B. LA POLYNÉSIE FRANÇAISE
1. La nouvelle donne institutionnelle et politique
Deux lois du 12 avril 1996, l'une de nature organique regroupant les dispositions relatives à l'organisation et au fonctionnement des institutions propres du territoire, l'autre, loi simple, complémentaire de la précédente, rassemblant les dispositions concernant les autres modalités de l'organisation particulière du territoire, ont consacré un nouveau statut de la Polynésie française.
La notion d'autonomie constitue la clef de voûte de la réforme statutaire, l'autonomie institutionnelle devant conduire à terme à l'autonomie économique. Outre que cette notion figure dans l'intitulé même de la loi statutaire, un titre premier lui est symboliquement consacré.
A côté d'une terminologie institutionnelle rénovée et de la reconnaissance de l'identité polynésienne (possibilité de créer un ordre spécifique consacrant les mérites de ses habitants ou de ses hôtes, utilisation et enseignement des langues polynésiennes), le nouveau statut :
- réaffirme le principe de la compétence de droit commun du territoire, l'État conservant une compétence d'attribution ;
- étend aux projets de décrets intervenant dans le cadre de la compétence étatique et touchant à l'organisation particulière de la Polynésie française, l'obligation de consulter les autorités territoriales ;
- organise une procédure de consultation de l'assemblée de la Polynésie française « sur les projets de loi portant ratification de conventions internationales traitant de matières ressortissant à la compétence territoriale » et prévoit la transmission à cette assemblée des propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative relevant du champ d'application du régime d'association qui lie la Polynésie française à l'Union européenne et ressortissant à la compétence du territoire ;
- accroît les possibilités offertes au président du gouvernement de la Polynésie française pour négocier et signer au nom de l'État, en vertu d'une habilitation expresse, des accords internationaux dans la zone du Pacifique Sud ;
- dote la Polynésie française d'un domaine public maritime comprenant les rivages de la mer, le sol et le sous-sol des eaux intérieures, dont les rades et lagons, ainsi que le sol et le sous-sol des eaux territoriales.
Tout en renforçant l'autonomie de la Polynésie française, le nouveau statut opère un élargissement des compétences territoriales afin de favoriser le développement économique, social et culturel de la Polynésie française.
Les communications deviennent ainsi une compétence exclusive des autorités territoriales, de même que les dessertes maritimes et aériennes internationales pour lesquelles la Polynésie française constitue la seule escale sur le territoire national. Pour les dessertes reliant la Polynésie française à un autre point du territoire national, l'État demeure compétent mais doit recueillir l'avis du conseil des ministres de la Polynésie française. Ces transferts de compétence s'inscrivent dans le cadre du développement du tourisme, atout économique majeur du territoire.
Est également reconnue au territoire la possibilité de créer ses propres filières d'enseignement supérieur et une société de diffusion audiovisuelle ainsi que celle d'édicter une réglementation en matière de sécurité civile ou de jeux de hasard.
Pour permettre aux électeurs de se prononcer en ayant connaissance du nouveau statut alors en cours d'examen devant le Parlement, le renouvellement de l'assemblée territoriale, qui aurait dû avoir lieu le 17 mars 1996 a été différé au 12 mai.
Les élections territoriales ont confirmé la bipolarisation de la vie politique polynésienne. Le Tahoeraa, parti de M. Gaston Flosse, président du gouvernement de la Polynésie française a obtenu la majorité absolue avec 22 sièges (contre 18 précédemment) sur les 41 composant l'assemblée. Le Tavini, parti indépendantiste de M. Oscar Temaru, a plus que doublé son score par rapport aux élections de 1991 en emportant 10 sièges (4 auparavant). Le Aia Api de M. Emile Vernaudon, parti membre de l'alliance majoritaire, a obtenu 5 sièges (contre 7 en 1991) et quatre autres partis un siège chacun : le Fetia Api (opposition D.V.G.) de M. Boris Léontieff, Alliance 2 000 (indépendantiste), le Te Avei' a Mau (centriste, membre de l'alliance majoritaire) de M. Tinomana Ebb et le parti marquisien de M. Lucien Kimitete, le Te Henua Enata Kotoa.
La majorité territoriale dispose ainsi au total de 28 sièges et les membres de l'assemblée favorables à l'indépendance sont au nombre de 11. L'opposition indépendantiste a bénéficié, à l'occasion de ces élections, de la quasi-disparition des partis centristes, le Te Avei'a Mau disposant de 6 sièges au sein de la précédente assemblée.
M. Justin Arapari (Tahoeraa) a été élu président de l'assemblée de la Polynésie française le 23 mai 1996 et M. Henri Flohr (Aia Api) président de la commission permanente.
M. Gaston Flosse a été réélu président du gouvernement de la Polynésie française le 28 mai 1996 et a désigné le 29 mai 1996 son gouvernement, composé de 14 ministres.
2. La nécessité d'un développement équilibré du territoire
a) La politique contractuelle de l'État
L'économie polynésienne, reposant sur les transferts de la métropole, demeure en situation de forte dépendance bien que la proportion des ressources propres du territoire s'améliore nettement depuis le début des années 1990 (34 % en 1994).
Les exportations du territoire ont plus que doublé au cours des dix dernières années : si la production traditionnelle du coprah est en lente régression, la perliculture a pris son essor à partir de 1993 et constitue le premier poste d'exportation en valeur. L'ouverture de la desserte aérienne à de nouvelles compagnies telles que CORSAIR a conduit à une baisse importante des prix de transport et a entraîné une forte augmentation de la fréquentation touristique : malgré une perte de clientèle due aux effets combinés des émeutes de septembre 1995 et des derniers essais nucléaires, le nombre de touristes accueillis en 1995 a progressé de 4 %.
L'arrêt définitif des essais nucléaires (le dernier essai est intervenu le 27 janvier 1996) a mis un terme aux transferts drainés par le fonctionnement du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) : versements au budget territorial correspondant aux taxes de nature douanière frappant les matériels introduits en Polynésie française, commandes passées à des entreprises locales, emplois procurés à des personnels locaux et retombées sur l'économie locale des rémunérations versées aux personnels d'origine métropolitaine résidant en Polynésie.
Le principe d'une compensation financière avait été décidé en même temps que l'arrêt définitif des essais nucléaires. Une « convention pour le renforcement de l'autonomie économique de la Polynésie française » a ainsi été signée le 25 juillet 1996 entre le Premier ministre et le président du gouvernement de la Polynésie française. Cette convention prévoit le versement annuel au territoire pendant dix ans d'une somme de 990 millions de francs, l'État s'étant engagé au « maintien des flux financiers » générés par le fonctionnement du CEP qui ont représenté jusqu'à 50 % des transferts financiers vers la Polynésie.
La convention distingue trois enveloppes :
- la première, d'un montant de 220 millions de francs sera versée directement au territoire pour compenser la perte de recettes douanières ;
- la deuxième correspond au maintien des dépenses des armées. Le service militaire adapté (SMA) sera développé avec pour objectif de former 300 personnes par an. Ainsi sera compensée en partie la disparition de l'activité de formation que le CEP dispensait aux personnels qu'il recrutait ;
- le solde alimentera un « fonds de reconversion » pour aider à la création d'entreprises dans des activités pourvoyeuses d'emplois, en particulier le tourisme, l'agriculture et le logement. Pendant une période de trois ans, 110 millions de francs seront consacrés à la réalisation de programmes de logements sociaux utilisant la main d'oeuvre locale.
Ce fonds sera géré par l'État et le territoire, avec un comité de gestion co-présidé par le haut-commissaire de la République et le président du gouvernement de la Polynésie française.
Ces mesures de compensation doivent permettre d'éviter une désorganisation à court terme des finances territoriales et favoriser la mutation économique de la Polynésie française.
Dans cette perspective, le territoire devait élaborer un plan stratégique soumis à l'approbation de l'État dont les axes prioritaires sont les suivants :
- aides aux programmes de logements sociaux favorisant l'emploi de la main d'oeuvre locale,
- programmes d'aide à la création d'emplois, en particulier pour les jeunes,
- contribution à la réalisation de grands projets d'équipements publics approuvés par le territoire et l'État et nécessaires au développement économique et social,
- aides aux entreprises et à la reconversion de celles dont l'activité est menacée par la fermeture du CEP,
- création d'une société de financement chargée de consentir des prêts participatifs et de prendre des participations dans le capital d'entreprises polynésiennes,
- aides aux investissements des communes et de leurs groupements,
- aides à la mise en place de services publics locaux.
Les décisions relatives aux projets de mise en oeuvre de ces axes prioritaires devront être prises de manière paritaire entre l'État et le territoire et un système de suivi de leur réalisation sera instauré.
En application de ce dispositif, les autorités territoriales ont élaboré, au mois de septembre, un programme de grands travaux qui prévoit :
- une amélioration des infrastructures hospitalières avec la construction d'un nouvel hôpital général et d'un nouvel hôpital psychiatrique,
- la transformation de l'hôpital militaire en institut de cardiologie,
- la création d'une zone industrielle dans la presqu'île de Tahiti,
- la mise aux normes internationales de l'aéroport de Nuku Hiva pour permettre le désenclavement de l'archipel des Marquises avec le développement de la filière pêche et du tourisme,
- la construction d'un tunnel de contournement du trafic routier de Papeete, avec un projet de rocade qui passerait partiellement par un tunnel posé sur le fond du lagon et par une voie à l'air libre dans la zone portuaire de Papeete.
La convention pour le renforcement de l'autonomie économique de la Polynésie française vient compléter la politique contractuelle tendant à favoriser le développement économique du territoire mise en oeuvre avec le contrat de développement signé le 2 mai 1994 pour cinq ans en application de l'article 8 de la loi du 5 février 1994 et le contrat de ville relatif à la zone urbaine de Papeete conclu pour la même période le 30 août 1994.
Le contrat de développement, d'un montant de 2,902 milliards de francs dont la moitié à la charge de l'État, s'articule autour de trois programmes d'intervention :
- le développement économique, en particulier dans les domaines du tourisme, de l'agriculture et de la formation professionnelle (776 millions de francs) ;
- l'équipement du territoire et de désenclavement des archipels (1,448 milliard de francs) ;
- l'insertion sociale (658 millions de francs).
Sur les 1,451 milliard de francs de crédits d'État, 628 millions de francs sont supportés par le ministère de l'outre-mer (FIDES).
Pour les deux premières années, 1994 et 1995, le taux des engagements de dépenses sur crédits d'État par rapport au montant contractualisé s'élève à plus de 30 % : le retard enregistré en 1994 (engagements d'un montant de 53,66 millions de francs) a été en grande partie comblé en 1995 (engagements d'un montant de 386,8 millions de francs).
En outre, les actions relatives au logement social (280 millions de francs prévus au contrat) ont d'ores et déjà fait l'objet de deux conventions d'un montant total de 140 millions de francs, sans préjudice de la dotation de 100 millions de francs ouverte au FIDES par la loi de finances rectificative d'août 1995, encore abondée de 10 millions de francs en autorisation de programme et de 55 millions de francs de crédits de paiement au mois de juillet 1996.
b) La nécessaire évolution du rôle des communes
Dans le rapport établi au nom de votre commission des Lois relatif à la récente réforme du statut de la Polynésie française, notre excellent collègue, M. Lucien Lanier, observait que les quarante-huit communes constituaient « un cadre naturel du développement économique, social et culturel, en particulier dans un environnement caractérisé par l'éparpillement des îles et l'isolement des archipels » et que « la réalisation d'un développement équilibré impliquait une meilleure association » des communes.
Deux dispositions consacrant le rôle des communes ont ainsi été insérées dans le nouveau statut à l'initiative du Sénat. Il s'agit d'une part de l'article 2 de la loi organique du 12 avril 1996 qui énonce le principe selon lequel « l'État et le territoire veillent au développement de la Polynésie française et apportent leur concours aux communes pour l'exercice des compétences qui leur sont dévolues » et fait écho à l'article 96 de la même loi aux termes duquel « en vue de favoriser le développement économique, social et culturel de la Polynésie française, l'État ou le territoire peuvent apporter leur concours financier et technique aux communes ou à leurs groupements ainsi que leur concours aux programmes d'utilité publique décidés par les communes ou leurs groupements dans leurs domaines de compétence ».
L'article 91 de la loi organique crée par ailleurs une « commission paritaire de concertation » comprenant six représentants de l'État, du territoire et des communes, à raison, pour ces dernières, d'un par archipel. Cette commission, qui serait chargée d'examiner toute question dont le règlement requiert une coordination des actions et des décisions de ces trois instances, ne semble cependant pas encore avoir été mise en place.
En dépit de cette reconnaissance statutaire, l'institution communale souffre de paralysie : les communes sont confrontées à un accroissement de leurs charges résultant en grande partie de la poussée démographique et manquent cruellement de moyens, en particulier de ressources propres. 70 % des recettes communales sont des recettes de transfert (DGF ; DGE ; Fonds intercommunal de péréquation (FIP) alimenté par une quote-part (15 %) des recettes fiscales du territoire ; subvention de l'État prévue par la loi du 5 février 1994 d'orientation pour le développement économique, social et culturel de la Polynésie française, d'un montant égal à partir de 1996 à 2/15e de la quote-part versée au FIP par le territoire).
Le rapport d'information établi par MM. Lucien Lanier et Guy Allouche au nom de votre commission des Lois à la suite d'une mission effectuée en Polynésie française du 14 au 28 janvier 1996, dans dix îles des archipels de la Société, des Tuamotu et des Marquises, a souligné cette situation caractérisée par l'isolement des archipels et la paralysie des communes.
Elaboré à la demande du ministre de l'outre-mer par l'Inspection générale de l'administration, un rapport sur la situation des communes de Polynésie française daté du mois de décembre 1995 formule par ailleurs un certain nombre de propositions pour une « profonde modernisation de l'institution communale. »
Ce rapport observe qu' « il manque aujourd'hui en Polynésie française des lieux de rencontre et de travail en commun réunissant l'État, le territoire et les communes » et qu' « il paraît souhaitable de créer une structure tripartite, chargée d'harmoniser les politiques de développement ». La création d'une commission paritaire de concertation par la loi organique du 12 avril 1996, susceptible de constituer une structure de partenariat, rejoint cette préoccupation.
Est préconisée l'adoption d'une loi organique, « seule à même de donner aux communes une assise juridique incontestable et de clarifier leurs compétences ». Il s'agit également de responsabiliser les gestionnaires communaux, de créer une fonction publique locale et d'assainir les finances communales.
La responsabilisation des élus locaux passerait par une extension progressive des lois de décentralisation, les communes polynésiennes étant aujourd'hui encore soumises au régime de la tutelle. Du point de vue financier, l'accroissement prévisible des besoins d'équipement et des dépenses corrélatives de fonctionnement nécessitent de dégager de nouvelles ressources qui, aux termes du rapport de l'Inspection générale de l'administration, pourraient provenir :
- de l'affectation aux communes d'une fraction des fonds versés au titre de la compensation liée à l'après-CEP ;
- de la mise à niveau du fonds intercommunal de péréquation (FIP) par une redéfinition de son assiette, une revalorisation de son montant, une modification de ses modalités de versement et des critères de répartition ;
- du développement des ressources fiscales et parafiscales des communes, avec la tarification de certains services publics et la mise en place d'une fiscalité propre.
Ce rapport souligne, en conclusion, qu' « il n'y aura pas de développement viable si les communes ne savent pas prendre leur place dans le dispositif ou si elles en sont tenues à l'écart » et qu' « il est temps pour les communes d'atteindre leur majorité politique, administrative et financière ».