B. LE NOUVEAU MODE DE RÉGULATION DES DÉPENSES DE SOINS DE VILLE : UNE MESURE INCOMPLÈTE ET TROP COMPLEXE

1. Une nécessité...

Le contraste est frappant : alors que les dépenses de soins de ville ne cessent d'augmenter (32,2 milliards de francs entre 1997 et 2000), les différents dispositifs de régulation mis en place ont tous disparu.

L'augmentation de l'enveloppe soins de ville de l'ONDAM

(en milliards de francs)

Réalisation 1997

Réalisation 1998

1998/1997

Réalisation 1999 (p)

1999/1998 (p)

Prévision 2000

1999/2000 (p)

261,3

276,2

+ 5,7 %

287,7

+ 4,2 %

293,5

+ 2%

(p) : prévisions

source : commission des comptes de la sécurité sociale


Il paraissait donc essentiel que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 instaurât un nouveau dispositif. La CNAMTS elle-même a souhaité cette intervention du législateur, en interpellant les acteurs du système de santé, les responsables du pays mais également l'ensemble des assurés par le biais de son plan stratégique. Il avait pour objectif de poser les bases d'un nouveau système de soins, et de procurer 32 milliards de francs d'économies à l'assurance maladie sur le poste des soins de ville et des médicaments, et 30 milliards de francs à propos de l'hôpital public. Il s'agissait donc d'un plan à vocation sanitaire autant qu'économique, cherchant à rompre avec la logique d'opposition entre deux maîtrises dont l'une serait médicalisée et l'autre comptable, la première étant, dans l'objet de ses détracteurs, vouée à l'échec et la seconde au rationnement de soins.

Votre rapporteur pour avis a salué et soutenu dans son ensemble le plan stratégique de la CNAMTS qui lui semblait respecter le paritarisme, correspondre aux attentes des assurés pour une meilleure prise en charge collective des dépenses de santé, un début de correction des inégalités, une proposition qui n'oubliait rien ni personne.

Il regrette de ce point de vue que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 n'ait pas repris davantage de mesures contenues dans ce plan et souhaite que le Gouvernement les intègre à la loi de modernisation sanitaire qu'il annonce pour l'année prochaine.

2. ... à laquelle ne répond pas le dispositif du Gouvernement (article 17)

L'article 17 du projet de loi de financement propose ainsi un nouveau mode de régulation fondé sur une logique de délégation des compétences aux acteurs sociaux, au premier rang desquels la CNAMTS, avec un contrôle et une intervention en cas de défaillance du Gouvernement. Cette idée directrice ne peut que rencontrer l'approbation de votre rapporteur pour avis. Cependant son exécution paraît bien éloignée de la logique initiale et ne semble pas pouvoir permettre une véritable régulation concertée aboutissant aux deux objectifs essentiels :

• une couverture collective sur prélèvements obligatoires de la dépense de santé à l'évolution maîtrisée...

• ... à même de permettre la prise en charge des priorités futures de la politique de la santé.

a) Le dispositif du Gouvernement
(1) Le rôle pivot de l'assurance maladie

La CNAMTS reçoit, dans le cadre de l'article 17, chaque année, la maîtrise d'un objectif de dépenses déléguées qui comprend :

• les soins dispensés en ville par les professions médicales, les auxiliaires médicaux, les laboratoires ;

• les soins tarifés à l'acte et dispensés dans les cliniques privées ;

• les honoraires des praticiens exerçant en secteur privé à l'hôpital public ;

• les frais de transport.

Les prescriptions et les prestations en espèce sont donc exclues du champ de ce nouvel objectif. Chaque année, la CNAMTS et les professions de santé concernées détermineront une convention par profession (spécialistes, généralistes, dentistes, infirmiers, kinésithérapeutes, laboratoires, transporteurs sanitaires, sages-femmes, orthophonistes, orthopédistes, pédicures-podologues, médecins des centres de santé) et trois éléments : l'objectif des dépenses, les tarifs des honoraires, rémunérations et frais, et toute mesure de régulation destinée à garantir que l'objectif sera bien respecté.

L'article 17 détaille les mesures, que la CNAMTS (et une autre caisse) peut arrêter même sans l'accord des professionnels :

" a) Toute action visant à réduire le volume des actes non justifiés au plan médical et notamment les actions d'information, de promotion des références professionnelles opposables et des recommandations de bonne pratique ou d'évaluation des pratiques ;

b) Les modifications, dans la limite de 20 %, de la cotation des actes inscrits à la nomenclature établie pour les actes pris en charge par l'assurance maladie auxquelles les parties à la convention peuvent procéder. "


Ce dernier volet recouvre donc bien une possibilité de faire varier à la fois les tarifs et la cotation des actes. Le a) cherche quant à lui à obtenir une réduction du nombre d'actes inutiles. La possibilité de faire varier de 20 % peut s'interpréter comme l'instauration d'une lettre clef flottante.

Ce mécanisme s'inspire des initiatives ponctuelles prises directement par le ministère de la santé et de la solidarité avec certaines professions médicales visant à faire varier la valeur de la nomenclature pour sanctionner un dépassement de dépenses. Cela a joué en février 1999 pour les radiologues, en juin 1999 avec les cardiologues et pour certains actes d'ophtalmologie, mais aussi avec les biologistes sur les exercices 1998-2000.

Ces mesures ont donné des résultats variables puisque les dépenses des radiologues et des biologistes ont continué à augmenter, certes de manière plus faible, tandis que pour les cardiologues et les ophtalmologistes le ralentissement est plus marqué.

Pour permettre une régulation efficace, le texte prévoit un suivi très précis des dépenses tous les quatre mois, afin éventuellement de signer un avenant à la convention pour prendre des mesures en fonction de l'évolution constatée. Chaque rencontre fait l'objet d'un rapport de la CNAMTS, de la CANAM et de la MSA.

(2) Le contrôle de la tutelle

Le Gouvernement prévoit bien sûr un mécanisme permettant à la tutelle de suppléer une carence des partenaires sociaux. Celle-ci peut intervenir dans trois cas énumérés par l'article 17 :

• non signature de l'avenant annuel à la convention déterminant l'objectif prévisionnel des dépenses des soins de ville et l'objectif des dépenses déléguées ;

• non conformité des mesures proposées avec les lois et règlements ;

• insuffisance des mesures proposées pour assurer le respect de l'objectif

Par ailleurs, le nouveau dispositif prévoit deux allégements dans la procédure d'approbation des conventions par la tutelle : est instauré un mécanisme d'approbation tacite ; est appliquée la nouvelle jurisprudence du Conseil d'Etat (arrêt Syndicat des médecins libéraux et autres du 28 juillet 1999) permettant de disjoindre une disposition contraire aux lois et règlement de l'ensemble de la convention pour en éviter la disparition complète.

(3) Une extension du champ de la convention

L'article 17 intègre au champ des conventions médicales, signées avec chacune des professions, plusieurs thèmes importants : coordination des soins, développement des réseaux, modes de rémunération des activités non curatives ou ne donnant pas lieu à paiement à l'acte. Il s'agit de permettre de véritables innovations.

Par ailleurs il introduit deux nouveaux supports pour la politique contractuelle : des accords de bon usage de soins (qui peuvent être conclus à l'échelon régional) et des contrats de bonne pratique médicale permettant en contrepartie aux caisses de prendre en charge les cotisations sociales des praticiens y ayant souscrit.

En revanche, l'article 17 introduit un mécanisme de plafonnement des dépassements des médecins exerçant en secteur à honoraires libres, par acte ou bien pour l'ensemble des prestations.

Le fonds d'aide à la qualité des soins de ville : article 20

L'article 25 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a créé un fonds d'aide à la qualité des soins de ville et l'a doté de 500 millions de francs sans inclure cette somme dans l'ONDAM, ce que votre rapporteur pour avis avait regretté.

Les actions financées par le fonds devaient concourir à l'amélioration de la qualité et de la coordination des soins de médecine ambulatoire. Les aides seront attribuées à des professionnels de santé, individuellement ou collectivement, et pourront inciter au développement de nouveaux modes d'exercice, tels que les réseaux de soins.

Ce fonds n'a eu aucune activité en 1999 en raison de la non parution des décrets d'application, alors même qu'une première somme de 230 millions de francs était inscrite aux comptes de la CNAMTS à ce titre. Créé pour cinq ans, le fonds en aura donc perdu un. Votre rapporteur le regrette d'autant plus que certaines des mesures qu'il devait aider, comme le développement d'applications informatiques ou la diffusion de bonnes pratiques, restent indispensables.

Votre rapporteur pour avis déplore à nouveau que les délais de parution des décrets rendent inopérante une disposition cotée par le Parlement.

b) Un dispositif lourd, incomplet et dont on peut douter de l'efficacité

Ce mécanisme repose sur un choix politique : passer de la régulation par prescription instaurée en 1996 à une régulation par type de dépense. L'Etat prend en charge, avec les ARH les dépenses des établissements de santé, avec le Comité économique des produits de santé les médicaments et le TIPS ; les caisses prennent en charge les dépenses de soins de ville.

Votre rapporteur pour avis prend acte de ce choix politique dont il regrette seulement qu'il n'ait pas donné lieu à un plus large et vaste débat au lieu de se diluer dans plusieurs textes : accord conventionnel pour le médicament, projet de loi de financement pour les produits de santé, les cliniques et les soins de ville, décret pour les dotations hospitalières. Le Gouvernement souhaite afficher une forte politique contractuelle. En réalité, cette politique contractuelle apparaît biaisée et contourne de paritarisme qui fonde pourtant notre système de protection sociale.

En effet, le Gouvernement prend la haute main sur les deux tiers des dépenses de santé alors que ce sont les caisses d'assurance maladie, au premier rang desquelles la CNAMTS, qui assurent le paiement des prestations. La CNAMTS n'aura donc de moyens d'intervention que sur moins du tiers des dépenses de santé : les honoraires de ville. Il n'est plus possible dans ces conditions de parler de gestion paritaire des dépenses d'assurance maladie mais des honoraires de ville.

De plus, le dispositif proposé diffère en de nombreux points avec celui que réclamait la CNAMTS.

Il semble d'abord trop complexe. Les clauses de négociation tous les quatre mois avec chaque profession risquent de se transformer en négociation permanente et de générer des lourdeurs de fonctionnement qui empêcheront d'avoir une vue d'ensemble et globale du système.

Imposer un cadencement quadrimestriel au lieu du rythme annuel de la loi de financement rend les analyses plus différentes et augmente les risques de rupture.

Rendu tous les 4 mois, un tableau de bord n'a pas reçu le recul statistique suffisant pour une lecture pertinente de l'évolution des dépenses de santé. Les fluctuations infra-annuelles sont ininterprétables (épidémies...) ; le délai entre l'acte et son remboursement est d'un mois et demi à deux mois et demi en moyenne, selon les professions ; la consolidation des sources issus des différents régimes exige au moins plusieurs semaines. En bref, des chiffres quadrimestriels peuvent offrir une indication de tendance, mais récusés par la profession dès qu'ils impliqueront une décision favorable, il ne constitueront pas un support crédible au pilotage tarifaire.

Dans le même temps, tout fléchissement de la dépense sera prétexte à revendication tarifaire ; toute hausse, prétexte à contestation statistique. Le suivi " conventionnel " de 34 objectifs indépendants, 3 fois par an, précédés chacun d'une ou deux réunions qui s'efforcent de donner corps à une discussion partenariale, ne serait qu'une immense machine à réunions (plusieurs centaines) sans perspective d'ensemble, faisant passer au second plan, les sujets de fond.

Lettre clef flottante : le cas des radiologue

" On ne peut éviter d'évoquer fréquemment cité en exemple, de la régulation de la lettre-Z des radiologues : l'évolution des remboursements d'honoraires des médecins radiologues de 1997 à 1999 sera probablement de l'ordre de + 6,3 % (+ 5,2 % sans les actes de scanner), alors que l'accord passé avec l'Etat en 1999 supposait, sur la même période, un taux de croissance comparable à celui des médecins spécialistes (soit au maximum + 4,2 %, somme des deux objectifs successifs pour les " soins de ville "). Or, aucune baisse du Z n'a été décidé en août 1999 pour assurer le respect de cet accord ".

Source : CNAMTS


Par ailleurs, il est possible de douter de la pertinence des outils de régulation aux mains des caisses. Les professions de santé ne voient déjà qu'un seul outil : la lettre clef flottante de 20 %. En effet, il n'existe pas dans le dispositif proposé par le Gouvernement de règlement minimal qui s'imposerait aux partenaires en cas d'échec des négociations. Les débats seront donc biaisés, les professionnels de santé ne sachant pas à quoi s'attendre en cas d'échec.

Un système législatif qui aboutirait à ce que les lettres-clefs des professions de santé voient leur valeur automatiquement ajustée pour tenir l'objectif des dépenses a deux inconvénients majeurs. Jamais négocié, il conduit à des mouvements de refus, au moins sporadiques, des professionnels de santé dont pâtissent les assurés sociaux. Aboutissant à des modifications arithmétiques de la lettre-clé, il serait une source d'embarras et d'incertitude pour les assurés, pour tous les actes dont le prix est " mémorisé " (on voit mal la consultation passer de 115 francs à 116,35 - puis 114,50...)

Ces inconvénients ne pourraient être levés que par une généralisation du tiers-payant, un tiers-payant concernant à la fois la part obligatoire et complémentaire, et supposait d'avoir réglé la question des médecins secteur 2.

Il est également très contestable de créer un nouvel outil de référence avec l'objectif de dépenses déléguées qui entretiendra des rapports complexes avec les autres enveloppes existantes comme l'ONDAM soins de ville ou les dépenses médicales. Il ne résoudra d'ailleurs pas la question des prescriptions hospitalières, sur lesquelles les caisses n'ont aucun moyen de contrôle alors que ces dépenses feront partie de l'objectif des dépenses déléguées.

Fondamentalement, ce n'est pas en morcelant les responsabilités que l'on pourra réaliser les choix que l'évolution de la société impose pourtant : en raisonnant en enveloppes et en sous-enveloppes non fongibles les unes entre elles, comment fera-t-on pour décider des stratégies d'avenir consistant à mieux prendre en charge certaines pathologies ou certains mode de traitement, et à l'inverse à ne plus prendre en charge des pratiques révolues, des spécialités superflues ou trop coûteuses ? Ces choix répondent à des exigences sanitaires et ont des conséquences économiques. Le morcellement ne peut conduire qu'à un raisonnement appuyé sur l'évolution de chaque ligne de dépenses et non pas à des remises en cause profondes. Avec de pareils modes de régulation, on persiste dans l'évolution actuelle : une société qui dépense de plus en plus, prend en charge de plus en plus, et pourtant rembourse moins, ne rembourse pas ou mal les besoins nouveaux. La France consacre sur 1997 / 2000 60 milliards de francs de plus à l'ONDAM et en même temps n'adapte pas son système de soins (des professions aux établissements, en passant par les spécialités) aux changements du temps.

En conclusion, votre rapporteur pour avis ne peut que se montrer critique envers un dispositif qui loin de nourrir la négociation risque de la paralyser, loin de mieux adapter les dépenses risque de les figer, loin de faire évoluer les système de soins risque de l'éloigner davantage des besoins des Français.

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