N° 79
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1995.
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur le projet de loi de finances pour 1996, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
TOME V
INDUSTRIE
Par M. Francis GRIGNON,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Gérard Larcher, Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy, vice-présidents ; Gérard César, William Chervy, Jean-Paul Émin, Louis Minetti, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Georges Berchet, Jean Besson, Claude Billard, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Jacques Dominati, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Philippe François, Aubert Garcia, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Claude Haut, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Roger Husson, Bernard Joly, Edmond Lauret, Jean-François Le Grand, Félix Leyzour, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan, René Rouquet, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Jacques Sourdille, André Vallet.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (l0ème législ.) : 2222. 2270 à 2275 et T.A. 413.
Sénat : 76 et 77 (annexe n°3) (1995-1996).
Lois de finances
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
•
La France peut-elle avoir une politique
industrielle ?
Certains commentateurs se sont plus à annoncer, que le concept même de politique industrielle française avait vécu. De fait, certains indices laissent à penser que les marges de manoeuvre sont limitées.
En vingt ans, l'emploi total a augmenté de 909.000 postes nets en France, alors que l'emploi industriel a baissé de 1,8 million de postes. La croissance industrielle de la France est faible. La valeur ajoutée industrielle à prix constants (prix de 1985) n'y a augmenté que de 20 % en vingt ans, de 1973 à 1993. C'est mieux qu'au Royaume-Uni (7 %) et même un peu mieux qu'en Allemagne de l'Ouest (19 %), mais nettement en-dessous des performances enregistrées aux États-Unis (33 %), en Italie (52 %) et au Japon (126 %).
Les progrès de la productivité continueront à provoquer la disparition de postes de travail. Les efforts de compétitivité réalisés par les entreprises risquent d'être remis en cause par les désordres monétaires en l'absence d'une monnaie unique européenne.
Surtout, l'intervention de la Commission de l'Union européenne se fait de plus en plus ressentir, soit que celle-ci veille au respect de la concurrence soit qu'elle se pose en force de proposition.
Ainsi, la commission européenne a annoncé, en juin 1995, la création effective de six « groupes de travail » destinées à rapprocher la politique de recherche des préoccupations des citoyens et d'aider l'industrie européenne à mieux répondre à ces deux soucis. Ces six groupes concernent la voiture de demain, l'avion de nouvelle génération, le train du futur, l'interrnoidalité des transports, le logiciel éducatif multimédia et les vaccins et maladies virales. Elles doivent stimuler le développement de technologies nouvelles susceptibles d'avoir un impact sur la qualité de la vie et la compétitivité industrielle de l'Europe. Les six
Ainsi, la commission européenne a annoncé, en juin 1995, la création effective de six « groupes de travail » destinées à rapprocher la politique de recherche des préoccupations des citoyens et d'aider l'industrie européenne à mieux répondre à ces deux soucis. Ces six groupes concernent la voiture de demain, l'avion de nouvelle génération, le train du futur, l'intermoidalité des transports, le logiciel éducatif multimédia et les vaccins et maladies virales.
Elles doivent stimuler le développement de technologies nouvelles susceptibles d'avoir un impact sur la qualité de la vie et la compétitivité industrielle de l'Europe. Les six groupes, désormais opérationnels et réunissant les compétences et les ressources des commissaires concernés, sont chargés de développer des projets communs d'intérêt industriel. Leur premier objectif est d'identifier, puis de faire converger, « dans un souci de cohérences », les divers efforts publics et privés entrepris aussi bien par les pays membres de l'Union européenne, qu'au sein du programme cadre de recherche-développement (PCRD) et d'autres programmes européens.
Autre exemple : la publication, en juin 1995, par le ministère de l'industrie d'un guide destiné aux petites et moyennes entreprises témoigne de l'importance acquise par les procédures, financements et aides communautaires en matière industrielle.
Mais à cette vision un peu pessimiste, on peut opposer quelques faits.
D'abord, le recul de l'emploi industriel est surestimé en raison de l'externalisation croissante de certaines activités. Les industries tendent, en effet, de plus en plus, à sous-traiter la partie tertiaire de leur activité à d'autres entreprises enregistrées dans des activités de services. Cet effet d'externalisation porterait sur 250.000 emplois environ entre 1981 et 1993, selon les experts.
Ensuite, c'est bien l'industrie qui, depuis 1994, a été le moteur de la reprise économique en France. Dans l'industrie l'emploi salarié a augmenté de 25.000 unités sur le seul premier semestre de 1995. Quant à l'investissement dans l'industrie concurrentielle, il augmente de l'ordre de 13 % en valeur en 1995.
Enfin, en agrégeant la valeur ajoutée de l'industrie et celle du tertiaire directement engendrée par l'achat de services par l'industrie, ou les dépenses des revenus qu'elle distribue, le SESSI estime que l'emprise de l'industrie sur l'ensemble des activités économiques est supérieure à 50 %.
Les achats de l'industrie représentent ainsi 14,5 % des débouchés du secteur des services aux entreprises.
La contestation de l'utilité d'une politique industrielle semble donc relever pour partie de l'effet de style.
• Une conjoncture qui reste dominée
par l'incertitude
La conjoncture dans l'industrie, en 1995, reste dominée par l'incertitude même si les perspectives se sont améliorées.
Interrogés pour la première fois sur leur vision du système économique au-delà de l'an 2000, les docteurs en économie et en gestion estiment que la France va entrer dans une phase alternant des périodes courtes de croissance et de dépression.
Quatrième puissance industrielle mondiale devant des pays comme l'Italie et le Royaume-Uni, la France pourrait connaître une croissance globale limitée à 3,1 % en 1995.
S'agissant de l'investissement productif, la conjoncture reste, dans l'ensemble, « morose ».
La reprise de la croissance a stimulé les créations d'emplois au premier trimestre 1995. Selon le ministère de travail et l'INSEE, sur un total de 2.000 créations nettes d'emplois dans les secteurs marchands non-agricoles, l'industrie en a créé 9.500, soit une hausse de 0,2 % contre 0,1 % au dernier trimestre de 1994. Cette reprise est confirmée par les chiffres de l'UNEDIC, qui montrent néanmoins des évolutions contrastées selon les secteurs industriels.
Pour les mois, à venir, selon les experts, la résorption des sureffectifs hérités de la récession et la consolidation de la reprise rendront, du moins peut-on l'espérer, les embauches fermes nécessaires, soit par la création de postes, soit par transformation des contrats d'intérim en contrats définitifs.
Mais, alors que les industriels avaient abordé l'année 1995 avec optimisme, les enquêtes INSEE publiées dès la fin de juin et de juillet laissaient à penser que l'enthousiasme des patrons baissait devant le ralentissement relatif de la production et le fléchissement de la demande étrangère. La chute de 2 % de la production industrielle en septembre a confirmé cette évolution.
•
Faut-il toujours redouter les
délocalisations vers l'étranger ?
Les récentes turbulences monétaires sont de nature à accélérer certaines délocalisations. Le principal secteur concerné est aujourd'hui automobile, à l'image de ce qui s'est passé naguère pour le textile. De fortes dépréciations des principales monnaies de facturation à l'exportation favoriseraient une recomposition du tissu industriel.
Deux ans après la publication du rapport de notre ancien collègue M. Jean ARTHUIS qui avait suscité parfois des réactions vives, les délocalisations d'entreprises industrielles vers l'étranger demeurent une réalité.
L'INSEE estime à environ 130.000 le solde des emplois qui auraient été perdus en 1991 entre les gains dus aux exportations et les effectifs supprimés par l'importation de produits en provenance des pays en développement. Au terme d'un exercice semblable, Claude Vimont, évoque une fourchette comprise entre 200.000 et 330.000.
La Cour de Cassation (chambre sociale 5 avril 1995 - Thomson Tubes et Displays n° 1954 p) a tenté, par sa jurisprudence, de limiter cette pratique en exigeant que la réorganisation soit justifiée par le souci de préserver la compétitivité du secteur concerné. Mais n'est-ce pas toujours le cas ?
Au demeurant, l'impact véritable des délocalisations a fait l'objet d'analyses dont les résultats ne sont pas tous alarmistes. Pour les experts, un nouvel équilibre tend à succéder aux délocalisations qui s'assortissent d'une progression des postes qualifiés à forte valeur ajoutée et d'une baisse des emplois les moins qualifiés, sensibles à la concurrence de productions meilleures marchées.
Une forme de division du travail se met en place et des entreprises, qui s'étaient délocalisées, font le chemin inverse dès qu'elles veulent privilégier la qualité et les approvisionnements en « juste temps ». Nombre de dirigeants défendent, en outre, le principe de leurs investissements à l'étranger par la nécessité de se rapprocher de marchés et de consommateurs potentiels.
Quant à l'idée d'imposer, au niveau mondial, les normes de protection sociale atteintes dans les sociétés postindustrielles occidentales, elle semble peu supportable, dans l'immédiat, pour les économies du Tiers Monde. Une fois garantis les droits de l'homme et la liberté d'association, interdit le travail des enfants, des détenus, des prisonniers politiques et proscrit le recours à l'esclavage, est-il possible d'aller plus loin dans la définition de critères communs, sauf à introduire des distorsions considérables dans ces pays ?
•
L'accueil des investisseurs
étrangers
: une chance
Depuis 1992, le réseau « Invest in France » (IFN) est chargé de promouvoir l'espace économique français et de coordonner les initiatives et placé sous l'égide de la DATAR, « Invest in France » dispose de dix-sept bureaux à l'étranger (huit en Europe, quatre en Amérique du Nord et cinq en Asie).
En 1994, 17.000 emplois ont été créés ou maintenus en France 1 ( * ) grâce à des investissements étrangers dans l'industrie. 250 dossiers ont été suivis par « Invest in France », dont une cinquantaine portait sur plus de cent emplois.
Il est vrai que le projet MCC-Swatchmobile, qui doit, à lui seul, entraîner la création de 2.000 emplois, est venu en fin d'année majorer ces chiffres. Sans cette opération, le nombre d'emplois créés aurait été sensiblement égal à celui de 1993.
Même sans le projet Swatchmobile, la Lorraine aurait été encore, l'an dernier, la première région d'accueil (25 %) des investissements étrangers : 38 projets y ont été localisés, débouchant sur 4.184 emplois. Elle précédait la Franche-Comté (9 projets 1.272 emplois) et l'Alsace (23 opérations, 1.259 emplois). Les régions frontalières, sont, de loin, les plus appréciées par les investisseurs étrangers puisque, derrière le trio de tête, apparaissent Rhône-Alpes et Nord-Pas-de-Calais. L'Île-de-France arrive en deuxième position après la Lorraine, en nombre de projets. Ces six régions ont capté 58 % des emplois et 56 % des projets remarque IFN.
L'attrait pour les régions de l'Est est dû, en majeure partie, à l'Allemagne, qui a été deuxième investisseur étranger l'an passé (54 projets, 3.004 emplois, auxquels s'ajoute le dossier germano-suisse Swatch mobile). Les États-Unis ont été à l'origine d'un projet et d'un emploi sur trois.
L'Asie a finalement peu investi sur le territoire national.
Les régions littorales de l'Arc atlantique sont plus délaissées que celles qui se trouvent sur l'axe Nord-Sud-Est, plus proches du centre de l'Europe. Pour que les investisseurs étrangers prennent le chemin de l'Ouest une politique d'aménagement du territoire est indispensable.
Enfin, un handicap reste à combler : la faiblesse de nos ports, en concurrence directe et défavorable avec les grands ports de l'Europe du Nord et qui auraient été une des causes de l'abandon du projet d'installation d'une plate-forme de distribution de l'américain Nike.
Pour 1995, les experts tablent sur une reprise des projets d'investissements industriels étrangers importants, notamment dans des secteurs comme les semi-conducteurs ou la sous-traitance automobile, 'objectif étant de hisser la France au premier rang des pays européens d'accueil des investissements étrangers, place occupée jusqu'à présent par le Royaume-Uni.
Mais, pour votre commission, l'accueil d'entreprises étrangères nouvelles ne doit pas constituer un alibi au soutien du tissu industriel existant.
• L'importance du secteur public
industriel
Alors que la loi de finances initiale pour 1995 prévoyait, au total, 8 milliards de dotations en capital aux entreprises publiques, ce chiffre a été, comme les années précédentes, dépassé.
Or, les entreprises comme Aérospatiale ou la SNECMA -cette dernière affichant un besoin de deux milliards de francs- n'étaient pas certaines d'être satisfaites.
Bien plus, Thomson a indiqué que toute privatisation devrait être précédée d'une recapitalisation.
L'année 1995 comportait un programme de privatisations non négligeable dans le secteur industriel.
La mise sur le marché d'Usinor-Sacilor a été réalisée au début de juillet 1995.
La publication à la mi-juillet 1995 d'un décret autorisant la privatisation de Péchiney et de Renault n'a pas constitué une surprise.
S'agissant de Renault, l'opération envisagée devrait rapporter entre 19 et 20 milliards de francs à l'État. D'éventuels risques sociaux ne peuvent être écartés (les syndicats hostiles à la privatisation ont encore fait entendre leurs observations, lors de l'assemblée de mai derniers). Il est clair que l'État peut difficilement céder le solde du capital de Renault à un niveau inférieur à celui de la première tranche. Certains analystes évaluent le cours théorique du groupe autour de 175 ou 180 francs.
S'agissant de Pechiney, la vente de la participation de l'État pourrait lui rapporter environ 8 milliards de francs. La situation financière du groupe semble se rétablir. Après les cessions de la branche composants industriels et de l'activité emballage métallique de la filiale American Can, reste à céder la société américaine Howmett et l'emballage verre aux États-Unis : autant d'opérations de désengagement qui devraient réduire l'endettement du groupe (25,2 milliards de francs fin 1994) pour se rapprocher de l'objectif de 10 milliards fixé par le groupe.
Pour autant, la difficulté, pour le Gouvernement consiste à faire tenir son programme de privatisations dans le délai nécessaire pour atteindre les 40 milliards de recettes prévues pour 1995.
* 1 Chiffre à rapprocher des quelque 224.000 emplois salariés créés en France dans la même période.