B. LA FISCALITÉ ECOLOGIQUE

Comme la ministre de l'environnement l'avait souligné devant votre commission, le projet de loi de finances pour 1999 amorce la mise en place d'une " fiscalité écologique ". Cette " amorce " se traduit par un certain nombre de mesures ponctuelles -en particulier le début du rattrapage de la TIPP sur le gazole- mais aussi par une innovation d'une toute autre portée : la création de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP.

1. La création de la TGAP

L'article 30 de la première partie du projet de loi de finances propose d'instituer une " taxe générale sur les activités polluantes " affectée au budget de l'Etat. Cette taxe est présentée comme évolutive : comme l'indiquait l'exposé des motifs de l'article, sa création s'inscrit en effet " dans la perspective d'une future " écotaxe " européenne ".

Dans un avenir plus immédiat, Mme Dominique Voynet a mentionné devant votre commission les concertations actuellement en cours pour substituer la TGAP à tout ou partie des redevances perçues par les agences de l'eau.

En 1999, toutefois, la TGAP ne se substituerait qu'aux taxes actuellement perçues par l'ADEME.

Votre rapporteur examinera donc le dispositif proposé pour 1999 avant de tenter de porter un jugement sur le principe de la TGAP, jugement qui ne peut se fonder uniquement sur la " première étape " de sa mise en place prévue par le projet de loi de finances.

a) Le dispositif proposé par l'article 30 du projet de loi de finances

A compter de 1999, la TGAP remplacera les cinq taxes perçues directement par l'ADEME. Son produit sera affecté au budget de l'Etat, et l'ADEME bénéficiera d'une subvention budgétaire d'un montant équivalent. Il est à noter que le produit de la TGAP devrait être supérieur au produit attendu pour 1998 des taxes qu'elle remplace, notamment en raison du relèvement de la taxe sur les déchets.

Corrélativement, l'ADEME reversera au budget général le produit perçu en 1999 au titre des anciennes taxes affectées.

L'application de l'article 30 du projet de loi de finances équivaut donc à une " rebudgétisation " des ressources de l'ADEME, rebudgétisation qui était en elle-même souhaitable, comme votre rapporteur l'avait souligné l'an dernier.

Les cinq taxes remplacées par la TGAP

- La taxe sur la pollution atmosphérique

La taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique, qui est assise sur la quantité de polluants émise au cours de l'année précédant celle de son recouvrement, a été créée par le décret n° 85-582 du 7 juin 1985. Reconduite pour cinq ans en 1990, elle a été de nouveau prorogée par le décret n° 95-515 du 3 mai 1995, qui a élargi son assiette aux composés organiques volatils et a augmenté son taux, pour tous les polluants taxés, de 150 francs à 180 francs la tonne. Cette taxe, qui concerne moins de 1 500 installations ne s'applique qu'aux gros équipements de combustion.

La nécessité de dégager des nouveaux moyens pour financer l'équipement des réseaux de surveillance de la qualité de l'air a conduit à une nouvelle majoration de son taux par l'arrêté du 8 décembre 1997. Le produit de cette taxe devait donc atteindre 182,4 millions de francs en 1998. Cette augmentation devrait permettre de dégager 40 millions supplémentaires en 1999 (soit 222,4 millions de francs).

- Les taxes sur le stockage des déchets ménagers et des déchets industriels spéciaux

La taxe sur les déchets ménagers doit s'appliquer jusqu'au 30 juin 2002, date à laquelle seuls les déchets ultimes pourront être mis en décharge aux termes de la loi du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets. Elle est acquittée par les exploitants de décharge de déchets ménagers et assimilés.

La loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement a institué la taxe sur les déchets industriels spéciaux, qui est acquittée par les exploitants des installations de traitement ou de stockage de ces déchets. Son produit est destiné à financer la réhabilitation des sites pollués n'ayant pas de propriétaire clairement identifié, ou dont le propriétaire en faillite ne peut plus faire face à ses obligations.

Grâce au relèvement du taux applicable, de 20 à 40 francs par tonne de déchets réceptionnés, depuis le 1er janvier 1998, cette taxe alimente le budget de l'ADEME à hauteur de 896,9 millions de francs, soit 803,7 millions de francs pour les déchets ménagers et 93,2 millions de francs pour les déchets industriels spéciaux.

- La taxe sur les nuisances sonores

Cette taxe sur le bruit émis par les transports aériens a été instituée par la loi du 31 décembre 1992 relative à la lutte contre le bruit, pour permettre la mise en oeuvre des dispositions nécessaires à l'atténuation des nuisances sonores au voisinage des aérodromes. La taxe doit être payée par les exploitants d'aéronefs, ou à défaut, par leur propriétaire à l'occasion de tout décollage, sur certains aéroports, d'un appareil de plus de deux tonnes. Le produit de cette taxe s'élève en 1998 à 38,6 millions de francs.

L'extension de l'application de la taxe à trois nouveaux aéroports et la majoration de son taux, prévue par l'article 103 de la loi de finances pour 1998, devrait permettre d'accroître le produit annuel de la taxe de 38 millions de francs à environ 90 millions de francs en 1999.

- La taxe sur les huiles de base

La taxe parafiscale sur les huiles de base a été instituée en 1989, et prorogée pour cinq ans par le décret n° 94-753 du 31 août 1994. Elle a pour assiette le tonnage d'huiles neuves ou régénérées mises sur le marché en France. Son taux est fixé à 150 francs par tonne. Elle est collectée par la direction générale des douanes et des droits indirects. Le produit de cette taxe s'élève à 107,9 millions de francs en 1998.

Le régime de la TGAP

Le régime de la TGAP est défini par les articles 266 sexies à undecies nouveaux du Code général des douanes, instituant la liste des redevables, précisant le fait générateur et fixant le montant de la taxe. Ces dispositions se substituent aux textes qui régissaient jusqu'alors les taxes affectées à l'ADEME.

Le projet de loi de finances propose d'assujettir à la TGAP les personnes physiques ou morales aujourd'hui soumises aux taxes qu'elle remplace.

Le fait générateur de la TGAP reste le même que celui des taxes précédentes sauf pour la taxe sur les huiles de base. Les personnes qui étaient soumises à la taxe sur les huiles de base devront acquitter la TGAP quand seront livrées, mises en consommation ou utilisées des " lubrifiants susceptibles de produire des huiles usagées ".

Les taux de la TGAP seront les mêmes que ceux des taxes existant précédemment en matière de pollution atmosphérique et de nuisances sonores. En revanche, le taux applicable aux huiles de base augmente pour passer de 150 à 200 francs par tonnes. De même, le taux applicable aux déchets passe de 40 à 60 francs par tonne, et le montant minimal annuel de la taxe, que la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement avait abaissé de 5 000 à 2 000 francs par installation, est porté à 3 000 francs.

Le produit de la TGAP pour 1999 est estimé à 1935 millions de francs, soit une augmentation de 34 % par rapport au produit des taxes auxquelles elle se substitue .

Cette augmentation permettra de dégager 500 millions de francs supplémentaires qui seront alloués à la relance de la politique de maîtrise de l'énergie : ces crédits iront à l'ADEME, en provenance du budget de l'environnement à hauteur de 333 millions de francs et de l'industrie à hauteur de 167 millions de francs.

L'ADEME recevra donc en 1999 une subvention strictement équivalente au produit de la TGAP.

Les crédits du ministère de l'environnement destinés à l'ADEME s'élèvent en fait à 1834,1 millions de francs en dépenses ordinaires et crédits de paiement, (soit 1682,6 millions inscrits au titre VI, subventions d'investissement accordées par l'Etat, et 151,5 millions de francs inscrits au titre IV, interventions publiques), la différence résulte de reliquats de subventions pour l'année 1998 et des frais de gestion de l'Agence, soit 66,1 millions de francs.

b) Les conséquences de la création de la TGAP

Dans son principe, la substitution de la TGAP aux actuelles ressources affectées répond à une indéniable " logique écologique " et peut présenter quelques avantages.

Il convient cependant de mettre en regard des arguments invoqués à l'appui de sa création, les inconvénients qu'elle peut présenter pour le financement de la lutte contre la pollution et les incertitudes liées à son évolution future.

Certains des arguments présentés en faveur de la création de la TGAP sont tout à fait recevables

* Il n'est pas niable, par exemple, que la nouvelle taxe est davantage conforme au principe " pollueur-payeur " :

- elle " détache " le taux de la taxe du montant des ressources à collecter pour remédier aux conséquences des pollutions ; il sera donc possible de faire varier les taux pour décourager certains comportements sans pour autant accroître corrélativement et automatiquement les dépenses publiques correspondantes ;

- son paiement ne risque pas, comme celui d'une taxe affectée, d'être considéré par les assujettis comme l'acquisition d'un " droit à polluer " ;

* En deuxième lieu, la nouvelle taxe peut permettre une simplification et une remise en ordre des nombreuses taxes ponctuelles -une cinquantaine- qui ont été créées au fil du temps pour lutter contre les pollutions et financer la dépollution.

* Enfin, la " débudgétisation " croissante de la politique de l'environnement nuisait incontestablement à sa visibilité, et ne favorisait pas l'exercice, par l'autorité politique, de ses responsabilités dans l'orientation et la gestion de cette politique.

Mais ces avantages " conceptuels " ne doivent pas faire négliger les risques liés à la mise en place de la TGAP

* Le premier de ces risques est, bien entendu, l'incertitude inséparable du financement budgétaire. Rien ne permet de garantir que le produit de la TGAP, à la différence de celui des taxes affectées, bénéficiera à la politique de l'environnement.

La ministre de l'environnement s'en affirme persuadée et il n'y a aucune raison de douter de sa sincérité : mais il faut bien voir que le ministère de l'environnement n'aura pas demain plus de compétences pour décider de l'utilisation du produit de la TGAP qu'il n'en avait hier dans l'utilisation des ressources affectées, et que la création de la TGAP n'augmente pas sa capacité de décision, mais bien celle du ministère de l'économie et des finances.

On peut donc sérieusement s'inquiéter de la pérennité des ressources de l'ADEME aujourd'hui, des Agences de l'eau demain. L'expérience de l'Agence nationale de l'amélioration de l'habitat constitue à cet égard un précédent peu encourageant : le montant de ses ressources, désormais " budgétaires ", est notablement inférieur au produit de la taxe additionnelle au droit de bail qui lui était antérieurement affecté.

Et cette incertitude ne pourra que s'accroître avec le temps et avec l'intégration de nouvelles taxes dans la TGAP.

* Il convient aussi de s'interroger sur le caractère " évolutif " de la nouvelle taxe. Jusqu'où ira cette " évolution " ? L'imagination fiscale étant sans limites, et le produit de cette taxe " écologique " n'étant pas obligatoirement affecté au financement de la protection de l'environnement, on peut craindre que la TGAP ne devienne un instrument commode pour abonder les ressources publiques et aggraver encore la pression fiscale globale.

2. Les autres mesures fiscales

a) Le rattrapage de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) sur le gazole

La TIPP sur le gazole s'élève aujourd'hui à 2,41 F/l contre 3,84 F/l pour la TIPP sur l'essence sans plomb. L'écart est donc de 1,43 F/l, supérieur de plus de 50 % à la moyenne communautaire (0,93 F/l).

Cette différence ne semble pas justifiée. En effet, les avantages et les inconvénients respectifs des véhicules à essence et diesel sont comparables.

L'article 18 du projet de loi de finances pour 1999 propose une augmentation de la TIPP sur le gazole de 7 centimes par litre . Dans le même temps le taux de la TIPP sur les carburants propres (essence sans plomb, gaz de pétrole liquéfié -GPL-, gaz naturel véhicule -GNV-) ne sera pas modifié.

Cette actualisation devrait réduire l'écart de taxation entre le gazole et le super carburant sans plomb, afin d'aligner en sept ans l'écart français sur l'écart communautaire moyen (soit une augmentation de 7 centimes par litre pendant 7 ans).

L'augmentation des prix à la pompe pour les particuliers devrait être inférieure à 9 centimes par litre (soit finalement un prix inférieur à celui du début de l'année 1998 : 4,10 F contre 4,73 F).

Enfin pour ne pas pénaliser le transport routier français, il est proposé d'accorder aux professionnels concernés un remboursement partiel de la taxe intérieure de consommation sur le gazole, égal à la différence entre le niveau indexé de la taxe sur le gazole en 1998 et le tarif de la taxe intérieure sur le gazole applicable, et limité à 40 000 litres de gazole par an.

b) La reconduction des régimes d'amortissement exceptionnel de biens destinés à protéger l'environnement

Les régimes d'amortissement exceptionnel sur douze mois de biens destinés à économiser l'énergie ou à lutter contre certaines pollutions viennent à échéance le 31 décembre 1998. Ces régimes concernent les biens destinés à économiser l'énergie, lutter contre les nuisances sonores, la pollution industrielle des eaux, de l'air ou la pollution d'origine agricole.

L'article 69 du projet de loi de finances pour 1999 propose leur reconduction pour une durée de quatre ans (jusqu'au 31 décembre 2002). De plus, afin de simplifier la législation, l'agrément prévu pour les biens destinés à économiser l'énergie et ceux destinés à lutter contre les nuisances sonores serait supprimé (pour les acquisitions réalisées après le 31 décembre 1998).

Un amortissement exceptionnel sur douze mois est également prévu pour les véhicules et matériels fonctionnant à l'électricité, au GPL et au GNV, pour les accumulateurs permettant à ces véhicules de fonctionner, et pour les cyclomoteurs, acquis à l'état neuf à compter du 1er janvier 1997, et fonctionnant exclusivement au moyen de l'énergie électrique.

Ce régime d'amortissement exceptionnel expire le 31 décembre 1999. Il est prévu à l'article 31 du projet de loi de finances pour 1999 de le proroger jusqu'au 31 décembre 2003 et de l'étendre à tous les véhicules fonctionnant en bicarburation et aux accumulateurs nécessaires à leur fonctionnement.

c) La diminution de la TVA sur le traitement des déchets

La loi du 13 juillet 1992 prévoit la suppression quasi totale des décharges à ciel ouvert au 30 juin 2002. Afin d'aider les collectivités locales à financer les investissements nécessaires à la réalisation de cet objectif et d'encourager le développement de la collecte et du tri sélectifs, il est proposé à l'article 21 du projet de loi de finances pour 1999 de diminuer le taux de TVA applicable à ces opérations. Ce dernier passerait de 20,6 % à 5,5 % .

Le coût budgétaire de cette mesure serait de l'ordre de 300 millions de francs.

Elle devrait contribuer à compenser le surcoût lié à la collecte sélective des déchets ménagers. Mais celui-ci est très lourd (coût d'une collecte sans tri = 200 à 400 francs la tonne, coût d'une collecte sélective = 500 à 2 000 francs la tonne). Et il faut rappeler que dans le même temps la taxe sur les déchets ménagers progresse de 40 à 60 francs par tonne.

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