2. Restaurer une «société de confiance » en Afrique
S'il ne peut constituer un substitut à l'aide publique, l'investissement privé constitue l'une des meilleurs assurances en faveur du développement. Or les entreprises occidentales se sont détournées de l'Afrique. Aujourd'hui le retour à la croissance, l'assainissement en cours des bases économiques : autant d'éléments dont la combinaison devrait permettre de restaurer la confiance dans une partie du continent. Les investisseurs étrangers ne sont pas seuls à faire montre de prudence. Les opérateurs privés africains existent -les ressources ne manquent pas si l'on en juge par la liquidité des banques locales- mais tardent à se manifester.
On sait que les éléments de fait ne sont pas tout, l'instauration d'un climat de confiance demeure un préalable pour une véritable reprise de l'investissement privé. Or les incertitudes politiques, les faiblesses du cadre juridique ont une part de responsabilité déterminante dans la prévention dont nombre de pays africains demeurent l'objet. De même l'endettement excessif des Etats du continent inhibe les investisseurs.
a) Un impératif : la construction d'un Etat de droit
La définition d'un cadre législatif et réglementaire stable, clair, précis et effectivement appliqué doit constituer une priorité dans notre politique de développement. Il s'inscrit à la croisée d'une double orientation de notre politique d'aide : le soutien à l'intégration régionale d'une part, à la consolidation d'un Etat de droit d'autre part.
L'intégration régionale ne se résume pas en effet à la mise en place d'institutions communes ou à la formation d'unions douanières, et peut-être, à terme, de marchés communs ; elle se manifeste également par l'élaboration de règles de droit harmonisées et modernisées , à l'échelle de vastes ensembles géographiques.
Votre rapporteur soulignera, en particulier, l'importance de l'harmonisation du droit des affaires destiné à offrir aux investisseurs l'indispensable sécurité juridique et judiciaire et la création de tribunaux de commerce dans de nombreux pays.
L'initiative prise dans ce sens par les ministres des finances de la zone franc réunis à Ouagadougou en 1991 s'est trouvé consacrée sous la forme d'un traité signé en 1993 et aujourd'hui ratifié par le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Centrafrique, les Comores, la Côte-d'Ivoire, le Gabon, la Guinée équatoriale, le Togo, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad. Seuls la Guinée et le Congo, tous deux signataires du texte, ne l'ont pas ratifié.
Une organisation pour l'harmonisation du droit des affaires en Afrique s'est mise en place, constituée d'un Conseil des ministres de la justice et des finances, d'un secrétariat permanent -à Douala- d'une Cour commune de justice et d'arbitrage -à Abidjan- et d'une Ecole régionale supérieure de la magistrature -à Cotonou-. Ces deux dernières institutions devraient fonctionner à compter de 1997. La France s'est engagée à assurer une partie des dépenses liées à la mise en place de ces institutions, mais l'intervention d'autres bailleurs de fonds demeure indispensable pour un projet aussi ambitieux. Le soutien français reste subordonné à la création d'un fonds de capitalisation -dont les intérêts permettraient la prise en charge des dépenses de fonctionnement des institutions -financé pour moitié par les Etats parties et les bailleurs de fonds. Le programme des Nations Unies pour le développement, chargé de concrétiser l'initiative spéciale pour l'Afrique lancée par M. Boutros-Ghali le 15 mars 1996, et notamment le volet destiné à renforcer les capacités institutionnelles (500 millions de dollars), devrait participer à l'entreprise.
Au-delà du dispositif institutionnel, la vocation du traité demeure la mise en place de normes harmonisées. Plusieurs avant-projets ont d'ores et déjà été adoptés (droit commercial général en février 1995, doit des sociétés commerciales en octobre 1995) ou sont en passe de l'être (régimes relatifs aux procédures collectives, aux voies d'exécution, aux sûretés et au droit comptable). En outre de nouveaux chantiers pourraient s'ouvrir dans le domaine du droit du travail ou du droit de l'arbitrage.
Au chapitre de l'intégration régionale, il convient également de citer l'harmonisation des marchés des assurances et le contrôle des entreprises intervenant dans ce secteur dans le cadre du traité CIMA (Conférence interafricaine des marchés d'assurances), la création d'une conférence interafricaine de la prévoyance sociale (la CIPRES) destinée à assainir la gestion des organismes de prévoyance sociale.
La transparence et la sécurité juridique requièrent un effort de formation particulier au profit des cadres chargés de l'application du droit. Dans cette perspective, deux pôles régionaux de formation, l'un à Ouagadougou, l'autre à Libreville, ont été institués à l'intention des cadres du ministère de l'économie et des finances.
En outre, une Ecole régionale supérieure de la magistrature devrait former les magistrats et auxiliaires de justice africains au nouveau droit des affaires harmonisées.
Un cadre juridique stable et rigoureux ne se conçoit que dans une société pacifiée. Trop de conflits meurtrissent encore l'Afrique et nourrissent un afropessimisme, prétexte au désengagement pour les pays occidentaux. A cet égard, la France s'efforce de longue date de promouvoir la création d'une force africaine de paix dont le principe avait été posé lors du sommet France-Afrique de 1994. Comme le rappelait votre rapporteur dans son avis sur le budget de la coopération en 1996, la mise en oeuvre d'une force d'interposition de quelque 5 000 hommes suppose que deux conditions soient satisfaites : « en premier lieu l'initiative appartient aux pays africains et un défaut de volonté commune condamnerait la force d'interposition à l'échec. En second lieu, la France ne peut soutenir seule financièrement une telle entreprise à laquelle nos partenaires de l'Union de l'Europe occidentale devraient être intéressés ».
Au cours d'une récente visite en Afrique, le secrétaire d'Etat américain a tenté de défendre un projet alternatif afin d'intervenir dans les pays en proie à des « insurrections, la guerre civile ou des campagnes de génocide menaçant de faire des victimes civiles à grande échelle ». Cette « force interafricaine de réaction aux crises » serait composée d'une dizaine de milliers de soldats africains et financée en partie par les Etats-Unis qui prendraient à leur charge la moitié du coût de mise en oeuvre (estimé à 40 millions de dollars). Après son déploiement, cette force serait cependant financée entièrement par l'organisation des Nations Unies.
Plusieurs problèmes demeurent toutefois en suspens au premier rang desquels le choix des pays « éligibles » au regard des critères américains pour constituer la force. Six pays pourraient être retenus : le Ghana, le Kenya, l'Ouganda, la Tanzanie, le Zimbabwe et le Sénégal. Ils s'engageraient à mettre à disposition au moins trois bataillons (soit chacun 1 800 hommes), des « contingents en attente » en quelque sorte, équipés et entraînés grâce à l'appui des Etats-Unis. Le choix très restrictif des pays s'explique difficilement : à l'exception du Sénégal, il laisse de côté les pays francophones dont un grand nombre n'a rien à envier aux Etats anglophones choisis, en matière de respect des droits de l'homme.
La participation la plus large conditionne l'efficacité d'une telle initiative. Les liens de cette force avec l'Organisation de l'unité africaine constituent également une autre source d'interrogation. Trop d'incertitudes demeurent en définitive sur un projet dont, toutefois, il faut espérer qu'il ne se limite pas à une inspiration purement circonstancielle : votre rapporteur dénonce trop souvent l'indifférence des grandes puissances pour ne pas se réjouir du mouvement d'intérêt américain.
Au-delà des projets, ou des bonnes intentions, la France, pour sa part, en maintenant une « force de présence » de quelque 24 555 hommes -principalement en Afrique- contribue au rôle de stabilisation dont la récente intervention en Centrafrique a d'ailleurs souligné toute l'utilité. Sans doute le dispositif outre-mer est-il appelé à se réduire et à se simplifier. En effet, même si dans chaque implantation un seul régiment groupera les unités opérationnelles et les unités de soutien -, la présence française sera maintenue au Sénégal, en Côte-d'Ivoire, au Gabon, en Centrafrique, au Tchad. A Djibouti, les effectifs (3 435 avec 2 régiments) seront préservés et votre rapporteur s'en félicite : la position stratégique de Djibouti présente pour la France, il faut le rappeler, un intérêt essentiel.