IV. LES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES OU STATUTAIRES
La
modernisation du droit applicable dans les départements et
collectivités territoriales d'outre-mer s'est poursuivie en 1999, le
Gouvernement ayant choisi de procéder à cette modernisation par
ordonnances
, suivant la procédure prévue à
l'article 38 de la Constitution.
Ainsi les projets de loi de ratification d'une première série
d'ordonnances, prises en application de la loi d'habilitation
n° 98-145 du 6 mars 1998, viennent-ils d'être
examinés en première lecture par le Sénat, le
24 novembre dernier.
En outre, une nouvelle loi d'habilitation, promulguée le 25 octobre
dernier
12(
*
)
, a autorisé
le Gouvernement à prendre une deuxième série d'ordonnances
pour poursuivre l'actualisation et l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Ces ordonnances concerneront notamment, d'une part, s'agissant des
départements d'outre-mer, le statut des agences d'insertion, le statut
de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et
l'adaptation de la législation relative aux transports
intérieurs, ainsi que d'autre part, s'agissant de Mayotte, le
régime de l'état-civil et l'organisation du système de
santé.
Cependant, au-delà de cette actualisation du droit applicable outre-mer,
le Gouvernement envisage des réformes législatives de plus grande
ampleur. En effet, un
projet de loi d'orientation
relatif aux
départements d'outre-mer est en cours d'élaboration ; ce
texte annoncé pour l'année 2000 devrait comprendre un volet
institutionnel et un volet consacré au développement
économique, social et culturel
13(
*
)
. Par ailleurs, une réforme du
statut de la collectivité territoriale de Mayotte est actuellement
à l'étude.
Le présent avis budgétaire n'évoquera que
brièvement ces perspectives d'évolutions institutionnelles, car
votre commission des Lois aura l'occasion d'y revenir de manière plus
approfondie dans le cadre du rapport d'information qui sera établi
à la suite de la mission effectuée au mois de septembre dernier
en Guyane, Martinique et Guadeloupe, et de celle prévue pour le mois de
janvier prochain à la Réunion et à Mayotte, ainsi que lors
de l'examen du futur projet de loi d'orientation.
1. La préparation du volet institutionnel du projet de loi d'orientation relatif aux départements d'outre-mer : la nécessaire prise en compte de situations contrastées
Interrogé par votre rapporteur pour avis sur
l'élaboration du projet de loi d'orientation, M. Jean-Jack
Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a annoncé
à votre commission des Lois que les grandes lignes du projet
seraient prochainement communiquées aux élus locaux pour
effectuer une concertation d'ici la fin décembre, puis que
l'avant-projet de loi serait soumis aux assemblées territoriales en
janvier dans la perspective d'un passage en Conseil des ministres au mois de
février, ce qui laisserait quatre à cinq mois avant la fin de la
session pour les débats parlementaires.
Il a en outre précisé qu'en matière institutionnelle le
projet de loi d'orientation s'inspirerait des propositions du rapport
élaboré par MM. Claude Lise, sénateur de la
Martinique et Michel Tamaya, député de la Réunion.
Ces deux parlementaires avaient été chargés par
M. Lionel Jospin, Premier ministre, en décembre 1998, d'une
mission de réflexion en vue de formuler des propositions permettant un
approfondissement de la décentralisation dans les départements
d'outre-mer, tout en restant dans le cadre juridique défini en droit
interne par
l'article 73 de la Constitution
et en droit communautaire
par l'article 299-2 du traité d'Amsterdam. Ces deux textes
-rappelons-le- retiennent le principe de l'application dans ces
départements du droit métropolitain et du droit communautaire,
sous réserve des adaptations nécessitées par leur
situation particulière, pour le droit interne ou par leurs handicaps
structurels, pour le droit communautaire.
Les
propositions présentées par MM. Claude Lise et Michel
Tamaya
à l'issue de leur mission, dans un rapport
intitulé : "
Les départements d'outre-mer
aujourd'hui : la voie de la responsabilité
", s'articulent
autour des grandes orientations suivantes :
- le maintien de deux assemblées distinctes (conseil
général et conseil régional), en instituant
néanmoins la possibilité de les réunir sous forme de
Congrès pour gérer certaines compétences partagées
ou pour faire des propositions en vue d'une évolution statutaire ;
- l'accroissement des responsabilités locales grâce au transfert
d'un certain nombre de compétences de l'Etat ;
- la clarification des compétences respectives de la région et du
département ;
- et le développement de la coopération régionale pour
permettre un dialogue plus facile avec les régions environnantes.
Pour sa part, au cours de la
mission d'information
qu'elle a
effectuée au mois de septembre dernier en
Guyane, Martinique et
Guadeloupe
, la délégation de votre commission des Lois
conduite par le président Jacques Larché, dont faisait
partie votre rapporteur pour avis, a interrogé les très nombreux
interlocuteurs qu'elle a rencontrés, dont bien entendu
M. Claude Lise, sur leurs souhaits en matière
d'évolution institutionnelle.
Sans entrer dans le détail des propositions qui lui ont
été faites et qui seront analysées dans le rapport
d'information relatif à cette mission, votre rapporteur pour avis
souhaite évoquer ici quelques préoccupations essentielles se
dégageant de l'ensemble de ces entretiens.
Tout d'abord, la délégation a pu constater que, compte tenu de la
situation économique particulièrement préoccupante de ces
départements où le chômage frappe 20 à 30 % de
la population active
14(
*
)
, les
questions liées au développement économique et social
prenaient le plus souvent le pas sur les demandes d'évolution
institutionnelle.
En matière institutionnelle, la délégation a
constaté le plus souvent le souhait du maintien de deux
assemblées distinctes, notamment dans le souci d'éviter une
concentration excessive des pouvoirs au sein d'un seul exécutif, une
clarification des compétences respectives de la région et du
département apparaissant toutefois opportune.
Elle a par ailleurs enregistré la demande unanime d'une
amélioration de la coopération régionale avec les pays
voisins -sans pour autant que celle-ci passe nécessairement par Paris-
et d'un renforcement des responsabilités des élus locaux en la
matière. Les collectivités territoriales (région ou
département) souhaitent en effet légitimement pouvoir
coopérer directement avec les Etats voisins.
Cependant, la délégation a surtout pris conscience que
l'application d'un régime identique dans l'ensemble des
départements d'outre-mer n'était pas forcément
adapté à des situations locales très diverses.
La nécessité d'une meilleure
prise en compte des
spécificités locales
est en effet apparue en permanence au
cours de la mission. Au cours de l'audition de M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, devant votre commission des
Lois, votre rapporteur pour avis a à cet égard estimé
qu'il fallait faire du " cousu main " pour les départements
d'outre-mer et qu'une approche globale ne pouvait être retenue sans
risque d'erreur, recevant sur ce point l'approbation du ministre.
En effet, la situation de tel département d'outre-mer est souvent fort
différente de celle de tel autre. En particulier, la Guyane, pourvue
d'un immense territoire très peu peuplé, se caractérise
par sa situation géographique au coeur du continent
sud-américain, alors que la Martinique et la Guadeloupe, rassemblant des
populations nombreuses sur de petits territoires, sont marquées par le
contexte insulaire de la Caraïbe.
A l'intérieur même de chaque département, de nouvelles
spécificités apparaissent.
Ainsi, en Guyane, la situation de la commune de Kourou, qui
bénéficie des importantes retombées économiques de
l'activité du centre spatial, est fort différente de celle des
communes isolées de l'intérieur parfois seulement accessibles par
le fleuve dont la population pratique une agriculture de subsistance.
La situation particulière des îles de
Saint-Martin
et de
Saint-Barthélémy
, qui ont le statut de communes
rattachées au département de la Guadeloupe bien qu'elles en
soient éloignées de 250 km, constitue un autre exemple de
ces spécificités locales.
Les élus de ces îles souhaitent une adaptation des règles
juridiques qui leur sont applicables et une plus grande autonomie de gestion.
Les élus de Saint-Martin ont notamment fait part à la mission des
difficultés économiques liées aux distorsions de
concurrence avec Sint-Marteen, la partie néerlandaise de l'île, en
raison de législations fiscales et sociales différentes, ainsi
que des problèmes posés par leur dépendance vis à
vis de la Guadeloupe pour l'attribution des crédits disponibles au titre
du contrat de plan Etat-région ou des fonds structurels européens.
La commune de Saint-Barthélémy, qui ne connaît pas les
difficultés économiques et sociales de Saint-Martin, souhaite
pour sa part évoluer vers un statut de collectivité territoriale
"
sui generis
" ou de territoire d'outre mer.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
néanmoins précisé, au cours de son audition devant votre
commission des Lois, que le Gouvernement s'orientait vers la mise en place d'un
système de relations conventionnelles bénéficiant à
ces deux communes, plutôt que vers des statuts particuliers.
Le futur projet de loi d'orientation pourrait par ailleurs comprendre certaines
dispositions relatives à la collectivité territoriale de
Saint-Pierre et Miquelon
. Selon les informations communiquées
à votre rapporteur pour avis, ces dispositions pourraient notamment
permettre de préciser sur certains points le texte de la loi statutaire
du 11 juin 1985, sans toutefois en modifier l'équilibre, ainsi
que d'étendre à Saint-Pierre-et-Miquelon les acquis de la loi du
2 février 1992 relative à l'administration territoriale
de la République en matière de démocratie locale.
Afin de compléter la préparation de l'examen du projet de loi
d'orientation, votre commission des Lois organisera prochainement un
déplacement à la Réunion, où diverses propositions
ont notamment été formulées en vue d'une division de
l'île en deux départements, ainsi qu'à Mayotte où
une réforme statutaire est actuellement à l'étude.
2. Les réflexions menées en vue de l'élaboration d'un nouveau statut pour Mayotte
A
Mayotte, qui contrairement aux autres îles des Comores a souhaité
en 1974 rester au sein de la République française, le statut
actuel de la collectivité territoriale, issu de la loi du 24
décembre 1976, avait été conçu comme provisoire.
Dans la perspective de l'organisation d'une consultation de la population
mahoraise sur son avenir statutaire avant la fin du siècle,
conformément aux engagements qui avaient été pris par le
Président de la République et le Premier ministre, deux groupes
de travail complémentaires ont été mis en place en 1996,
l'un à Paris sous la présidence de M. le Préfet Bonnelle
et l'autre à Mayotte, coordonné par M. le Préfet Boisadam.
Le rapport de synthèse élaboré par ces deux groupes de
travail a présenté plusieurs pistes de réflexion en vue
d'une évolution progressive du statut tendant à le rapprocher de
celui d'un département d'outre-mer, conformément aux souhaits des
élus locaux, tout en prenant en compte les particularismes
économiques, sociaux et culturels d'une île fortement
marquée par l'Islam dont la grande majorité de la population ne
relève pas du statut civil de droit commun, mais d'un statut civil de
droit local.
A la suite de ce rapport, le Gouvernement a envoyé à Mayotte, en
décembre 1998 et juillet 1999, une mission interministérielle qui
a mené des discussions sur l'évolution du statut avec les
principales formations politiques, les élus et les représentants
de la société civile.
Ces discussions ont abouti à l'élaboration d'un " document
d'orientation " qui a été signé au mois d'août
dernier par les représentants de l'ensemble des formations politiques
mahoraises, mais non par le député et le sénateur
représentant la collectivité territoriale de Mayotte.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a
précisé au cours de son audition devant votre commission des Lois
qu'un consensus était actuellement recherché afin de mieux
assurer la présence de Mayotte au sein de la République
française tout en tenant compte de ses spécificités.
La population mahoraise devrait ensuite être consultée sur les
grandes orientations de la réforme statutaire, selon des
modalités qui seront déterminées par le Parlement.
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* *
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés aux départements d'outre-mer et aux collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon dans le projet de budget du secrétariat à l'outre-mer pour 2000.