III. LES PERSPECTIVES DU RÉGIME DES EXPLOITANTS AGRICOLES : DEUX DÉFIS À RELEVER

A. LA QUESTION DES RETRAITES RESTE CENTRALE

1. Continuer l'effort de revalorisation des retraites agricoles sans remettre en cause l'équité

Le montant minimal des retraites agricoles n'atteint pas encore le minimum vieillesse.

Cette situation explique la volonté affichée depuis 1993 par les gouvernements de relever le niveau minimum des retraites agricoles. Le Gouvernement actuel a annoncé un " plan pluriannuel " correspondant à la législature (1997-2002). Comme la loi d'orientation agricole ne contenait initialement aucune disposition relative à un échéancier de revalorisation des retraites agricoles, un article prévoyant un rapport sur les retraites agricoles a finalement été adopté.

Le rapport sur les retraites agricoles prévu par la loi d'orientation agricole

Article 3

" Le Gouvernement déposera, sur le bureau des Assemblées, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, un rapport décrivant, catégorie par catégorie, l'évolution qu'il compte imprimer aux retraites agricoles au cours de la période du 30 juin 1997 au 30 juin 2002. Un développement particulier sera consacré aux mesures envisagées au cours de cette période, avec un effort plus important à son début, pour revaloriser les plus faibles pensions.

" Il étudiera les possibilités juridiques et financières de la création d'un régime de retraite complémentaire obligatoire pour les non-salariés exerçant les professions énumérées à l'article 1060 du code rural, à l'exception des artisans ruraux.

" Ce rapport présentera les modalités de financement des différentes mesures proposées."


M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis, avait été à l'origine de l'introduction du deuxième et du troisième alinéas.

L'objectif d'amener les retraites les plus basses au minimum vieillesse, pour les agriculteurs ayant cotisé 150 trimestres, apparaît un impératif. Le montant minimal pour les chefs d'exploitation est désormais de 3.200 francs, à comparer aux 3.540,41 francs par mois du minimum vieillesse pour une personne seule.

Le coût de cet objectif serait de 2,5 milliards de francs (en sus de la revalorisation prévue pour 2000). Il s'agit d'un coût brut, puisque -par définition- les versements du FSV seraient fortement réduits.

Cet objectif pourrait être atteint en 2002, si l'effort annuel constaté depuis 1994 se poursuit au même rythme.

Au-delà, l'objectif généreux de parvenir à des pensions égales à 75 % du SMIC pose des problèmes de principe.

Tout d'abord, sur les 2,1 millions de bénéficiaires d'une pension de retraite agricole au 1 er janvier 1997, seules 622.000 personnes avaient validé 150 trimestres ou plus en tant que non-salariés agricoles (carrière complète) et 265.000 de 130 (32 années et demie) à 149 trimestres. Plus d'1,2 million de personnes touchent ainsi une retraite du régime agricole, alors que, soit elles n'ont que marginalement ou brièvement exercé une activité agricole et perçoivent une pension d'un autre régime (les " polypensionnés "), soit elles ont travaillé toute leur vie et exclusivement dans l'agriculture, mais n'ont commencé à cotiser que très tardivement : il en est ainsi, aujourd'hui, des veuves et des conjointes les plus âgées.

Un polypensionné du régime agricole ne reçoit de ce régime que 29 % du montant global de ses avantages vieillesse. Améliorer la situation de l'ensemble des personnes ayant moins de 32,5 années de cotisations reviendrait à donner des avantages indus aux polypensionnés.

Le " ciblage " de mesures favorables aux titulaires de très faibles pensions de retraite agricole, et ne touchant pas d'autres avantages vieillesse, est difficile à mettre en oeuvre.

L'objectif de pensions égales à 75 % du SMIC ne pourrait ainsi s'appliquer qu'aux chefs d'exploitation ayant validé 150 trimestres. Mais cet objectif reviendrait à verser des pensions de retraite nettement supérieures à celles de salariés ayant cotisé sur un revenu équivalant au SMIC. Un nombre important de retraités agricoles bénéficierait d'une retraite à un montant supérieur à leurs revenus d'activité. De manière générale, la détermination d'un minimum de retraite fixé par rapport au SMIC soulève un problème qui concerne l'ensemble des régimes sociaux.

Certes, en période de croissance économique, la mesure proposée par le Gouvernement peut apparaître insuffisante. Mais le Gouvernement se réfère à un plan pluriannuel de revalorisation qui comprend encore deux étapes chiffrées à 1,6 milliard de francs chacune. Ce plan devrait permettre de porter, au 30 juin 2002, la pension des chefs d'exploitation et des veuves au minimum vieillesse et la pension des aides familiaux et des conjoints au minimum vieillesse des conjoints, soit 2.800 francs par mois 6( * ) .

Votre rapporteur est favorable à l'objectif de relever les retraites agricoles les plus basses au montant du minimum vieillesse. Il constate que l'objectif consistant à parvenir à 75 % du SMIC pose des problèmes qui dépassent largement le cadre du seul régime agricole.

2. Simplifier les règles de calcul des pensions de retraite

Votre rapporteur se fait ici le relais des " acteurs " du système : le régime de protection sociale agricole et les assurés eux-mêmes. La MSA souligne, avec inquiétude, la complexité croissante des règles. Revalorisations successives, modifications régulières du mode de calcul font que le système est devenu d'une complexité telle que les bénéficiaires n'en perçoivent plus la logique.

Elle souhaite aujourd'hui que soit entamée une véritable réflexion visant à simplifier l'ensemble pour davantage de lisibilité.

Votre commission avait souhaité que cette démarche soit intégrée dans le rapport sur les retraites déposé par le Gouvernement. L'Assemblée nationale n'a malheureusement pas retenu cet axe d'effort, qui était pourtant susceptible de faire l'unanimité.

Votre rapporteur réaffirme l'urgence et l'importance de la simplification ; la complexité des règles est coûteuse sur le plan de la gestion administrative (formation des personnels ; adaptation incessante des systèmes informatiques) et pénalisante sur le plan humain : comment peut-on expliquer rationnellement à tel ou tel assuré qu'il ne peut prétendre à une revalorisation, en raison d'un départ en retraite avant la date d'en trée en vigueur du dispositif ?

3. Instaurer un régime complémentaire obligatoire

A l'occasion d'un colloque sur les retraites agricoles, organisé le 12 octobre 1998 à l'Assemblée nationale, Mme Jeannette Gros, présidente de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), s'est prononcée pour le principe d'un régime de retraite complémentaire obligatoire.

Le congrès de la FNSEA a approuvé, le 18 mars 1999, le projet de création d'un régime complémentaire obligatoire.

Le rapport démographique du régime (cotisants/retraités) ne devrait guère se dégrader au cours des vingt prochaines années (il devrait passer de 0,4 à 0,37), contrairement aux rapports démographiques prévus dans le régime général et les régimes spéciaux. En effet, le nombre de retraités agricoles devrait diminuer dans les dix prochaines années : pour le régime agricole, le choc démographique a déjà eu lieu.

Evolution du nombre de retraités agricoles

 

1977

1987

1997

2007

en millions

1,8

1,8

2,1

1,8

Le rapport cotisants sur retraités ne se dégradera plus à l'avenir, mais restera très déséquilibré pendant de nombreuses années encore. Cette situation ne peut être surmontée que grâce aux transferts au titre de la compensation démographique. Les besoins de financement diminueront cependant au fur et à mesure de la diminution du nombre de retraités, qui sera divisé par deux d'ici 2040.

Cette période de stabilisation démographique semble favorable à l'instauration d'un régime complémentaire obligatoire de retraite par répartition.

Les différents régimes complémentaires créés, chez les salariés comme chez les non-salariés (CANCAVA et ORGANIC), reposent, en effet, sur le seul effort des futurs bénéficiaires. S'il était décidé d'en faire bénéficier les personnes déjà retraitées, l'Etat pourrait contribuer à la constitution du régime et à son financement,.

Des dispositions fiscales, dans le cadre d'une remise à plat de la fiscalité agricole, seraient sans doute souhaitables. Par ailleurs, la MSA pourrait dans les années à venir -par des efforts de gestion soutenus- baisser les taux complémentaires.

Un régime de retraite complémentaire obligatoire par répartition n'est pas exclusif d'un effort individuel des agriculteurs. Il faut toutefois préciser que la très grande majorité des produits financiers présents sur le marché ne semble pas correspondre à leurs besoins.

Les conclusions du rapport de M. Germinal Peiro sur les retraites sembleraient aller dans le sens d'un régime de retrai te complémentaire obligatoire.

4. Assurer le financement à moyen terme du régime des exploitants agricoles

L'effort contributif des exploitants agricoles ne peut être augmenté. Le " ratio démographique " -c'est-à-dire le rapport cotisants actifs/bénéficiaires (retraités titulaires de droits propres de plus de 65 ans)- s'est dégradé de manière impressionnante depuis une vingtaine d'années :


Années

1980

1985

1990

1995

1997

1998

1999

Ratio démographique

1,24

1,05

0,73

0,48

0,44

0,41

0,40

D'autres ressources du BAPSA connaîtront une évolution négative. La compensation démographique sera ainsi affectée par la dégradation de la situation des régimes de retraite. Or, le BAPSA est le seul régime à bénéficier de la compensation généralisée du risque maladie (7,8 milliards de francs prévus au titre de l'année 2000). Il reçoit en outre 52,9 % des transferts issus de la compensation généralisée vieillesse.

Prévisions de transferts de compensation généralisée du risque vieillesse en 2000


Régimes qui versent

Montant en millions de francs

Régimes qui reçoivent

Montant en millions de francs

Régime général

23.932,9

BAPSA

27.381,2

Fonctionnaires

12.666,2

Salariés agricoles

13.984,7

CNRACL

10.574,2

ORGANIC

4.812,6

CNAVPL

2.766,6

CANCAVA

1.899,1

Autres régimes

1.861,3

Autres régimes

3.723,5

Total

51.801,1

Total

51.801,1

Source : d'après Commission des comptes de la sécurité sociale, septembre 1999, p. 57.

L'évolution démographique conduit à une baisse structurelle des dépenses. Dans les prochaines années, si la bonne conjoncture économique se maintient, l'évolution mécanique des taxes affectées peut suffire à assurer le financement du BAPSA. Il n'en demeure pas moins que ce dernier sera confronté à la perte de la cotisation sur les polices d'assurance automobile (379 millions de francs) en 2001.

La subvention d'équilibre pourra être amenée à jouer de nouveau un rôle important.

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