ANNEXE
Audition de M. Christian Blanc, Président
du groupe Air France
Au cours d'une réunion qui s'est tenue le mercredi 27 novembre 1996, la commission a entendu M. Christian Blanc, Président du Groupe Air France.
Après avoir accueilli celui-ci, M. Jean François-Poncet, président, a relevé que la situation du transport aérien français suscitait à la fois inquiétude et regain de confiance. Il a salué les efforts réalisés par Air France dans un contexte difficile et a demandé à M. Christian Blanc, d'une part, de faire le point de la situation du groupe, et, d'autre part, de préciser ses ambitions, eu égard à la concurrence européenne et internationale.
Après avoir rappelé sa dernière audition par la commission, le 17 mai 1995, M. Christian Blanc, président du groupe Air France, a indiqué que le plan de redressement de trois ans arriverait à son terme le 31 décembre 1996 et que la compagnie nationale était en train de réaliser les objectifs qu'elle s'était fixés, en termes de résultats financiers, de productivité (gain de plus de 30 %), de réduction des coûts unitaires (de plus de 20 %) et d'augmentation du chiffre d'affaires. Il a précisé que ces résultats étaient le fruit du travail de tous et avaient pu être atteints grâce à l'aide de l'État, Air-France ayant bénéficié d'une recapitalisation de 20 milliards de francs en trois ans.
M. Christian Blanc a exprimé sa très grande satisfaction au vu des résultats affichés par la compagnie au premier semestre 1996 (1 milliard de francs de résultat d'exploitation et 800 millions de bénéfice net). Il a cependant tenu à préciser que le premier semestre était traditionnellement le plus favorable dans le secteur des transports aériens et que les prévisions pour l'ensemble de l'exercice 1996 laissaient envisager un résultat net négatif de 100 millions de francs, la situation devant être positive au cours de l'exercice suivant.
Il a qualifié « d'histoire invraisemblable » la grève qui était entrain de perturber le trafic du groupe pour quarante-huit heures et par laquelle les personnels techniques et commerciaux, entendaient traduire la crainte que la dérégulation n'entraîne le transport aérien sur le même chemin que le transport maritime.
M. Christian Blanc a déclaré partager cette préoccupation et souhaité qu'une réglementation permette d'éviter le « dumping » social. Il a précise que, pour des raisons diverses, des discussions n'avaient malheureusement pas pu s'engager entre les personnels du groupe et l'État ces dix derniers jours sur ce point. Il a, dans ces conditions, déploré que les personnels aient décidé une telle grève qui allait coûter 120 millions de francs au groupe, alors même que ce dernier était extérieur au problème. Il a souligné que deux ou trois grèves de ce type suffiraient à hypothéquer les résultats de la compagnie et a déploré que les personnels n'aient pas semblé en avoir conscience.
M. Christian Blanc a ensuite exposé que la mise en place d'une plate-forme de correspondance (« hub ») à Roissy avait eu un effet très positif, et qu'elle était seule à permettre sur le volume du trafic, celui d'Air France ayant progressé depuis lors de 15 % globalement et de 30 % à destination de l'Allemagne de l'Ouest. Il a précisé qu'il s'agissait là d'une grande réussite pour cette « horlogerie fine » qui permettait d'articuler le court courrier, avec le moyen et le long courrier, sur six plages de correspondance.
Évoquant la prochaine construction de deux pistes supplémentaires à Roissy, qui devraient permettre de doubler la capacité du « hub », M. Christian Blanc a indiqué que ce nécessaire développement de la capacité du « hub » était un atout concurrentiel majeur pour le groupe vis-à-vis de British Airways et de Lufthansa, août qui seul pourrait permettre à Air France de rattraper le retard accumulé. Il a souhaité que Roissy devienne ainsi la principale porte d'entrée sur l'Europe.
Se félicitant ensuite de la politique d'alliances engagée par le groupe, il a souligné que l'accord signé avec Delta et Continental Airlines, permettrait de multiplier par cinquante la capacité de pénétration du groupe sur le marché américain. Il permettrait, en outre, la mise en place d'accords commerciaux sur un ou deux ans ce qui, en régime de croisière, permettrait une progression du chiffre d'affaires du groupe de 500 millions à un milliard de francs. M. Christian Blanc a indiqué qu'il souhaitait, en 1997 et 1998, mettre en place des partenariats de même nature avec des compagnies asiatiques.
Il a jugé essentielle cette stratégie d'alliances, dans la mesure où le transport aérien de demain n'aurait plus rien à voir avec ce qu'il était au cours des vingt ou trente dernières années. Il a indiqué que trois à quatre grands réseaux intercontinentaux fédéreraient des « leaders » continentaux, à raison d'une ou deux grandes compagnies américaines, une grande et une moyenne compagnie européenne et deux grandes compagnies asiatiques (une au nord et une au sud) disposant chacune d'un ou plusieurs « hubs ». Il a estimé qu'une telle stratégie, que seule rendait possible l'existence du « hub », permettrait à Air France d'accroître sensiblement ses capacités de vente.
M. Christian Blanc a déclaré que l'ambition du groupe était de devenir le numéro un européen du transport aérien en 2001-2002 et de figurer parmi les cinq ou six plus grandes compagnies mondiales. Il a exprimé sa confiance dans la réalisation de cet objectif à condition que le groupe puisse pleinement utiliser le « hub » pour suivre la réduction de ses coûts de production et la modernisation de ses techniques de vente. Il a estimé que s'il s'agissait là d'une ambition collective nationale, sa réussite serait acquise, d'autant plus que le groupe pourrait bénéficier d'atouts naturels dont ne disposaient pas la plupart de ses compétiteurs.
Il a rappelé que créée en 1933, la Compagnie Air France était devenue la troisième compagnie mondiale en 1938. Il a souhaité qu'elle retrouve une position de « leader » sur le marché.
M. Jean François-Poncet, président, s'est interrogé sur l'ampleur des progrès restant à réaliser en matière de coûts de production et de salaires et il s'est inquiété de savoir si les étapes ultérieures pourraient provoquer de nouveaux conflits sociaux.
M. Christian Blanc a souligné la nécessité de poursuivre la réduction des coûts de production et d'améliorer les recettes du groupe, eu égard à l'environnement concurrentiel mondial dans lequel il évoluait.
Il a exposé que, bien qu'il ait diminué ses coûts de production de 20 % en deux ans et demi, le groupe Air France souffrait encore d'un handicap en ce domaine, dû à un différentiel de 5 % par rapport à Lufthansa et de 5 à 10 % par rapport à British Airways. Ce handicap devrait encore s'aggraver d'ici 10 ans, face à la concurrence des compagnies américaines dont les coûts s'élèvent à 8 cents par mile à comparer aux 10,6 cents par mile chez British Airways et 11,5 cents par mile à Air France.
Ceci justifiait l'objectif de réduction de 15 % des coûts unitaires de production prévu par le « pacte de croissance compétitive » qui devrait être mis en oeuvre début 1997.
M. Christian Blanc a précisé que l'effort ne porterait pas essentiellement sur la masse salariale. Dans ce domaine, l'objectif était de poursuivre le développement à effectifs constants, avec un renforcement de la qualification et une maîtrise de la masse salariale. Il n'a cependant pas caché que l'année 1997 pourrait connaître un « frottement social », qui ne devait pas empêcher la poursuite d'une politique clairement affirmée.
Il a rappelé que la remise à plat de la politique d'achat du groupe avait permis la baisse des achats de 3 milliards de francs en trois ans, qui n'avait pas été réalisée au détriment des clients, ces derniers bénéficiant au contraire d'une politique de produits attractifs (tels que l'espace 180 et l'espace 127).
Evoquant ensuite la politique de la flotte, M. Christian Blanc a indiqué que les avions qui tournaient 9,4 heures par jour trois ans auparavant, seraient utilisés 10,7 heures au cours de l'hiver 1996/1997. Cette optimisation des outils de travail permettrait une importante réduction des coûts de production.
Puis, répondant à M. Jean François-Poncet, président, qui l'interrogeait sur les atouts naturels d'Air France, M. Christian Blanc a estimé que les points de faiblesse, tenant notamment au niveau des charges sociales -supérieur à celui de la Grande-Bretagne-, pouvaient être compensés par deux atouts :
- le « hub » de Roissy, qu'il souhaitait voir devenir rapidement le plus puissant d'Europe ;
- l'existence du marché aérien le plus important d'Europe. Or, il était essentiel pour les compagnies de maîtriser leur marché intérieur.
M. Christian Blanc a souligné l'importance d'une parfaite articulation entre Air France et Air France Europe, le « hub » ne pouvant fonctionner qu'à condition d'être alimenté par le marché intérieur. Qualifiant les Français de « libéraux naïfs », il a exposé qu'il retirait deux leçons de la politique européenne :
- leçon n° 1 : il convient d'être libéral ;
- leçon n° 2 : on est vraiment libéral lorsqu'on est en position de force et protectionniste quand on a besoin d'acheter du temps.
Il a regretté que ces comportements de nos voisins européens soient difficiles à intégrer en France.
M. Christian Blanc a ensuite estimé que l'avatar d'Air Liberté était totalement prévisible et que le simple fait d'avoir dénoncé la stratégie de cette compagnie en janvier dernier (à savoir l'achat de créneaux horaires dans le but de les revendre à une grande compagnie européenne), lui avait valu un procès.
Evoquant la gravité de la situation British Airways disposant de 23 % des créneaux d'Orly et risquant d'y créer un « hub », il a souhaité qu'une politique aéroportuaire soit rapidement mise en oeuvre, qui consacrerait la vocation domestique d'Orly et intercontinentale de Roissy. Il s'agissait ainsi d'être aussi adroit que les Britanniques dans la gestion protectionnisme du libéralisme.
M. Christian Blanc a souhaité que soient bien identifiés, puis cultivés, les atouts naturels de la France en ce domaine.
Après avoir rappelé que la Commission des Affaires économiques n'avait jamais été très favorable à l'implantation d'un troisième aéroport en région parisienne, préférant que des aéroports de province accèdent au marché européen, M. Jean François-Poncet, président, a demandé au président d'Air France d'exposer son point de vue sur ce sujet. M. Christian Blanc a déclaré partager cette position, estimant qu'il n'y avait pas de place pour un troisième aéroport en région parisienne d'ici vingt-cinq à trente ans. Il a jugé que l'aéroport de Lyon-Satolas avait, entre autres, vocation à se développer.
Après avoir félicité l'orateur pour la clarté et l'intérêt de son exposé, M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour avis sur le budget des transports aériens, l'a interrogé sur l'évolution des relations entre Air France et Air Inter-Europe.
M. Jean-François Le Grand, s'est également interrogé sur la nécessaire évolution des deux autres acteurs du secteur : les autorités aéroportuaires et l'acteur public. À cet égard, il a demandé comment la direction générale de l'aviation civile pouvait faire évoluer ses deux missions de prestataire de service et de régulateur.
M. Christian Blanc a répondu qu'il avait, dans un premier temps, envisagé un montage plus sophistiqué que la simple fusion, qui aurait confié à une holding les fonctions principales des compagnies et créé deux sociétés d'exploitation. Cependant, les syndicats des personnels navigants techniques d'Air Inter ayant fait preuve d'un certain esprit rétrograde, il convenait de procéder à la fusion.
Il a dénoncé la difficulté à convaincre certains appareils syndicaux de l'inéluctabilité de cette opération et a dénoncé l'existence de certaines rentes syndicales expliquant le comportement de certaines personnes craignant d'être marginalisées dans la nouvelle structure. Dans ce contexte, il a estimé nécessaire d'afficher une très grande détermination à leur égard.
Indiquant que les personnels d'Air France étaient sous statut et ceux d'Air Inter Europe soumis à des conventions collectives, il convenait de décider de la solution juridique convenant à leur rapprochement. Après avoir regretté que la voie législative n'ait pas été choisie, M. Christian Blanc a précisé que le Conseil d'État allait rendre son avis dans les dix jours. Il a espéré que la procédure choisie soit la plus simple possible.
Évoquant alors le calendrier, il a exposé que la fusion de fait serait achevée en avril 1997, les deux assemblées générales devant entériner cette fusion à l'automne prochain.
Il a considéré que le règlement de cette question constituerait un « bond en avant » permettant de progresser vers la future privatisation.
À cet égard, il a considéré que l'importance du décalage dans le rapport au temps entre l'État et l'entreprise, cette dernière ayant besoin de réactivité, justifiait de couper le cordon ombilical avec l'État actionnaire. Il a souligné la nécessité pour le groupe de réaliser de bons résultats, de façon à le privatiser fin 1997 début 1998, marquant sa préférence pour le début de l'année 1997.
M. Jean-François Le Grand, s'est également interrogé sur la nécessaire évolution des deux autres acteurs du secteur : les autorités aéroportuaires et l'acteur public. À cet égard, il a demandé comment la direction générale de l'aviation civile pouvait faire évoluer ses deux missions de prestataire de service et de régulateur.
M. François Gerbaud a déclaré partager la fierté d'Air France, qui a triomphé des difficultés passées. Il s'est interrogé sur une éventuelle tentative de recréer Air Union, se demandant si Air France pourrait prendre l'initiative d'un rassemblement de flottes de façon à résister aux compagnies anglaises.
En réponse, M. Christian Blanc a indiqué qu'une alliance Luftansa-Air France avait fait l'objet d'une réflexion, mais que l'on y avait répondu par la négative, dans la mesure où leurs réseaux étant presque superposables et en concurrence quasi totale, un rapprochement entre ces deux compagnies entraînerait inéluctablement la disparition de l'une d'entre elles.
M. François Gerbaud s'est ensuite interrogé sur l'évolution de la politique tarifaire permettant au groupe d'accroître son trafic passagers et a demandé comment le groupe envisageait sa politique de flotte dans le but d'augmenter la fréquence des vols (avion à grosse, moyenne ou petite capacité).
En réponse. M. Christian Blanc a indiqué que les besoins de la compagnie concernaient des avions de toutes capacités et que, s'agissant des liaisons intercontinentales, la question s'était posée de savoir s'il convenait d'augmenter les fréquences avec des avions de moyenne capacité ou d'avoir un nombre de fréquences plus réduit avec des avions de plus grosse capacité.
Il a indiqué que la réponse avait résidé dans l'achat d'un certain nombre d'avions Boeing de grande capacité. Après avoir considéré qu'Airbus disposait de la gamme court ou moyen courrier la meilleure au monde, et qu'il ne manquait pas de la conseiller à d'autres compagnies, telles qu'USAir, elle n'avait pas encore suffisamment investi sur le long courrier. Précisant que le B.777-200 serait commercialisé avant l'A 340-600, M.Christian Blanc a indiqué que cette version allongée de l'Airbus l'intéressait mais qu'elle ne serait disponible au mieux qu'en 2001-2002.
Soulignant la nécessité pour une compagnie de se doter des outils dont elle avait besoin, il a rappelé que la flotte du groupe comportait historiquement des Airbus et des Boeing à parité.
M. Jean Huchon s'est interrogé sur le manque de compréhension par les personnels du groupe du fait que des grèves à répétition pouvaient faire le faire sombrer.
M. Christian Blanc a indiqué que le groupe avait connu relativement peu de mouvements sociaux depuis trois ans, eu égard à son histoire. Il n'a pas exclu que l'année 1997 soit marquée par certains mouvements, en particulier à Air France Europe. Évoquant la situation des pilotes, il a exprimé son souhait de les associer le plus possible au capital de l'entreprise.
Après avoir déploré que les comportements des pilotes ou des personnels non commerciaux traduisent une mentalité répandue en France, tendant à recourir avec facilité aux grèves, en toute méconnaissance de son impact, il a jugé qu'il faudrait du temps pour faire évoluer ce défaut culturel. À titre de comparaison, il a indiqué que Lufthansa n'avait pas connu de grèves depuis 17 ans, et British Airways depuis 12 ans, la tradition dans ses pays étant de mener les discussions avant de recourir à une grève.
M. Christian Blanc s'est déclaré tout à fait opposé à ce que les compagnies européennes emploient à l'avenir des pilotes étrangers (venant des pays de l'Est, de l'Inde, etc.), payés à 10 ou 20 % du prix des pilotes européens. Il a soulevé les graves problèmes de sécurité qu'entraînerait une telle politique. Il a souhaité une mise à plat des règles en la matière, la baisse des coûts de production comportant des limites. À cet égard, il a indique qu'Air France, en dépit de ses difficultés, avait respecté une déontologie absolue en la matière et n'avait pas économisé un centime sur les dépenses de sécurité.
Qualifiant la grève d'absurde, il a estimé que l'on aurait pu se donner six mois pour examiner cette grave question.
En conclusion. M. Jean François-Poncet, président, a estimé que la situation présentée par M. Christian Blanc était très encourageante, en dépit des difficultés qu'il avait rencontrées et qu'il trouverait encore sur sa route.