EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 27 novembre 2024, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement » - programmes 110, 209, 365 et 370.

M. Cédric Perrin, président. - Nous en venons à l'examen du rapport pour avis de Christian Cambon et Patrice Joly sur les programmes 110, 209, 370 et 384 de la mission « Aide publique au développement » du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la mission « Aide publique au développement » sur les programmes 110, 209, 370 et 384. - Ce budget 2025 est un budget singulier pour l'aide publique au développement (APD). En effet, les crédits de la mission sont en baisse de 1,3 milliard d'euros, en plus du décret d'annulation de février 2024, qui a déjà effectué une coupe de 742 millions d'euros.

Les crédits du programme 110 « Aide économique et financière au développement », placés sous la responsabilité du ministère de l'économie et des finances, diminuent de 9,6 % en autorisations d'engagement (AE) et de 26,4 % en crédits de paiement (CP). Cette diminution affecte en priorité la capacité de l'Agence française de développement (AFD) à effectuer des prêts bonifiés au profit des États à revenu modeste.

Le programme 209 « Solidarité avec les pays en développement », placé sous la responsabilité du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, porte cependant l'essentiel de l'effort. Ses crédits devraient en effet diminuer de 1,05 milliard d'euros en AE et de 855,5 millions d'euros en CP, soit une baisse de 33 % et 26,2 %. Il s'agit essentiellement des crédits des dons-projets, distribués soit directement au profit des États et des collectivités locales étrangères, soit par le biais des organisations de la société civile (OSC), soit en soutenant la coopération décentralisée. Patrice Joly et moi-même avons déjà entendu, dans le cadre des auditions auxquelles nous avons procédé, de très nombreuses réactions négatives à ce sujet.

Prenons un peu de recul puisque ce budget s'inscrit dans le contexte de contrainte que nous connaissons. Le taux d'APD française en comparaison du revenu national brut (RNB), ratio scruté par la communauté internationale, connaît une évolution quelque peu erratique : après avoir atteint un niveau très faible de 0,4 % au milieu des années 2010, il est remonté à 0,56 % en 2022, puis s'est effondré en 2023. Il va retomber bien en dessous des 0,5 % en 2025, alors que la cible initiale de 0,7 % faisait l'unanimité.

Au cours des dernières années, notre commission s'est beaucoup investie sur ce sujet autour de trois axes principaux.

En premier lieu, nous avons soutenu l'augmentation des crédits, car nous sommes convaincus de l'utilité de cette politique pour lutter contre les désordres du monde, dans l'intérêt des pays aidés mais aussi de la France, que ce soit en termes de sécurité ou de lutte contre les migrations incontrôlées.

Par ailleurs, nous avons constamment plaidé auprès du Gouvernement pour que l'aide bénéficie d'abord aux pays les plus pauvres et aux secteurs fondamentaux : la santé, l'agriculture, l'éducation et la formation professionnelle. C'est ici que s'inscrit notre combat contre la transformation de l'aide en un soutien à des pays émergents parfois hostiles à la France, comme la Chine ou la Turquie. Vous constaterez à ce propos que 130 millions d'euros sont consacrés à l'Algérie au sein de ce projet de budget, alors qu'aucun dialogue n'a été amorcé avec le gouvernement algérien, qui a retiré son ambassadeur à Paris et manifesté son hostilité à l'égard de la France. Nous souhaitons également que l'aide soit plus bilatérale et moins multilatérale afin de reprendre le contrôle de nos crédits pour mieux les orienter en fonction de nos priorités.

Enfin, nous avons sanctuarisé l'ensemble de ces priorités dans une loi d'orientation et de programmation, que nous avons portée avec détermination et que le Sénat a votée à l'unanimité en août 2021.

Aujourd'hui, la situation des finances publiques nous oblige à un effort de diminution des crédits sans précédent. Cependant, il faut souligner que nous avions atteint un niveau qui rend cette diminution moins sévère. Nous revenons ainsi au niveau des crédits de 2021.

En réalité, nous ne sommes pas les seuls à demander à l'APD une contribution exceptionnelle à l'équilibre budgétaire. Le Royaume-Uni et la Suède ont dû en faire de même. Toutefois, il nous faut effectuer ici, pour employer une métaphore militaire, une retraite en bon ordre. Il ne s'agit pas de « casser l'outil », de façon à pouvoir remonter en puissance ultérieurement si notre situation budgétaire devait s'améliorer.

Le ministre a proposé de nous associer au choix des priorités qui doivent être définies. Pour ma part, j'en vois trois principales. D'abord, l'AFD avait récemment réinvesti le champ de l'éducation et de la formation professionnelle, enjeux considérables pour la population des pays africains, dont l'âge médian avoisine les 20 ans, avec des centaines de milliers de jeunes arrivant sur le marché du travail chaque année. Il faut donc préserver à tout prix notre effort dans ce domaine.

Longtemps délaissé, le secteur de l'agriculture est pourtant essentiel, non seulement pour garantir la sécurité alimentaire des populations, mais aussi en tant que filière économique qu'il faut structurer pour échapper au destin des économies exportatrices de produits bruts. Notre pays a, dans ce domaine, une expertise reconnue. Il faut donc préserver un apport en dons et en prêts bonifiés suffisant pour ce secteur dont la rentabilité est fluctuante.

Enfin, l'aide humanitaire ne doit pas revenir à l'étiage que nous avons connu il y a cinq ans car les crises se multiplient et jouent un rôle majeur dans les déplacements de populations et les migrations. Nous voyons les conséquences de ces difficultés en Méditerranée et dans la Manche. La sanctuarisation des crédits du centre de crise et de soutien (CDCS) prévue en 2025 est positive, mais il faudra aussi faire remonter la réserve pour crise majeure dans les prochaines années. Dans ce domaine plus encore que dans d'autres, l'image de notre pays est en jeu.

Pour conclure, je souhaiterais formuler deux remarques sur l'actualité de la mission. En premier lieu, la commission d'évaluation de l'APD n'est toujours pas en place. Même si le ministre nous a montré le texte du décret dans cette salle même, celui-ci n'est toujours pas signé. Il est regrettable que nous n'ayons pas pu bénéficier du concours de cette commission au moment où la croissance des engagements de l'AFD était à son maximum. En cette période de contrainte budgétaire, cette commission pourrait contribuer à l'identification des domaines prioritaires. Plus que jamais, nous réclamons la signature de ce décret pour que la commission d'évaluation puisse se mettre à l'oeuvre le plus rapidement possible.

D'autre part, nous attendons le nouveau contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD. Le dernier s'achevait en 2022 et nous l'avons examiné à la fin de 2021. J'espère que les choses iront différemment pour le prochain car il serait ridicule de demander au Sénat de donner son avis sur un contrat presque arrivé à son terme.

Je vous propose pour ma part de donner un avis favorable aux crédits de la mission, sous réserve de la prise en compte par le Gouvernement de nos priorités et des remarques que nous ne cessons de formuler sur ces crédits.

M. Patrice Joly, rapporteur pour avis de la mission « Aide publique au développement » sur les programmes 110, 209, 370 et 384. - Je partage largement l'analyse de Christian Cambon, mais ma conclusion ne sera pas exactement la même.

En effet, l'ampleur de la diminution prévue par le PLF pour 2025 est disproportionnée par rapport à la part de l'APD dans le budget de l'État. Les efforts demandés à l'APD en 2025 représentent en effet près de 10 % du total des efforts demandés à l'État, alors que la mission ne pèse que 1 % des crédits.

Le message envoyé à nos partenaires internationaux par ce projet de budget affaiblit l'influence de la France à l'étranger. Notre pays semble en effet ne pas prendre en compte les multiples interdépendances, que ce soit en matière de lutte contre le réchauffement climatique ou d'accès à l'alimentation. De même, cette forte réduction des crédits laisse entendre à nos concitoyens que l'avenir de la France ne dépend que de notre politique intérieure. L'abandon des objectifs que nous nous étions nous-mêmes fixés au travers de la loi de 2021 illustre parfaitement nos errements sur les moyens dédiés à l'APD.

À titre d'exemple, la baisse prévue représente l'équivalent de la vaccination de base de plus de 71 millions d'enfants ou l'accompagnement scolaire de plus de 17 millions d'enfants sur un an. De nombreux projets au profit des populations seront annulés ou suspendus en cours de mise en oeuvre. Des programmes d'infrastructures essentielles, d'éducation, d'agriculture ou de soutien aux organisations féministes devront quant à eux être interrompus.

Je voudrais par ailleurs regretter la diminution drastique des crédits humanitaires et la suppression pure et simple de la provision pour crise majeure, qui a notamment permis, ces dernières années, de fournir une aide humanitaire à l'Ukraine et à la République démocratique du Congo, de faire face aux conséquences des tremblements de terre en Turquie et en Syrie, des incendies survenus au Chili et de la crise au Soudan et de soutenir la population haïtienne à la suite de la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays.

Il s'agit ainsi d'un véritable coup d'arrêt à la progression des crédits humanitaires, qui avait permis à la France, au cours des années passées, de retrouver son rang - la dixième place - au sein des grands donateurs humanitaires mondiaux. Ceci va considérablement affecter notre image dans le monde.

Au total, avec cette diminution drastique des crédits, nous allons retrouver une aide essentiellement composée de prêts à destination de pays à revenu intermédiaire supérieur, voire de pays émergents, ce que nous souhaitions précisément éviter. Il y a encore quelques semaines, nous évoquions justement la nécessité d'intervenir prioritairement au travers de dons compte tenu de la solvabilité limitée d'un certain nombre de pays.

Cette évolution préoccupante s'accompagne d'une réforme menée pour des raisons d'orthodoxie budgétaire assez contestables : la réaffectation au budget général du produit de la taxe sur les transactions financières (TTF) et de celui de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, auparavant affectés au Fonds de solidarité pour le développement (FSD).

La mission « Aide publique au développement » comprend ainsi un nouveau programme, le 384, qui se voit affecter un montant de crédits correspondant à celui qui était versé antérieurement au FSD. Le lien entre ces taxes et l'APD a été rompu : rien ne garantit, en effet, que d'éventuelles futures hausses de leur produit soient fléchées vers l'APD.

Il n'était pourtant pas absurde qu'une taxe sur les transactions boursières finance directement des biens communs mondiaux tels que le climat ou la santé compte tenu des externalités négatives mondiales de la spéculation.

En outre, la TTF représente un gisement majeur et sous-exploité de financement pour l'APD. Une étude de l'économiste Gunther Capelle-Blancard sur la TTF commandée par l'OSC Action santé mondiale a montré que 85 % de la base taxable échappait à la TTF en raison du cadre juridique de cette dernière. L'Autorité des marchés financiers (AMF) dispose pourtant d'un accès électronique à l'ensemble des transactions effectuées.

Ces phénomènes d'éviction découlent d'abord du fait générateur de la TTF, à savoir les transferts de propriété - et non les transactions en elles-mêmes -, lesquels prennent nécessairement un certain temps. D'autre part, cette taxe ne porte pas sur les transactions intraday, qui peuvent être considérées comme de la pure spéculation. Enfin, l'absence de contrôle de l'organisme de recouvrement Euroclear laisse penser que d'importantes fuites ont lieu en la matière. Il pourrait être utile, à cet égard, de transférer cette compétence à la direction générale des finances publiques (DGFiP), en lien avec l'AMF.

En attendant une réforme plus complète, il serait souhaitable, pour trouver les moyens de poursuivre notre action en matière d'APD, de porter le taux de la TTF de 0,3 % à 0,5 %, soit le taux appliqué par le Royaume-Uni et l'Allemagne. D'après les échanges que nous avons eus, cette mesure n'aurait qu'une incidence très limitée, voire nulle, sur les transactions en France et ne fragiliserait pas la place de Paris par rapport à ses concurrents étrangers.

Avec mon groupe, nous proposerons donc une telle augmentation en séance publique et je vous invite à y réfléchir sérieusement. Cela permettrait de générer facilement et rapidement environ 1,5 milliard d'euros de recettes supplémentaires en doublant pratiquement le produit actuel de la TTF et de compenser à peu près les économies proposées sur les dépenses. En parallèle, nous proposerons de ramener les crédits de l'APD à leur niveau de 2023.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose pour ma part de donner un avis défavorable aux crédits de la mission pour 2025.

M. Cédric Perrin, président. - Je laisse au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) le soin de déposer un amendement sur la TTF. Chacun votera ensuite en son âme et conscience.

Cette idée ne me paraît pas saugrenue, mais il aurait peut-être été préférable de s'attaquer prioritairement au recouvrement. Aujourd'hui, 50 % seulement du produit théorique de la TTF est effectivement recouvré. Il me semblerait intéressant de réfléchir à un changement du mode de recouvrement en transférant cette compétence à une entité autre qu'un organisme privé n'obtenant pas les résultats escomptés. En recouvrant un peu mieux, nous pourrions considérablement augmenter les recettes sans alourdir la taxe. Je lance la réflexion collective sur cette question.

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Je voudrais exprimer ma consternation face à la diminution drastique de ces crédits, qui aura des conséquences concrètes sur le nombre de jeunes femmes scolarisées et d'enfants vaccinés dans les pays concernés.

Nous avons des solutions, dont deux viennent d'être évoquées, pour contribuer au redressement des finances publiques. Premièrement, le relèvement à 0,5 % du taux de la TTF permettrait de générer des recettes égales au montant des économies proposées. Ce taux est déjà appliqué par de grands pays, notamment le Royaume-Uni et l'Allemagne. Nous avons donc déposé un amendement en ce sens, que je vous invite à soutenir.

Concernant l'amélioration de la performance du recouvrement, l'amendement que nous avons déposé a malheureusement été déclaré irrecevable en application de l'article 40 de la Constitution. Nous ne connaissons pas les méthodes utilisées par Euroclear pour récolter la TTF. Confier cette compétence à l'administration de l'État nous permettrait de gagner plusieurs millions d'euros.

M. Cédric Perrin, président. - Avant de laisser la parole à Raphaël Daubet, rapporteur spécial de la commission des finances, je tiens à dire que j'ai souhaité déposer un amendement visant précisément à transférer la compétence en matière de recouvrement de la TTF à l'administration de l'État. Il m'a toutefois été indiqué que celui-ci serait considéré comme irrecevable en application de l'article 40 de la Constitution, dans la mesure où il impliquerait un transfert de charge d'un organisme privé vers les services de l'État. Malheureusement, la recette supplémentaire qui pourrait en résulter n'est pas prise en compte dans cette équation.

C'est la raison pour laquelle je n'ai pas déposé cet amendement. Cependant, il serait utile de sensibiliser nos collègues et le Gouvernement à cette question. Il serait dommage de ne pas pouvoir débattre en séance publique.

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial de la commission des finances. - Je tiens à préciser que je suis co-rapporteur spécial de cette mission pour la commission des finances avec notre collègue Michel Canévet et que nos avis divergent à ce sujet. Je vais donc tâcher de vous présenter le mien.

Cette mission est très fortement mise à contribution dans le cadre de l'effort de redressement de nos finances publiques cette année. Les CP diminuent d'environ 34,5 % par rapport à l'année précédente, ce qui en fait la mission dont les crédits diminuent le plus en volume. Un tel effort me paraît disproportionné.

Au-delà du renoncement à l'ambition internationale de la France que ce choix induit, une telle déstabilisation des volumes de crédits, décidée dans la précipitation, ne sera pas sans conséquence. Elle frappe jusqu'aux fondamentaux de l'APD que sont l'aide humanitaire, l'aide d'urgence et l'aide alimentaire, dont on aurait pu croire qu'elles seraient préservées compte tenu du contexte de crise dans lequel le monde est plongé. La suppression pure et simple de la provision pour crise majeure du Quai d'Orsay interroge eu égard à l'instabilité climatique et géopolitique du monde.

Concernant les contributions multilatérales, la réduction par la direction générale du Trésor des participations de la France au financement de nombreux organismes au sein du programme 110 répond à une partie des recommandations de la Cour des comptes. C'est néanmoins le programme 209 qui porte l'essentiel de l'effort. Nous risquons donc de limiter davantage nos contributions volontaires, qui résultent des choix stratégiques de la France, que nos contributions obligatoires. Cette mesure risque, selon moi, d'être sans effet sur le problème de la rigidification des dépenses.

Les diminutions de crédits opérées sans discernement contribueront certes à l'effort de redressement des finances publiques, mais passeront à côté de l'enjeu de rationalisation, très important aux yeux de la commission des finances. L'exemple du Fonds d'études et d'aide au secteur privé (Fasep), maintenu malgré les critiques de l'Inspection générale des finances (IGF) au sujet de son inefficience, est particulièrement édifiant et démontre que l'effort n'est pas ciblé sur les bonnes économies.

Enfin, l'APD constitue un canal de projection internationale pour nos entreprises, leur permettant d'accéder à des marchés émergents. Entre 2019 et 2023, la part de marché des entreprises françaises sur les appels d'offres internationaux financés par l'AFP s'est établie à 51 %, soit 800 marchés, pour un total de 2,5 milliards d'euros.

Je considère pour ma part que l'ampleur de cette coupe budgétaire porte atteinte à l'action humanitaire de la France à l'étranger, ne permet pas de rationaliser de manière qualitative nos contributions multilatérales et aura des conséquences économiques négatives qui ne sont pas prises en compte. L'effort légitime demandé à cette mission doit être abordé avec nuance et pragmatisme pour éviter la faute politique qui consisterait à abîmer la voix de la France à l'international. Ces mesures d'économie me paraissent de nature à nous faire perdre une part de notre influence dans le monde. J'ai donc émis, à titre personnel, un avis défavorable à l'adoption de ces crédits en commission des finances.

M. Roger Karoutchi. - Pour ma part, je m'abstiendrai sur ces crédits.

Je comprends bien tout ce qui est dit, mais il faudrait peut-être remettre sur la table la totalité des aides versées. Lorsque j'étais membre de la commission des finances, j'ai auditionné l'AFD à plusieurs reprises. Je reste aujourd'hui abasourdi par l'absence totale de contrôle. Des rapports de la Cour des comptes et de l'IGF ont été publiés et nous avons demandé une commission d'évaluation sans avoir pu obtenir de retour à ce sujet depuis. Tout le monde se demande si l'argent public est bien utilisé en la matière. Je rappelle tout de même que nous parlons d'un total de 13 à 14 milliards d'euros en 2023.

Je suis très sceptique quant au fonctionnement de l'AFD. J'étais opposé à la construction de 50 000 mètres carré de locaux à Paris-Austerlitz, n'étant pas convaincu qu'il s'agisse d'une excellente idée. Il y a deux mois, j'ai été sidéré de voir l'AFD inaugurer en grande pompe son siège en Guinée, un magnifique ensemble, alors que l'ambassade de France n'est installée que dans un tout petit immeuble. Nombre de nos ambassadeurs se plaignent du pouvoir de l'AFD, qui dépasse ou outrepasse le leur.

Sans remettre en cause l'aide aux pays les plus pauvres, il faudra à un moment donné que la gestion soit centralisée et mieux contrôlée. Il n'est pas possible que nous ne disposions pas d'une commission d'évaluation ou que les rapports de la Cour des comptes et de l'IGF restent lettre morte.

M. Alain Joyandet. - L'AFD est un formidable outil au service de la France, qui s'est heureusement développé par ses propres moyens. Lorsque j'étais membre du Gouvernement, l'AFD déployait quelques milliards d'euros seulement ; elle gère aujourd'hui 12 à 14 milliards d'euros. L'agence intervient à 80 % par le biais de prêts concédés à des pays du monde entier et financés par les marchés financiers internationaux, qui ne coûtent rien à l'État. Des crédits d'État lui sont également confiés pour bonifier des prêts ou faire des dons.

Les économies opérées sur le budget de l'AFD vont donc entraîner une diminution du volume des bonifications et des dons. L'agence va survivre, mais elle deviendra essentiellement une banque de développement - c'est-à-dire exactement ce que nous lui reprochons souvent d'être au sein de cette commission - intervenant dans les pays les plus solvables, et notamment dans les pays émergents, où elle peut accorder des prêts à des taux normaux et réaliser des bénéfices. Il est heureux, d'ailleurs, qu'elle dispose de cette faculté, qui lui permet d'aider en retour les pays pauvres.

Je suis, pour ma part, solidaire de l'action gouvernementale. Notre situation financière est dramatique et il faut bien trouver de l'argent quelque part. Je ne m'associerai donc pas à un vote défavorable, mais préfèrerais m'abstenir ; je me déciderai en séance publique en fonction de la tournure que prendront les débats.

Je suis ouvert aux solutions avancées pour préserver l'APD tout en générant des recettes supplémentaires pour le budget de l'État. C'est la raison pour laquelle j'ai moi-même déposé un amendement de repli pour augmenter le taux de la TTF, mais à un niveau moins élevé que celui que propose Patrice Joly, de façon à trouver 500 millions d'euros de recettes nouvelles. Toutefois, le produit de cette taxe n'étant plus affecté à l'AFD, les crédits de cette dernière pourraient diminuer même si un amendement de cette nature était adopté - et je n'y crois pas.

Enfin, je rappelle que, depuis quelques années, le montant global de l'APD ne correspond plus uniquement à celui des dons, mais aussi à celui des prêts. Il ne faut donc pas tirer en permanence sur l'AFD car la position de la France à l'étranger ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui si nous en étions restés à l'action directe de l'État.

M. Akli Mellouli. - Si nous n'avions de problèmes d'évaluation et de contrôle qu'avec l'AFD, la France se porterait sans doute mieux.

Est-ce en diminuant brutalement ses crédits que nous allons améliorer l'évaluation et le contrôle ? Effectivement, si l'AFD devenait une banque, elle irait prêter de l'argent à la Chine ou à d'autres pays émergents car ces opérations seraient plus rentables, affaiblissant d'autant le rayonnement de la France.

Comme nos collègues, nous allons donc déposer un amendement sur la TTF et voter contre ces crédits car cette méthode et ces coups de rabot sont indécents. Il faut certes réaliser des économies, mais celles-ci doivent être justifiées et ne pas porter atteinte à notre rayonnement. La perte de notre dernier lien avec certains pays d'Afrique au moment où la concurrence internationale s'intensifie ne saurait constituer une stratégie payante à long terme.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Comme l'a souligné Alain Joyandet, la difficulté est structurelle : l'AFD joue deux rôles tout à fait différents. L'agence est aussi une banque de développement.

Il est dommage que le gouvernement précédent ait supprimé, en contradiction avec les dispositions de la loi d'orientation du 4 août 2021, la liste des 19 pays les plus pauvres, qui ciblait notre action et permettait de la mesurer. On se fonde maintenant sur les pays les moins avancés, au nombre d'environ 50, ce qui permet certes d'éviter de créer des droits acquis, mais noie complètement l'action de la France vis-à-vis des pays pauvres, et plus particulièrement des pays d'Afrique, qui méritent la plus grande attention. Cela nous ramène au sujet de la commission d'évaluation, qui nous permettra de savoir où va l'argent.

Je partage l'avis d'Alain Joyandet : l'AFD fait un travail extraordinaire. Il est vrai que, sur place, les moyens qu'elle déploie sont parfois bien plus considérables que ceux des ambassades, mais il importe surtout de vérifier si cet argent va bien vers les pays pauvres pour aider les populations à s'alimenter, à se soigner et à se former, comme notre commission l'a toujours souhaité. J'espère donc que le décret sera publié prochainement et que la commission d'évaluation pourra être installée le plus rapidement possible.

Mme Vivette Lopez. - Je partage pleinement les propos de Roger Karoutchi.

Lors de son audition, il y a trois semaines, j'ai été frappée d'entendre que l'AFD finançait l'irrigation agricole en Moldavie. Je n'ai rien contre ce pays, mais cette aide m'est quelque peu désagréable dans la mesure où nos agriculteurs font face à des difficultés similaires.

En outre, l'AFD participe à l'effort de reconstruction en Ukraine. Je sais qu'il faudra aider l'Ukraine à reconstruire des écoles et des hôpitaux, mais le moment choisi n'est sans doute pas opportun : la guerre n'étant pas terminée, les bâtiments reconstruits sont souvent détruits dans la foulée.

Au total, je reste sceptique et considère qu'une commission d'enquête sur ce sujet serait vraiment nécessaire.

M. Pascal Allizard. - Nous avons ce débat pratiquement tous les ans, pour ne pas dire plusieurs fois par an. Il est plus intense encore cette année car la situation budgétaire du pays induit des décisions plus graves.

Nous avons tous vécu des auditions du directeur général de l'AFD au cours desquelles nous posions des questions concrètes et n'obtenions que des réponses évasives, voire pas de réponse du tout. Je ne l'ai vu ouvert et coopératif que quand il lui a fallu venir chercher notre vote pour le renouvellement de son mandat.

L'AFD est-elle une agence ou une banque ? Je crois que toute la problématique réside dans la confusion entre ces deux statuts. S'il s'agit d'une banque qui intervient sur le marché, elle dispose d'une certaine latitude de fonctionnement ; s'il s'agit d'une agence qui mène une action publique avec des crédits d'État, il lui faut rendre des comptes.

Aujourd'hui, si nous disposons de ces comptes au sens comptable du terme, nous ne les avons pas au sens diplomatique. Lorsque nous nous rendons sur le terrain, nous constatons une quasi-autonomie d'action du responsable régional de l'AFD. Je trouve cette situation catastrophique en termes de lisibilité de notre action diplomatique.

Ce statut me semble mauvais. Il est nécessaire de clarifier la situation : si l'AFD est une banque, il faudra peut-être redéployer son activité de soutien sur les pays les plus pauvres.

Un certain nombre d'entre nous pensent que l'État consacre chaque année 12 à 14 milliards d'euros au fonctionnement de l'AFD, ce qui n'est pas vrai. Or il est assez tentant, en période de disette budgétaire, de prélever 200, 300 ou 500 millions d'euros à un organisme qui utilise 12 à 14 milliards d'euros de crédits d'État. C'est effectivement une erreur d'analyse, mais nous continuerons probablement à avoir ce type de discussion tant que le statut de cet établissement restera ambigu.

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Personne ici ne souhaite remettre en question l'aide versée aux pays les plus pauvres. Néanmoins, il faut appeler un chat un chat : nous allons nous-même bientôt faire partie de ces pays. Nous vivons à crédit et nous nous faisons pourtant les banquiers d'autres pays. Je ne vois pas comment nous pouvons l'expliquer à nos concitoyens.

J'ai été administrateur de l'AFD, au sein de laquelle j'ai constaté une certaine opacité. Entre les dons et les prêts, l'agence brasse beaucoup d'argent, alors que la distinction entre ses modes d'intervention n'est pas toujours évidente, comme l'a rappelé Pascal Allizard. Il est nécessaire qu'une commission se penche vraiment sur cette question. Nous n'avons aucune visibilité sur le budget de fonctionnement de l'AFD.

En tout état de cause, nous ne pouvons pas continuer à prêter de l'argent à des pays tels que la Chine. Il n'est pas possible de donner 171 millions d'euros à la Turquie alors que nous n'arrivons pas à aider nos compatriotes.

Mme Valérie Boyer. - Je partage le profond malaise qui entoure la question des moyens de l'AFD. Il m'est difficile de comprendre la manière dont elle est organisée. Il est vrai qu'une clarification de son statut me paraît nécessaire.

Surtout, je ne comprends pas pourquoi la représentation française ne relève pas de la compétence exclusive des ambassades. Les ambassadeurs pourraient éventuellement être accompagnés de banquiers, mais il n'est pas envisageable de laisser deux antennes françaises mener chacune leur propre politique. Il ne peut en découler qu'une perte de force et d'influence pour la France, notre politique étant illisible et incompréhensible. Nous accordons par exemple un prêt à l'Algérie alors que son ambassadeur a été rappelé ! Cette situation est ubuesque.

Pourquoi ne voterions-nous pas pour que chaque antenne locale de l'AFD soit rattachée directement à l'ambassade de France dans le pays concerné ? Cela ne l'empêcherait pas de poursuivre son activité, mais sous l'égide de l'ambassadeur.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - C'est déjà le cas ! L'ambassadeur a autorité sur ses services.

M. Alain Joyandet. - C'est ce qui se passe dans le monde entier !

Mme Valérie Boyer. - En tout cas, cela ne se voit pas. Pourquoi ne sont-ils pas réunis physiquement ? Si tel est le cas, pourquoi avons-nous cette discussion chaque année ?

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Je souhaiterais revenir brièvement sur l'intervention de Patrice Joly. Nous avons en effet une légère différence d'appréciation.

Personnellement, je préfèrerais améliorer le recouvrement de la TTF que d'augmenter son taux. Créer des taxes est simple - elles reposent toujours sur les autres -, mais il faut d'abord penser à l'image de la place financière de Paris et se souvenir que la TTF frappe aussi les entreprises françaises.

Les points que soulève Patrice, notamment sur les mouvements intraday, sont exacts et l'on voit bien ce que ces pistes pourraient rapporter. Je pense néanmoins qu'il conviendrait d'abord de faire en sorte que le produit de la taxe soit effectivement récupéré. Quand vous allez acheter une baguette de pain, vous ne demandez pas qu'on vous exonère de la TVA ! Il est nécessaire que les entreprises qui procèdent à des mouvements financiers paient automatiquement la TTF, ce qui renforcerait les moyens de l'APD.

Il ne faudrait surtout pas jeter le bébé avec l'eau du bain car l'AFD fait un travail extraordinaire dans certains pays. Je pense que les décisions malheureuses prises par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) sous le gouvernement précédent ont flouté les directives que nous avions données. Quoi qu'il en soit, je voterai ces crédits sous les réserves que j'ai formulées. Il en va de l'image de la France et de son rayonnement.

M. Patrice Joly, rapporteur pour avis. - Sur la question du contrôle et du pilotage, il convient de rappeler que l'AFD est dirigée par un conseil d'administration sous la tutelle du ministère de l'économie et des finances et contrôlée par la Cour des comptes et l'IGF. Bien qu'elle n'ait toujours pas été installée, la commission d'évaluation reste une perspective.

La question de la gouvernance se pose néanmoins, en particulier lorsque des contrats d'objectifs et de moyens ne nous parviennent qu'après avoir été déjà à moitié exécutés.

Par ailleurs, l'ambiguïté autour du statut de l'AFD permet de faire levier sur notre capacité à prélever sur les marchés financiers les moyens d'accompagner les pays qui en ont besoin. Si l'on ne veut pas qu'elle ne prête qu'aux pays émergents dont elle est certaine qu'ils rembourseront, l'agence pourrait avoir besoin d'être recapitalisée à un moment donné, ce qui représente un coût. Je trouve que l'ambiguïté peut présenter des avantages, en permettant notamment de faire plus avec une base budgétaire moindre.

Enfin, s'agissant de la refonte de la TTF, seul le levier du taux permettrait de dégager les moyens nécessaires dès 2025. Ces recettes supplémentaires devraient alors être affectées au programme 384, qui se substitue au FSD.

M. Cédric Perrin, président. - Merci pour la richesse de ces débats. Nous devrons sans doute revenir sur ce sujet au cours de l'année à venir pour revoir un certain nombre de points et mettre la pression sur le Gouvernement pour qu'il constitue cette commission d'évaluation.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 110, 209, 370 et 384 de la mission « Aide publique au développement ».

Partager cette page