requérant d'obtenir, le cas échéant, l'annulation des opérations de visite ».

* 13 Cette suppression est déjà préfigurée, les contrats arrivant à terme n'étant pas renouvelés.

* 14 Selon les chiffres communiqués par la DGDDI, le SPND est intervenu 521 fois en 2021 et à 473 reprises en 2022.

* 15 Le nombre d'enquêtes traitées est, en effet, important : il s'élèverait à 500 affaires judiciaires nouvelles par an, auxquelles s'ajoute un « stock » de 1 000 affaires. Au surplus, il s'agit le plus souvent d'affaires complexes, relevant de la délinquance et de la criminalité organisées.

* 16 L'étude d'impact mentionne que « cette pratique a déjà été mise en place par la [DNRED] à la demande d'un service de police judiciaire programmé pour poursuivre les investigations douanières, sur accord de l'autorité judiciaire, dans le cadre du démantèlement d'une importante plateforme opérant sur le darknet (FRENCH DEEP WEB MARKET et autres plateformes gérées par les mêmes infracteurs - 2019) dans lequel le service a modifié les mots de passe d'un serveur afin que les infracteurs ne puissent plus accéder à leurs serveurs pour retirer les informations, et/ou les copier pour créer un serveur miroir. Le service judiciaire de reprise a pu télécharger ultérieurement les données ».

* 17 La DGDDI reconnaît elle-même, dans le cadre des réponses écrites adressées au rapporteur, que « La visite domiciliaire qui es mise en oeuvre après constatation d'un délit douanier flagrant n'est alors subordonnée ni à une autorisation de l'autorité judiciaire, ni à son information préalable ».

* 18 Règlement (CE) n° 1987/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II).

* 19 Initialement fixé à 8 jours, ce délai a été étendu par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.

* 20 En cas de rapprochement positif avec un véhicule volé ou signalé ou avec le SIS, sont également enregistrés le motif du signalement et la conduite à tenir pour les véhicules placés sous surveillance.

* 21 Consultée en vue de l'examen de la loi du 23 janvier 2006, la CNIL s'est montrée « extrêmement réservée » sur ce dispositif « qui conduit à pouvoir soumettre à une surveillance automatique l'ensemble des déplacements des personnes en France utilisant le réseau routier, ce qui serait de nature à porter atteinte au principe fondamental de la liberté d'aller et venir » (délibération n° 2005-208 du 10 octobre 2005). Elle a, en particulier, estimé disproportionnée la collecte systématique de la photographie des passagers d'un véhicule, et excessifs les délais de conservation des données collectées.

* 22 Ces infractions sont, respectivement, punies de trois ans (voire cinq en cas de circonstances aggravantes) et d'un an d'emprisonnement.

* 23 Le projet de loi vise « les opérateurs de plateforme en ligne, au sens de l'article L. 111-7 du code de la consommation, et les personnes mentionnées au 2. du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ».