CHAPITRE
VI :
DISPOSITIONS RELATIVES AU CONTRÔLE
ARTICLE 66
Notion de
contrôle conjoint exercé dans le cadre d'une action de
concert
Commentaire : le présent article vise à prendre en compte l'action de concert pour déterminer le contrôle conjoint d'une société.
I. LA DÉFINITION DU CONTRÔLE CONJOINT D'UNE SOCIÉTÉ
L'article 355-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales énumère les trois critères permettant de considérer qu'une société en contrôle une autre :
- soit la société détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société. Ce contrôle peut être caractérisé comme un contrôle de droit ;
- soit elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société. On peut qualifier ce contrôle de conjoint ;
- soit elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société. Il s'agit alors d'un contrôle de fait.
Cette définition du contrôle résulte de l'article 3 de la loi n° 85-705 du 12 juillet 1985 relative aux participations détenues dans les sociétés par actions, à un moment où la notion d'action de concert n'existait pas.
Elle répondait à l'origine au souci du législateur d'assainir les structures des groupes français de sociétés en limitant les effets des pratiques d'auto-contrôle. Il s'agissait de clarifier la manière dont se construit une chaîne de contrôle afin de neutraliser le pouvoir votant de l'auto-contrôle. L'article 359-1 de la loi précitée dispose que " lorsque des actions ou des droits de vote d'une société sont possédés par une ou plusieurs sociétés dont elle détient directement ou indirectement le contrôle, les droits de vote attachés à ces actions ou à ces droits de vote ne peuvent être exercés à l'assemblée générale de la société ; il n'en est pas tenu compte pour le cumul ".
Cette définition ne visait donc pas à l'origine à apprécier au sein des sociétés la façon dont plusieurs actionnaires pouvaient se fédérer pour assurer à l'un d'entre eux la maîtrise de la gestion ou partager cette maîtrise.
Ainsi, l'unique accord envisagé est celui de la convention de vote qui instaure un transfert de voix possédées par une société à la société cocontractante : il n'est en revanche aucunement fait référence explicitement à l'action de concert qui peut recouvrir outre le transfert des voix, une simple concertation ou un portage.
La nécessité d'introduire la notion de concert est apparue au moment de l'introduction en droit boursier de l'obligation de déclarer le franchissement de seuils de détention de capital ou de droits de vote et de déposer une offre publique dès que le seuil du tiers est dépassé.
Il s'agissait de soumettre aux mêmes obligations que celles incombant à une personne détenant directement ou indirectement des droits de vote ou des actions, les personnes qui ont conclu un accord dans un objectif précis.
Aux termes de l'article 356-1-3 de la loi du 24 juillet 1966 précitée (issu de l'article 18 de la loi n° 89-531 du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier), " sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer des droits de vote pour mettre en oeuvre une politique commune vis-à-vis de la société ".
L'article 5-5-2 du règlement général du Conseil des marchés financiers dispose que " lorsqu'une personne physique ou morale, agissant seule ou de concert au sens de l'article 356-1-3 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 vient à détenir plus du tiers des titres de capital ou plus du tiers des droits de vote d'une société, elle est tenue à son initiative d'en informer immédiatement le Conseil et de déposer un projet d'offre publique visant la totalité du capital et des titres donnant accès au capital ou aux droits de vote, et libellé à des conditions telles qu'il puisse être déclaré recevable par le Conseil ".
Selon l'article 356-1-3, l'action de concert exige un accord, c'est-à-dire une entente concertée et volontaire. Par ailleurs, cet accord ne peut avoir que deux objets.
D'une part, l'accord peut être conclu en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote. Dans la mesure où le droit de vote n'est pas disponible indépendamment du titre dont il est l'attribution, les valeurs mobilières qui ne comportent pas de droit de vote dans les assemblées ne sont pas visées. Par ailleurs, ce genre d'accord ne se ramène pas à de simples actes d'acquisition ou de cession.
Il peut également s'agir d'un apport en société, d'une constitution d'usufruit, d'une donation, d'un prêt à la consommation, d'une consultation fiduciaire, d'une souscription d'actions, d'un mandat d'acquérir ou de céder, d'un gage ou d'un nantissement avec pacte commissoire, d'une indivision conventionnelle, pourvu que l'accord mettant en place ces techniques contractuelles ait pour finalité un transfert direct ou indirect des droits de vote 167 ( * ) .
D'autre part, l'accord peut être conclu en vue d'exercer des droits de vote pour mettre en oeuvre une politique commune vis-à-vis de la société. Cette formule permet d'écarter les accords en vue d'exercer un vote limité à un objet déterminé, comme l'accord sur la nomination du président du conseil d'administration.
Il convient de remarquer que la notion de politique commune vis-à-vis de la société suscite depuis quelques années des divergences d'interprétation. En effet, elle a été interprétée par certains comme une entente entre les sociétés agissant de concert afin d'imposer leur politique à la société.
En réalité, cette interprétation est contraire à l'analyse littérale du premier alinéa de l'article 356-1-3 qui précise que la politique est commune vis-à-vis de la société.
En outre, elle réduirait fortement le champ d'application de l'action de concert puisque ne seraient reconnues comme agissant de concert que les sociétés disposant d'un nombre de droits de vote tel qu'elles seraient en mesure d'imposer leur politique à la société. Or, l'action de concert est ouverte à tous les actionnaires, quel que soit le nombre de droits de vote qu'ils détiennent.
L'introduction de l'action de concert dans le code des sociétés n'a pas entraîné une modification de l'article 355-1 précité portant sur le contrôle.
En conséquence, une société est reconnue comme en contrôlant une autre seulement si elle exerce seule ledit contrôle.
Il n'est pas possible de prendre en compte les voix des sociétés qui agissent de concert pour apprécier ce dernier.
La Cour d'appel de Paris a rappelé dans un arrêt du 20 février 1998 ADAM contre CGE et Havas, que la rédaction actuelle de cet article ne permet pas de prendre en compte la notion de concert pour la détermination du contrôle.
Cette situation présente deux inconvénients.
D'une part, elle ne tient pas compte de la réalité économique puisque certaines sociétés, en raison du nombre conjoint de leurs droits de vote, contrôlent de facto une société.
D'autre part, elle exonère lesdites sociétés des obligations résultant du contrôle en matière de réglementation de l'autocontrôle.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ
Le présent article propose de compléter l'article 355-1 précité afin de tenir compte de l'action de concert existant entre deux ou plusieurs sociétés pour déterminer si elles contrôlent une autre société.
Il dispose que " deux ou plusieurs sociétés agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises dans les assemblées générales de cette dernière ".
Cette rédaction s'inspire de la définition du contrôle de fait mentionnée à l'article 355-1, qui est reconnu " lorsque la société détermine, en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales ".
III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
L'Assemblée nationale a accepté le principe de cet article, mais elle a souhaité le compléter en précisant que les sociétés agissant de concert contrôlent conjointement une société lorsqu'elles déterminent, en fait, les décisions prises aux assemblées générales de cette société, dans le cadre d'un accord en vue d'une politique commune.
Elle a justifié sa position en faisant remarquer que " certes, le fait que les sociétés agissant de concert déterminent non pas une mais plusieurs décisions prises dans plusieurs et non pas une assemblée générale de la société, comme cela est précisé, peut suffire à garantir l'idée de continuité qu'implique le contrôle. Il n'est cependant pas à exclure que plusieurs décisions fassent l'objet d'un accord, sans qu'il y ait de véritable consensus ou qu'il existe une communauté d'intérêts sur la gestion de la société contrôlée ".
Par ailleurs, l'Assemblée nationale s'est inquiétée des incidences que peut avoir la notion de contrôle au sens de l'article 355-1 précité dans d'autres branches du droit.
L'article L. 439-1 du code du travail prévoit la constitution d'un comité de groupe au sein du groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle, notamment dans les conditions définies à l'article 355-1 de la loi précitée. Ce comité de groupe est destinataire des informations sur l'activité et la situation financière du groupe et de chacune des entreprises qui la composent.
Il apparaît peu opportun de mettre en place un comité de groupe entre la société contrôlée et chacune des sociétés agissant de concert la contrôlant.
L'Assemblée nationale a donc exclu le présent article du champ d'application de ce dispositif.
IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
Tout d'abord, votre commission tient à rappeler que lors de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier de 1998, elle avait déjà fait adopter par le Sénat, sur l'initiative de votre rapporteur, un amendement similaire.
Elle se félicite donc que le gouvernement s'inspire aujourd'hui de ses propositions, même si elle n'approuve pas entièrement la rédaction retenue par ce dernier et modifiée par l'Assemblée nationale.
D'abord, elle estime que le terme de " sociétés " agissant de concert doit être remplacé par celui de personnes, conformément à l'article 356-1-3 de la loi du 24 juillet 1966 qui définit l'action de concert.
Par ailleurs, votre commission des finances n'est pas favorable à la précision apportée par l'Assemblée nationale concernant la notion de contrôle conjoint, qui fait référence à un accord en vue d'une politique commune qu'elle juge à la fois inutile et ambiguë.
Elle est inutile car il est évident que, lorsque deux sociétés arrivent à imposer leur politique vis-à-vis d'une société aux autres actionnaires de cette société, ils contrôlent cette dernière.
En outre, elle est ambiguë car elle semble créer une nouvelle catégorie d'action de concert, selon laquelle seraient considérées comme agissant de concert les personnes qui concluraient un accord afin de déterminer la politique sociale de la société.
Il convient d'éviter cette ambiguïté et de rappeler que la politique commune mentionnée à l'article 356-1-3 de la loi précitée concerne la politique commune élaborée par les sociétés de concert vis-à-vis de la société.
Votre commission vous proposera donc un amendement visant à supprimer cette précision.
Votre commission s'interroge également sur l'opportunité d'exiger que les sociétés agissant de concert aient déterminé de fait les décisions prises dans plusieurs assemblées générales d'une société pour considérer que ces dernières contrôlent ladite société.
En effet, le nombre d'assemblées n'est pas le critère correct pour définir s'il y a contrôle d'une société par plusieurs sociétés agissant de concert. En réalité, il faut vérifier que les sociétés agissant de concert ont pu imposer leur politique commune à la société lors de la prise des décisions en assemblée générale.
Il reviendra ensuite au Conseil des marchés financiers, à la Commission des opérations de bourse ou, le cas échéant, au juge, d'apprécier si le contrôle était exercé dès la première assemblée générale ou non.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.
ARTICLE ADDITIONNEL APRES L'ARTICLE
66
Définition de l'action de concert
Commentaire : le présent article additionnel vise à préciser la définition de l'action de concert en exigeant la nécessité d'une politique commune aux concertistes vis-à-vis de la société.
La nécessité d'introduire la notion de concert est apparue au moment de l'introduction en droit boursier de l'obligation de déclarer le franchissement de seuils de détention de capital ou de droits de vote et de déposer une offre publique dès que le seuil du tiers est dépassé.
Il s'agissait de soumettre aux mêmes obligations que celles incombant à une personne détenant directement ou indirectement des droits de vote ou des actions, les personnes qui ont conclu un accord dans un objectif précis.
Aux termes de l'article 356-1-3 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales " sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer des droits de vote pour mettre en oeuvre une politique commune vis-à-vis de la société ".
Selon l'article 356-1-3, l'action de concert exige un accord, c'est-à-dire une entente concertée et volontaire. Par ailleurs, cet accord ne peut avoir que deux objets :
- l'accord peut être conclu en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ;
- l'accord peut être conclu en vue d'exercer des droits de vote pour mettre en oeuvre une politique commune vis-à-vis de la société.
La définition des termes " politique commune vis-à-vis de la société " peut porter à confusion. Il s'agit en réalité de la politique qui est commune aux concertistes.
A cet égard, l'avis du 13 novembre 1998 du Conseil des marchés financiers sur l'action de concert déclarée entre SCDM (contrôlée par MM. Martin et Olivier Bouygues) et Financière du Loch (appartenant au groupe Bolloré) vis-à-vis de la société Bouygues est révélateur. L'accord entre ces deux groupes préserve la liberté de vote de chacun d'entre eux, ne définit pas une politique commune vis-à-vis de la société Bouygues, et son objet concerne essentiellement des restrictions à leur liberté réciproque d'acquérir ou de céder des droits de vote de la société Bouygues.
SCDM soutenait que l'action de concert naît d'une volonté commune d'agir ensemble qui préexiste à la convention qui lui sert de support. Dès lors, la disparition de cette volonté met nécessairement fin à l'action de concert et ce, indépendamment de la validité des conventions dont l'autorité judiciaire se trouve saisie.
Le groupe Bolloré estimait pour sa part que, dès lors que les contrats signés entre les parties ne prévoient aucune faculté de dénonciation unilatérale, ceux-ci continuent de lier les parties.
Le Conseil des marchés financiers a constaté que les parties étaient en désaccord profond tant sur des questions majeures intéressant la stratégie de la société et ses comptes que sur la portée de leurs accords telle qu'elle avait été annoncée et fixée dans les préambules de ces derniers.
Devant cet état de fait, ayant eu à connaître de la déclaration de concert initial entre les parties et aux fins d'assurer la transparence du marché conformément à la loi du 2 juillet 1996, le CMF a estimé qu'il devait se prononcer sur la pérennité de l'action de concert.
Il a fait remarquer que l'accord visé par l'article 356-1-3 de la loi du 24 juillet 1966 précitée n'est pas le pacte lui-même par lequel des parties définissent leurs droits et obligations réciproques. Contracter n'est pas agir de concert, c'est formaliser les dispositions convenues qui forment, le cas échéant, autant d'indices constitutifs d'une action de concert. En réalité, cette dernière repose sur l'intérêt commun et la convergence des volontés qui unissent les personnes agissant de concert.
En conséquence, en raison des désaccords profonds qui séparaient SCDM et Financière du Loch, le CMF a estimé qu'ils n'agissaient plus de concert vis-à-vis de la société Bouygues.
Ainsi, le Conseil des marchés financiers admet bien, en présence d'un accord dont l'objet porte sur les acquisitions ou cessions de droits de vote, que le concert suppose la concertation entre les partenaires autour d'un " intérêt commun ", c'est-à-dire autour d'une politique commune.
A cet égard, l'avis du 3 mai 2000 du CMF sur les accords conclus entre CAP GEMINI et les actionnaires Ernst & Young est également significatif.
La société CAP GEMENI a conclu le 28 février dernier un accord cadre avec le réseau Ernst & Young Etats-Unis afin de reprendre les activités de conseil de ce dernier. L'opération sera effectuée pour l'essentiel par apports en rémunérations. CAP GEMINI émettra 43.039.418 actions ordinaires au profit des apporteurs.
La Securities and Exchange Commission (SEC), afin d'assurer une indépendance fonctionnelle et structurelle entre les activités de commissariat aux comptes et les activités de conseil exercées au sein du réseau Ernst & Young, a exigé que les actionnaires du groupe Ernst & Young qui ne rejoindront pas CAP GEMINI en qualité de salariés, cèdent dans un délai maximum de cinq ans la participation qu'ils recevront de CAP GEMINI.
Afin de permettre une cession ordonnée des titres, CAP GEMINI s'est portée garante de l'organisation de six offres secondaires programmées dans un délai de 4 ans et 300 jours suivant la réalisation de l'apport.
Le CMF a eu à s'interroger sur la qualification des accords signés par CAP GEMINI et les apporteurs qui n'exercent pas des activités de conseil. Il a estimé que l'interdiction faite à ces derniers d'accroître leur participation dans CAP GEMINI n'entraînait pas de concertation entre eux dans la mesure où elle revêtait un " caractère individuel ".
En conséquence, les engagements que prendront les associés du réseau Ernst & Young ne sont pas en tant que tels constitutifs d'une action de concert entre lesdites personnes et la société CAP GEMINI.
A contrario , il apparaît donc que si lesdits engagements avaient été collectifs, afin d'élaborer une politique commune entre les associés d'une part et la société CAP GEMINI d'autre part vis-à-vis de cette dernière, il y aurait eu action de concert.
C'est la raison pour laquelle votre commission vous proposera un article additionnel qui précise que la convergence des volontés des " concertistes " est nécessaire non seulement en cas d'accord conclu en vue d'exercer des droits de vote, mais également en cas d'accord conclu en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote.
Décision de la commission : votre commission vous demande d'adopter cet article additionnel.
* 167 Dominique Schmidt, Claude Baj : " Réflexions sur la notion d'action de concert ", revue de droit bancaire, mai-juin 1991, page 89.