EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 19 NOVEMBRE 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen du rapport pour avis de notre collègue Éric Kerrouche sur la mission « Pouvoirs publics ».

M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis de la mission « Pouvoirs publics ». - (Le rapporteur pour avis projette un diaporama en complément de son propos.) Cette mission, vous le savez, a une vocation particulière dans notre architecture institutionnelle : elle rassemble les dotations destinées aux institutions autonomes - la présidence de la République, les deux assemblées parlementaires et les chaînes parlementaires, le Conseil constitutionnel, la Cour de justice de la République (CJR) et la Haute Cour. Ces institutions demandent elles-mêmes leur dotation, que le Gouvernement inscrit sans modification au projet de loi de finances.

Cette règle, qui garantit leur autonomie financière, implique en retour une exigence renforcée : celle d'une présentation budgétaire rigoureuse, lisible et sincère, afin que le Parlement puisse exercer pleinement son rôle de contrôle.

Cette année, le montant global de la mission atteint 1 140,2 millions d'euros, en progression très modérée de 0,21 %. Cette augmentation presque symbolique ne doit pas conduire à sous-estimer les tensions profondes que subit désormais cette mission. Car derrière la stabilité affichée se poursuit un mouvement sur lequel je vous alerte depuis plusieurs années : la contraction progressive des moyens alloués à la démocratie représentative.

Je souhaite, à cet égard, rappeler un élément essentiel de proportion : la mission « Pouvoirs publics » ne représente que 0,25 % du budget général de l'État et son coût global équivaut à environ 17 euros par Français et par an, selon les calculs de notre collègue Grégory Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances. Autrement dit, les moyens alloués à nos institutions constitutionnelles demeurent d'une ampleur très limitée au regard des enjeux démocratiques qu'elles portent.

En effet, la présidence de la République, l'Assemblée nationale et le Sénat - ils concentrent, à eux seuls, près de 95 % des crédits - ont décidé de maintenir leurs dotations au niveau de l'année précédente. Cette décision s'inscrit dans la volonté affichée de participer à l'effort national de redressement des finances publiques. Nous pouvons la comprendre, mais devons toutefois en mesurer les implications.

Un gel ponctuel peut en effet être un geste vertueux. Mais un gel répété, reconduit chaque année, devient un signal politique dont les effets cumulatifs fragilisent structurellement les institutions concernées. J'attire notre attention sur ce point : il ne faudrait pas que la sobriété budgétaire, devenue étendard, se transforme malgré elle peu à peu en affaiblissement durable du Parlement et des contre-pouvoirs.

J'appelle donc à distinguer la discipline budgétaire - d'une certaine façon, elle s'impose à tous - de la tentation d'une « concurrence d'affichage » entre institutions, dans laquelle chaque acteur chercherait à démontrer sa vertu en renonçant à une revalorisation presque indispensable à son fonctionnement. Cette course à la modération apparente, si elle se poursuit, ne pourra produire qu'un résultat : une démocratie parlementaire affaiblie, des moyens humains sous tension, et une action institutionnelle bridée.

Venons-en maintenant au détail des dotations, en commençant par la présidence de la République.

La dotation reconduite à 122,6 millions d'euros, pour la troisième année consécutive, n'a été soutenable qu'au prix d'ajustements internes significatifs. Le budget prévisionnel pour 2026, équilibré à 126,3 millions d'euros, repose sur plusieurs leviers : une contraction des investissements, après l'achèvement des chantiers lourds engagés en 2023 et 2024 notamment en matière de transition énergétique et une stabilisation des dépenses de fonctionnement hors activités présidentielles.

Je veux saluer certains efforts très concrets. Le coût moyen des déplacements présidentiels a diminué de manière substantielle, passant de 780 000 euros à 545 000 euros en un an, pour les déplacements internationaux. Ces résultats illustrent une réelle capacité d'optimisation, notamment grâce à la réduction de la taille des délégations et à une meilleure anticipation logistique.

Pour autant, la progression continue des dépenses de personnel, qui atteindraient 78 millions d'euros en exécution 2025, dépasse les prévisions initiales et fragilise l'objectif de reconstitution de la trésorerie. Celle-ci, tombée à 3 millions d'euros en 2023 alors qu'elle atteignait 22 millions d'euros en 2017, n'a pu être relevée que marginalement. Ce faisant, l'institution est vulnérable à des aléas budgétaires majeurs, pour lesquels aucune marge de sécurité réelle n'existe plus aujourd'hui.

Je souhaite également souligner que les dépenses de personnel de la présidence de la République sont, une année de plus, à la hausse. Mon collègue Grégory Blanc et moi-même nous interrogeons ainsi sur le nombre de conseillers rattachés au président - 49 en 2025 -, qui ne semble pas diminuer en dépit du contexte politique qui affaiblit directement la capacité d'action du Président de la République. Dans ce contexte, une diminution du nombre de conseillers apparaît non seulement opportune, mais nécessaire pour restaurer la discipline budgétaire, clarifier les responsabilités et rationaliser l'organisation de la présidence de la République.

S'agissant désormais des assemblées parlementaires, les enjeux sont considérables.

L'Assemblée nationale, d'abord, maintient sa dotation au niveau de 2025, à 607,6 millions d'euros. Mais derrière cette stabilité apparente, la réalité est celle d'un déficit structurel désormais massif : 34 millions d'euros en prévision 2026. Ce déficit est absorbé par un prélèvement sur les disponibilités, dont chacun voit bien qu'il ne pourrait constituer une solution durable. Les charges incompressibles - notamment la masse salariale, les frais liés à l'accueil du public, et les dépenses de modernisation informatique - progressent mécaniquement, alors que les ressources stagnent.

Je souligne également que l'entrée d'un onzième groupe politique a entraîné une dépense nouvelle substantielle, totalement compensée par des économies internes. Ce rééquilibrage est à mettre au crédit de la gestion de l'Assemblée nationale ; mais il illustre, là encore, que la contrainte atteint désormais un niveau qui oblige à des arbitrages serrés.

Les demandes de crédits supplémentaires, de l'Assemblée comme du Sénat, sont de plus en plus décorrélées du niveau de l'inflation.

Le Sénat, pour sa part, présente un budget 2026 à 382,28 millions d'euros, en légère hausse. La dotation stable à hauteur de 353,5 millions d'euros est complétée par un nouveau prélèvement sur disponibilités de 22,1 millions - je réitère mon alerte sur ce sujet -, nécessaire pour financer l'intensification des travaux d'entretien et de sécurisation des bâtiments. Là encore, le maintien d'un équilibre apparent masque la réalité : en 2027 et 2028, si rien ne change, les prélèvements pourraient atteindre 27,5, puis 36,1 millions d'euros, suivant l'accroissement des besoins absolus d'investissement en matière patrimoniale. Ce rythme est évidemment insoutenable.

C'est pourquoi je renouvelle avec insistance, cette année encore, mon appel à la création d'une dotation autonome spécifiquement dédiée à l'entretien du patrimoine parlementaire. Nos bâtiments sont un patrimoine national. Ils ne peuvent être soumis à des arbitrages budgétaires défavorables, pas plus que leur entretien ne peut être traité comme une variable d'ajustement. Or, ce risque se précise fortement, notamment en ce qui concerne le Sénat.

S'agissant des autres pouvoirs publics, la situation est plus hétérogène.

Le Conseil constitutionnel voit sa dotation augmenter de manière nette, à hauteur de 20 millions d'euros, soit une augmentation de 11,54 %. Cette hausse est largement justifiée : renforcement impératif de la cybersécurité à l'approche de l'élection présidentielle - un sujet abordé en détail avec le président du Conseil constitutionnel - ; poursuite du raccordement au réseau de chaleur urbain de Paris et des autres dépenses liées au plan développement durable de l'institution ; renouvellement des équipements informatiques et de sûreté ; reconstitution d'une trésorerie devenue critique.

J'aimerais toutefois attirer votre attention sur une difficulté récurrente liée à l'examen des crédits budgétaires dévolus au Conseil constitutionnel. Les prévisions budgétaires ainsi que les bilans budgétaires des exercices réalisés par les services du Conseil constitutionnel sont, quasi systématiquement, non fiables et peu documentés. Ainsi, je vous laisse, par exemple, juger vous-mêmes des écarts surprenants entre les dépenses de fonctionnement provisionnelles et les dépenses effectivement exécutées. Notre rôle n'est pas de contester l'indépendance du Conseil constitutionnel sur la gestion de ses fonds internes. Toutefois, au-delà de ces présentations budgétaires lapidaires et lacunaires, les prévisions fournies se révèlent souvent erronées : en témoignent les sur-exécutions successives importantes des dépenses de fonctionnement -J'ai explicitement évoqué cette problématique au cours d'un entretien avec le nouveau président du Conseil constitutionnel. Il a promis une amélioration dès le prochain exercice budgétaire :  j'y serai particulièrement attentif.

La Cour de justice de la République, enfin, connaît une baisse de dotation, du fait d'une activité juridictionnelle plus faible. Le budget, néanmoins, n'est pas tenable et donne une image particulière de la gestion patrimoniale de l'État, dans la mesure où près de 64 % du budget de 900 000 euros, soit 576 000 euros, est alloué à la location des bureaux, qui n'accueillent que huit personnes.

Deux conclusions s'imposent avec force.

Premièrement, l'ensemble des institutions de la mission financent désormais leur équilibre à partir de leurs disponibilités. Or ce modèle n'est pas soutenable. Il reporte artificiellement la contrainte sur l'avenir, en sacrifiant les marges d'investissement et de sécurité financière.

Deuxièmement, de manière structurelle encore, la logique de gel répété des dotations, si elle se poursuit, réduira drastiquement les moyens de la démocratie parlementaire et de ses institutions. Or une démocratie exige des moyens humains, matériels et budgétaires proportionnés aux responsabilités exercées. Je vous rappelle que cette mission ne concerne que 0,25 % du budget de l'État.

Notre rôle n'est pas de cautionner une austérité d'apparence, mais de garantir les conditions réelles du fonctionnement des pouvoirs publics.

Sous réserve de ces observations, et compte tenu du contexte général de maîtrise des finances publiques, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics », nonobstant mes remarques.

Mme Lauriane Josende. - Nous serons favorables à ces crédits, en dépit des problèmes d'exécution budgétaire, de sérieux et de rigueur que vous avez soulignés. Certes, le budget de la mission « Pouvoirs publics » est peu important au regard du budget total de l'État, mais les institutions qu'il finance sont des rouages démocratiques essentiels. Elles sont tenues autant que les autres - si ce n'est plus - à un devoir d'exemplarité. De quelle manière allez-vous formaliser les réserves que vous avez émises auprès du Conseil constitutionnel, afin que nous constations une amélioration pour les exercices à venir ?

M. Hussein Bourgi. - J'ai le sentiment que nous participons à un remake, si je puis dire, de l'année dernière. La présentation du rapport pour avis était peu ou prou la même ; nous pouvons aussi réitérer nos observations et nos objections.

La démocratie a un coût. Pour qu'elle vive, elle nécessite des institutions, qui permettent de réguler le jeu démocratique. Malheureusement, notre pays cède trop facilement au populisme ambiant, et je le déplore. À chaque phrase de journaliste, à chaque tweet de personnalité, nous baissons pavillon et renonçons à faire la pédagogie nécessaire auprès de la population. Nous nous contentons d'annoncer que nous serons les « bons élèves » en renonçant à toute évolution budgétaire, qu'il s'agisse du Sénat ou de l'Assemblée nationale.

Nous pouvons faire toutes les concessions que nous voulons ; certains ont instillé dans les esprits l'idée que nous sommes des privilégiés.

Certes, les deux assemblées seront en mesure de fonctionner comme par le passé, mais nous devrons procéder à des renoncements sur l'investissement. Or, l'investissement, c'est le patrimoine, ou l'informatique. Ces investissements ne paraissent pas nécessaires au quotidien ; pourtant, le moment de les réaliser venu, ils coûteront beaucoup plus cher à la Nation.

Nous puisons sur le fonds de réserve : une fois tari, cependant, il faudra demander dans quelques années une augmentation substantielle du budget. Alors, je vous le prédis, les mêmes qui, aujourd'hui, nous critiquent sans relever l'absence d'évolution budgétaire viendront pointer sur nous leur doigt accusateur. Cela me chagrine. Je voudrais que nous fassions preuve de plus de courage sur le travail d'explication du coût de la démocratie.

Ma deuxième observation porte sur la CJR, dont le fonctionnement m'interpelle. L'essentiel du budget qui lui est alloué sert au paiement de loyers. Le propriétaire de ces bureaux bénéficie ainsi d'une rente de situation : son locataire, toujours solvable, paiera ses loyers, revalorisés, année après année ! Ne peut-on pas trouver dans le patrimoine de l'État des locaux pour reloger la CJR dans des conditions beaucoup plus économes pour le budget de l'État ? Je ne veux pas donner l'impression de me répéter année après année ; toutefois, il est essentiel que nous soyons entendus.

Enfin, le Conseil constitutionnel est le gardien sourcilleux du respect du droit et des dépenses. J'aimerais qu'il soit aussi irréprochable que les candidats dont il examine les comptes électoraux. Je forme le voeu que le nouveau président s'y attelle pour l'année prochaine.

Mme Sophie Briante Guillemont. - Merci pour la clarté de ce rapport. Concernant les dépenses relatives à la cybersécurité du Conseil constitutionnel dans la perspective de l'élection présidentielle, quels investissements sont envisagés ? Que faut-il davantage sécuriser ?

M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis. - Je partage les propos de notre collègue Hussein Bourgi. Les réserves budgétaires de l'Assemblée nationale et du Sénat étant faibles ou en voie d'érosion, la question de l'augmentation des crédits se posera bientôt. Il aurait suffi que les budgets de ces deux institutions soient indexés sur l'inflation durant les dix dernières années pour que la trajectoire budgétaire s'en trouve modifiée.

Madame Josende, nous devons réitérer auprès des questeurs notre demande de créer une dotation spécifique pour l'entretien du patrimoine afin que les crédits soient décorrélés du budget de fonctionnement.

S'agissant du Conseil constitutionnel, nous demandons qu'il affiche l'année prochaine un budget fiable. Je ne peux pas être plus explicite que je l'ai été avec le nouveau président du Conseil, qui a promis un changement ; nous verrons s'il se matérialise ou pas l'année prochaine.

Concernant la question relative aux investissements du Conseil constitutionnel dans la perspective de l'élection présidentielle, notons que cette institution a fait l'objet de cyberattaques. Les crédits sont fléchés vers une sécurisation du système informatique en tant que tel, mais surtout vers la création d'un site informatique jumeau de façon à éviter une panne des services. Si le Conseil devait subir une panne informatique au moment de la vérification des opérations électorales, par exemple, cela pourrait être de nature à créer un flottement démocratique. Au regard des menaces cyber, qui sont réelles, et des attaques hybrides que nous connaissons, il me semble qu'il s'agit là d'une bonne décision.

Mme Audrey Linkenheld. - Il devrait en être de même pour toutes les administrations, y compris pour les autorités administratives indépendantes (AAI), dont les budgets sont pourtant plutôt à la baisse. Si une hausse des crédits se justifie pour le Conseil constitutionnel afin de faire face à cette cybermenace, qui est réelle, pourquoi n'en est-il pas de même pour les autres administrations ? À cet égard, nous pourrions avoir un débat plus général sur ce sujet afin d'explorer les pistes à retenir pour protéger nos administrations et nos institutions, dont le Sénat d'ailleurs, car je ne suis pas certaine qu'il jouisse d'un niveau de sécurité optimal.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».

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