- L'ESSENTIEL
- EXAMEN EN COMMISSION
- COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DE M. ÉRIC DUPOND-MORETTI, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- CONTRIBUTION ÉCRITE
N° 134 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023 |
AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale (1) sur le projet de
loi de finances,
considéré comme adopté par l'Assemblée
nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la
Constitution, |
TOME VIII PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE |
Par Mme Laurence HARRIBEY, Sénatrice |
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel. |
Voir les numéros : Assemblée nationale (16ème législ.) : 1680, 1715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178 Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024) |
L'ESSENTIEL
Le programme 182, « Protection judiciaire de la jeunesse » (PJJ) représenterait 9,4 % des crédits de la mission « Justice » inscrits au projet de loi de finances pour 2024. Il serait doté de 1,160 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,125 milliard d'euros en crédits de paiement, soit une relative stabilité après l'augmentation de l'ordre de 10 % qui avait marqué l'année 2023. Hors CAS Pensions, ces crédits s'élèveraient à 950 millions d'euros et seraient en hausse de 28 millions d'euros (+ 3 % par rapport à 2023).
Les crédits versés au secteur associatif habilité - qui correspondent aux prestations réalisées par les établissements et services du secteur associatif habilité (SAH) à la demande du juge des enfants, des juges d'instruction et des magistrats du parquet et comprennent l'ensemble des dépenses de personnel, de fonctionnement, mais aussi d'investissement, de provisions, de frais de siège et de charges financières - s'élèveraient à 299,8 millions d'euros en 2024, en légère augmentation (+ 3,7 %) par rapport à 2023. Ils permettent de financer l'action des quelques 992 structures habilitées sur un total de 1 221 établissements et services de PJJ dans notre pays (les 229 structures restantes étant gérées directement par le ministère de la justice).
Les dépenses de fonctionnement du secteur public s'établiraient, quant à elles, à 120,5 millions d'euros en 2024, soit un niveau équivalent à celui de 2023 et de 2022. Elles financent les services d'hébergement et du milieu ouvert, ainsi que les frais liés directement ou indirectement à la prise en charge des jeunes.
Les dépenses de personnel du programme (hors CAS Pensions) atteindraient un total de 494,2 millions d'euros en 2024, en croissance de 4,2 % par rapport à la LFI 2023 compte tenu des mesures du « rendez-vous salarial 2023 » et de l'impact des créations d'emplois (92 ETP pour 2024, dont 35 personnels d'encadrement et 57 personnels de catégorie A « métiers du social, de l'insertion et de l'éducatif ») et des mesures catégorielles.
Les crédits alloués au programme se décomposent, comme les années passées, en trois actions : « Mise en oeuvre des décisions judiciaires » qui concentre 84,4 % des crédits du programme ; « Soutien » (11,7 %), qui correspond au financement de la fonction de pilotage, de gestion, d'animation et de coordination assumée à titre principal par l'administration centrale de la PJJ ; « Formation » (3,9 %), qui regroupe les crédits de l'École nationale de la PJJ. L'évolution des crédits consacrés à chaque action est disparate : hors titre 2, l'augmentation est particulièrement marquée pour l'action « Soutien », dont le taux de croissance (+ 11,3 %) est singulièrement plus important que ceux des autres actions (qui s'établissent, respectivement, à 2,6 % et 1,7 % par rapport à 2023), sans que les documents annexés au PLF 2024 rendent précisément compte des motifs de cette évolution.
Dans le prolongement de l'important travail accompli au cours de ses avis budgétaires successifs sur la protection judiciaire de la jeunesse, entre 2018 et 2022, par Maryse Carrère (RDSE, Hautes Pyrénées), la rapporteure s'est concentrée sur quatre défis majeurs :
- le programme de création de vingt nouveaux centres éducatifs fermés (CEF) d'ici 2027 ;
- l'ouverture sur l'extérieur de la PJJ, qui reste à conforter ;
- les enjeux de ressources humaines liés tant à l'amélioration de l'attractivité des métiers de la PJJ qu'au déploiement de la nouvelle réserve opérationnelle de la PJJ ;
- enfin, la mise en oeuvre fastidieuse de l'applicatif PARCOURS.
Après avoir entendu Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice1(*), et sur la proposition de la rapporteure, la commission des lois, a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182, « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2024.
I. LE PROGRAMME DE CRÉATION DE NOUVEAUX CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS
A. UN PROGRAMME AMBITIEUX...
Prévue par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, l'ouverture de 20 nouveaux centres éducatifs fermés (CEF) est un axe majeur de la stratégie de la PJJ.
Le plan de construction de ces 20 CEF concerne 15 centres associatifs et 5 centres publics ; trois ont déjà été ouverts à Bergerac (Dordogne), Épernay (Marne) et Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), permettant de porter le parc de CEF à 54 établissements dont 36 du secteur associatif habilité (SAH) et 18 du secteur public. Pour mémoire, ces centres, animés par des équipes pluridisciplinaires, ont vocation à permettre la prise en charge des mineurs de 13 à 18 ans multi-réitérants, multirécidivistes ou ayant commis des faits d'une particulière gravité : ils constituent la forme la plus « contenante » du milieu fermé et la dernière étape avant l'incarcération.
Entre 2024 et 2027, douze nouveaux CEF ayant une capacité de 12 places chacun doivent ouvrir selon l'échéancier suivant :
- en 2024, un CEF public à Rochefort (Charente-Maritime) et deux centres associatifs à Montsinéry-Tonnegrande (Guyane) et au Vernet (Ariège) ;
- en 2025, cinq centres associatifs à Digne (Alpes de Haute-Provence), Amillis (Seine-et-Marne), Bléré (Indre-et-Loire), Bellengreville (Calvados) et Apt (Vaucluse) ;
- en 2026, un centre public à Lure (Haute-Saône) et un centre associatif à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) ;
- en 2027, un CEF public à Liancourt (Oise) et un CEF associatif à Saint-Nicolas de la Grave (Tarn-et-Garonne).
Le calendrier d'ouverture des cinq derniers centres prévus dans le Pas-de-Calais, le Nord, la Loire, les Yvelines et en Savoie n'est pas encore stabilisé, faute de foncier disponible mais aussi en raison, pour certains, de l'opposition des riverains. Par ailleurs, l'ouverture de deux centres supplémentaires est prévue d'ici 2027 à Mayotte et à Varenne-le-Grand (Saône-et-Loire).
Le coût moyen de construction d'un centre, estimé lors du lancement du programme à 4,5 M€, a été réévalué à 6,5 M€ pour tenir compte des coûts particuliers d'adaptation du foncier et de l'impact de l'inflation. Ce projet représente ainsi un investissement substantiel pour la PJJ, qui vient s'ajouter à un effort financier conséquent lié, plus généralement, à des projets d'amélioration du parc immobilier.
Les autres projets immobiliers de la PJJ
La construction de 12 unités éducatives d'activité de jour (UEAJ)
En parallèle des ouvertures de CEF qui permettront d'améliorer l'offre de placement, la PJJ a pour objectif de développer ses capacités de prise en charge en insertion dans le cadre du nouveau code de la justice pénale des mineurs. Cela suppose d'améliorer le maillage territorial des services mais aussi de pérenniser et renforcer le dispositif existant.
Ce programme de construction représente 15,53 M€ AE et 2,50 M€ en CP au PLF 2024.
Prévu initialement pour 12 UEAJ, il sera mis en oeuvre de façon différenciée selon les lieux, en fonction des besoins de prise en charge identifiés par la DPJJ, tout en tenant compte des réalités et des contraintes locales sur le plan immobilier (maîtrise foncière, disponibilité de biens domaniaux ou à vendre, etc.). Dans certaines situations, ce renforcement du dispositif d'insertion pourra se faire, au moins dans un premier temps, par une prise à bail comme c'est le cas à Charleville-Mézières (08), afin de pouvoir mettre en oeuvre très rapidement une réponse éducative sur ce territoire.
Dès à présent, trois opérations de construction ou de rénovation lourde ont été lancées et sont en phase d'études préalables à Bouguenais (44), Limoges (87) et Saint-Étienne (42) afin de remplacer des équipements vétustes et inadaptés et renforcer le dispositif d'insertion existant.
Une opération de construction d'une nouvelle UEAJ neuve va entrer en phase opérationnelle avec le recrutement du maître d'oeuvre à Bruay-la-Buissière (62).
L'acquisition d'un bâtiment à Bourges (18) est en négociation afin d'y créer une nouvelle UEAJ. [...]
La réhabilitation du patrimoine francilien
La mesure nouvelle de remise à niveau du patrimoine immobilier IDF, pour laquelle la DPJJ disposera d'1 M€ d'AE et de CP en 2024, permettra d'engager des études pour la restructuration de certains sites historiques comme celui de Savigny-sur-Orge ou l'établissement d'un schéma directeur immobilier.
Les projets immobiliers à court, moyen et long terme
En raison de la nature des missions qu'elle exerce, la DPJJ met en oeuvre une politique immobilière dont l'objectif est de mettre à la disposition des juges et des équipes éducatives des bâtiments répartis sur le territoire national. Ces bâtiments doivent être adaptés aux prises en charge éducatives des mineurs délinquants et répondre aux différentes réglementations en vigueur et aux orientations de la politique immobilière de l'État (mise en accessibilité des bâtiments telle que définie dans l'agenda d'accessibilité programmée de la DPJJ, mise à niveau du câblage et des locaux informatiques dans le cadre du plan d'augmentation des débits (ADD) du ministère et atteinte des objectifs de transition énergétique). En effet, le parc est encore en grande partie composé de locaux usés, peu fonctionnels et peu résistants aux dégradations (anciennes maisons d'habitation ou maisons de maîtres notamment).
[...] Ainsi, il est prévu de livrer en 2023, parmi les opérations les plus importantes, la restructuration et extension de l'UEHC de Bagneux (5,8 M€), la reconstruction de l'UEHC de Béthune (3,67 M€), la reconstruction du CER de Cuinchy (3 M€), la restructuration de l'UEHC de Tourcoing (3,1 M€), la construction des locaux de l'UEAJ de Rouen (1,90 M€), la réhabilitation de l'UEHC de Corenc (1,51 M€), la relocalisation de l'UEMO de Mont-de-Marsan (1,34 M€), et l'aménagement de l'UEAJ de Troyes et [la] rénovation du câblage du site (1,28 M€).
Les principales opérations en cours qui devraient être livrées en 2024 sont les suivantes : la restructuration de l'UEHC de Rosny-sous-Bois (5,5 M€), la reconstruction de l'UEHC de Toulouse la Cale (4,72 M€), la déconstruction et [le] désamiantage du bâtiment 5H sur le site de Savigny-sur-Orge (1 M€) et l'acquisition et relogement de l'UEMO de Saint-Gaudens (1 M€).
Par ailleurs, plusieurs opérations d'ampleur devraient entrer en phase travaux en 2023, avec une prévision de livraison en 2025 : la construction d'une UEHC avec MISP à Auxerre, la restructuration de l'UEHC de Nogent-sur-Oise, la restructuration des UEMO et UEAJ de Dunkerque et la restructuration de l'UEHC d'Arras.
Des opérations actuellement en phase de maîtrise d'oeuvre devraient entrer en phase travaux en 2024 ou 2025, comme la réhabilitation d'une aile pour reloger l'UEMO de Nogent-sur-Marne, la réhabilitation de l'UEHC de Rennes, la démolition et reconstruction du CER Poix du nord, la réhabilitation de l'UEHC de Villiers-sur-Marne, la restructuration du site de la Fontaine au Roi à Paris et la construction d'une UEMO et UEHD à Saint-Laurent du Maroni.
Enfin, de nombreux sites font l'objet d'études préalables en vue de futures opérations, tels que le CEF de Brignoles, le CEF de Nîmes, l'UEMO de Pau, l'UEMO d'Aulnay-sous-Bois, l'UEMO d'Antibes et l'UEMO d'Orléans, le site des Chutes-Lavie à Marseille, le site de Bures-sur-Yvette, outre ceux précédemment mentionnés au titre des mesures spécifiques.
Source : réponses du ministère de la
justice au
questionnaire établi par la commission des lois du
Sénat.
B. ... QUI N'EST REMIS EN CAUSE NI PAR LES INSUFFISANCES DE L'ÉVALUATION DES CENTRES EXISTANTS NI PAR LES ÉVOLUTIONS INDUITES PAR L'ENTRÉE EN VIGUEUR DU CODE DE LA JUSTICE PÉNALE DES MINEURS
Sans entendre remettre en cause le programme de construction de nouveaux CEF, la rapporteure rappelle qu'il se heurte à trois difficultés.
La première tient à la sous-utilisation des centres existants, dont le taux d'occupation s'établissait en 2022 à 68 % (le taux « cible » étant de 85 %). S'il existe un intérêt de principe à assurer une bonne répartition des centres sur l'ensemble du territoire national, il paraît toutefois paradoxal que la construction de 20 centres ait été engagée sans que les structures existantes paraissent exploitées au maximum de leurs capacités2(*). Les auditions menées par la rapporteure ont montré que cette sous-utilisation tenait notamment :
- au décalage entre, d'une part, les besoins des CEF, qui aspirent à accueillir des publics dont le profil est en cohérence avec le projet d'établissement et peuvent parfois « réserver » des places pour des jeunes dont la venue n'est pas acquise et, d'autre part, les modalités d'affectation en CEF, qui répondent le plus souvent à des situations d'urgence, qu'elles soient pré ou post-sentencielles ;
- aux difficultés rencontrées par les équipes, qui ne parviendraient plus à accueillir de nouveaux jeunes en dépit de places disponibles du fait d'un turnover trop important, voire du nombre important de postes vacants qui rendrait impossible l'utilisation normale des places.
La seconde découle des différences de coût entre les CEF publics et les CEF associatifs qui, pour être observées tant par le Gouvernement que par la Cour des comptes dans un récent rapport, ne sont pas expliquées. Comme le rappelle la Cour, « le coût des CEF du secteur associatif habilité se situe nettement en-deçà de celui des CEF publics », ce qui pourrait, pour partie, s'expliquer par un différentiel de taux d'occupation et par les revenus plus faibles des éducateurs dans le SAH3(*).
Il est étonnant que la répartition des nouveaux centres entre le secteur public et le secteur associatif ait été décidée sans que cette question, pourtant cruciale, ait pu être résolue.
La troisième - et peut-être la principale - difficulté tient à l'impact de l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs (CJPM). Mis en application depuis le 1er octobre 2021, le nouveau code a en effet induit une baisse très nette de la durée des placements4(*), la durée moyenne en CEF s'étant établie en 2022 à 4,1 mois et 82 % des placements ayant présenté une durée inférieure à six mois. Or, cette durée de six mois était précédemment la durée de référence du placement, à partir de laquelle était conçu un parcours décomposé en trois phases pour favoriser la réinsertion des mineurs et préparer leur sortie.
Face à cette évolution, la direction de la PJJ (DPJJ) a annoncé qu'elle engagerait, à la fin de l'année 2023, une actualisation du cahier des charges des CEF et intègrerait à son plan d'action pluriannuel 2023-2027 la prise en compte de « la nouvelle temporalité du code de la justice pénale des mineurs »5(*) en organisant la prise en charge des mineurs en deux phases au lieu de trois. Pour autant, la rapporteure doute que cette initiative suffise à résoudre les dysfonctionnements constatés dans un contexte où, de l'aveu général, les placements sont désormais orientés par les échéances judiciaires et non par le projet éducatif proposé au mineur ; où les séjours « de rupture » de plusieurs mois, dont l'efficacité a été unanimement saluée par les personnes auditionnées, deviennent de facto difficiles à mettre en oeuvre au vu du raccourcissement des placements ; et où l'évaluation même de l'impact du CJPM par la DPJJ n'a donné satisfaction ni aux organisations syndicales, ni aux représentants du SAH - qui n'y ont au demeurant pas été associés.
C. LE RISQUE D'UN EFFET D'ÉVICTION
Plus largement, la rapporteure s'interroge sur un possible « effet d'éviction » favorisant les CEF au détriment d'autres formes de placement.
En effet, et comme l'ont rappelé en audition les représentants de Citoyens & Justice de l'UNIOPSS6(*) pour le compte du SAH (qui gère la grande majorité des CEF), le nombre de journées en CEF a explosé en 2005 et 2022, passant de 32 000 à plus de 100 000 ; dans le même temps, l'hébergement dit « diversifié » (donc hors CEF et CER) s'est effondré, passant de 300 000 à 138 000 journées.
Le risque est ainsi que les créations de places en CEF ou en CER soient « gagées » par des suppressions dans les autres structures. Selon les représentants du SAH, cette évolution peut s'expliquer à la fois par la plus grande facilité de gestion de ces centres (qui, financés par un seul intervenant, sont d'un pilotage plus simple que les autres structures qui font l'objet d'une gestion conjointe) comme par la méconnaissance, de la part des éducateurs et des magistrats, de la richesse des autres possibilités existantes en matière de placement.
La rapporteure s'inquiète de cette situation, qui porte notamment préjudice à deux leviers pourtant essentiels pour la réinsertion des mineurs délinquants.
Le premier concerne les établissements à double habilitation, civile et pénale, qui permettent d'envisager un suivi des mineurs plus stable et plus pérenne : une fois la prise en charge pénale achevée, cette formule ouvre la possibilité de débuter une prise en charge civile sans changer d'établissement et offre « une réversibilité des parcours du pénal vers le civil et l'administratif avant de rejoindre le droit commun »7(*). Plus largement, une telle diversification des solutions d'accueil impose une meilleure concertation entre le secteur public et le SAH dans une logique de complémentarité et d'adaptation aux spécificités des territoires. Or, comme le relevaient les acteurs du SAH et en particulier la Convention nationale des associations de protection de l'enfance (CNAPE), la coopération, effective au niveau national, mérite d'être approfondie au niveau interrégional : il importe ainsi que chaque direction compétente se saisisse rapidement et pleinement du sujet.
Le second levier négligé est celui des alternatives au milieu fermé. Témoigne, entre autres, de cette négligence la faiblesse du recours à la justice restaurative (qui est à la fois une alternative au milieu fermé, mais aussi un « module » ouvert en parallèle d'un placement en CEF ou en CER) : alors que 27 M€ avaient été prévus par le projet de loi de finances pour 2021, seuls 13 M€ sont aujourd'hui affectés à la justice restaurative. Insuffisamment utilisée par les magistrats, elle est au demeurant peu accessible dans la mesure où elle n'a pas été déployée sur l'ensemble du territoire. Alors que la réparation était au coeur des ambitions du CJPM, il semble que celui-ci a au contraire incité à privilégier le placement en milieu fermé (notamment parce que, désormais moins longs, les placements semblent considérés comme « moins graves » par les magistrats) et n'est pas parvenu à stimuler le recours à des formes pourtant innovantes de réponse pénale.
La rapporteure appelle le Gouvernement à prendre toute la mesure de cette situation et à suivre les judicieuses recommandations de la Cour des comptes en reconnaissant l'impérieuse nécessité, « avant de lancer de nouveaux projets de CEF au-delà de ceux déjà engagés, d'établir les besoins à satisfaire, en se fondant sur une évaluation de l'offre existante et la réalisation de schémas régionaux tenant compte des autres dispositifs de placement de la PJJ et intégrant les conséquences de la réforme de la justice pénale des mineurs ». Elle ajoute que cette réflexion devra tenir compte de la nécessité d'inscrire les CEF dans une « palette » de réponses possibles et s'éloigner de la logique actuelle qui tend à faire des CEF une solution « par défaut », loin de leur philosophie initiale qui en faisait un dernier recours.
II. L'OUVERTURE DE LA PJJ SUR L'EXTÉRIEUR : AFFICHAGE OU RÉALITÉ ?
Affichée par le ministère de la justice lors de l'examen des projets de loi de finances depuis plusieurs années et rappelée dans le rapport annexé à la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, la volonté de renforcer les partenariats entre la PJJ et les services d'autres ministères est régulièrement réaffirmée. Au-delà des liens « naturels » de la PJJ avec l'Éducation nationale, les forces de sécurité intérieure et les établissements publics de santé (qui tous sont appelés à intervenir dans des structures gérées par la PJJ, notamment en milieu fermé), le ministère entend ainsi développer des partenariats nouveaux et met en avant sa volonté de coopérer plus étroitement avec le ministère des armées mais aussi, pour profiter de la dynamique créée par les Jeux de 2024 à Paris, avec les acteurs en charge de l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques.
Pour autant, cette volonté peine à se traduire par des actions concrètes.
S'agissant du ministère des armées, les actions mises en avant par le ministère de la justice se limitent à la participation de la DPJJ depuis 2016 à un organisme de réflexion et d'action « destiné à favoriser la connaissance entre les armées et les jeunes », à l'inscription depuis 2021 des mineurs détenus et pris en charge par la PJJ aux journées « défense et citoyenneté » et par un partenariat de la même année « formalisant les modalités d'accès des jeunes pris en charge par la PJJ à l'ensemble des dispositifs `jeunesse' du ministère des Armées ». De même, si une expérimentation portant sur un « parcours éducatif d'inspiration militaire à partir du projet pédagogique d'un centre éducatif renforcé » est évoquée, elle ne paraît pas avoir effectivement été lancée ; tout au plus la DPJJ a-t-elle évoqué, lors de son audition par la rapporteure, sa volonté de généraliser les « parcours d'inspiration militaire » dans les CER et de mettre en place des « classes de défense » dans les CEF.
Ainsi, au-delà de la possibilité donnée aux mineurs pris en charge par la PJJ de bénéficier (de même que les autres jeunes) de dispositifs de droit commun portés par le ministère des armées, aucune action particulière ne semble avoir été déployée.
Un constat analogue peut être dressé s'agissant de l'objectif affiché par la PJJ de « développer l'insertion par le sport [...]en saisissant notamment l'occasion de la période de préparation des jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, qui constitue non seulement un levier éducatif efficace, mais aussi de cohésion nationale, citoyenne et d'insertion pour les jeunes »8(*). Bien qu'un plan d'action « PJJ sport JOP 2024 et au-delà » ait été élaboré, et bien qu'il comporte des actions innovantes et potentiellement prometteuses (déploiement du dispositif « Sésame » d'insertion professionnelle dans les métiers du sport ou de l'animation auprès des jeunes suivis par la PJJ ; partenariat avec l'agence du service civique permettant à des jeunes du service civique de proposer des animations liées aux JOP dans les établissements et services de la PJJ...), la rapporteure déplore que cette démarche ait été sous-dotée en moyens humains : seuls 3 ETPT ont été obtenus par la DPJJ (2 en administration centrale et 1 à la DIR Île-de-France et Outre-mer), auxquels s'ajoutent 4,5 ETPT d'éducateurs accordés par le ministère de la justice pour un « renforcement temporaire » en Île-de-France et dans les villes hôtes avant, pendant et après les Jeux. Elle salue le travail effectué par la DPJJ - qui s'est inscrite dans le programme « Héritage » du comité d'organisation des Jeux et s'organise pour apporter son soutien aux directions inter-régionales pour tirer profit de son accès à la billetterie populaire - en dépit de ces faibles moyens.
Enfin, la rapporteure relève que des partenariats pourtant essentiels demeurent aujourd'hui sous-exploités. Au cours des auditions, son attention a été notamment appelée sur la nécessité de renforcer les partenariats avec les juridictions et avec les structures locales de santé : les partenariats existants avec ces acteurs ont, en effet, été décrits par les personnes entendues (et notamment par les organisations syndicales) comme des « coquilles vides », alors même que ces institutions sont des partenaires majeurs de la PJJ et que leur concours est nécessaire à la bonne prise en charge des mineurs suivis.
III. LE DÉFI DE L'ATTRACTIVITÉ
A. DES EFFORTS POUR AMÉLIORER L'ATTRACTIVITÉ DES MÉTIERS DE LA PJJ
La PJJ consent d'importants efforts, depuis plusieurs années, pour renforcer l'attractivité des postes qu'elle offre à ses personnels, sur concours comme sur contrat.
Pour les concours, le niveau d'études global des candidats est en progression tendancielle depuis cinq ans et la féminisation des corps se confirme (la proportion de femmes lauréates aux concours de la PJJ en 2022 a atteint 70 %). Sur le plan quantitatif toutefois, et comme le rappelait Frédéric Phaure, directeur de l'ENPJJ, « les derniers concours de recrutement des éducateurs peinent à faire le plein et le recours important à la liste complémentaire trouve des limites que la Direction [de la PJJ], avec l'école, mesure ».
La DPJJ a tenté de combattre le mouvement général de baisse des inscriptions aux concours par des campagnes de communication renforcées. Sur ce point, les auditions conduites par la rapporteure ont contredit la réponse apportée par le ministère : en effet, alors que cette réponse saluait les bons résultats de la campagne, l'ensemble des personnes entendues (y compris pour la DPJJ) se sont accordées pour reconnaître que cette démarche n'avait pas rencontré le succès escompté. C'est pourquoi l'ENPJJ souhaite privilégier à l'avenir des visites dans des viviers potentiels d'éducateurs (filières de sciences humaines et sociales des universités, instituts régionaux de travail social...), une présence physique apparaissant davantage susceptible de susciter des vocations qu'une simple publicité. Cette initiative - qui demande un investissement considérable en temps - est cependant un défi pour l'École.
En ce qui concerne les contractuels, la DPJJ a mis en place dans les derniers mois des mesures pour accroître l'attractivité de ses postes (avec, en particulier, un assouplissement de la durée des contrats pour ouvrir davantage de contrats longs, d'une durée de deux à trois ans, pour des postes préalablement proposés aux titulaires) ; depuis le 1er juillet 2023, elle a par ailleurs opéré une revalorisation des rémunérations de certains agents contractuels (éducateurs, professeurs techniques, cadres éducatifs et directeurs) pour un coût de 1,32 M€ sur six mois. Les revalorisations accordées aux fonctionnaires ont toutefois des limites, puisqu'elles ont pris la forme de primes qui ne sont pas prises en compte pour le calcul des pensions de retraite, générant des inquiétudes parmi les personnels.
La DPJJ tache, enfin, de favoriser la réussite de ses agents contractuels aux concours, notamment en assurant la transmission en « interne » des informations sur la tenue des concours et sur les attentes des jurys, en mobilisant les ressources de l'ENPJJ et en valorisant l'expérience acquise9(*).
Malgré les initiatives prises par le Gouvernement, la baisse de l'attractivité des métiers de la PJJ ne semble pas endiguée. Elle découle, au moins autant que de facteurs salariaux, de phénomènes sociologiques de deux ordres :
- les moteurs de l'entrée sur le marché du travail semblent avoir évolué, les jeunes diplômés affichant une volonté d'engagement professionnel autour de valeurs fortes qui peut favoriser un poste auprès des mineurs délinquants, mais aussi un souhait d'équilibre entre vie privée et vie professionnelle qui s'accorde mal avec les emplois du temps aléatoires et les horaires « à rallonge » fréquents au sein de la PJJ comme avec l'âpreté du métier d'éducateur ;
- s'agissant des personnels en place, ils développent un sentiment de perte de sens, en particulier dans le secteur public ; les auditions conduites par la rapporteure avec les organisations syndicales ont mis au jour une impression de « crouler sous les écrits et les audiences » au détriment du travail éducatif et du temps passé auprès des jeunes et de leurs familles.
B. LA MISE EN PLACE DE LA RÉSERVE DE LA PJJ
L'année 2023 a également été celle de la mise en oeuvre de la réserve opérationnelle de la PJJ, prévue par la loi de finances pour 2022 mais qui n'aura été rendue effective qu'à l'été dernier, avec la publication d'un décret n° 2023-464 du 14 juin 2023.
Largement contestée par les organisations syndicales, la nouvelle réserve doit permettre aux agents retraités de la PJJ et à des volontaires de la société civile de s'engager non seulement dans les directions interrégionales et territoriales et dans les services et établissements de la PJJ, mais aussi au sein de l'École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ), dans les pôles territoriaux de formation et en administration centrale. Ils pourront apporter un renfort en matière d'action éducative, de formation et de mentorat, ainsi que pour l'ingénierie de projet10(*).
Selon les éléments apportés par le ministère de la justice à la rapporteure, le budget prévu pour financer la réserve de la PJJ en 2023 était de 290 000 euros, alors même qu'elle n'avait été déployée que pendant un semestre, contre « seulement » 340 000 euros en 2024 pour une année pleine. Les auditions menées par la rapporteure ont montré qu'en réalité, l'importance de la réserve pour 2023 avait été surévaluée, seuls 10 à 20 contrats ayant été signés (principalement par des retraités de la PJJ, et très majoritairement dans des fonctions de mentorat et d'administration plutôt que dans des missions auprès des mineurs suivis).
La rapporteure forme le souhait qu'un bilan de ce dispositif puisse être dressé à l'occasion du prochain projet de loi de finances ; des efforts devront être faits par le Gouvernement pour que le Parlement dispose de l'ensemble des éléments nécessaires à la conduite d'une première évaluation.
IV. LE LOGICIEL PARCOURS : UNE MISE EN oeUVRE AUSSI URGENTE QUE CONTRARIÉE
Déjà étudié par Maryse Carrère à l'occasion de son avis sur le projet de loi de finances pour 2023, l'applicatif PARCOURS doit permettre à terme d'assurer le suivi de tous les mineurs confiés à la PJJ, de recenser tous les actes pris à leur égard par l'ensemble des acteurs compétents (magistrats, associations du SAH, éducateurs et personnels administratifs), y compris en ce qui concerne le suivi en réinsertion à la sortie des services et établissements de la PJJ. Les objectifs de ce projet sont multiples, puisque PARCOURS doit :
- garantir une centralisation du parcours judiciaire et éducatif des mineurs suivis ;
- assurer une gestion nativement dématérialisée et décentralisée des dossiers, dans l'objectif de sécuriser les échanges d'informations et de faciliter la communication entre les professionnels de la PJJ et les autres intervenants ;
- in fine, permettre de bâtir des indicateurs qui eux-mêmes permettront d'évaluer l'efficacité des mesures et des peines prononcées en fonction des profils des mineurs, des types de parcours et de la nature des suivis mis en place.
Une première version de PARCOURS a été mise en service en mai 2021 ; elle n'est pas directement ouverte aux personnels du SAH (les données relatives aux jeunes suivis dans les structures gérées par des associations doivent par conséquent être « re-saisies » par des agents de la PJJ), ce qui constitue une lacune importante. La centralisation et l'analyse des données sont renvoyées à un nouvel infocentre « InfoDPJJ » qui ne sera opérationnel qu'à l'aboutissement du travail, toujours en cours, de reprise des bases de données depuis 2004.
Le total des dépenses engagées à date pour PARCOURS, InfoDPJJ et l'accompagnement au changement est non-négligeable : entre 2021 et 2023, il s'est élevé à plus de 10 millions d'euros.
Ces dépenses n'ont couvert qu'une partie de la première phase du projet, non encore achevée et à laquelle doivent succéder deux autres phases de développement. Ainsi, le déploiement de la seconde version du logiciel (qui doit, notamment, apporter de nouvelles fonctionnalités, permettre une dématérialisation « native » des documents produits par la PJJ et des process de communication, de signature et de validation, et élargir le champ de PARCOURS pour y intégrer « des indicateurs concernant l'évolution des jeunes au cours de la prise en charge selon des critères sociaux, scolaires, de formation, de santé ou relationnels ») a été reporté à 2024 ; ce report s'explique, selon le ministère, par la conduite de travaux complémentaires sur les analyses de risques, par l'homologation en matière de sécurité informatique et par la mise en conformité de l'outil aux règles issues de loi « informatique et libertés » et du RGPD.
À l'issue de cette deuxième phase, donc à compter de 2025, un important chantier doit être conduit pour assurer la dernière étape du projet, à savoir l'interconnexion entre PARCOURS et les systèmes d'information judiciaires et pénitentiaires pertinents. Au vu de l'état notoirement dégradé des systèmes d'information du ministère de la justice, cette interconnexion ne sera pas une simple formalité.
Dans le même temps, la DPJJ prévoit l'ouverture d'un accès direct à PARCOURS aux services du SAH. Les représentants du SAH auditionnés par la rapporteure se réjouissent de cette extension, qui leur paraît le gage d'un travail plus collaboratif. Cet état d'esprit positif contraste avec le discours des organisations syndicales qui, à l'inverse, ont fait part à la rapporteure de leurs vives inquiétudes, PARCOURS leur semblant tout à la fois un outil lourd, inutilement chronophage, affecté par des bugs et perpétuellement en maintenance, et le signe d'une gestion purement comptable de la PJJ dans la mesure où le logiciel serait utilisé pour dimensionner les postes ouverts dans chaque structure du secteur public, sans pour autant avoir été calibré pour prendre en compte la complexité des profils des mineurs et la lourdeur des suivis associés. Quant à la DPJJ, elle impute l'ensemble des difficultés rencontrées à un déficit d'appropriation des utilisateurs ; Philippe Clergeot, secrétaire général adjoint du ministère de la justice a en outre estimé, au cours de son audition, que la recommandation de la Cour des comptes tendant à une reprise en main du projet PARCOURS par le secrétariat général était fondée sur une mauvaise compréhension du logiciel et a indiqué que le ministère n'entendait pas y donner suite.
La date visée pour l'achèvement complet du déploiement du logiciel n'a pas été précisée par le ministère à la rapporteure ; ce chantier pourrait, d'après la Cour des comptes11(*), durer jusqu'en 2032.
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La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » inscrits au projet de loi de finances pour 2024.
EXAMEN EN COMMISSION
Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis. - Le programme 182, « Protection judiciaire de la jeunesse » (PJJ) représente 9,4 % des crédits de la mission « Justice » inscrits au projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Il est doté de 1,160 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 1,125 milliard d'euros en crédits de paiement (CP), soit une relative stabilité après l'augmentation de l'ordre de 10 % qui avait marqué l'année 2023. Hors compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions, ces crédits s'élèvent à 950 millions d'euros et sont en hausse de 28 millions d'euros, ce qui représente une hausse de 3 % par rapport à 2023.
Les crédits alloués au programme se décomposent, comme les années passées, en trois actions : l'action nº 01 « Mise en oeuvre des décisions judiciaires », qui concentre 84,4 % des crédits du programme ; l'action n° 03 « Soutien », qui représente 11,7 % des crédits, correspond au financement de la fonction de pilotage, de gestion, d'animation et de coordination assumée à titre principal par l'administration centrale de la PJJ ; l'action n° 04 « Formation », enfin, regroupe les crédits de l'École nationale de la PJJ et représente 3,9 % des crédits du programme.
Dans le prolongement de l'important travail accompli par Maryse Carrère au cours de ses avis budgétaires successifs sur la PJJ entre 2018 et 2022, je propose de concentrer ce rapport sur quatre défis majeurs : le programme de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés (CEF) d'ici à 2027 ; l'enjeu de l'ouverture de la PJJ sur l'extérieur ; les enjeux liés à l'attractivité des métiers de la PJJ ; enfin, la mise en oeuvre fastidieuse de l'applicatif PARCOURS.
Je tiens à accorder une attention particulière aux CEF, dans le prolongement des avis budgétaires de Maryse Carrère et du rapport « Prévenir la délinquance des mineurs - Éviter la récidive » rendu public en 2022 et établi par la mission d'information que j'avais conduite aux côtés de Muriel Jourda, Bernard Fialaire et Céline Boulay-Espéronnier.
Le plan de construction de ces 20 CEF concerne 15 centres associatifs et 5 centres publics ; trois ont déjà été ouverts à Bergerac en Dordogne, à Épernay dans la Marne et à Saint-Nazaire en Loire-Atlantique, permettant de porter le parc de CEF à 54 établissements, dont 36 sont gérés par le secteur associatif habilité (SAH) et 18 par le secteur public.
Le récent rapport de la Cour des comptes et nos auditions mettent en évidence trois difficultés. La première tient à la sous-utilisation des centres existants, dont le taux d'occupation s'établissait en 2022 à 68 %, alors que le taux « cible » était de 85 %.
La seconde découle des différences de coût entre les CEF publics et les CEF associatifs, le coût des CEF du SAH se situant nettement en deçà de celui des CEF publics. Cet écart n'a d'ailleurs pas été expliqué, la Cour des comptes demandant une évaluation sur ce point.
La troisième difficulté - et peut-être la principale - tient à l'impact de l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) depuis 2021, qui a induit une baisse de la durée des placements : celle-ci s'est établie en moyenne à 4,1 mois en 2022, tandis que 82 % des placements ont duré moins de six mois. Or cette durée de six mois était précédemment la durée de référence du placement, à partir de laquelle était conçu un parcours décomposé en trois phases pour favoriser la réinsertion des mineurs et préparer leur sortie. Un problème de différentiel entre le temps éducatif et le temps judiciaire existe donc, et, si l'on peut se satisfaire de la diminution du temps judiciaire, le temps éducatif devrait être adapté en conséquence, ce qui n'est pas le cas.
Face à cette évolution, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) a annoncé qu'elle engagerait, à la fin de l'année 2023, une actualisation du cahier des charges des CEF. Pour autant, on peut douter que cette initiative suffise à résoudre les dysfonctionnements constatés dans un contexte où, de l'aveu général, les placements sont désormais orientés par les échéances judiciaires et non par le projet éducatif proposé au mineur. C'est ce que nous avions souligné à l'occasion de la réforme du CJPM.
De fait, on peut s'interroger sur un possible « effet d'éviction » favorisant les CEF au détriment d'autres formes de placement, notamment les établissements à double habilitation civile et pénale, ou les alternatives au milieu fermé. La faiblesse du recours à la justice restaurative, qui est à la fois une alternative au milieu fermé, mais aussi un « module » ouvert en parallèle d'un placement en CEF ou en centre éducatif renforcé (CER), en fournit un exemple : alors que 27 millions d'euros avaient été prévus par le PLF pour 2021, seuls 13 millions d'euros sont aujourd'hui affectés à la justice restaurative. Il existe là une incohérence et une contradiction par rapport à ce qui avait été annoncé.
Nous appelons le Gouvernement à prendre toute la mesure de cette situation et à suivre les judicieuses recommandations de la Cour des comptes, en reconnaissant l'impérieuse nécessité, « avant de lancer de nouveaux projets de CEF au-delà de ceux déjà engagés, d'établir les besoins à satisfaire, en se fondant sur une évaluation de l'offre existante et la réalisation de schémas régionaux tenant compte des autres dispositifs de placement de la PJJ et intégrant les conséquences de la réforme de la justice pénale des mineurs ».
Il nous semble important de tenir compte de la nécessité d'inscrire les CEF dans une « palette » de réponses possibles et de ne pas se limiter à la logique actuelle, qui tend à faire des CEF une solution « par défaut », loin de leur philosophie initiale qui en faisait un élément parmi d'autres dans un arsenal plus large.
Le deuxième défi majeur a trait à l'ambition affichée depuis plusieurs années de l'ouverture de la PJJ sur l'extérieur avec la volonté de renforcer les partenariats entre la PJJ et les services d'autres ministères, qui est régulièrement réaffirmée, comme l'a encore fait le garde des sceaux hier en évoquant la relation avec le ministère des armées. Pour autant, cette volonté peine à se traduire par des actions concrètes.
S'agissant justement du ministère des armées, les actions mises en avant par le ministère de la justice se limitent à la participation de la DPJJ depuis 2016 à un organisme de réflexion et d'action « destiné à favoriser la connaissance entre les armées et les jeunes », à l'inscription depuis 2021 des mineurs détenus et pris en charge par la PJJ aux Journées défense et citoyenneté. De fait, aucune action particulière ne semble avoir été déployée au-delà d'un renforcement des dispositifs existants.
Un constat analogue peut être dressé s'agissant de l'objectif affiché par la PJJ de développer l'insertion par le sport. Bien qu'un plan d'action « PJJ jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et au-delà » ait été élaboré avec des actions à première vue innovantes, on peut déplorer que cette démarche ait été sous-dotée en moyens humains. Ceux-ci représentent en effet 3 équivalents temps plein travaillé (ETPT), auxquels s'ajoutent 4,5 ETPT d'éducateurs accordés par le ministère de la justice pour un « renforcement temporaire » en Île-de-France et dans les villes hôtes avant, pendant et après les Jeux. Je me suis amusée à regarder les offres d'emploi correspondantes, qui ne semblent pas avoir trouvé preneur alors que les jeux Olympiques approchent, ce qui soulève un certain nombre de questions.
Le troisième défi a trait aux ressources humaines et à l'amélioration de l'attractivité des métiers de la PJJ.
La PJJ consent d'importants efforts, depuis plusieurs années, pour renforcer l'attractivité des postes qu'elle offre à ses personnels, sur concours comme sur contrat. Mais les derniers concours de recrutement des éducateurs peinent à faire le plein, le niveau baisse et le recours important à la liste complémentaire trouve des limites.
En ce qui concerne les contractuels, la DPJJ a mis en place au cours de ces derniers mois des mesures visant à accroître l'attractivité de ses postes, mais le problème de l'insertion à terme de ces contractuels dans la fonction publique reste posé. Certes, la DPJJ a opéré une revalorisation des rémunérations, et lancé des campagnes d'information, mais celles-ci n'ont pas prouvé leur efficacité pour l'instant.
Une autre voie développée est celle de la mise en place de la réserve de la PJJ depuis un décret de juin 2023. Là encore intéressant sur le papier, le dispositif semble très limité avec seulement 10 contrats à 20 contrats signés, ce qui est très loin des objectifs fixés.
Le dernier point que j'évoquerai est celui de la mise en oeuvre aussi urgente que contrariée du logiciel PARCOURS.
Déjà étudié par Maryse Carrère à l'occasion de son avis sur le PLF pour 2023, l'applicatif PARCOURS doit permettre à terme d'assurer le suivi de tous les mineurs confiés à la PJJ, un projet dont l'objectif est tout à fait louable, mais dont la mise en oeuvre reste balbutiante. Le total des dépenses engagées atteint déjà, pourtant, 10 millions d'euros, sans oublier le fait que le SAH, qui assure une part substantielle du suivi des jeunes, n'y est pas associé.
En conclusion, considérant que ce budget traduit une relative stabilité après l'augmentation de l'ordre de 10 % en 2023, et que nous sommes dans la continuité de la réforme du CJPM dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182, tout en recommandant de mettre en place les éléments d'une veille pour en suivre l'évolution, en particulier au regard des défis que j'ai tenté de mettre en exergue.
À la suite des préconisations de la Cour des comptes, il faudrait travailler sur les CEF et sur l'articulation entre le SAH et le secteur public.
M. Christophe Chaillou. - Parmi les quatre défis qui ont été soulignés, je souhaite insister sur la sous-utilisation des CEF, alors que les coûts qu'ils occasionnent sont importants, ainsi que sur les questionnements liés à l'entrée en vigueur du nouveau CJPM.
La pertinence des financements considérables accordés aux CEF peut en effet être débattue alors qu'ils sont utilisés par défaut et non dans le cadre d'un parcours éducatif et de réinsertion, d'autant qu'ils n'accueillaient que 455 jeunes fin 2022.
L'autre défi majeur a trait à l'attractivité des métiers, car nous avons besoin que des hommes et des femmes s'investissent dans ces structures. Même si des dispositions ont été prises, les difficultés liées à la rémunération subsistent. Plus fondamentalement, nous devrions nous pencher sur la reconnaissance et la valorisation de ces professions.
Au regard des signaux envoyés et des efforts fournis depuis l'an dernier, ces questionnements ne font cependant pas obstacle à un avis favorable de la commission.
M. Olivier Bitz. - La PJJ n'a pas été oubliée dans le cadre de l'augmentation des crédits du ministère de la justice intervenue ces dernières années. Je m'interroge néanmoins sur la répartition des crédits en son sein : si la PJJ se mobilise pour les nouveaux CEF, qui correspondent à un engagement pris par le Président de la République lors de la dernière campagne électorale, nous avons parfois tendance à oublier qu'elle est également chargée du suivi des mineurs dans les établissements pénitentiaires, qu'il s'agisse des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ou des quartiers pour mineurs. Si nous pouvons saluer le renforcement des moyens sur la prise en charge en milieu ouvert et en CEF, restons vigilants sur ce point, car le milieu pénitentiaire accueille les mineurs les plus en difficulté, qui ont justement un fort besoin d'accompagnement. L'évolution de cette mission particulière de la PJJ n'est guère lisible.
Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis. - Vous avez raison de souligner que les CEF absorbent l'essentiel du budget. Dans le même temps, des problèmes de foncier sont à l'origine d'un report de l'ouverture de nouveaux CEF en 2025 au lieu de 2024. Par ailleurs, les EPM sont bien dotés, mais les quartiers pour mineurs le sont moins. C'est tout l'enjeu de l'univers carcéral qui sera évoqué dans l'avis « Administration pénitentiaire » que nous examinerons également dans la matinée.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice ».
COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DE M. ÉRIC
DUPOND-MORETTI, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE
M. François-Noël Buffet, président. - Nous sommes rassemblés ce soir pour évoquer, dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, le budget de la justice dans toutes ses dimensions.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je suis très heureux de vous retrouver pour aborder ce sujet pour la quatrième année consécutive.
Le projet de budget du ministère de la justice pour 2024 s'inscrit dans un contexte tout à fait particulier puisque le Sénat a adopté définitivement la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, ce dont je veux ici vous remercier. Cette loi pérennise les hausses de moyens destinées à renforcer notre justice en la rendant plus proche, plus protectrice et plus rapide pour chacun de nos concitoyens - l'objectif est ambitieux !
L'enjeu est avant tout aujourd'hui pour moi de vous démontrer comment, concrètement, le Gouvernement tient les engagements qu'il a pris devant vous et devant les Français.
Le projet de budget pour 2024 du ministère de la justice respecte à la lettre la trajectoire budgétaire que nous donne la loi de programmation, conformément à l'engagement du Président de la République et à la volonté de la Première ministre, grâce au soutien du ministre délégué chargé des comptes publics.
Ce nouveau budget vise à améliorer la qualité de la justice qui doit être rendue aux justiciables. Il vient s'ajouter à des années d'augmentation, qui ont permis au budget du ministère de passer de 6,9 milliards en 2017 à 9,6 milliards d'euros en 2023. La hausse se poursuivra en 2024.
On peut dire que c'est historique. Le projet de budget de la justice que je vous soumets dépasse la barre symbolique des 10 milliards, pour atteindre 10,1 milliards d'euros. Entre 2023 et 2024, la hausse représente près d'un demi-milliard d'euros supplémentaires - 503 millions très précisément -, soit près de 5,3 % d'augmentation.
Rien que pour les rémunérations versées aux agents du ministère, hors cotisations retraite, l'enveloppe passera de 4,7 milliards d'euros en 2023 à 5,1 milliards en 2024, soit une hausse proche de 8 %, parmi les plus importantes que le ministère a connues. C'est la traduction directe et concrète de la politique de ressources humaines que nous menons, celle de recrutements massifs conjugués à une forte revalorisation des rémunérations.
Le défi du ministère dans les quatre années à venir ne consistera pas à savoir si nous allons recruter, mais plutôt de savoir comment nous réussirons à pourvoir la totalité des nouveaux emplois que nous créerons. D'où l'importance, à côté des recrutements que j'ai annoncés, de renforcer l'attractivité des métiers de la justice.
Au terme de la loi de programmation, en 2027, le budget du ministère frôlera les 11 milliards d'euros, soit une hausse de près de 60 %.
Dans le détail, ces moyens importants alimenteront chacune des grandes composantes du ministère, pour lesquelles les hausses annuelles de crédits, hors cotisations retraite, évolueront de la manière suivante.
Une augmentation de 12 % concerne les services judiciaires, qui atteindront ainsi 3,8 milliards d'euros en 2024, contre 3,4 milliards en 2023. Depuis mon arrivée en 2020, le budget des services judiciaires aura connu une hausse d'environ 30 %.
Le budget de l'administration pénitentiaire se stabilise en 2024 par rapport à 2023, avec 3,9 milliards d'euros. La progression du budget de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) reprendra en 2025, à la faveur d'une dernière vague de mises en chantier d'établissements pénitentiaires, conformément au programme immobilier pénitentiaire. Ce dernier prévoit 15 000 places de prison supplémentaires - 18 000 places, me demande-t-on parfois de dire, mais j'attends qu'on me soumette des propositions en ce sens.
Le budget de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) progresse de 3 %. Il atteindra 950 millions d'euros en 2024, contre 922 millions en 2023.
Enfin, le secrétariat général du ministère voit son budget augmenter de 9 %, passant ainsi de 642 millions d'euros en 2023 à 702 millions en 2024.
L'année 2024 représente donc une étape majeure dans le rattrapage de ces années d'abandon budgétaire, politique et humain, auxquelles le Président de la République a décidé de mettre un coup d'arrêt. On ne répare pas un abandon de trente ans en un claquement de doigts, mais nous sommes, me semble-t-il, en bonne voie ; 2021, 2022, 2023, 2024, l'année change, mais le cap reste le même : restaurer la place de la justice à la hauteur de la mission fondamentale qui est la sienne, de l'engagement de ceux qui la servent et, surtout, des attentes des Français au nom de qui elle est rendue.
Je veux solennellement remercier votre commission et le Sénat dans son ensemble, qui, par son vote, a accompagné chacune de ces hausses massives de moyens.
Il est désormais essentiel que, de manière très concrète, celles-ci améliorent directement le fonctionnement de la justice, comme nous commençons à le percevoir par l'effet des moyens déployés lors des précédentes lois de finances. Je prendrai un seul exemple : les délais de justice.
Lors de la présentation du plan d'action pour la justice, j'ai fixé un objectif clair, celui de réduire de manière draconienne tous les délais de justice. Cela passe d'abord par la réduction des stocks d'affaires. Je souligne que, grâce aux moyens supplémentaires et à l'engagement de nos magistrats, de nos greffiers et de nos contractuels, nous avons obtenu entre janvier 2021 et la fin de 2022 une baisse des stocks allant jusqu'à 30 %, selon les matières et les juridictions. Le 1er novembre dernier, nous avons mis en place une politique de l'amiable qui vise également à réduire les délais en matière civile.
Mais je veux être clair : il faut aller plus loin et il faut que chacun prenne sa part dans cet effort collectif. Les Français ne comprendraient pas que l'État consacre autant d'argent à notre justice - et vous savez combien je me suis battu pour obtenir ces budgets - sans que de tels moyens améliorent effectivement le service public de la justice qui leur est rendu. Les efforts des contribuables nous obligent à des résultats.
Les acteurs du monde judiciaire ont pu compter sur moi pour obtenir des budgets à la hausse, sur le Parlement pour les voter ; je sais qu'on peut compter sur leur engagement pour que ces moyens tant attendus, et mérités, produisent rapidement des effets concrets au service des justiciables. C'est un impératif et il y va de la crédibilité de notre justice.
En ce qui concerne les emplois, la priorité du budget 2024 est d'accélérer le rythme de recrutement, pour tenir le cap fixé par la loi de programmation qui prévoit la création de 10 000 emplois durant ce quinquennat. Nous dépasserons ainsi en 2027 la barre des 100 000 agents au sein du ministère. Afin de conserver une certaine flexibilité, ces 10 000 emplois seront répartis année après année, en fonction des besoins des métiers, de l'avancement des projets et des capacités de recrutement et de formation des écoles.
Comme le prévoit la loi d'orientation et de programmation, nous créerons 1 500 postes de magistrats et, grâce au Sénat, 1 800 postes de greffiers pendant le quinquennat. Par ailleurs, entre 2023 et 2025, 1 100 attachés de justice seront recrutés, afin de constituer une véritable équipe autour du magistrat, ce qui lui permettra de se concentrer sur son coeur de métier : dire le droit, trancher les litiges, rendre la justice.
Je voudrais insister sur un point qui n'a pas toujours été bien compris - parfois de bonne foi, parfois de mauvaise foi - notamment au cours des débats parlementaires : ces créations d'emplois sont des créations nettes. Il est bon de le répéter. Autrement dit, elles viennent en plus du remplacement de tous les départs en retraite. Les 1 500 postes supplémentaires de magistrats, par exemple, représentent en réalité un recrutement de près de 2 800 magistrats, pour compenser les départs en retraite. Les chiffres que je vous présente ne sont pas des trompe-l'oeil ; ils induisent une augmentation concrète, précise, vérifiable, des effectifs dans les juridictions par rapport à aujourd'hui.
J'ai eu l'occasion d'annoncer, le 31 août dernier à Colmar, la répartition géographique par cour d'appel des renforts judiciaires. Je citerai quelques exemples : 91 magistrats supplémentaires dans le ressort de la cour d'appel de Douai, au moins 127 greffiers supplémentaires dans le ressort de la cour d'appel de Versailles, 72 attachés de justice d'ici à 2025 dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Cette première répartition géographique traduit deux principes cardinaux.
D'une part, la répartition nationale entre cours d'appel tient compte de plusieurs critères objectifs : le niveau des stocks, l'évolution du nombre des affaires au cours des dix dernières années, la délinquance, des données socioéconomiques et des prévisions de croissance démographique.
D'autre part, la répartition relative à ce qu'on appelle « le dernier kilomètre » repose sur les acteurs de terrain. J'ai souhaité que le détail de la répartition des emplois revienne aux chefs de cour d'appel, afin de répartir les efforts au plus près des besoins des juridictions de leur ressort, qui sont mieux connus d'eux que du garde des sceaux. C'était une demande forte des chefs de cour que d'entreprendre un dialogue de gestion rénové avec les différents tribunaux judiciaires placés sous leur direction.
Nous connaîtrons très prochainement cette répartition. J'ai pour ma part annoncé les chiffres cour d'appel par cour d'appel. À charge ensuite pour les chefs de cour, au terme d'un dialogue avec les chefs de juridiction, de leur attribuer tel ou tel nombre de postes de magistrats, greffiers ou contractuels.
Outre les remplacements de départs en retraite, le ministère obtient pour 2024 une autorisation de recrutement maximale de 2 110 équivalents temps plein (ETP). Par comparaison avec les créations nettes d'emplois accordées globalement par l'État, le ministère de la justice représentera près du tiers de l'ensemble des agents publics recrutés en 2024.
Pour rappel, en 2022, 720 emplois avaient été créés par le ministère de la justice. Nous avons triplé ce nombre en 2023. Les créations se maintiendront à ce niveau exceptionnel en 2024.
Sur le total de 2 110 ETP, 1 307 concerneront la justice judiciaire, avec 327 magistrats, 340 greffiers, 400 attachés de justice, et 33 postes, dont 22 de magistrats, spécifiquement alloués au renforcement des capacités de formation de l'École nationale de la magistrature (ENM). La promotion actuelle de l'ENM, ainsi que la prochaine, sont historiques. Il a fallu trouver de nouveaux locaux à l'école, tant ses effectifs d'élèves sont importants.
L'administration pénitentiaire comptera jusqu'à 599 ETP supplémentaires, dont 512 surveillants. Ce nombre inclut une possibilité de rattrapage de 149 ETP, à la suite d'une sous-exécution de crédits antérieurs. L'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap) bénéficiera du renfort de trois emplois.
La PJJ gagne 92 ETP. Les 112 ETP restants bénéficieront à la coordination de la politique publique de la justice et, plus particulièrement, au secrétariat général.
J'en viens aux rémunérations.
Elles concourent évidemment à l'attractivité des métiers de la justice, nécessaire afin d'assurer un niveau inédit de recrutement.
À mon arrivée en 2020, l'enveloppe catégorielle servant à revaloriser les professionnels du ministère s'élevait à 17 millions d'euros. Elle est passée à 50 millions d'euros par an en 2021 et 2022, puis à 110 millions en 2023, dont 80 millions de mesures nouvelles. J'ai le plaisir d'annoncer que cette enveloppe catégorielle augmentera de même significativement en 2024, pour atteindre un montant de plus de 170 millions d'euros, dont 64 millions de mesures nouvelles. Cela représente une multiplication par dix depuis ma prise de fonctions. Une telle progression nous engage.
Par ailleurs, les crédits interministériels financeront les mesures catégorielles issues de la conférence salariale du mois de juin 2023, à hauteur de 33 millions d'euros pour le ministère de la justice. Ces mesures permettront l'injection de 5 points d'indice supplémentaires pour l'ensemble des agents du ministère dès le 1er janvier 2024, afin de prendre en compte l'inflation.
Au titre des grandes mesures financées par l'enveloppe catégorielle de 170 millions d'euros, et comme annoncé en 2022, une revalorisation sans précédent du traitement des magistrats a été mise en place depuis octobre 2023. Elle s'élève en moyenne à 1 000 euros brut par mois par magistrat. La mesure représente un effort budgétaire de 88,5 millions d'euros en 2024. Elle est nécessaire au maintien de l'attractivité du métier, de même que pour aligner la rémunération de nos magistrats de l'ordre judiciaire avec celle de leurs collègues de l'ordre administratif. Les premiers n'avaient pas obtenu de revalorisation indiciaire depuis 1996 et, à l'exception de modestes revalorisations spécifiques, leur régime indemnitaire n'avait pas connu de modification depuis des temps très anciens. La mesure témoigne également de notre reconnaissance à leur égard.
J'ai annoncé en février dernier qu'à compter du 1er janvier 2024, les surveillants pénitentiaires passeront en catégorie B, tandis que les officiers passeront en catégorie A, avec des revalorisations indemnitaires et indiciaires correspondantes. Les contours de cette réforme seront bientôt tracés. Je peux déjà dire que 47 millions d'euros seront sanctuarisés pour la financer. Elle-même inédite, elle est destinée à rendre hommage au personnel de l'administration pénitentiaire, ainsi qu'à recruter. Il s'agit de reconnaître l'importance des métiers pénitentiaires, de prendre en compte la difficulté et, parfois, la dangerosité des missions qui y sont attachées.
Je porte la même attention aux autres fonctionnaires du ministère, qui ne seront pas oubliés.
Une revalorisation indiciaire et indemnitaire concernera en particulier les personnels de greffe, à hauteur de 15 millions d'euros. Ce sera la première étape d'une réforme approfondie de ce corps.
Le secrétariat général du ministère continue de porter des mesures transversales, pour un montant de 15,5 millions d'euros. Des mesures en faveur des corps spécifiques de la PJJ représenteront un montant de 3 millions d'euros. La revalorisation du corps de direction de la DAP et des agents du service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) s'élèvera à 1 million d'euros.
Outre l'enveloppe de 170 millions d'euros, une mesure complémentaire de revalorisation des magistrats et une mesure catégorielle en faveur des greffiers seront octroyées, avec un budget pouvant atteindre 22,5 millions d'euros en 2024.
Pour les personnels de greffe, ces mesures s'accompagnent d'une réforme statutaire d'envergure. Conformément à l'accord majoritaire signé le mois dernier avec trois des quatre organisations syndicales représentatives, elle s'articulera autour de trois axes.
La restructuration du corps des greffiers de catégorie B permettra d'abord une accélération de leur carrière et un accès plus ouvert à l'échelon sommital de greffier principal. La création d'un corps de greffiers de catégorie A de 3 200 agents favorisera ensuite la reconnaissance de l'expertise des greffiers, notamment des greffiers principaux et fonctionnels, dans leurs missions juridictionnelles. Enfin, un plan pluriannuel de requalification des agents de catégorie C, ceux qu'on appelle les « faisant fonction », reconnaîtra les compétences de métiers absolument indispensables à la justice de notre pays. Nous procédons par ailleurs sans attendre à la mise en oeuvre immédiate de la nouvelle grille indiciaire, annoncée en septembre dernier.
Un greffier en milieu de carrière, affecté à des missions classiques, percevait au 31 décembre 2021 2 312 euros brut mensuels, au titre de son traitement de base et de ses primes. Il perçoit aujourd'hui 2 606 euros brut, ce qui représente une augmentation de 294 euros brut par mois, soit une progression mensuelle de sa rémunération de l'ordre de 13 %.
Mon cap est clair en matière de revalorisation : c'est celui de l'attractivité de tous les métiers de la justice, de la fidélisation des femmes et des hommes qui oeuvrent au service de nos concitoyens. Il s'y attache un enjeu de reconnaissance de leur engagement.
Quant à la programmation immobilière pénitentiaire, les crédits de 2024 permettront de poursuivre le plan de construction voulu par le Président de la République. Ce plan portera à plus de 75 000 le nombre total de places de prison disponibles à l'horizon de 2027, avec la création de 51 nouveaux établissements pénitentiaires. Je suis pleinement engagé dans sa réalisation. Fin 2024, nous aurons parcouru la moitié du chemin, avec 23 nouveaux établissements opérationnels.
En 2023, ce sont 11 établissements qui auront été mis en service, comme je m'y étais engagé devant vous l'année dernière.
En 2024, le programme de construction continuera avec la même intensité. Il concernera sept chantiers. Quatre nouveaux établissements seront livrés : à Toulon, Noisy-le-Grand, Colmar et Nîmes. Trois sites pénitentiaires achèveront leur première phase de travaux : Bordeaux-Gradignan, Basse-Terre et Baie-Mahault. Pour la réalisation du programme de construction pénitentiaire, c'est un total de 308 millions d'euros qui sont inscrits au budget de 2024.
À ce jour, ce sont près de 2 milliards d'euros qui ont été investis dans ce plan de construction, pour un coût estimatif total de 5 milliards.
Au titre des réhabilitations d'établissements existants, les opérations courantes de maintenance représenteront 130 millions d'euros en 2024. Nous conservons ce très haut niveau d'investissement annuel, deux fois supérieur à celui qui était investi entre 2012 et 2017. Un budget de 2 millions d'euros sera consacré aux études relatives à la réhabilitation, devenue absolument indispensable, des établissements de Fresnes et de Poissy.
Je souhaite évidemment poursuivre l'effort de modernisation et d'agrandissement de l'immobilier judiciaire, afin de permettre l'accueil des renforts humains que j'ai décrits. Un total de 362 millions d'euros sera ainsi alloué en 2024 à l'immobilier judiciaire en pleine propriété, contre 269 millions en 2023, soit une hausse qui avoisine 35 %.
Ces crédits permettront notamment de poursuivre les 20 principaux chantiers engagés, dont 3 nouveaux palais de justice, 15 restructurations-extensions de palais de justice existants et 2 réhabilitations de bâtiments tiers pour construire des annexes de palais de justice.
En conclusion de ce propos introductif, je souhaite mettre en lumière quelques enveloppes budgétaires qui me tiennent à coeur, car elles ont vocation à moderniser et à améliorer concrètement le service public de la justice, ainsi que le bien-être de ses agents.
Dans les crédits d'investissement informatiques, les techniques d'enquêtes numériques judiciaires sont portées à 209 millions d'euros, soit une hausse de 7,2 % en un an. L'ensemble de ces crédits servira en particulier à poursuivre la mise en oeuvre du second plan de transformation numérique de la justice en France, lequel comprend deux projets principaux.
D'un côté, le soutien des agents du ministère sur le terrain, spécialement au sein des juridictions, passe par le recrutement en 2023 de 100 techniciens informatiques de proximité (TIP) - 80 ont d'ores et déjà été recrutés -, puis de 100 autres en 2024. Ceux qui, comme vous, se rendent dans les juridictions le savent : le « plantage » d'une machine un vendredi soir est insupportable... Il produit de la difficulté et de la frustration. Récemment encore, il fallait remonter l'information à la direction des services judiciaires (DSJ), voire au secrétariat général du ministère. Nous envoyons donc les techniciens informatiques sur le terrain, au plus près de ceux qu'ils aident.
D'un autre côté, la modernisation des logiciels métiers vise un objectif de numérisation à 100 %, de « zéro papier », d'ici à la fin du quinquennat. Nous progressons. J'en donnerai un exemple. À mon arrivée, la procédure pénale numérique (PPN) s'en tenait à l'état embryonnaire : environ 500 procédures par mois étaient transmises de manière dématérialisée des enquêteurs vers les tribunaux. Depuis juin dernier, avec l'aide du ministère de l'intérieur et des outre-mer, ce nombre a été multiplié par près de 300. Nous en sommes à 143 000 procédures transmises mensuellement. Une direction de programme unique, commune au ministère de l'intérieur et des outre-mer et au ministère de la justice, a été créée en juin 2023, de manière à accélérer de façon décisive le déploiement de la PPN.
Par ailleurs, l'enveloppe de crédits consacrés aux dépenses de frais de justice est portée à 674 millions d'euros en 2024, afin de renforcer les moyens d'enquête et d'expertise de la justice, ce qui équivaut à une hausse de 14 millions par rapport à 2023. En 2017, le budget qui leur était alloué s'élevait à 496 millions d'euros. En comparaison de cette année, l'augmentation atteint près de 36 %. La poursuite de notre effort doit faciliter le déstockage des affaires.
Enfin, les crédits alloués à l'accès au droit et à la justice s'élèveront à 734 millions d'euros en 2024, soit une hausse d'environ 3 % par rapport aux crédits de 2023, qui s'établissaient à 714 millions. Plus spécifiquement, dans cette enveloppe, les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle continueront à croître en 2024, pour atteindre 657 millions d'euros, soit 16 millions de plus en un an. Parallèlement, l'aide aux victimes est portée à 47 millions d'euros, soit une hausse de 2 millions en comparaison de 2023.
Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la justice judiciaire et à l'accès au droit et à la justice. - Alors que l'encre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice est à peine sèche, nous voilà de nouveau à échanger sur la trajectoire et les crédits budgétaires de votre ministère.
Nous nous félicitons une fois de plus de l'augmentation de ces crédits et des moyens, avant tout humains, qu'ils représentent. Le recrutement de 1 500 magistrats, ou 2 800 si nous prenons en compte le remplacement des départs en retraite, pourvoira - nous l'espérons - les 400 postes actuellement vacants dans nos juridictions ; celui de 1 800 greffiers renforcera également les équipes juridictionnelles.
Néanmoins, si la question se pose de savoir comment recruter, elle se pose également de savoir pourquoi.
La charge de travail des magistrats est en cause. Le référentiel sur lequel la DSJ a travaillé avec les représentants des organisations syndicales représentatives de magistrats est en cours d'expérimentation pour les juridictions de première instance et semble manifestement prêt. Quand sera-t-il dévoilé ?
La restructuration de l'équipe autour du magistrat et la réorganisation de son travail constituent par ailleurs un axe fort, car il ne suffit pas d'accorder des moyens supplémentaires. Les greffiers s'interrogent aujourd'hui sur la place qu'ils occuperont dans cette équipe. S'ils se réjouissent des revalorisations qui les concernent et du passage en catégorie A d'une partie d'entre eux, ils nourrissent aussi des inquiétudes sur les changements qui interviennent. Nous apprécierions davantage de clarté sur votre vision de l'équipe qui se formera autour du magistrat.
Nous observons une progression en flèche des crédits alloués à la prise en charge des frais de justice. Pensez-vous que vous parviendrez à les juguler ? Dans l'affirmative, comment vous y prendrez-vous ?
En 2024 se tiendront les jeux Olympiques et Paralympiques. Une telle manifestation laisse présager de fortes sollicitations des juridictions, qui pèseront sur la chaîne pénale. Les juridictions seront-elles prêtes ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à la justice judiciaire et à l'accès au droit et à la justice. - Merci pour les techniciens informatiques que vous dépêchez dans les tribunaux. Ils aideront beaucoup les greffiers et les magistrats tant, en effet, les pannes sont régulières. Deux noms reviennent depuis quatre ans dans nos conversations, ceux des programmes Portalis et Cassiopée. Quand cesserons-nous d'en parler, sauf pour enfin reconnaître qu'ils fonctionnent ?
L'objectif de « zéro papier » en 2027 s'étend au-delà de la seule PPN et se révèle plus ambitieux. Ne faut-il pas se concentrer d'abord sur la PPN ? Pour l'heure, ce sont très majoritairement les procédures dites « petits x » qui remontent de cette manière. Nous n'en sommes pas encore à la transmission de dossiers effectivement traités par des magistrats.
Sur l'immobilier judiciaire, les utilisateurs nous font observer que les travaux n'ont pas été suffisamment anticipés et qu'ils n'ont été que trop peu associés à la programmation. Nous vous remercions des nombreux recrutements, mais comment faire avec des bâtiments qui, pourtant neufs, s'avèrent déjà trop exigus ? Entendez-vous modifier la méthode d'élaboration de la programmation relative aux prochains bâtiments ?
Vous n'avez par ailleurs pas évoqué de politique d'économies d'énergie. La meilleure façon de trouver de l'argent consiste à ne pas le dépenser inutilement ! Or certains tribunaux sont de véritables passoires thermiques. Prévoyez-vous d'agir dans ce domaine ?
Nous avons soutenu une proposition d'expérimentation de tribunaux des affaires économiques. Quand les juridictions d'expérimentation seront-elles connues ? Par ailleurs, une contribution pour la justice économique a été créée dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027. Existe-t-il une possibilité de flécher cette recette sur le budget de la justice, voire sur celui des tribunaux de commerce ou des futurs tribunaux des affaires économiques ? Cela permettrait aux magistrats et juges concernés de disposer de ressources fort utiles.
Enfin, à quand des adresses mail dédiées pour les juges des tribunaux de commerce ?
Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à la protection judiciaire de la jeunesse. - Merci, monsieur le ministre, pour votre présentation. On constate une relative stabilité du budget de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) qui augmente de 3 %, mais il faut souligner que l'augmentation était de 10 % l'an passé. Des efforts particuliers sont engagés depuis plusieurs années, notamment sur la question des rémunérations. Néanmoins, le bilan est en demi-teinte.
Ma première question concerne les centres éducatifs fermés (CEF), dispositif auquel vous êtes attaché ; l'ouverture de 20 centres est prévue d'ici à 2027. Pourtant, un rapport récent de la Cour des comptes fait état d'un taux d'occupation de seulement 68 % et de nombreux professionnels évoquent un risque d'éviction, c'est-à-dire le fait qu'en recourant aux CEF, on délaisse des places existant dans d'autres types de centres, ce qui pourrait les conduire à réduire leur offre de placement, dont nous avons pourtant besoin.
Ma deuxième question porte sur l'impact de l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs : elle se traduit par une diminution de la durée des placements. Sur le fond, c'est une bonne chose, mais les personnels de la PJJ la jugent problématique car historiquement, la durée moyenne d'un parcours était de 6 mois minimum. Or aujourd'hui la durée de placement est de 4 mois et demi en moyenne. Les pratiques professionnelles en sont bouleversées : comment concilier désormais le tempo de l'éducatif et le tempo judiciaire ? Qu'advient-il des séjours de rupture de plusieurs mois, qui ont prouvé leur efficacité, mais qui deviennent plus rares avec cette réforme ?
Enfin, j'aimerais connaître le calendrier d'aboutissement de Parcours, la Cour des comptes évoquant en effet la date de 2032. Ce dispositif a déjà coûté 10 millions d'euros pour la mise en oeuvre du premier volet de la première partie et le choix - que l'on peut comprendre -, d'impliquer les acteurs dans sa construction, a ralenti le processus. Par ailleurs, le secteur associatif habilité n'est toujours pas associé, alors qu'il représente la grande majorité des placements.
M. Louis Vogel, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'administration pénitentiaire. - Monsieur le ministre, il faut saluer votre action puisque le budget de la justice augmente globalement, y compris pour l'administration pénitentiaire, et il était grand temps ! Mais, au sein de ce budget, les crédits prévus pour l'insertion et la probation sont en baisse. Or l'insertion et la probation sont unanimement considérées comme les meilleurs moyens de lutter contre la récidive. Comptez-vous revaloriser ce secteur et comment ?
On dit couramment que la surpopulation carcérale est liée à l'augmentation des peines et que les alternatives à la prison permettraient de réduire le nombre de détenus. Mais le récent rapport de la Cour des comptes dont il a été question montre qu'en réalité les deux courbes croissent parallèlement : il y a, à la fois, une augmentation du nombre de détenus et du nombre de personnes condamnées à des peines alternatives. Face à ce constat, comment comptez-vous agir pour réduire efficacement le nombre de détenus ?
Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis sur la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». -En tant que rapporteure pour avis de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », je me suis notamment penchée sur les crédits et l'activité de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) et de la direction interministérielle du numérique (Dinum).
J'ai pu étudier les récents rapports de la CGLPL ainsi que les grands projets numériques de votre ministère. Afin de réduire la surpopulation carcérale, préoccupation récurrente de la CGLPL, le Gouvernement prévoit un plan de construction de 15 000 places de prison d'ici à 2027, revu à la hausse par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. La CGLPL qualifiait en juillet dernier ce programme d'irréaliste. Ce plan sera-t-il suffisant pour résoudre la crise actuelle ? Le calendrier des livraisons prévues pour 2024 sera-t-il tenu ? Ainsi, le centre pénitentiaire de Gradignan compte déjà 825 détenus : la nouvelle construction de 602 places sera en suroccupation au moment de son ouverture.
Par ailleurs, dans son rapport d'activité, la CGLPL observe que le suivi de ses recommandations par les ministres demeure un exercice formel et fastidieux, mentionnant un taux de réalisation relativement faible : existe-t-il un suivi effectif des rapports et recommandations de cette autorité indépendante ?
La transformation numérique est une autre priorité du budget de la justice pour 2024. Parmi les 52 grands projets numériques qui font l'objet d'un suivi par la Dinum, 7 sont portés par votre ministère. Lors de l'exercice précédent, les écarts budgétaires et calendaires de ces projets accusaient une hausse de 5 % des coûts et de 7 % de la durée par rapport aux estimations initiales ; ces écarts s'accroissent pour 2024 avec des hausses respectives de 15 % et 29 %. Pourriez-vous expliquer ces dérives ? Comment ces projets ainsi que le deuxième plan de transformation numérique dans son ensemble sont-ils suivis et pilotés par les services de votre ministère ? Quelle a été la portée des recommandations éventuellement formulées par la Dinum ?
Enfin, les personnels réclament la modernisation du matériel, en vain car il serait trop cher. Ainsi, au centre pénitentiaire de Gradignan, les surveillants attendent : des drones d'interception et de surveillance, pour faire face aux drones livrant drogues et objets divers ; des pistolets à impulsion électrique pour les fouilles de cellule ; ainsi que des caméras-piéton à utiliser dans les sas, lorsque les surveillants hommes se retrouvent seuls avec des détenues femmes.
M. Philippe Bonnecarrère. - Monsieur le ministre, la remise à niveau de la justice française est indiscutablement à porter à votre crédit. Les questions portent maintenant sur la mise en oeuvre.
Je partage le tropisme de Dominique Vérien sur la question informatique. Vous avez évoqué 209 millions d'euros d'investissement dans le budget 2024. Quel est le taux d'exécution de ces investissements informatiques qui se situent autour de 190 millions d'euros ?
La gestion de nos collectivités locales nous a appris que les bonnes réalisations reposent sur une bonne maîtrise d'ouvrage, une bonne maîtrise d'oeuvre et un bon dialogue entre les deux. Comment cela est-il organisé dans votre ministère ? J'aimerais savoir qui, dans vos services, sur le terrain, s'occupe de la maîtrise d'oeuvre : est-elle totalement externalisée ? Comment le dialogue avec la maîtrise d'ouvrage fonctionne-t-il ?
M. Alain Marc. - À mon tour, je me félicite de l'augmentation du budget. Je me suis rendu à l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap) à Agen il y a deux ans. Il m'avait été souligné à cette occasion la sous-exécution du recrutement des surveillants pénitentiaires lors des années précédentes, et un niveau de recrutement qui est en conséquence très bas. Or les prisons sont aujourd'hui dotées de cellules de renseignement qui exigent, entre autres, de savoir rédiger des rapports synthétiques, ce qui suppose des qualités rédactionnelles et une culture de base. Comment comptez-vous améliorer l'attractivité de ces métiers ?
Je pense également que les conciliateurs de justice pourraient être plus nombreux si les bénévoles, souvent de jeunes retraités, s'y investissaient davantage. Cela soulève la question de la publicité faite autour de ce dispositif.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez publié le 23 novembre dernier, soit juste avant la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, un décret instituant des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel - ces pôles seront généralisés au 1er janvier 2024. Pourriez-vous en donner les détails budgétaires et en termes de ressources humaines ? En effet, le nombre de plaintes déposées augmente très significativement. On peut se réjouir de cette libération de la parole, mais les services de police et de justice manquent de personnels face à ces demandes. Les magistrats ont du mal à rester longtemps dans des fonctions qui entraînent une lourde charge mentale.
M. Hussein Bourgi. - Monsieur le ministre, je me réjouis cette année encore de l'augmentation du budget.
Les pôles spécialisés évoqués par Marie-Pierre de La Gontrie ont déjà été mis en place dans certaines juridictions, avant la parution du décret, mais d'autres juridictions m'ont fait part de leurs inquiétudes. En effet, les magistrats chargés des violences intrafamiliales conservent les attributions antérieures qui étaient les leurs. Certains disent ainsi de manière un peu provocatrice qu'ils prioriseront les violences intrafamiliales au détriment du reste. Ils s'inquiètent de devoir négliger les autres types de contentieux et que l'opinion publique se retourne contre cette grande cause qu'est la lutte contre les violences faites aux femmes, à laquelle elle adhère jusqu'à présent.
Aujourd'hui, dans les services du juge aux affaires familiales (JAF) du tribunal judiciaire de Montpellier, 350 décisions de justice attendent d'être mises en forme et notifiées aux parties et, de même, 300 audiences sont prévues mais n'ont pas encore été notifiées aux avocats. Dans le contentieux familial, et particulièrement lorsqu'il y a des enfants, ces délais enveniment les situations. On m'alerte sur le manque de greffiers. Si les convocations arrivent tard, les avocats risquent de demander des reports d'audience. Les mêmes difficultés structurelles m'ont été rapportées pour d'autres tribunaux. Comment pensez-vous résoudre ce problème ?
Mme Marie Mercier. - En 2016 a été mise en place la tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO) à titre expérimental : une évaluation de ce dispositif a-t-elle été menée et celui-ci sera-t-il pérennisé ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Vos nombreuses questions montrent tout l'intérêt que vous portez à la justice.
Madame Canayer, vous me demandez comment piloter la montée en charge du plan de recrutement. Il s'agit de 10 000 recrutements nets, inscrits dans la loi d'orientation et de programmation. Je prévois d'abord de sanctuariser 1 500 magistrats et 1 800 greffiers. Les 10 000 recrutements représentent une hausse de 11 % des effectifs actuels, qui s'élèvent à 92 000 agents. La répartition plus fine se fera année par année, en fonction des besoins de chaque métier, de l'avancement des projets pénitentiaires et naturellement des capacités de recrutement et de formation des écoles.
J'ai accueilli récemment la prestation de serment de la toute dernière promotion de l'École nationale des greffes qui compte désormais quatre promotions par an au lieu de deux. L'École nationale de la magistrature (ENM) a vu son budget augmenter d'un tiers, ce qui permet de recruter de nouveaux enseignants, d'élargir les salles de cours, de décupler la capacité de formation des auditeurs de justice. La prochaine promotion sera très importante puisqu'elle frôlera les 500 auditeurs de justice.
Ces recrutements imposent d'adapter le parc immobilier judiciaire qui compte actuellement 699 bâtiments en activité : il va falloir poursuivre l'effort de modernisation et de construction avec une programmation immobilière quinquennale en cours de révision, à la hausse. L'année 2024 verra ainsi : la construction de trois nouveaux palais de justice à Lille, Saint-Benoît à la Réunion, Saint-Laurent-du-Maroni ; deux réhabilitations pour construire des annexes au palais de justice, à Niort et à Valenciennes ; et enfin quinze restructurations de palais de justice existants à Arras, Bayonne, Bourges, Bourgoin-Jallieu, Chaumont, Carcassonne, Évry, Fort-de-France, Mâcon, Nancy, Nantes, Nanterre, Paris-Cité, Versailles et Vienne.
Sur les frais de justice, nous avons porté deux actions principales. Le 9 mai dernier, j'ai signé une dépêche relative aux dépenses, invitant les chefs de pôle et les chefs de juridiction à activer ensemble les leviers qui sont à leur main, pour maîtriser les coûts. J'ai mis en place un plan de maîtrise selon six axes en cours de mise en oeuvre : revoir l'organisation des juridictions, automatiser les dépenses de traduction, mutualiser les frais de gardiennage, mettre en place une tarification sur le recours aux laboratoires, et sur les investigations numériques, expérimenter un processus de destruction des armes avec le ministère de l'intérieur. Je peux vous donner ultérieurement des détails supplémentaires sur ces dépenses afférentes aux frais de justice si vous le souhaitez.
Vous m'avez interrogé sur les jeux Olympiques et Paralympiques : ils sont attendus avec beaucoup d'enthousiasme, mais ils nous contraignent à faire des choix. Les juridictions concernées devront être renforcées. Nous serons prêts, car nous avons anticipé cet événement de longue date, en région parisienne, à Lyon, à Marseille et en outre-mer : nous allons recruter 164 contractuels pour faire face à la hausse d'activité, 49 magistrats en surnombre dans les juridictions de la région parisienne. La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) prévoit des transfèrements pour libérer des places dans les établissements pénitentiaires : en effet, un afflux massif de population va provoquer une inflation de la délinquance avec les pickpockets, les questions de dopage, la fausse billetterie. Ainsi, le centre pénitentiaire de Caen-Ifs qui vient d'être inauguré, pourra, avec ses 1 000 places, accueillir des détenus de région parisienne pour que nous soyons opérationnels.
Madame Vérien, à propos de Portalis, j'ai constaté à mon arrivée au ministère une dérive du projet. On est donc revenu à l'objectif premier, à savoir déployer un logiciel unique pour tout le contentieux civil et nous allons donc remplacer huit applicatifs. Une première version de l'applicatif a été déployée à titre expérimental dans neuf juridictions. La généralisation à l'ensemble des prud'hommes se déroule jusqu'à la mi-2024. Ensuite, nous le déploierons pour les contentieux relatifs au droit de la famille. Je rappelle que ce sont les deux contentieux civils les plus importants dans la vie de nos concitoyens.
Le déploiement ira de plus en plus vite, parce que les principaux obstacles techniques ont été surmontés. L'avancée du projet est décisive pour l'ambition « zéro papier », que les juridictions administratives ont réussi à mettre en oeuvre : c'est donc parfaitement possible. On a maintenant un secrétaire général adjoint qui s'occupe de ces questions numériques, et on avance très rapidement.
Vous m'avez parlé de la charge de travail des magistrats et du fameux référentiel, cet outil ancien, délaissé, auquel j'ai décidé de revenir. C'est long, mais il a fallu quatre ans à l'Allemagne pour élaborer sa propre version. Nous y travaillons avec les syndicats et nous avons pu adopter 16 référentiels pour la première instance, soit 11 pour les fonctions du siège et 5 pour les fonctions du parquet. Les travaux sont en voie de finalisation pour les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) et l'activité de soutien au siège et au parquet avec les spécificités des chefs de juridiction doit être examinée prochainement.
Je n'ai pas la prétention de dire que ces budgets vont tout régler, mais on avance. Tout ne sera pas réglé d'ici à 2027, mais nous sommes sur une trajectoire où la justice est enfin considérée comme essentielle. Je rappelle qu'à une époque, le budget des anciens combattants était supérieur à celui de la justice, qui connaissait des taux de croissance de 1 %... Ces temps sont révolus. On a tous collectivement compris à quel point il était important de donner à la justice des moyens supplémentaires, et on ne sera plus dans l'abandon humain, budgétaire et politique.
La création prochaine de tribunaux des activités économiques (TAE) suscite beaucoup de candidatures, je m'en réjouis. On se concerte, des parlementaires l'appellent de leurs voeux dans leur circonscription, on fait des expertises. L'ouverture est prévue pour 2025.
Au sujet des adresses mail des juges consulaires, il y a eu un très faible usage du service : quinze connexions par mois sur un ressort de 147 juges. Nous échangeons avec la direction des services judiciaires (DSJ) et les juges consulaires afin d'affiner plus précisément les besoins.
Enfin, s'agissant des rénovations énergétiques du parc immobilier, on construit et on réhabilite « vert ». J'ai par exemple demandé à la DAP si les toitures des établissements pénitentiaires, qui sont vastes, ne pourraient pas être équipées de panneaux. Il y a possiblement des problèmes de sécurité, mais c'est en cours d'étude. Mais les dépenses d'investissement dédiées à la rénovation du parc immobilier judiciaire sont en constante augmentation depuis 2020 et la quasi-totalité des tribunaux doivent atteindre l'objectif de réduction de 40 % de leurs dépenses énergétiques d'ici à 2030.
Madame Harribey, vous avez raison, je suis attaché aux CEF, malgré les critiques. En effet, un rapport de la PJJ que je tiens à votre disposition indique que les CEF permettent une diminution de la récidive importante. Il y a dans les CEF plus d'éducateurs que de jeunes, afin de leur apporter tous les soins - psychologique, psychiatrique, sanitaire - et l'attention qui leur permettent de s'épanouir. On apprend aux jeunes à lire, à écrire, à faire de la mécanique... Naturellement, on ne peut pas sauver tous les enfants qui s'y trouvent, mais les succès rencontrés pour quelques-uns justifient l'existence de ces centres. On n'oublie pas les centres éducatifs renforcés non plus. D'ailleurs, j'ai toujours été favorable à un partenariat entre la PJJ et l'armée. Certains de ses jeunes ont besoin de l'autorité bienveillante des militaires. J'ai vu une expérimentation séduisante à Coëtquidan et, dans le cadre de notre travail post-émeutes, nous allons accélérer ce partenariat entre la PJJ et l'armée.
Vous m'interrogez sur l'impact du code de la justice pénale des mineurs (CJPM). Il est vrai que la phase antérieure à l'audience de culpabilité ne permet pas un placement de plus de trois mois. L'objectif du CJPM était de raccourcir les délais. On peut améliorer les choses, on a deux ans d'expérimentation. La PJJ estime qu'il s'agit d'un beau texte, majoritairement apprécié par les juges des enfants. Avant son entrée en vigueur, un mineur sur deux était jugé quand il était majeur, ce qui était insensé. Le message pédagogique arrivait bien trop tard, tout le monde perdait son temps, son énergie : juger un jeune homme de 16 ans quand il en a 21, s'il a sombré dans la délinquance, il n'aura que faire du jugement d'un tribunal pour enfants, s'il en est sorti, le juger ne sert plus à rien.
En ce qui concerne le déploiement du logiciel Parcours, nous procédons par étape et les choses devraient être réglées en 2025 pour le secteur associatif. Il a fallu du temps pour le mettre en place. Vous l'avez dit : ceux qui ont les mains dans le cambouis l'ont créé et c'est son grand avantage, puisqu'il prend en compte les réalités.
Monsieur Vogel, les missions réalisées par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip), en milieu ouvert comme en milieu fermé, doivent continuer à être développées. En 2024, la dotation se maintiendra au niveau élevé de 51,8 millions d'euros, après avoir été de 53,4 millions d'euros en 2023. Ce budget représente une hausse de 30 % par rapport à celui de 2022, qui s'élevait à 39,8 millions d'euros.
J'en viens à la surpopulation carcérale, qui est le sujet difficile par définition et ne souffre pas la caricature. Dominique Simonnot me rappelle régulièrement que nous avons un problème en la matière - cette difficulté ne m'a pas échappé et elle me hante. Elle souhaiterait que nous libérions un grand nombre de personnes et, chaque fois que j'échange avec elle, on me parle de ce qu'a fait Nicole Belloubet. Cependant, cette dernière a agi pendant la période du covid, quand il s'agissait de protéger la santé des détenus et des agents pénitentiaires, dont certains sont morts. C'était indispensable, et je l'ai dit à l'époque.
Mais les choses ont changé. D'abord, il faudrait assumer la responsabilité politique de libérer des milliers de gens. Je ne suis pas sûr que les Français aient envie d'une telle mesure. En revanche, je suis sûr que certains mouvements très à droite en bénéficieraient, par contrecoup.
Dominique Simonnot propose que nous adoptions des quotas, ce qui signifie que, dans un établissement pénitentiaire qui n'est pas plein, nous pourrions incarcérer à tour de bras...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - ... il s'agirait de régulation. Vous avez pourtant dit que le sujet ne souffrait pas la caricature.
M. Éric Dupond-Moretti, ministre. - Je travaille sur le sujet, madame la sénatrice, et je souhaite que nous trouvions les bonnes solutions. Ma porte est ouverte et je vous invite à venir me voir.
C'est ce que Dominique Simonnot propose : on incarcère là où il y a de la place et pas là où il n'y en a plus, ce qui pose des difficultés. Pourquoi l'un bénéficierait d'une clémence en raison de la surpopulation ? De plus, cette solution vient percuter l'indépendance des magistrats qui ont décidé de la peine.
Dans le dernier texte voté par le Sénat, nous avons étendu les travaux d'intérêt général (TIG) au secteur associatif. Je rappelle que le TIG est réservé à la délinquance de basse intensité. Nous avons aussi avancé sur l'assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse), dans ce texte que nous avons construit ensemble et que vous avez amélioré. Des pistes existent donc.
Par ailleurs, j'ai conditionné les réductions automatiques de peine à l'effort car on n'a rien sans rien. Nous avons donc augmenté de façon considérable le nombre d'emplois pénitentiaires, qui bénéficient d'un contrat d'emploi pénitentiaire. Ces mesures sont novatrices et incitatives.
La construction d'établissements pénitentiaires constitue l'autre levier d'action. Elle permet d'assurer une réponse pénale ferme, de régler la question de la détention indigne, sur laquelle la commission des lois du Sénat a produit un très beau texte, mais aussi d'améliorer la sécurité et le confort du personnel pénitentiaire. Plus les conditions sont dignes, plus le personnel peut mettre en place la réinsertion. Nous avons développé les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), pour permettre à des détenus d'être au plus près des différents organismes pouvant les aider à se réinsérer et à trouver du travail. Ces dispositifs permettent de réduire la récidive.
Par ailleurs, nous avons mis en place la libération sous contrainte (LSC), qui est entrée dans les moeurs judiciaires. Elle permet une libération avec une obligation de logement quand le reliquat de peine est de trois mois ou moins. Il s'agit d'éviter les sorties sèches, pour empêcher la récidive.
Nous travaillons, mais ma réflexion sur le sujet n'est pas encore aboutie et, si vous avez des idées à partager, je suis preneur. Ces questions sont complexes et nous vivons dans une époque qui ne connaît plus la nuance.
S'agissant du taux d'exécution en matière informatique, j'y suis très attentif et 100 % des crédits numériques votés par le Parlement seront utilisés pour 2023. Vous pouvez délivrer un petit satisfecit au ministère !
Je vous donne le mode opératoire du deuxième plan de transformation numérique du ministère de la justice : sur chaque projet, un responsable rapproche maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'oeuvre. Par ailleurs, nous internalisons les compétences informatiques et les effectifs numériques du secrétariat général sont passés de 450 à près de 900 depuis 2017. En 2024, nous recruterons encore 55 ingénieurs, pour limiter le recours aux prestations extérieures. Les consultations sont beaucoup plus systématiques sur le terrain.
J'en viens à la question des drones. Nous avions constaté que certains procureurs faisaient des choses formidables dont les autres ne profitaient pas. Nous avons donc regroupé ces bonnes pratiques sur un site, que les magistrats pouvaient consulter et compléter. Nous avons même franchi nos frontières pour découvrir un travail réalisé en Italie, où la pénitentiaire s'est rapprochée de l'aviation. Des moyens de sécurisation importants ont été mis en place, notamment des filets. Il reste des choses à faire, puisqu'on peut apprendre dans la presse que des détenus se sont fait livrer en produits stupéfiants ! C'est insupportable. Nous sommes attentifs et proactifs. Il faudrait s'inspirer de la pratique italienne, en s'assurant d'abord de sa faisabilité. J'en ai parlé au ministre des transports, pour essayer de déployer une réponse ferme et précise. Il faut nous adapter aux techniques utilisées. Les moyens alloués pour sécuriser les personnels et les établissements pénitentiaires sont importants.
En ce qui concerne les pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales, j'ai signé une circulaire de mise en oeuvre le lendemain de la publication au Journal officiel, le 24 novembre, du décret instituant des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel. L'entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2024, 179 chargés de mission seront déployés et 17,2 millions d'euros leur seront consacrés dans le budget pour 2024.
Cette organisation est indispensable. Nul ne conteste la grande qualité du travail réalisé par nos parlementaires, dont Dominique Vérien. La proposition des tribunaux spécialisés n'a pas été retenue, de façon légitime, et les magistrats n'en voulaient pas. Pour anticiper, il ne faut plus fonctionner en silo et les différents acteurs - JAF, juge de l'application des peines (JAP), procureur ou forces de sécurité intérieure - doivent se parler. Ce fonctionnement serait à l'inverse de ce qui s'est passé dans l'affaire de Mérignac. Selon l'inspection générale de la justice (IGJ), il n'y a pas eu de faute individuelle dans cette affaire, mais de mauvaises habitudes, qui font que les uns et les autres ne se parlent pas. La catastrophe est ainsi arrivée. À cette époque, j'avais pris une circulaire, qui avait été qualifiée de comminatoire, pour rappeler que les bracelets anti-rapprochement ne devaient pas rester dans les tiroirs. Les magistrats sont sensibilisés à ces questions des violences intrafamiliales, ils ont reçu une formation à l'ENM et bénéficient d'une formation continue.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez évoqué le chiffre de 17,2 millions d'euros ; s'agit-il de crédits supplémentaires ?
M. Éric Dupond-Moretti, ministre. - Non, c'est le budget pour 2024.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il s'agit donc d'un redéploiement ?
M. Éric Dupond-Moretti, ministre. - Je donne le chiffre pour répondre à la question de l'allocation. Par ailleurs, l'autre partie de la solution pour que les pôles puissent se mettre en place réside dans les personnels envoyés. Ainsi, nous envoyons des magistrats, des greffiers et des contractuels.
J'en viens à l'équipe autour des magistrats, qui doit permettre à ces derniers de se recentrer sur leur coeur de métier et de diviser par deux le délai de jugement. J'ai constaté, lors de mes déplacements, que les greffiers craignent la concurrence des attachés de justice, d'autant que ces derniers devraient prêter serment. Je les ai rassurés chaque fois que possible, les assurant du fait que leur place reste essentielle dans l'équipe, eu égard à leur connaissance de la procédure et du magistrat, ainsi qu'à leurs réflexes judiciaires dont on ne peut se passer. Lors de chacun de mes déplacements, j'entendais leurs craintes...
Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis. - ...nous les entendons encore.
M. Éric Dupond-Moretti, ministre. - Je les entends de moins en moins. Cette équipe ne se constituera pas sans eux. Dès que l'équipe se mettra en place, les greffiers constateront qu'ils en occupent le coeur.
En ce qui concerne la TMFPO, je me tiens à la disposition de la commission pour que l'on détaille, si vous le souhaitez, les dispositions réglementaires qui ont été prises et les deux nouvelles procédures que nous avons mises en place.
D'abord, elles visent à ce que le justiciable se réapproprie son procès. Il s'agit de procédures civiles qui touchent à l'intime et, parfois, le justiciable ne voit pas son juge ; comment les gens peuvent-ils aimer la justice quand elle n'est pas incarnée ?
Je porte ces sujets avec beaucoup d'enthousiasme. Nous avons mis en place les ambassadeurs de l'amiable, parmi lesquels se trouvent des professeurs de droit, des avocats, des magistrats, des notaires ou des commissaires de justice. Ils se déplaceront dans toutes les cours d'appel pour expliquer les deux nouvelles procédures. S'agit-il d'un modèle économique viable pour les avocats ? Oui.
Ensuite, ces nouvelles procédures contribueront à replacer le juge au coeur de son métier. Tant de questions ont été évoquées par les magistrats quand ils se sont exprimés sur leur mal-être. Ils s'interrogent sur le sens de leur mission.
Enfin, le dispositif permettra d'aller beaucoup plus vite. Nous comptons 1 % de procédures de médiation, quand ce pourcentage s'élève à 70 % ou 80 % au Canada. Dans ce pays comme dans d'autres pays anglo-saxons, il s'agit d'un réflexe. Mais l'évolution implique un changement de paradigme : les avocats ne doivent plus privilégier systématiquement la culture de la castagne et accepter de se mettre autour de la table. Quand deux personnes trouvent un accord grâce à ces procédures, elles en sont toutes les deux satisfaites. Au terme d'un procès, il y a une personne satisfaite et une personne déçue, qui pense que la justice n'a pas bien fonctionné. Si nous voulons améliorer le lien de confiance entre nos compatriotes et la justice, nous n'avons aucune raison de nous priver de cette évolution. Conciliateurs et médiateurs nous sont indispensables. La TMFPO est un dispositif expérimental. Ses résultats n'étant pas encore clairs, j'ai prolongé l'expérimentation pour quelques années et à périmètre constant.
S'agissant de l'attractivité de la DAP, sur les 162 recrutements non effectués par rapport à l'objectif de 2022, 149 sont imputables à l'administration pénitentiaire au titre des personnels de surveillance. Le métier de surveillant pénitentiaire est difficile et souffre d'un manque d'attractivité. C'est la raison pour laquelle j'ai annoncé le 21 février dernier qu'à compter du 1er janvier 2024, le corps des surveillants passerait de la catégorie B à A. Il s'agissait d'une revendication portée par les personnels pénitentiaires depuis plus de 20 ans.
Enfin, le budget de la DSJ augmente de 36 % et nous passons de 2,8 milliards en 2020 à 3,2 milliards d'euros en 2024. Priorité au service judiciaire.
M. François-Noël Buffet, président. - Merci, monsieur le ministre, pour ce débat fourni.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Ministère de la Justice
Secrétariat général du ministère de la Justice
M. Philippe Clergeot, secrétaire général adjoint
Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ)
M. Franck Chaulet, adjoint à la directrice
M. Ludovic Fourcroy, sous-directeur du pilotage et de l'optimisation des moyens
École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ)
M. Frédéric Phaure, directeur général
Table ronde de syndicats
UNSA-SPJJ
Mme Béatrice Briout, secrétaire générale
CGT-PJJ
M. Josselin Valdenaire, secrétaire général
M. Emmanuel Selliez, éducateur à l'unité éducative en milieu ouvert (UEMO) de Lens et membre de la Commission Exécutive Nationale de la CGT-PJJ
FO-PJJ
M. Abdelrezeg Labed, secrétaire national
Mme Nadia Dahmani, secrétaire nationale adjointe
SNPES-PJJ/FSU
M. Marc Hernandez, co-secrétaire national, porte-parole
Mme Marielle Hauchecorne, représentante du bureau national, porte-parole
M. Nouredine Nefra, représentant du bureau national
Table ronde d'associations de protection de l'enfance
Convention nationale des associations de protection de l'enfance (CNAPE)
Mme Alexia Martel, responsable des sujets PJJ
Citoyens et justice
Mme Sophie Diehl, responsable du pôle « justice des enfants et des adolescents »
Fédération nationale des services sociaux spécialisés (FN3S)
M. Jacques Le Petit, président de la Fn3s
Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS)
M. Jérôme Voiturier, directeur général
Mme Alexandra Andres, conseillère technique « Enfances, Familles, Jeunesses »
CONTRIBUTION ÉCRITE
Confédération française démocratique du travail (CFDT)
* 1 Le compte rendu de cette réunion est à consulter sur le site du Sénat.
* 2 Paradoxalement, cette situation se double selon les organisations syndicales entendues par la rapporteure d'un phénomène de « dévoiement » des CEF qui, pensés pour recevoir des jeunes multi-réitérants, reçoivent aujourd'hui de plus en plus de primo-délinquants ; ce constat s'observerait notamment dans des territoires où les CEF sont majoritaires, à l'instar de la région judiciaire Sud-Ouest.
* 3 Consultable sur le site de la cour des comptes
* 4 Cette baisse résulte notamment de la limitation à trois mois des placements en amont de l'audience d'examen de la culpabilité.
* 5 Source : réponse du ministère de la justice au questionnaire budgétaire de la rapporteure.
* 6 Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux.
* 7 Réponse écrite commune de Citoyens et Justice et de l'UNIOPSS au questionnaire.
* 8 Rapport annexé au projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice 2023-2027.
* 9 La DPJJ fait valoir à ce titre que, en 2022, les éducateurs contractuels représentaient 83 % des lauréats du concours sur titre, 72 % des lauréats du concours de troisième voie, 20 % des lauréats du concours externe et 32 % du concours interne.
* 10 Source : réponse du ministère de la Justice au questionnaire budgétaire.
* 11 Rapport précité.