Rapport n° 33 (2000-2001) de M. Patrice GÉLARD , fait au nom de la commission des lois, déposé le 18 octobre 2000
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LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
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EXPOSÉ GÉNÉRAL
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I. DES ATTEINTES GRAVES À L'AUTONOMIE
FISCALE ET FINANCIÈRE QUI SOULIGNENT LES LIMITES DU DISPOSITIF
CONSTITUTIONNEL RELATIF À LA LIBRE ADMINISTRATION DES
COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
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II. LA PROPOSITION DE
LOI CONSTITUTIONNELLE : DES GARANTIES POUR L'AUTONOMIE FISCALE ET
FINANCIÈRE DES COLLECTIVITÉS LOCALES
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III. LES TRAVAUX DE VOTRE COMMISSION DES
LOIS : L'ADOPTION DE LA PROPOSITION DE LOI
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I. DES ATTEINTES GRAVES À L'AUTONOMIE
FISCALE ET FINANCIÈRE QUI SOULIGNENT LES LIMITES DU DISPOSITIF
CONSTITUTIONNEL RELATIF À LA LIBRE ADMINISTRATION DES
COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
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EXAMEN DES ARTICLES
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TEXTE PROPOSÉ PAR LA COMMISSION DES
LOIS
N° 33
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 18 octobre 2000 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi constitutionnelle de MM. Christian PONCELET, Jean-Paul DELEVOYE, Jean-Pierre FOURCADE, Jean PUECH et Jean-Pierre RAFFARIN relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières ,
Par M. Patrice GÉLARD,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Jacques Larché,
président
;
René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles
Jolibois, Georges Othily, Robert Bret,
vice-présidents
;
Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas,
Jean-Jacques Hyest,
secrétaires
; Nicolas About, Guy
Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello,
Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo,
MM. Guy-Pierre
Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière,
Jean-Patrick Courtois, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot,
Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel
Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Edmond
Lauret, François Marc, Bernard Murat, Jacques Peyrat, Jean-Claude
Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.
Voir le numéro :
Sénat : 432 (1999-2000)
Collectivités territoriales . |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOISSous la présidence de M. Jacques Larché, la commission des Lois a procédé, le mercredi 18 octobre 2000, à l'examen du rapport de M. Patrice Gélard sur la proposition de loi constitutionnelle n° 432 (1999-2000) de MM. Poncelet, Delevoye, Fourcade, Puech et Raffarin, relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières. M. Patrice Gélard, rapporteur, a fait observer que cette proposition de loi constitutionnelle, dont le Président du Sénat avait pris l'initiative, était cosignée par les présidents des trois grandes associations d'élus locaux. Il a relevé qu'elle s'inscrivait dans un contexte marqué par le dépôt du rapport de la commission sur la décentralisation présidée par M. Pierre Mauroy et la récente décision du Conseil constitutionnel relative à l'élection des sénateurs qui consacrait le rôle du Sénat comme représentant des collectivités territoriales. Puis, mettant en cause la dérive actuelle de la décentralisation, M. Patrice Gélard, rapporteur, a fait valoir que, contrairement à la situation des Etats voisins, les ressources propres des collectivités locales diminuaient et étaient remplacées par des dotations de l'Etat privant les collectivités locales de leur liberté de choix. Il a indiqué que la part des recettes fiscales dans les ressources globales des collectivités locales, qui était supérieure à 50 % en 1995, était désormais inférieure à ce seuil, voire même à 40 % pour les régions. Le rapporteur a précisé que la proposition de loi constitutionnelle tendait à mettre un coup d'arrêt à ce processus en garantissant au plan constitutionnel l'autonomie fiscale et financière indispensable à l'autonomie même des collectivités locales. Il a fait observer que l'article 72 de la Constitution ne définissait pas le contenu du principe de libre administration. Il a considéré que, dans ces conditions, la jurisprudence du Conseil constitutionnel était restée très timorée sur la portée de ce principe, comme le mettaient en évidence les décisions relatives à la suppression de la part " salaires " de la taxe professionnelle et de la part régionale de la taxe d'habitation. M. Patrice Gélard, rapporteur, a relevé que cette question s'inscrivait dans un débat plus général concernant l'avenir des finances locales et la réforme nécessaire de la fiscalité locale, les impôts locaux paraissant obsolètes et justifiant une refonte annoncée en 1982 mais jamais mise en oeuvre. Il a estimé que la France était en retard sur ce plan par rapport à des Etats voisins qui, comme l'Italie ou l'Espagne, avaient su moderniser leur fiscalité locale. Le rapporteur a en outre fait observer que, dans la période récente, les collectivités territoriales avaient subi beaucoup de charges qui leur avaient été imposées en dehors des transferts de compétences proprement dits. Il a ainsi relevé que les contributions des collectivités au financement des universités et des transports, de même que les charges qui résulteraient pour elles de l'application des dispositions relatives aux 35 heures dans la fonction publique, ne faisaient pas l'objet de compensations financières. Puis M. Patrice Gélard, rapporteur, a exposé que l'article 3 de la proposition de loi constitutionnelle consacrait le rôle spécifique du Sénat en tant que représentant des collectivités territoriales en précisant son rôle pour les textes relatifs à l'administration des collectivités territoriales. Il a noté que le statut des lois intéressant les collectivités territoriales pourrait s'inspirer de celui des lois organiques plutôt que de prévoir l'adoption en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat. Enfin le rapporteur a estimé que l'article 4 de la proposition de loi constitutionnelle qui procédait, à l'article 34 de la Constitution, à un renvoi aux nouvelles dispositions résultant des articles 1 er et 2, ne paraissait pas indispensable. La commission a adopté les modifications suivantes : - à l'article 1er (Définition de l'autonomie fiscale), elle a pris en compte comme référence les ressources hors emprunt de chacune des catégories de collectivités , ressources qui devraient être composées pour moitié au moins de recettes fiscales propres et des autres ressources propres que constituent notamment les revenus des domaines et les redevances, la péréquation étant, en tout état de cause, préservée. - à l'article 2 (Compensation intégrale et concomitante des charges transférées), elle a visé, outre les transferts de compétences, les charges imposées aux collectivités territoriales par des décisions de l'Etat. Elle a par ailleurs précisé que les ressources de compensation devaient être permanentes, stables et évolutives. - à l'article 3 (Vote des projets ou propositions de loi relatifs à l'administration des collectivités territoriales), la commission a adopté une nouvelle rédaction précisant qu'une loi organique fixe l'organisation et les compétences des collectivités territoriales et que les projets de loi ayant un tel objet seront soumis en premier lieu au Sénat . Après avoir supprimé l'article 4 (Coordinations), la commission a adopté l'ensemble de la proposition de loi ainsi rédigée. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
A l'initiative du président Christian Poncelet, le Sénat est appelé à examiner la proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières.
Cosignée par nos collègues Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des Maires de France, Jean-Pierre Fourcade, président du Comité des finances locales, Jean Puech, président de l'Assemblée des départements de France et Jean-Pierre Raffarin, président de l'Association des régions de France, cette proposition de loi a pour objet de garantir l'autonomie fiscale des collectivités locales dans notre Constitution, et d'y inscrire le principe de compensation intégrale des transferts de compétences.
Elle consacre également le rôle de représentant des collectivités territoriales dévolu au Sénat par la Constitution, en proposant de conférer à notre Haute assemblée un pouvoir législatif équivalent à celui de l'Assemblée nationale pour les projets et propositions de loi relatifs à l'administration des collectivités locales.
" Donner un coup d'arrêt au processus actuel de remise en cause de la fiscalité locale ", telle est la philosophie de la présente proposition de loi constitutionnelle, ainsi que l'a exposé le président Christian Poncelet dans son allocution prononcée devant le Sénat le 6 octobre dernier.
Enoncé à l'article 72 de la Constitution, le principe de libre administration des collectivités territoriales n'a pu véritablement trouver sa signification qu'avec la globalisation des emprunts et des dotations versées par l'Etat aux collectivités locales ainsi qu'à travers le vote par celles-ci des impôts directs locaux.
Les lois de décentralisation lui ont donné sa pleine dimension en opérant une nouvelle redistribution des pouvoirs dans l'Etat unitaire, en améliorant l'efficacité de l'action publique et en permettant l'émergence d'une démocratie de proximité .
Libérant les initiatives locales, la décentralisation a constitué une réforme bénéfique. S'affirmant comme des acteurs économiques de premier plan, les collectivités locales assurent désormais environ les deux tiers de l'investissement public. Elles ont su développer une gestion financière saine , apportant ainsi une contribution décisive au respect des critères fixés par le Traité de Maastricht pour l'entrée dans la monnaie unique. Plus que jamais les défis économiques et sociaux auxquels l'action publique est confrontée justifient de renforcer le processus de décentralisation.
Mais ce processus ne peut jouer tout son rôle que s'il est fondé sur des principes clairs assurant un véritable contrat de confiance entre l'Etat et les collectivités locales au service de l'intérêt général.
Or, sur le rapport de notre collègue Michel Mercier, les remarquables travaux de la mission sénatoriale d'information, présidée par notre collègue Jean-Paul Delevoye, ont parfaitement mis en lumière que le système de financement des collectivités locales ne garantissait plus l'autonomie locale .
Depuis l'adoption des lois de décentralisation, les collectivités locales doivent subir des manquements répétés au principe de la compensation intégrale et concomitante des compétences transférées. Des compensations insuffisantes ou qui n'évoluent pas à hauteur des charges, des charges nouvelles imposées aux collectivités sans même qu'une compensation soit établie, remettent en cause les principes de la décentralisation.
Plus récemment, les collectivités ont dû subir une réduction très forte de leur pouvoir fiscal avec la suppression partielle des droits de mutations à titre onéreux, la mise en extinction de la part " salaires " de la taxe professionnelle, la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation et celle annoncée de la vignette automobile.
Elles doivent ainsi supporter les conséquences de l'absence de réforme de la fiscalité locale , pourtant programmée par la loi du 2 mars 1982 mais qui n'a jamais vu le jour. Au lieu de moderniser les impôts locaux, les gouvernements successifs ont préféré opérer une amputation progressive de la fiscalité locale, lui substituant des concours versés par l'Etat.
L'exposé des motifs de la proposition de loi souligne, à juste titre, que " ce processus de recentralisation des ressources des collectivités territoriales porte, à l'évidence, atteinte à la substance même du principe constitutionnel de libre administration ".
Un telle évolution ne peut, en effet, que dénaturer gravement l'esprit de la décentralisation en plaçant les collectivités locales en situation de dépendance et en les soumettant à une véritable tutelle budgétaire. Si elle devait se poursuivre, elle aurait pour effet de décourager les élus locaux, en les privant de toute responsabilité sur l'évolution de leurs ressources.
Ce processus de recentralisation met en évidence les limites du dispositif constitutionnel relatif à la libre administration des collectivités territoriales. En dehors de la règle institutionnelle d'une administration par des conseils élus, l'article 72 de la Constitution ne définit pas le contenu de ce principe et se borne à renvoyer à la loi ordinaire le soin de préciser les conditions de sa mise en oeuvre.
Si le renforcement de la compétence législative dans la définition des compétences et les modalités de leur exercice avait pu apparaître comme une garantie importante pour les collectivités locales, les atteintes successives aux principes initiaux démontrent que cette garantie est insuffisante. Prévenir pour l'avenir de nouvelles remises en cause passe par une véritable affirmation des règles fondamentales de l'autonomie locale dans la Constitution.
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I. DES ATTEINTES GRAVES À L'AUTONOMIE FISCALE ET FINANCIÈRE QUI SOULIGNENT LES LIMITES DU DISPOSITIF CONSTITUTIONNEL RELATIF À LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
A. DES ATTEINTES GRAVES
1. Le démantèlement de la fiscalité locale constitue une remise en cause des principes de la décentralisation
a) La place de la fiscalité locale dans le processus de décentralisation
Le renforcement de l'autonomie financière des collectivités locales a constitué une caractéristique majeure de la décentralisation .
Avant même les lois de décentralisation, ce mouvement avait été engagé dans le cadre du plan de développement des responsabilités locales présenté sous le gouvernement de M. Raymond Barre, par le ministre de l'Intérieur, notre excellent collègue Christian Bonnet.
Deux réformes importantes ont traduit la place de la fiscalité dans le système de financement local. D'une part, la loi de finances pour 1979 , qui a supprimé le versement représentatif de la taxe sur les salaires, remplacé par la dotation globale de fonctionnement issue des dispositions de la loi du 3 janvier 1979 , a conservé à cette dernière dotation le caractère d'un prélèvement sur les recettes de l'Etat, marquant ainsi le principe d'un financement des collectivités locales par la fiscalité. D'autre part, la loi du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale a permis aux collectivités locales de voter le taux d'imposition propre à chacune des taxes locales, alors que jusque là elles ne votaient qu'un produit fiscal dont la charge était répartie entre les différents impôts par les services fiscaux de l'Etat.
Plusieurs dispositions des lois de décentralisation ont tendu à mieux concrétiser le principe de libre administration des collectivités territoriales. Elles ont ainsi rendu exécutoires de plein droit les actes budgétaires, prévu la globalisation des subventions d'équipement à travers la création de la dotation globale d'équipement (DGE), permis aux élus locaux ordonnateurs de réquisitionner leur comptable si celui-ci refuse de payer une dépense ou de percevoir une recette et supprimé les régimes de contrôle et d'approbation préalable en matière d'emprunts.
En matière fiscale, les lois de décentralisation ont étendu le principe du vote des taux aux impôts transférés aux collectivités locales en contrepartie des transferts de compétences.
Elles ont, par ailleurs, fixé le principe selon lequel les charges transférées seraient compensées aux collectivités locales par des transferts d'impôts d'Etat et, seulement pour le solde, par l'attribution d'une dotation générale de décentralisation ( article L. 1614-4 du code général des collectivités territoriales). Ces transferts d'impôts d'Etat doivent représenter la moitié au moins des ressources attribuées par l'Etat à l'ensemble des collectivités locales ( article L. 1614-5 ).
Ce faisant, les lois de décentralisation ont traduit l'idée essentielle que la liberté de la dépense ne saurait suffire à une pleine expression de la libre administration des collectivités territoriales. Ce constat est particulièrement vrai dans un pays qui, comme la France, a vécu une expérience multiséculaire de centralisation administrative.
La libération des initiatives locales que permet la décentralisation exige que les collectivités locales disposent de marges de manoeuvre quant à l'évolution de leurs ressources, sous le contrôle du suffrage universel appelé en définitive à apprécier l'efficacité de la gestion locale.
La part de la fiscalité locale dans les recettes locales peut ainsi influer sur le volume de l'investissement public local dont on a souligné le poids dans l'investissement public global.
L'existence d'une fiscalité locale représentant une part significative des ressources globales des collectivités locales est aussi un enjeu majeur pour la démocratie locale. Elle permet de renforcer le lien entre l'élu et le citoyen également contribuable.
Cette place réservée à la fiscalité dans l'ensemble des ressources locales explique que la part des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les collectivités locales votent les taux, rapportée aux recettes totales hors emprunt des collectivités locales françaises, soit plus importante en France que dans la plupart des autres Etats de l'Union européenne. Si l'on définit la marge de manoeuvre fiscale comme la capacité des collectivités à influencer le montant de leurs recettes fiscales en votant le taux de leurs impôts, on constate qu'en 1995, selon une étude réalisée par le Crédit local de France, seules les collectivités locales suédoises avaient une marge de manoeuvre fiscale (60%) supérieure à celle des collectivités locales françaises (54%).
La France ne se distingue pas, en revanche, de ses voisins européens en ce qui concerne les modalités de vote des taux. De manière générale, la liberté de voter les taux apparaît plus encadrée dès lors qu'elle s'applique à une fraction importante des recettes fiscales.
Ainsi les Etats ( Belgique, Pays-Bas et Grande Bretagne ) qui reconnaissent une liberté totale en matière de vote des taux sont aussi ceux dans lesquels les impôts concernés représentent moins de la moitié des recettes fiscales des collectivités locales.
A l'inverse, lorsque les collectivités votent les taux de la plupart des impôts qu'elles perçoivent, leur liberté est encadrée par des mécanismes de plafonnement des taux ( Danemark, Italie ).
Deux Etats ont une situation plus spécifique : l'Allemagne où les collectivités sont soumises à un dispositif d'encadrement très restrictif alors que les impôts concernés ne représentent qu'une faible part de leurs recettes fiscales ; l'Espagne où les collectivités votent librement les taux d'impôts qui représentent près de 60% de leurs recettes fiscales totales.
Au regard de ces différentes situations, celle de la France se rapproche de celle du Danemark et de l'Italie. Le produit des quatre taxes directes locales représentait en 1999 environ 70% du total des recettes fiscales des collectivités. Mais la liberté de ces dernières de voter les taux de leurs impôts est encadrée.
b) Un démantèlement progressif de la fiscalité locale
La part des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les collectivités locales votent les taux dans leurs recettes totales hors emprunt s'élevait à 54% en 1995.
Cette proportion se réduit peu à peu sous l'effet de différents mesures adoptées dans la période récente, qui ont eu pour effet soit de supprimer certains impôts locaux, soit de priver les collectivités de la faculté de voter les taux d'autres impôts ou de réduire les bases auxquelles s'appliquent les taux.
L'article 53 de la loi de finances pour 1993 a supprimé les parts régionales et départementales de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
L'article 29 de la loi de finances pour 1999 a supprimé la taxe additionnelle régionale aux droits de mutation à titre onéreux , soit plus de 10% des recettes fiscales totales des régions.
Le même article a réduit le taux des droits de mutation à titre onéreux des départements sur les locaux à usage professionnel et, de fait, leur capacité à voter les taux de cet impôt.
L'article 44 de cette même loi de finances a supprimé la fraction de l'assiette de la taxe professionnelle assise sur les salaires, soit environ un tiers de l'assiette de cet impôt dont le produit représente environ la moitié du produit des quatre taxes directes locales. Au terme de cette réforme, les collectivités locales auront été amputées du sixième de leur pouvoir fiscal.
L'article 9 de la loi de finances pour 2000 a poursuivi la réforme des droits de mutation , engagée en 1999, en unifiant les taux départementaux des droits de mutation à titre onéreux sur les locaux d'habitation.
La loi de finances rectificative pour 2000 a supprimé la part régionale de la taxe d'habitation , soit près de 15% des recettes fiscales totales des régions et 22% du produit des quatre taxes.
En outre, la loi de finances pour 2001 prévoit de supprimer la vignette automobile, soit 5% des recettes totales des départements et près de 10% de leurs recettes fiscales.
La part de la fiscalité locale dans les ressources globales hors emprunt aura été au total réduite à 36% pour les régions, 43% pour les départements et à 48% pour les communes.
Sous l'effet de ces différentes réformes, en particulier celle de la taxe professionnelle, le poids des compensations versées aux collectivités par l'Etat s'est accentué. Il en est résulté une déconnexion croissante entre l'évolution des ressources locales liées à la fiscalité locale et celle du produit fiscal proprement dit. Ainsi, en 1999, la somme du produit fiscal et des compensations a progressé de 4,2% tandis que le produit fiscal des quatre taxes n'augmentait que de 0,7%.
Au total, le montant des compensations aura été multiplié par 13 depuis 1983 et par 3,3 depuis 1987. Compte tenu de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, les compensations s'élèvent à 66,4 milliards de francs en 2000 , soit près de 20% du montant total du produit de la fiscalité directe locale qui atteint 345,4 milliards de francs.
Ce mouvement de recentralisation des ressources locales s'est traduit par un brouillage entre fiscalité et compensations. C'est ainsi que la suppression de la part " salaires " de la taxe professionnelle a mis en cause la fiabilité du critère du potentiel fiscal, qui constitue le principal indicateur de richesse des collectivités locales. La loi du 28 décembre 1999 relative à la prise en compte du recensement général de population de 1999 dans la répartition des dotations de l'Etat aux collectivités locales a dû intégrer la compensation de la part " salaires " dans la définition du potentiel fiscal afin de neutraliser les effets de la réforme de la taxe professionnelle.
Cette substitution de mécanismes de compensation à la fiscalité locale est très largement le fruit de l'absence de réforme de cette dernière. Selon un processus inexorable, faute de réformer les bases de l'impôt local, c'est sa suppression graduelle qui est mise en oeuvre. L'Etat commence par accorder des allègements aux contribuables qu'il compense aux collectivités à travers la procédure du dégrèvement. Puis il accorde des exonérations qui annoncent l'extinction progressive de l'impôt local.
Plaider pour le rôle indispensable de la fiscalité locale dans le processus de décentralisation ne signifie pas souhaiter le maintien en l'état d'un dispositif dont les défauts sont légitimement relevés. Tout au contraire, la réforme de la fiscalité locale et son adaptation aux nouvelles réalités économiques et sociales sont le gage de sa pérennité.
Les réformes récentes mises en oeuvre en Italie et en Espagne mettent en lumière qu'il est possible de réunir les conditions d'une autonomie fiscale dans un Etat qui conserve une structure unitaire.
Les réformes de la fiscalité locale en Italie et en Espagne • En Italie , quasiment tous les impôts perçus par les collectivités avaient été supprimés en 1972. Avait alors été adopté le principe de " finances dérivées " caractérisées par le versement de plus en plus de concours de l'Etat. De 1989 à 1997, la part relative des recettes fiscales dans les ressources des collectivités locales ne s'établissait en moyenne qu'à 20% tandis que celle des concours de l'Etat s'élevait à 69%. Ce mouvement a été inversé dans la décennie 90. Pour les communes, la création d'un impôt communal sur les immeubles, en 1993, leur a assuré des recettes autonomes représentant environ 30% de leur budget courant, en moyenne nationale. Depuis le 1 er janvier 1999, les communes perçoivent un impôt additionnel sur les revenus à un taux fixe déterminé par l'Etat et à un taux variable fixé par les communes. Cette dernière réforme est intervenue en conséquence des trois lois dites " BASSANINI " renforçant l'autonomie locale. Les provinces ont bénéficié du transfert d'importants impôts d'Etat (sur les primes d'assurance automobile et sur l'enregistrement des véhicules), très dynamiques, leur conférant le degré d'autonomie le plus fort des trois niveaux d'administration. Les provinces doivent aussi percevoir une partie de l'impôt sur les revenus pour financer la mise en oeuvre des lois " BASSANINI ". Pour les régions ordinaires, la loi du 13 mai 1999 a fixé le principe de la suppression des transferts de l'Etat, toutes les dépenses régionales devant être financées par des ressources régionales, dans le contexte d'une péréquation entre collectivités riches et pauvres. Les régions ont, en conséquence, bénéficié de nouvelles taxes. Surtout a été institué, à compter du 1 er janvier 1998, un impôt régional sur les activités productives. Proportionnel à la valeur ajoutée, cet impôt dont le taux n'est que de 4,5% a un très fort rendement. Au total, en 1999, la part des recettes fiscales dans les ressources des collectivités locales atteignait 47,7%, la part des concours de l'Etat régressant à 46,7%. • En Espagne, les collectivités locales bénéficient d'une participation aux recettes de l'Etat. Les Lois des 27 et 30 décembre 1996 ont doté les communautés autonomes de capacités normatives sur des impôts précédemment considérés comme octroyés par l'Etat. Il a été décidé que le barème de l'impôt sur le revenu diminuerait de 15% et que subsisteraient trois tarifs : un tarif général (jusqu'à 85%) pour l'Etat ; un tarif complémentaire (de 15%) pour les Communautés ne souhaitant pas de modification ; un tarif autonome , correspondant au tarif complémentaire de 15%, susceptible de variations d'ampleur de plus ou moins 20%. Les Communautés autonomes peuvent décider sur la base fiscale soumise à ce tarif de 15% d'accorder des abattements, dans les conditions fixées par la loi. Un fonds de garantie a été institué : garantie d'évolution des ressources de l'impôt sur le revenu (pas moins de la croissance du PIB nominal et, pour chaque communauté, de 90% de l'augmentation de l'impôt sur le revenu ; garantie de " suffisance dynamique " (pour toutes les ressources - impôt sur le revenu, participation aux recettes de l'Etat, impôts octroyés - pas moins de la moyenne de l'accroissement des ressources de toutes les communautés) ; garantie de couverture de la demande de services publics (les ressources par habitant de chaque communauté ne pouvant être inférieures à 90% de la ressource moyenne correspondante de toutes les communautés). |
Comme l'a parfaitement souligné le rapport de notre collègue Michel Mercier, au nom de la mission sénatoriale d'information sur la décentralisation, certaines inégalités générés par les impôts directs locaux apparaissent comme le reflet de la diversité des territoires et la contrepartie du principe d'autonomie fiscale des collectivités locales. Les écarts entre les taux ou les bases des impôts directs locaux, de l'ordre de un à deux ou de un à trois, se retrouvent en matière d'impôt sur le revenu.
D'autres inégalités sont, en revanche, injustifiables. L'obsolescence de l'assiette de la taxe d'habitation, qui repose sur les valeurs locatives, est légitimement mise en cause. Or les dispositions du code général des impôts ( articles 1516 et 1518 ) qui prévoient que les valeurs locatives doivent être révisées tous les six ans et revalorisées chaque année au moyen de coefficients forfaitaires ne sont pas appliquées. Bien que revalorisées chaque année en loi de finances, les valeurs locatives n'ont été actualisées qu'une fois, en 1980, et n'ont pas été révisées depuis 1970. Dans ces conditions, l'évolution des bases de la taxe d'habitation ne prend pas en compte l'évolution des loyers qu'elle est pourtant censée refléter.
Comme on le sait, après que la loi du 30 juillet 1990 eut posé le principe d'une révision générale des bases de cet impôt, des travaux de révision ont été menés, financés par une majoration des frais d'assiette et de recouvrement perçus par l'Etat sur le produit des impôts locaux. Le Comité des finances locales, que préside notre excellent collègue Jean-Pierre Fourcade, a formulé des propositions équilibrées pour éviter que cette révision n'aboutisse à des transferts de charges excessifs entre contribuables. L'article 68 de la loi d'orientation du 4 février 1995 pour l'aménagement et le développement durable du territoire a précisé que " les résultats de la révision générale des évaluations cadastrales seront incorporés dans les rôles d'imposition au plus tard le 1 er janvier 1997 ". Or le Gouvernement a, en définitive, renoncé à cette réforme.
Le rapport sur la taxe d'habitation, remis au Parlement en application de l'article 28 de la loi de finances pour 2000, fait valoir que les travaux de simulation réalisés à partir des résultats de la révision des bases de 1990 " ont mis en évidence que cette réforme conduit à des transferts entre contribuables, insatisfaisants, tant sur le plan de l'efficacité économique que sur le plan de la justice sociale ".
Pour autant, le même rapport souligne le vieillissement des valeurs locatives et le caractère inéquitable de la répartition de l'impôt entre les contribuables, en raison de la divergence croissante entre les valeurs locatives et les réalités économiques. Ce qui aboutit, selon le rapport, à des transferts " cachés " et injustifiés entre les contribuables des quatre taxes et entre contribuables d'une même taxe.
En 1999, sur les 71,4 milliards de francs perçus par les collectivités locales au titre de la taxe d'habitation, seulement 60,2 milliards de francs ont été acquittés par les contribuables de cette taxe. La différence, représentant 11,2 milliards de francs, a été prise en charge par le budget de l'Etat à travers les dégrèvements.
Les conséquences négatives de cette absence de réforme peuvent également être observées en matière de taxe professionnelle .
Depuis sa création par la loi du 29 juillet 1975 , le régime de cette taxe a été régulièrement modifié, soit pour garantir les ressources des collectivités locales, soit pour alléger la charge imposée aux contribuables. Au total, la mode de calcul de l'assiette et les divers mécanismes de dégrèvements et d'exonérations conduisaient à dispenser de contribution au titre de cette taxe 1,5 million d'entreprises en 1997. Le nombre de redevables s'élève à 2,1 millions. 10% des entreprises acquittent 80% du produit de la taxe professionnelle. La charge est très inégalement répartie entre les secteurs d'activité.
En 2000, l'Etat a pris en charge, au titre de la taxe professionnelle, 45,8 milliards de francs à travers les dégrèvements. Le coût du seul plafonnement en fonction de la valeur ajoutée s'établit à près de 40 milliards de francs. L'Etat verse, en outre, 22,8 milliards de francs au titre de la compensation de la suppression de la part " salaires " de la taxe professionnelle et 11,8 milliards de francs au titre de la dotation de compensation de la taxe professionnelle qui a notamment pour objet de compenser l'abattement général de 16% sur les bases décidé en 1986. A ces sommes s'ajoute la prise en charge par l'Etat des exonérations décidées en matière d'aménagement du territoire, dont le coût estimé pour 2000 atteint 172 millions de francs.
L'absence de réforme aboutit, en conséquence, au résultat paradoxal que l'Etat prend en charge une part croissante de la fiscalité locale et qu'il devient ainsi en quelque sorte le premier contribuable local.
Comme l'a parfaitement démontré le rapport de notre collègue Michel Mercier, au nom de la mission sénatoriale d'information sur la décentralisation, cette situation est préjudiciable tout à la fois au budget de l'Etat et aux collectivités elles-mêmes.
Le coût des dégrèvements pour l'Etat est passé de 18,3 milliards de francs en 1983 à 63 milliards de francs en 2000 . Si les compensations d'exonérations ont connu un rythme moins rapide jusqu'à la fin des années 90, elles ont fortement augmenté dans la période récente, passant de 29,7 milliards de francs en 1998 à plus de 60 milliards de francs en 2000 , soit un doublement en deux ans. La part des compensations dans les concours de l'Etat aux collectivités locales est passée de 12,6% en 1995 à 20,7% en 2000, tandis que celle des dotations a diminué de 66,4% à 60,4% et celle des dégrèvements est restée stable (environ 20%).
En conséquence, la politique actuelle de substitution de subventions aux impôts locaux aboutit à rigidifier la structure des dépenses publiques et à réduire les marges de manoeuvre budgétaires en créant des dépenses nouvelles pour lesquelles l'Etat s'engage sur une très longue durée.
Quant aux collectivités locales, les mécanismes d'indexation des compensations leur font subir une perte préjudiciable de recettes . En effet, à la différence des dégrèvements, dont le montant évolue en fonction des bases et des taux votés par les collectivités locales, les compensations ne prennent plus en compte la " dynamique " des bases et les décisions prises par les assemblées délibérantes en matière de taux.
En conséquence, elles aboutissent à des résultats défavorables aux collectivités locales. Lorsque les compensations évoluent en fonction des bases réelles et des taux de l'année d'entrée en vigueur de la mesure, les collectivités locales subissent une perte dès lors que les taux de l'année en cours sont supérieurs à ceux de l'année d'entrée en vigueur de la mesure.
Lorsque les compensations sont indexées sur la dotation globale de fonctionnement, un manque à gagner est constaté dès lors que les bases ou le produit de l'impôt augmentent plus vite que le taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement.
Ainsi comparant l'évolution du produit de la part régionale de la taxe d'habitation et le taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement sur lequel sera indexée la compensation de la suppression de cet impôt, notre collègue Michel Mercier a-t-il pu constater, dans son rapport précité, que l'indexation sur la dotation globale de fonctionnement n'aurait été favorable aux régions qu'une seule fois en quatre ans.
En outre, le souci de limiter le coût des compensations pour l'Etat a conduit à la mise en place de dispositifs dits de " réfaction " des compensations d'exonération de fiscalité locale. Ces dispositifs aboutissent à réduire le montant des compensations lorsque le montant des recettes fiscales d'une collectivité augmente dans des proportions que l'État juge suffisamment importantes.
Les collectivités locales n'ont aucune garantie quant au maintien des compensations qui leur sont versées en contrepartie de mesures réduisant leur fiscalité.
L'utilisation de la dotation de compensation de la taxe professionnelle comme variable d'ajustement de l'enveloppe normée des concours de l'Etat aux collectivités locales a eu ainsi un impact direct sur le montant des compensations versées aux collectivités locales. Le montant de cette dotation est, en effet, passé de 17,6 milliards de francs en 1996 à 11,8 milliards de francs en 2000.
Ces évolutions traduisent une dépendance croissante des collectivités locales à l'égard des décisions de l'Etat.
Constatées pour les concours " passifs " de l'Etat destinés à compenser des exonérations de fiscalité locale, elles marquent également les concours dits " actifs " inclus dans l'enveloppe normée mise en place dans le cadre du " pacte de stabilité " auquel a succédé le " contrat de croissance et de solidarité ".
Les modes d'indexation restrictifs retenus pour ces concours aboutissent en effet à la pratique des " rallonges " accordées au coup par coup, selon le bon vouloir de l'Etat. Dans le cadre de la loi de finances pour 2000, les abondements exceptionnels, extérieurs à l'enveloppe normée ont atteint 1,35 milliard de francs.
Les collectivités locales apparaissent ainsi de plus en plus comme la variable d'ajustement du budget de l'Etat.
De telles pratiques, si elles ont le mérite de compenser l'insuffisance des indexations, ne paraissent pas conforme à l'esprit de la décentralisation, qui veut que les collectivités locales disposent de recettes stables, prévisibles et évolutives .
2. Des charges transférées insuffisamment compensées
a) Des principes non respectés
Les lois de décentralisation avaient posé des principes clairs en matière de compensations des transferts de compétences : les collectivités locales devaient bénéficier du transfert concomitant par l'Etat des ressources nécessaires à l'exercice de ces compétences ; ces ressources devaient assurer la compensation intégrale des charges transférées ; cette compensation devait en outre être constituée au moins pour la moitié par des ressources fiscales .
Or force est de constater que les recettes transférées ont augmenté beaucoup moins vite que les charges transférées . Alors que les charges transférées étaient 1,4 fois supérieures aux recettes transférées en 1987, elles étaient 2 fois supérieures en 1996. Entre ces deux dates, le coût correspondant aux compétences transférées a augmenté de 111% alors que les recettes transférées n'ont augmenté que de 39,6 %.
Comme l'a mis en évidence le rapport précité de notre collègue Michel Mercier, entre 1985 et 1994, les départements ont globalement bénéficié du mode de compensation des transferts de charges. Toutefois, à partir de 1991, le poids des dépenses d'action sociale s'est accru, notamment sous l'effet des dépenses liées au revenu minimum d'insertion, qui n'ont pas donné lieu à compensation. Sur la même période, le rendement des impôts transférés a décru. Depuis 1995, le coût des compétences transférées est supérieur aux recettes transférées.
Quant aux régions , elles ont toujours été pénalisées par le mode de compensation des compétences transférées, sauf en 1984 et 1985. A la différence des départements, cette situation concerne l'ensemble des régions.
Entre 1987 et 1996, la part des dépenses liées à l'exercice des compétences transférées dans les dépenses totales des collectivités locales est passée de 13,5% à 17,8%. Sur la même période, la part des ressources transférées dans les ressources totales des collectivités a régressé de 9,5% à 8,3%.
Les collectivités locales ont, en conséquence, été amenées à financer sur leurs ressources propres les efforts qu'elles ont accomplis pour mettre à niveau les compétences qui leur ont été transférées, par exemple pour la rénovation, l'entretien et l'équipement des établissements scolaires.
Cette entorse aux principes de la décentralisation semble encore à l'oeuvre, comme l'attestent les modalités prévues par le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains pour compenser aux régions le transfert de la compétence ferroviaire . Le calcul de la compensation a, en effet, été effectué à partir d'une étude réalisée six ans plus tôt par un cabinet privé et ne prend pas en compte les besoins d'investissements que les régions devront satisfaire.
Ces insuffisances de la compensation s'accompagnent d'une remise en cause du principe du financement prioritaire des transferts de compétences par la fiscalité .
Le financement budgétaire des transferts , qui devait en principe constituer un solde, est progressivement devenu la norme . Les nouveaux transferts ont, en effet, été compensés non pas par des transferts de fiscalité mais par une majoration de la dotation générale de décentralisation. En outre, l'assiette et le taux des impôts transférés se sont progressivement réduits. On citera, en particulier la politique menée depuis la loi de finances pour 1999 consistant à réduire et unifier les taux des droits de mutation. Cette politique a non seulement supprimé le pouvoir des départements de voter le taux de ces impôts mais aussi entraîné une diminution forte de la part de la fiscalité dans les ressources transférées.
b) Des charges nouvelles non compensées
L'alourdissement des charges non compensées constitue une menace grave pour l'équilibre des budgets locaux.
Dans son rapport au Parlement pour 1997, la commission consultative sur l'évaluation des charges pouvait observer que " la stabilisation des budgets locaux et de la fiscalité locale ne peut aller sans une stabilisation des charges. Or, les collectivités locales enregistrent des charges nouvelles sur lesquelles elles n'ont parfois aucune prise . "
Se livrant à un essai de typologie des charges nouvelles non compensées, la même commission, dans son rapport au Parlement pour 1999, a distingué trois catégories :
- les charges résultant des législations ou réglementations de portée générale s'imposant aux collectivités comme aux autres personnes publiques ou privées, charges qui ont généralement pour origine un objectif de sécurité ;
- les charges liées à des prescriptions européennes ou nationales destinées à répondre à des exigences d'intérêt général pour des équipements ou l'exercice de compétences des collectivités locales (ce qui recouvre en particulier la gestion des déchets, l'eau et l'assainissement) ;
- les charges issues de la transposition aux collectivités locales de diverses décisions , notamment les revalorisations de rémunérations pour lesquelles les collectivités locales supportent les conséquences financières de décisions prises par l'Etat seul.
Comme l'a relevé, à juste titre, la mission sénatoriale d'information sur la décentralisation, les ressources des collectivités locales évoluent moins vite que leurs charges nouvelles. Tel est en particulier le cas de la dotation globale de fonctionnement - principale ressource de fonctionnement des communes et départements - qui pendant les trois années d'application de l'accord salarial du 3 février 1998 a augmenté moins vite que le surcoût engendré par cet accord.
L'Etat a lui-même fortement incité les collectivités locales à financer des dépenses relevant de ses propres compétences. Tel fut notamment le cas en matière d'enseignement supérieur avec le plan Université 2000 puis le plan U3M et en matière de voirie. Les contrats de plan ont constitué un vecteur important pour permettre à l'Etat d'orienter les dépenses des collectivités locales tout en se désengageant financièrement .
En outre, l'absence de vision d'ensemble de l'évolution des charges des collectivités locales, notamment au regard de leurs ressources ne permet pas l'établissement d'un véritable contrat de confiance entre l'Etat et les collectivités locales.
Insidieusement cette situation conduit à la réapparition de concours spécifiques , généreusement accordés par l'Etat pour faire face à un problème donné au détriment de la vision globalisée que les lois de décentralisation avaient entendu promouvoir.
Ces différentes atteintes à l'autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales mettent en évidence les limites du dispositif constitutionnel.
B. LES LIMITES DU DISPOSITIF CONSTITUTIONNEL RELATIF À LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
1. Une définition assez elliptique...
a) Une reconnaissance constitutionnelle tardive
Tout en énonçant le principe de la libre administration des collectivités territoriales, le Constituant est resté assez elliptique sur le contenu que doit revêtir ce principe.
Le deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution - qui fixe le principe de la libre administration - se borne, en effet, à préciser que " les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ".
Peut-être faut-il voir dans cet énoncé sommaire de la libre administration des collectivités territoriales la conséquence de l'émergence difficile de l'idée de décentralisation dans notre organisation institutionnelle ?
Sur le plan constitutionnel, la Loi fondamentale a, dès la Constitution du 3 septembre 1791, traduit la confrontation permanente entre les idées d'unité et de pluralité dans la structure de l'Etat.
L'article 1 er du titre II de la Constitution de 1791 proclamait ainsi que " le Royaume est un et indivisible : son territoire est distribué en 83 départements, chaque département en districts, chaque district en cantons ". Il n'était donc pas question de " division " mais de " distribution " du Royaume.
Le même terme fut repris par la Constitution du 24 juin 1793 qui disposait que " Le peuple français est distribué, pour l'exercice de sa souveraineté, en assemblées primaires de cantons " (article 2) et qu'il " est distribué , pour l'administration et pour la justice, en départements, districts et municipalités " (article 3).
Le concept de " division " du territoire figura en revanche dans la Constitution de 5 fructidor an III qui précisait que " La France est divisée en (...) départements " (article 3) mais que " chaque département est distribué en cantons, chaque canton en communes " (article 5). Mais il n'existait pas d'entités juridiques correspondant à ces circonscriptions : les administrations municipales étaient subordonnées aux administrations de département et celles-ci aux ministres (article 193).
Du même système politico-administratif s'inspira la Constitution du 22 frimaire an VIII qui affirmait que " La République française est une et indivisible. Son territoire européen est distribué en départements et arrondissements communaux ".
Les lois fondamentales des régimes monarchiques de la première moitié du XIXè siècle ne comprenaient aucune disposition relative aux circonscriptions territoriales.
Les Constitutions républicaines ont par la suite été peu prolixes sur cette question jusqu'au milieu du XXè siècle, même si cette période fut marquée par des réformes majeures avec l'adoption des lois du 10 août 1871 et du 5 avril 1884, relatives respectivement au département et à la commune.
Il fallut, en effet, attendre le débat constitutionnel à la Libération pour que soit posée la question de la formulation de la place des collectivités territoriales dans l'organisation institutionnelle.
Le projet de Constitution du 19 avril 1946 comprenait un titre VIII " Des collectivités locales " qui affirmait que " La République française, une et indivisible, reconnaît l'existence de collectivités territoriales. Ces collectivités sont les communes et départements, les territoires et fédérations d'outre mer. Elles s'administrent librement, conformément à la loi nationale ".
La Constitution du 27 octobre 1946 -qui consacra son titre X (" Des collectivités territoriales ") à cette question- affirmait notamment que " La République française, une et indivisible, reconnaît l'existence de collectivités territoriales " (article 85) et que " les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus au suffrage universel " (article 87). Elle consacrait par ailleurs le rôle des délégués du Gouvernement pour la " coordination de l'activité des fonctionnaires de l'Etat, la représentation des intérêts nationaux et le contrôle administratif des collectivités territoriales " (article 88).
Au total, le texte de l'article 72 de la Constitution de la Vè République -qui ouvre le titre XII " Des collectivités territoriales "- n'est pas très éloigné, au moins dans son esprit, des dispositions correspondantes de la Constitution de 1946.
b) L'établissement d'une règle de procédure
En dehors de la règle de fond essentielle qui établit l'administration par des conseils élus, cette disposition constitutionnelle ne pose néanmoins qu'une règle de procédure , en faisant prévaloir la compétence législative.
Le champ de cette compétence législative est déterminé à l'article 34 qui classe dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux " de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ".
L'affirmation de la compétence législative n'est pas sans intérêt quant à la portée du principe de libre administration.
Faute que le contenu de celui-ci soit directement précisé par le texte constitutionnel, les règles qui permettent sa mise en oeuvre doivent être définies à un niveau suffisant pour qu'il ne puisse pas lui être porté atteinte.
Cette définition du contenu de la libre administration des collectivités territoriales par le législateur ordinaire doit elle-même concilier deux principes.
En vertu de la Constitution, la souveraineté nationale appartient au peuple dans son ensemble. Expression et garant de la souveraineté, l'Etat dispose d'un droit d'évocation qui pourrait s'opposer à toute limitation de ses pouvoirs.
La France est un Etat unitaire. L'indivisibilité de la République est consacrée par l'article 1 er de la Constitution. On a vu combien ce principe a été prédominant dans notre histoire constitutionnelle.
L'article 72 affirme ainsi le rôle du délégué du Gouvernement dans les départements et les territoires en lui confiant " la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ". Le Conseil constitutionnel a veillé au respect de ces prérogatives de l'Etat ( décision n° 82-137 DC du 25 février 1982 ).
Nos institutions restent fondées sur l'article 3 de la Déclaration de 1789 qui dispose que " le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ".
Ce principe est repris à l'article 3 de la Constitution qui affirme que " la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice (...) ".
On sait que le Conseil constitutionnel en a tiré toutes les conséquences, en déclarant non conforme à la Constitution la notion de " peuple corse " ( décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 ).
D'un autre côté, bien que cette reconnaissance dans la Loi fondamentale fût tardive, la Constitution reconnaît l'existence des collectivités territoriales.
Tout en affirmant le caractère unitaire de l'Etat, elle admet parallèlement que les collectivités peuvent exister indépendamment de ce dernier en s'administrant librement.
En consacrant le principe de la libre administration et en renvoyant à la loi ordinaire le soin d'en définir le contenu, la Constitution tente d'opérer une synthèse entre deux principes.
La souveraineté nationale appartient au peuple dans son ensemble, qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Il revient donc à la représentation nationale et -sauf recours au référendum dans les cas prévus par la Constitution- à elle seule , de fixer les règles applicables sur tout le territoire national.
L'article 34 de la Constitution exprime cette exigence en affirmant la compétence du législateur pour déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. De même, c'est au législateur qu'il revient de fixer les règles concernant l'assiette , le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature.
Mais tout en veillant à ne pas remettre en cause les principes d'unité et d'invisibilité de la République, il revient également au législateur de permettre un exercice effectif de la libre administration.
Or cette simple règle de procédure ne pouvant s'appuyer sur un " socle " constitutionnel qui définirait le contenu de la libre administration, n'a pas permis, à l'expérience, de garantir les collectivités territoriales contre les mises en cause de leur autonomie fiscale et financière.
2. ...Qui ne garantit plus l'autonomie fiscale et financière des collectivités locales
a) Un renforcement de la compétence législative
En dépit de la règle procédurale posée tant par l'article 34 que par l'article 72 de la Constitution, très peu de compétences locales avaient été à proprement parler définies par la loi jusqu'en 1983.
Jusqu'à cette date, la répartition des compétences reposait sur la combinaison de la " clause générale " de compétences, reconnue aux communes et aux départements, et de la pratique de la tutelle qui permettait à l'Etat d'ajuster au coup par coup les compétences locales.
Face aux transferts de charges subis par les collectivités locales, la notion d'" affaires locales " à laquelle renvoyaient en fait les grandes lois de 1871 pour le département et de 1884 pour la commune, s'était révélée peu protectrice. Ce constat avait pleinement justifié la demande pressante et légitime des élus locaux d'une clarification des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.
Pour parvenir à cette clarification, le rôle de la loi était apparue comme prédominant. C'est ainsi que le rapport " Vivre ensemble ", établi en 1976 par M. Olivier Guichard, constatait que " seule la loi peut intervenir pour déplacer entre l'Etat et les collectivités locales les responsabilités et les moyens de les exercer ".
Ce rôle privilégié du législateur résultait également de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci avait affirmé cette compétence pour créer ou supprimer des ressources locales ( décision n° 68-35 DC du 30 janvier 1968 ) ou encore pour transférer à l'Etat des compétences jusque là exercées par une collectivité locale ( décisions n° 70-63 L du 9 juillet 1970 et n° 71-70 L du 23 avril 1971 ).
Traduisant cette orientation, la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 renvoyait à des lois ultérieures le soin de déterminer " la répartition des compétences entre les communes, les départements et les régions, ainsi que la répartition des ressources publiques résultant des nouvelles règles de la fiscalité locale et des transferts de crédits de l'Etat aux collectivités territoriales (...) ".
Les lois n° 83-8 et 83-663 des 7 janvier et 22 juillet 1983 ont concrétisé ces dispositions en ce qui concerne les compétences. En revanche, comme votre rapporteur l'a déjà souligné, la réforme de la fiscalité locale, toujours différée, a cédé la place à un processus de démantèlement progressif de celle-ci.
En théorie, l'affirmation de la compétence législative aurait pu apparaître comme une garantie suffisante pour prémunir les collectivités locales contre des transferts de charges non prévus et non compensés et pour préserver leur financement prioritaire par la fiscalité locale.
L'expérience a mis en lumière que cette protection était insuffisante, la loi ordinaire -dans le silence de la Constitution- pouvant défaire ce qu'elle a elle-même prescrit.
b) Une protection insuffisante
Dès 1976, le rapport " Vivre ensemble " s'était interrogé sur le point de savoir si le développement des responsabilités locales ne devait pas être garanti par la Constitution, à travers une modification des articles 34 et 72.
Après avoir consacré la valeur constitutionnelle du principe de libre administration, sans se référer à une disposition constitutionnelle précise ( décision n° 79-104 DC du 23 mai 1979 ), le Conseil constitutionnel a veillé au respect de ce principe au cas par cas.
Il a ainsi précisé que le principe de libre administration impliquait que chaque collectivité territoriale " dispose d'un conseil élu doté d'attributions effectives " ( décisions n° 85-196 DC du 8 août 1985 et n° 87-241 du 19 janvier 1988 ).
Le Conseil constitutionnel a également considéré que le législateur ne pouvait imposer aux collectivités locales des contraintes excessives ( décisions n° 83-168 DC du 20 janvier 1984 et n° 98-407 DC du 15 janvier 1998) et qu'il ne pouvait rester en-deçà de ses compétences en renvoyant à une convention conclue entre collectivités le soin de fixer les conditions d'exercice des compétences ( décision n° 95-358 DC du 26 janvier 1995 ). Il a estimé que la liberté contractuelle des autorités locales ne pouvait subir " sans justification appropriée, une contrainte excessive " ( décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 ). Il a jugé non conforme la faculté reconnue au représentant de l'Etat de provoquer la suspension des actes des collectivités locales pendant trois mois (décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 ).
En matière financière , le Conseil constitutionnel a posé les limites dans lesquelles le législateur pouvait imposer des charges aux collectivités locales. Il a ainsi précisé que " si le législateur est compétent pour définir les catégories de dépenses qui revêtent pour les collectivités territoriales un caractère obligatoire (...), toutefois les obligations ainsi mises à la charge d'une collectivité territoriale doivent être définies avec précision quant à leur objet et à leur portée et ne sauraient méconnaître la compétence propre des collectivités territoriales ni entraver leur libre administration ".
S'agissant des ressources , le Conseil constitutionnel a établi que " le législateur peut déterminer les limites à l'intérieur desquelles une collectivité territoriale peut être habilitée à fixer elle-même le taux d'une imposition établie en vue de pourvoir à ses dépenses " ( décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990 ).
Il a clairement affirmé que " les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration " ( décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991 ).
La haute juridiction a appliqué cette solution à la ponction pouvant être opérée par l'Etat sur les ressources d'une collectivité au profit d'une autre en énonçant les conditions qui s'imposent au législateur : un tel prélèvement ne peut être opéré " qu'à titre exceptionnel et ne doit concerner qu'une partie de l'impôt local ; il doit être défini avec précision quant à son objet et à sa portée ; il ne doit pas avoir pour conséquence d' entraver la libre administration des collectivités concernées " ( décision n° 91-291 DC du 6 mai 1991 ).
Sa jurisprudence a par ailleurs précisé les conditions dans lesquelles le législateur pouvaient amputer une partie des ressources fiscales des collectivités locales.
La décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991 a admis la suppression de l'affectation à la ville de Paris du prélèvement de 1% sur les sommes engagées au pari mutuel, après avoir constaté " qu'eu égard au montant du prélèvement en cause par rapport à l'ensemble des recettes de fonctionnement du budget de la ville de Paris, sa suppression n'est pas contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales ".
La décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998 relative à la loi de finances pour 1999 a écarté en ces termes le grief d'inconstitutionnalité formulé à l'encontre de la suppression de la part " salaires " de la taxe professionnelle, soit le tiers des bases de cette taxe :
" Considérant que si, en vertu de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales " s'administrent librement par des conseils élus ", chacune d'elles le fait " dans les conditions prévues par la loi " ; que l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources, ainsi que la fixation des règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ;
" Considérant que, toutefois, les règles posées par la loi, sur le fondement de ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d' entraver leur libre administration ;
" Considérant qu'en contrepartie de la suppression progressive de la part salariale de la taxe professionnelle, la loi institue une compensation dont le montant, égal, en 1999, à la perte de recettes pour chaque collectivité locale, sera indexé par la suite sur le taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement, avant d'être intégré dans cette dernière à partir de 2004 et réparti selon les critères de péréquation qui la régissent ; que ces règles n'ont pour effet ni de diminuer les ressources globales des collectivités locales ni de restreindre leurs ressources fiscales au point d'entraver leur libre administration ".
De cette décision, il ressort que le Conseil constitutionnel s'attache à vérifier le maintien des ressources globales , permettant aux collectivités locales d'exercer les compétences qui leur sont dévolues par la loi. Il contrôle l'existence, le quantum et la pérennité de la compensation instituée. Il avait déjà considéré, dans une décision antérieure, que la mise en place d'une compensation des pertes de recettes des collectivités locales qui résulteraient d'une mesure législative n'était pas de nature à entraver leur libre administration ( décision n° 94-358 DC du 26 janvier 1995 ).
Mais sa jurisprudence fait également clairement ressortir qu'il existe une limite à la restriction des ressources fiscales par le législateur.
Les collectivités doivent disposer d'une marge de manoeuvre dans la fixation du montant de leurs recettes. Elles doivent pouvoir moduler ces dernières par le vote du taux des impôts qui leur sont affectés.
Le Conseil constitutionnel écarte donc la thèse soutenue par le Gouvernement dans ses observations sur la saisine de la loi de finances pour 1999, thèse selon laquelle " la libre administration repose essentiellement, pour être effective, sur la libre disposition des sommes nécessaires à l'exercice de leurs compétences par les collectivités locales. Aucune règle constitutionnelle n'implique de privilégier une catégorie de ressources par rapport à une autre ".
La décision n° 2000-432 DC du 12 juillet 2000 relative à la loi de finances rectificative pour 2000, qui n'a pas considéré que la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation constituait une entrave à la libre administration, a donné un nouvel éclairage sur la portée du dispositif constitutionnel relatif à la libre administration des collectivités territoriales. Après un considérant qui rappelle les dispositions constitutionnelles applicables dans les mêmes termes que la décision du 29 décembre 1998 précitée, elle établit que :
" Considérant, toutefois, que les règles posées par la loi sur le fondement de ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de diminuer les ressources globales des collectivités territoriales ou de réduire la part de leurs recettes fiscales dans ces ressources au point d'entraver leur libre administration ;
" Considérant qu'en contrepartie de la suppression, à compter de 2001, de la part régionale de la taxe d'habitation, la loi prévoit une compensation , par le budget de l'Etat, de la perte de recettes supportée par les régions ; qu'il est précisé au 2 du I de l'article 11 que " Cette compensation est égale au produit des rôles généraux de taxe d'habitation ou de taxe spéciale d'équipement additionnelle à la taxe d'habitation émis au profit de chaque région et de la collectivité territoriale de Corse en 2000 revalorisé en fonction du taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement " et que, " à compter de 2002, le montant de cette compensation évolue chaque année comme la dotation globale de fonctionnement " ; que les dispositions critiquées, si elles réduisent de nouveau la part des recettes fiscales des régions dans l'ensemble de leurs ressources, n'ont pour effet ni de restreindre la part de ces recettes ni de diminuer les ressources globales des régions au point d'entraver leur libre administration ".
Plus précisément que dans ses décisions antérieures, le Conseil constitutionnel spécifie que le législateur ne peut diminuer la part des recettes fiscales dans les ressources globales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration. La libre administration implique non seulement l'existence d'une fiscalité locale mais aussi que cette fiscalité représente une part suffisante des ressources globales des collectivités territoriales. En deçà d'un certain seuil, la libre administration serait entravée.
Cependant dans le silence du texte constitutionnel, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne définit pas le seuil en deçà duquel toute nouvelle suppression de recettes fiscales serait considérée comme une entrave à la libre administration.
On peut donc légitimement craindre que seule une réduction des recettes fiscales qui conféreraient à ces dernières une part négligeable dans les ressources globales des collectivités locales pourrait être considérée comme violant la norme suprême.
Force est donc de constater que le cadre constitutionnel ne prémunit pas les collectivités locales contre une amputation significative de leurs recettes fiscales par la loi ordinaire . La réforme de la taxe professionnelle les a privées du sixième de leur pouvoir fiscal. La suppression de la part régionale de la taxe d'habitation ampute de 22,5% les recettes de fiscalité directe perçues par les régions.
Seules des garanties supplémentaires inscrites dans le texte constitutionnel apparaissent de nature à mettre un coup d'arrêt à la remise en cause de la fiscalité locale qui porte une atteinte grave à l'esprit même de la décentralisation.
II. LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE : DES GARANTIES POUR L'AUTONOMIE FISCALE ET FINANCIÈRE DES COLLECTIVITÉS LOCALES
La proposition de loi tend à consacrer le principe de libre administration des collectivités territoriales, dont l'autonomie fiscale et financière est un fondement essentiel. Son objectif est clairement de mettre un coup d'arrêt au processus actuel de démantèlement de la fiscalité locale et, ce faisant, de préserver une " certaine idée " de la décentralisation.
A cette fin, les auteurs de la proposition de loi ont jugé nécessaire de renforcer la densité constitutionnelle du principe de libre administration.
En premier lieu, la proposition de loi cherche à assurer la protection de l'autonomie fiscale des collectivités locales, consubstantielle au principe de libre administration.
L'article premier insère dans la Constitution un article 72-1 qui définit la teneur de cette autonomie fiscale en spécifiant que la libre administration est garantie par la perception de ressources fiscales dont les collectivités territoriales votent les taux dans les conditions prévues par la loi.
Le même article fixe la règle selon laquelle les ressources fiscales doivent constituer la part prépondérante des ressources des collectivités territoriales.
En établissant qu'elles peuvent percevoir des impositions de toute nature, il tend à faire ressortir la faculté pour les collectivités territoriales de bénéficier d'impôts modernes dans le cadre d'une fiscalité locale, dont la nécessaire réforme devra être entreprise.
Enfin, l'article premier dresse une barrière face au processus de remplacement de la fiscalité locale par de simples transferts en provenance de l'Etat. A cet effet, il établit que la suppression d'une ressource fiscale perçue par les collectivités territoriales devra donner lieu à l'attribution de ressources fiscales équivalentes.
En deuxième lieu, la proposition de loi donne une valeur constitutionnelle au principe de la compensation concomitante et intégrale des charges.
Ce principe, issu des lois de décentralisation, est actuellement codifié à l'article L. 1614-1 du code général des collectivités territoriales.
Or les auteurs de la proposition de loi constatent que l'inscription de ce principe dans la loi ordinaire n'a pas permis de prémunir les collectivités locales contre les diverses entorses et remises en cause des règles du jeu.
Les collectivités locales ont dû subir des transferts de compétences fortement évolutives mais partiellement compensées, des dévolutions de compétences légalement non compensées et des transferts insidieux de charges.
L'article 2 de la proposition de loi insère dans la Constitution un article 72-2 qui fixe le principe du transfert concomitant par l'Etat des ressources nécessaires à l'exercice normal des compétences pour compenser de manière intégrale les charges transférées.
Le même article prévoit que la loi devra fixer l'évolution annuelle du montant de ces ressources par référence au taux d'évolution du produit intérieur brut.
L'article 3 de la proposition de loi entend tirer toutes les conséquences des dispositions de l'article 24 de la Constitution qui confère au Sénat une responsabilité spécifique de garant de la libre administration des collectivités locales.
A cette fin, il conforterait le rôle du Sénat allant jusqu'à prévoir l'adoption des projets ou propositions de loi relatifs à l'administration des collectivités territoriales dans les mêmes termes par les deux assemblées.
Enfin, l'article 4 complète l'article 34 de la Constitution afin de prendre en compte le nouveau dispositif inséré aux articles 72-1 et 72-2 de la Constitution, en ce qui concerne la mise en oeuvre de la compétence législative.
III. LES TRAVAUX DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : L'ADOPTION DE LA PROPOSITION DE LOI
Votre commission des Lois a approuvé la proposition de loi constitutionnelle dont le dispositif est de nature à mettre un terme au processus de recentralisation des ressources locales et de remise en cause de la fiscalité locale.
Donner un " socle " constitutionnel mieux affirmé au principe de libre administration des collectivités territoriales apparaît nécessaire pour préserver l'esprit de la décentralisation et permettre aux collectivités de jouer pleinement leur rôle dans la République au service de l'intérêt général.
A cette fin, l'initiative locale doit être préservée, à travers l'existence d'une fiscalité locale représentant la part majoritaire des ressources globales. L'autonomie locale ne peut se limiter à la liberté de la dépense. Elle est également subordonnée à la faculté pour les collectivités territoriales de moduler l'évolution de leurs ressources par le vote des impôts locaux, dans les conditions prévues par la loi. Un telle faculté est source de responsabilisation pour les élus locaux. Elle maintient un lien étroit entre ces derniers et les citoyens également contribuables.
Cette affirmation constitutionnelle de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales s'inscrit dans le débat plus général concernant l'avenir des finances locales et la réforme nécessaire de la fiscalité locale , les impôts locaux paraissant obsolètes et justifiant une refonte annoncée en 1982 mais jamais mise en oeuvre.
Les collectivités territoriales doivent par ailleurs être prémunies par des dispositions constitutionnelles contre les charges multiples qui leur sont imposées sans que les compensations financières de ces charges ne soient effectives, voire même pour certaines d'entre elles, en dehors de toute compensation.
Le texte que votre commission des Lois soumet au Sénat apporte plusieurs précisions aux dispositions des articles 1 er et 2 qui fixent respectivement les principes d'une fiscalité locale représentant la part prépondérante des ressources locales et d'une compensation intégrale et concomitante des transferts de compétences.
A l'article 1er (Définition de l'autonomie fiscale), votre commission des Lois a pris en compte comme référence les ressources hors emprunt de chacune des catégories de collectivités, ressources qui devraient être composées pour moitié au moins de recettes fiscales propres et des autres ressources propres que constituent notamment les revenus des domaines et les redevances, la péréquation étant, en tout état de cause, préservée.
A l'article 2 (Compensation intégrale et concomitante des charges transférées), le texte qui vous est proposé vise, outre les transferts de compétences, les charges imposées aux collectivités territoriales par des décisions de l'Etat. Il précise par ailleurs que les ressources de compensation doivent être permanentes, stables et évolutives.
Les dispositifs législatifs récents très contraignants pour l'exercice des compétences locales posent, par ailleurs, le problème de la nature des textes devant régir l'organisation et les compétences locales.
L'affirmation de la place des collectivités territoriales dans la République implique que les textes concernant leur organisation et leurs compétences soient adoptés selon une procédure plus solennelle que la loi ordinaire, laquelle ne s'est pas toujours révélée protectrice de la libre administration des collectivités.
La proposition de loi constitutionnelle répond à cet objectif et consacre le rôle spécifique du Sénat en tant que représentant des collectivités territoriales en précisant son rôle pour l'adoption des textes relatifs à l'administration des collectivités territoriales.
Votre commission des Lois a considéré que le statut des textes intéressant les collectivités territoriales pourrait s'inspirer de celui des lois organiques plutôt que de prévoir l'adoption en termes identiques de ces textes par l'Assemblée nationale et le Sénat.
C'est pourquoi, elle a adopté une nouvelle rédaction de l'article 3 (Vote des projets ou propositions de loi relatifs à l'administration des collectivités territoriales), précisant qu'une loi organique fixe l'organisation et les compétences des collectivités territoriales et que les projets de loi ayant un tel objet seront soumis en premier lieu au Sénat.
Enfin, le texte que votre commission des Lois vous soumet ne reprend pas l'article 4 (Coordinations) qui, à l'examen, ne lui est pas apparu nécessaire.
EXAMEN DES ARTICLES
Article
premier
(article 72-1 de la Constitution)
Définition
de l'autonomie fiscale
Cet article tend à insérer un article 72-1 dans la Constitution, afin de consacrer le principe de l'autonomie fiscale des collectivités locales.
Les mesures législatives adoptées au cours des dernières années malgré l'opposition du Sénat ont traduit un véritable mouvement de démantèlement de la fiscalité locale et de recentralisation des ressources locales.
La part des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les collectivités locales votent les taux dans leurs recettes totales hors emprunt s'élevait à 54 % en 1995.
Après ces réformes, la part de la fiscalité locale dans les ressources globales hors emprunt a été réduite à moins de 37 % pour les régions, 43 % pour les départements et à 48 % pour les communes.
L'article 53 de la loi de finances pour 1993 a supprimé les parts régionales et départementales de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
L'article 29 de la loi de finances pour 1999 a supprimé la taxe additionnelle régionale aux droits de mutation à titre onéreux , soit plus de 10% des recettes fiscales totales des régions.
Le même article a réduit le taux des droits de mutation à titre onéreux des départements sur les locaux à usage professionnel et, de fait, leur capacité à voter les taux de cet impôt.
L'article 44 de cette même loi de finances a supprimé la fraction de l'assiette de la taxe professionnelle assise sur les salaires, soit environ un tiers de l'assiette de cet impôt dont le produit représente environ la moitié du produit des quatre taxes directes locales. Au terme de cette réforme, les collectivités locales auront été amputées du sixième de leur pouvoir fiscal.
L'article 9 de la loi de finances pour 2000 a poursuivi la réforme des droits de mutation , engagée en 1999, en unifiant les taux départementaux des droits de mutation à titre onéreux sur les locaux d'habitation.
La loi de finances rectificative pour 2000 a supprimé la part régionale de la taxe d'habitation , soit près de 15% des recettes fiscales totales des régions et 22% du produit des quatre taxes.
Enfin, le projet de loi de finances pour 2001 prévoit de supprimer la vignette automobile, soit 5% des recettes totales des départements et près de 10% de leurs recettes fiscales.
Le poids des compensations versées aux collectivités par l'Etat a été multiplié par 13 depuis 1983 et par 3,3 depuis 1987. Compte tenu de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, les compensations s'élèvent à 66,4 milliards de francs en 2000 , soit près de 20% du montant total du produit de la fiscalité directe locale qui atteint 345,4 milliards de francs.
Ces dispositions législatives réduisant peu à peu l'autonomie fiscale des collectivités locales mettent en évidence les limites actuelles du dispositif constitutionnel relatif à la libre administration des collectivités territoriales.
L'article 72 de la Constitution se borne, en effet, à énoncer une règle de fond d'ordre institutionnel - l'administration par des conseils élus - et une règle de procédure - la compétence de la loi ordinaire pour définir les conditions de mise en oeuvre de la libre administration.
Cette compétence de la loi ordinaire est précisée à l'article 34 de la Constitution qui réserve au domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources. Il revient, en outre, à la loi de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures.
A l'expérience, ce dispositif est apparu beaucoup trop elliptique pour assurer une protection efficace contre une remise en cause des l'autonomie fiscale des collectivités locales par la loi ordinaire.
Ces limites ressortent des décisions rendues par le Conseil constitutionnel sur les textes ayant procédé à une amputation des marges de manoeuvre fiscales des collectivités locales.
Dans le silence du texte constitutionnel, la haute juridiction a, en effet, admis la conformité à la Constitution des dispositions qui lui étaient soumises. Même si, contrairement à ce qu'avait soutenu le Gouvernement, elle a écarté la thèse selon laquelle la libre administration repose essentiellement, pour être effective, sur la libre disposition des sommes nécessaires à l'exercice de leurs compétences par les collectivités locales.
Le Conseil constitutionnel, à plusieurs reprises, a clairement affirmé que " les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration " ( décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991, décision n° 91-291 DC du 6 mai 1991, décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998 , décision n° 2000-432 DC du 12 juillet 2000 ).
Face à une amputation des ressources fiscales des collectivités locales, le Conseil constitutionnel s'attache à vérifier le maintien des ressources globales , permettant aux collectivités locales d'exercer les compétences qui leur sont dévolues par la loi.
Sa jurisprudence fait également clairement ressortir qu'il existe une limite à la restriction des ressources fiscales par le législateur. En deçà d'un certain seuil, la libre administration serait entravée.
Cependant, dans le silence du texte constitutionnel, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne définit pas le seuil en deçà duquel toute nouvelle suppression de recettes fiscales serait considérée comme une entrave à la libre administration.
On peut donc craindre que seule une mesure conférant aux recettes fiscales une part négligeable dans les ressources globales des collectivités locales pourrait être considérée comme violant la norme suprême.
Préciser le contenu du principe de libre administration dans le texte constitutionnel apparaît donc indispensable pour mettre un coup d'arrêt à la remise en cause de la fiscalité locale qui porte une atteinte grave à l'esprit même de la décentralisation.
A cette fin, le présent article affirme dans son premier alinéa que " la libre administration des collectivités territoriales est garantie par la perception de ressources fiscales dont elles votent les taux dans les conditions prévues par la loi ".
Cette disposition fixe la règle essentielle selon laquelle il ne saurait y avoir de décentralisation véritable sans que les collectivités territoriales puissent disposer de recettes fiscales localisées pour lesquelles elles votent des taux permettant d'en moduler le produit.
Cette règle garantit la liberté d'initiative et le sens des responsabilités des gestionnaires locaux sous le contrôle du suffrage universel. Elle établit la force du lien entre les élus et le citoyen - contribuable . Elle est au coeur de la démocratie locale.
Le même alinéa prend néanmoins soin de préciser que le pouvoir fiscal des collectivités territoriales s'exerce " dans les conditions prévues par la loi " . Ce pouvoir est donc encadré et conditionné par les décisions prises par le législateur.
Sous réserve de substituer le terme " recettes " à celui de " ressources ", cet alinéa est repris intégralement dans le texte que votre commission des Lois vous soumet.
Le deuxième alinéa de l'article 72-1 énonce que " les ressources fiscales représentent la part prépondérante des ressources des collectivités locales ".
Cette disposition est également d'une très grande portée. Elle est, en effet, de nature, à mettre un coup d'arrêt au processus de substitution de la fiscalité locale par des concours de l'Etat.
Elle souligne qu'une décentralisation effective ne saurait reposer sur un système de financement assuré principalement voire exclusivement par des dotations de l'Etat.
Tout au contraire, une démocratie locale vivante implique que la fiscalité représente une part majoritaire dans les ressources globales des collectivités locales.
Assumer le vote des taux des impôts locaux nécessaires à la mise en oeuvre des politiques locales constitue pour les élus locaux un facteur de responsabilisation vis à vis des citoyens qui sont aussi contribuables.
Votre commission des Lois vous soumet une nouvelle rédaction de cet alinéa qui prend comme référence les ressources globales hors emprunt. Ce qui importe, en effet, c'est de comparer la part relative des concours de l'Etat et de la fiscalité locale dans les ressources globales des collectivités territoriales.
En outre, elle précise que cette règle s'appliquera catégorie par catégorie de collectivités territoriales. Il s'agit, en effet, de s'assurer que globalement pour les communes, les départements et les régions, la part des recettes fiscales représentent plus de la moitié des ressources.
Cette précision permet aussi d'affirmer clairement le rôle essentiel de la péréquation laquelle doit compenser les insuffisances de potentiel fiscal de certaines collectivités.
Les recettes fiscales en cause doivent être des recettes fiscales propres , c'est à dire des recettes dont les collectivités territoriales peuvent moduler le produit par le vote des taux. N'est donc pas visée l'hypothèse où le produit d'impôts nationaux serait pour partie reversé aux collectivités territoriales. Quel que soit l'intérêt que peut revêtir une telle formule, elle ne peut être considéré comme une expression d'autonomie fiscale locale.
Outre les ressources fiscales propres, il convient, enfin, de prendre en compte les autres ressources propres des collectivités territoriales, que constituent en particulier les revenus des domaines ou les redevances.
Le troisième alinéa de l'article 72-1 précise que " les collectivités territoriales peuvent percevoir le produit des impositions de toutes natures ".
Cet alinéa -que votre commission des Lois vous soumet sans modification- indique clairement que la fiscalité locale ne doit pas être figée sur les bases actuelles dont les défauts sont à juste titre soulignés. Elle doit au contraire être modernisée pour s'adapter aux évolutions économiques et sociales.
A cette fin, aucune hypothèse ne doit être exclue pour doter les collectivités territoriales de recettes fiscales dynamiques qu'elles pourront moduler en fonction des exigences des politiques locales et de la nécessaire modération de la pression fiscale.
Enfin, le dernier alinéa de l'article 72-1 spécifie que " toute suppression d'une ressource fiscale perçue par les collectivités territoriales donne lieu à l'attribution de ressources fiscales équivalentes. "
Cette disposition apparaît comme un " verrou " indispensable pour garantir l'autonomie fiscale des collectivités territoriales et veiller à ce que les recettes fiscales propres aient une part majoritaire dans les ressources locales.
Elle s'oppose directement au mouvement récent de recentralisation de ces ressources qui s'est traduit par la substitution à la fiscalité locale de compensations versées par le budget de l'Etat.
Votre commission des Lois vous propose de préciser la notion de " recettes fiscales équivalentes " en indiquant qu'il s'agit de recettes fiscales " d'un produit équivalent ".
Dès lors qu'un impôt local ne répond plus aux objectifs qui lui ont été assignés, il doit pouvoir être supprimé. Ce qui importe du point de vue de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales, c'est qu'il soit remplacé par un impôt local ayant un produit équivalent. En revanche, cet impôt de substitution peut avoir des bases différentes de celui qui a été supprimé.
Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 1 er dans la rédaction qu'elle vous soumet.
Article 2
(article 72-2
de la Constitution)
Compensation intégrale et concomitante
des charges transférées
Cet article insère un article 72-2 dans la Constitution, afin de donner valeur constitutionnelle au principe de compensation intégrale et concomitante des charges résultant pour les collectivités locales des transferts de compétences.
La compensation financière des compétences transférées aux collectivités locales a constitué l'un des principes forts des lois de décentralisation. Elle apparaissait comme l'un des socles du contrat de confiance avec l'Etat.
Les règles applicables en matière de compensation financière des transferts de compétences sont fixées par le code général des collectivités territoriales qui précise que :
- " tout accroissement net des charges résultant des transferts de compétences (...) est accompagné du transfert concomitant par l'Etat aux communes, aux départements et aux régions des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences " (article L. 1614-1) ;
- " ces ressources sont équivalentes aux dépenses effectuées, à la date du transfert , par l'Etat au titre des compétences transférées et évoluent chaque année, dès la première année, comme la dotation globale de fonctionnement. Elles assurent la compensation intégrale des charges transférées " (article L. 1614-1) ;
- " toute charge nouvelle incombant aux collectivités du fait de la modification par l'Etat, par voie réglementaire, des règles relatives à l'exercice des compétences transférées est compensée " (article L. 1614-2) ;
- " le montant des dépenses résultant des accroissements et diminutions de charges est constaté pour chaque collectivité par arrêté conjoint du ministre chargé de l'Intérieur et du ministre chargé du budget, après avis d'une commission présidée par un magistrat de la Cour des comptes et comprenant des représentants de chaque catégorie de collectivités concernées " (article L. 1614-3).
Cette commission dénommée " commission consultative sur l'évaluation des charges ", outre le magistrat de la Cour qui la préside, est composée de huit représentants des communes, quatre représentants des conseils généraux et quatre représentants des conseils régionaux.
Le code général des collectivités territoriales définit également les modalités de la compensation :
- " les charges (...) sont compensées par le transfert d'impôts d'Etat (...) et, pour le solde , par l'attribution d'une dotation générale de décentralisation " (article L. 1614-4) ;
- " les transferts d'impôts d'Etat représentent la moitié au moins des ressources attribuées par l'Etat à l'ensemble des collectivités locales " (article L. 1614-5) ;
- " les pertes de produit fiscal résultant, le cas échéant, pour les départements ou les régions, de la modification, postérieurement à la date des transferts des impôts et du fait de l'Etat , de l'assiette ou des taux de ces impôts sont compensées intégralement , collectivité par collectivité (...) par des attributions de dotation de décentralisation " (article L. 1614-5).
Les impôts d'Etat transférés aux collectivités locales par l'article 99 de la loi du 7 janvier 1983 ont été :
- pour les départements : d'une part, la taxe sur les véhicules à moteur (vignette) et, d'autre part, les droits d'enregistrement et la taxe de publicité foncière exigibles sur les mutations à titre onéreux (droits de mutation) ;
- pour les régions : la taxe sur les certificats d'immatriculation des véhicules à moteur (cartes grises).
La loi de 1983 a en revanche exclu le financement par la fiscalité des compétences transférées aux communes.
Le rapport de la mission sénatoriale d'information sur la décentralisation a mis en évidence que les recettes transférées ont augmenté beaucoup moins vite que les charges transférées .
Le premier alinéa de l' article L. 1614-5 du code général des collectivités territoriales prévoit en outre que " au terme de la période visée à l'article 4 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 précitée [3 ans], les transferts d'impôts d'Etat représentent la moitié au moins des ressources attribuées par l'Etat à l'ensemble des collectivités locales ".
Or l'analyse de la structure des recettes transférées menée par la mission sénatoriale d'information sur la décentralisation démontre que la règle de 50% n'est plus respectée.
Passée la première vague des transferts de compétences, le financement budgétaire des transferts, conçu au départ comme un solde, est progressivement devenu la norme .
Les nouveaux transferts n'ont pas donné lieu à des transferts de fiscalité mais à des majorations de dotation générale de décentralisation (DGD). L'assiette et le taux des impôts transférés se sont progressivement réduits. La politique de réduction et d'unification des taux des droits de mutation, outre qu'elle a supprimé au passage le pouvoir des départements de voter les taux de ces impôts, a entraîné une diminution importante de la part de la fiscalité dans les ressources transférées.
En outre, les collectivités locales subissent un alourdissement des charges non compensées.
Les transferts de charges ne concernent pas seulement les domaines mentionnés par les lois de décentralisation. Les collectivités locales doivent de plus en plus supporter des charges résultant de décisions sur lesquelles elles n'ont aucune prise.
Les ressources des collectivités locales évoluent moins vite que ces charges nouvelles . Ainsi pour les trois années d'application de l'accord salarial du 10 février 1998, la DGF a augmenté nettement moins vite que le surcoût provoqué par cet accord.
Le surcoût induit par le financement des charges non compensées peut aboutir à une augmentation de la pression fiscale sur les contribuables locaux.
Comme l'a relevé à juste titre le rapport de la mission sénatoriale d'information, l'Etat incite fortement les collectivités locales à financer des dépenses qui relèvent de ses compétences , notamment en matière d'enseignement supérieur et de voirie. Les contrats de plan Etat-région ont constitué un cadre privilégié pour faire financer par les collectivités locales des politiques nationales.
Sur l'initiative du Sénat, la loi d'orientation du 4 février 1995 relative à l'aménagement et au développement du territoire a " réactivé " la commission consultative d'évaluation des charges, créée en 1983.
Cette commission a été chargée de réaliser un bilan annuel du coût réel des compétences transférées et des transferts de charges non prévues par les lois de décentralisation. En outre, ce bilan devait comporter en annexe un état de la participation des collectivités locales à des opérations relevant de la compétence de l'Etat et des concours de l'Etat à des programmes intéressant les collectivités locales. Or ces dispositions n'ont reçu qu'une application partielle.
Le premier rapport de la commission consultative n'est paru qu'en 1997 et n'a reçu de suite qu'en 1999. Aucun de ces deux rapports n'a comporté d'annexe relative à la participation des collectivités locales à des opérations relevant des compétences de l'Etat.
L'article 2 de la proposition de loi a pour objet de mettre un terme aux dérives constatées en donnant une valeur constitutionnelle à des règles qui n'ont jusqu'à présent qu'une valeur législative.
Le premier alinéa de l'article 72-2 dans la rédaction résultant du présent article précise ainsi que " tout accroissement net de charges résultant des transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales est accompagné du transfert concomitant, par l'Etat, des ressources nécessaires à l'exercice normal des compétences . "
Quant au second alinéa , il établit que " ces ressources assurent la compensation intégrale des charges transférées. L'évolution annuelle du montant de ces ressources est prévue par la loi, par références au taux d'évolution du produit intérieur brut. "
Votre commission des Lois vous suggère, au premier alinéa , de prendre en compte, outre les charges résultant des transfert de compétences, toute charge imposée aux collectivités territoriales par des décisions prises par l'Etat. Cette précision permettra de couvrir les charges nouvelles qui sont imposées aux collectivités territoriales en dehors des transferts prévus par les lois de décentralisation par des décisions auxquelles elles ne sont pas associées.
En outre, il paraît nécessaire de spécifier que le transfert concomitant et intégral devra porter sur des ressources permanentes, stables et évolutives. Il s'agit par ces précisions de prévenir la pratique trop fréquente consistant à organiser l'érosion progressive des compensations versées aux collectivités territoriales en contrepartie des compétences qui leur sont confiées. Cette exigence vaudra pour toutes les charges imposées quelle qu'en soit la nature.
Dans ces conditions, il ne paraît pas nécessaire de maintenir la seconde phrase du second alinéa qui prévoit une évolution annuelle du montant des ressources compensatrices par référence au produit intérieur brut.
Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 2 dans la rédaction qu'elle vous soumet.
Article 3
(article 72-3
de la Constitution)
Vote des projets ou propositions de loi
relatifs
à l'administration des collectivités
territoriales
Cet article insère un article 72-3 dans la Constitution en proposant, dans sa rédaction initiale, de rendre obligatoire le vote en des termes identiques des projets ou propositions de loi relatifs à l'administration des collectivités territoriales.
La définition des compétences des collectivités locales dans un cadre défini par la loi était apparu, au moment de l'adoption des lois de décentralisation comme un progrès, les collectivités territoriales ayant subi par le passé de multiples transferts de charges imposés par l'Etat tutélaire.
Ce rôle dévolu à la loi était d'ailleurs conforme aux principes dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Force est de constater que cette " garantie de procédure " n'a pas suffi à mettre un terme aux transferts de charges imposés en dehors du cadre fixé par les lois de décentralisation.
Le bilan établi par la mission sénatoriale d'information sur la décentralisation met par ailleurs en évidence que plusieurs dispositifs législatifs récents, de par la volonté du Gouvernement et de la majorité de l'Assemblée nationale, ont imposé aux collectivités des contraintes excessives tant en ce qui concerne le contenu des compétences que les modalités de leur exercice.
Cette situation résulte évidemment en premier lieu du caractère elliptique de l'énoncé du principe de libre administration auquel procède l'article 72 de la Constitution.
Les articles 1 er et 2 de la proposition de loi constitutionnelle permettent de combler cette lacune en ce qui concerne l'autonomie fiscale et financière.
Mais le fait que la loi ordinaire, loin d'être protectrice des compétences locales, puisse aboutir au contraire à encadrer de manière de plus en plus stricte les conditions d'action des collectivités locales doit conduire à s'interroger sur les modalités d'adoption des projets et propositions à l'origine de telles dispositions.
En prévoyant que les projets et propositions de loi relatifs à l'administration des collectivités territoriales devront être adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées, le présent article consacrait pleinement le rôle du Sénat comme représentant des collectivités territoriales , mission qui lui est expressément dévolue par l'article 24 de la Constitution.
La décision du Conseil constitutionnel n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000 relative à l'élection des Sénateurs a tout récemment réaffirmé ce rôle spécifique reconnu au Sénat par la Constitution et en a tiré toutes les conséquences sur son mode d'élection en considérant que le Sénat devait être élu " par un corps électoral qui est lui-même l'émanation de ces collectivités. "
La disposition prévue par le présent article était de nature à permettre au Sénat de jouer tout son rôle pour prévenir l'adoption de dispositions de nature à remettre en cause les principes essentiels de la décentralisation.
Votre commission des Lois a néanmoins estimé préférable de privilégier l'application de la procédure applicable aux lois organiques. A cette fin, le texte qu'elle vous soumet précise qu'une loi organique fixe l'organisation et les compétences des collectivités territoriales. En revanche, il ne vise pas les ressources des collectivités territoriales, afin de ne pas remettre en cause les conditions d'adoption des lois de finances telles qu'elles résultent de l'article 47 de la Constitution.
On rappellera qu'en vertu de l'article 46 de la Constitution, les projets ou propositions de loi organique ne sont soumis à la délibération et au vote de la première assemblée saisie qu'à l'expiration d'un délai de quinze jours après leur dépôt.
La procédure de l'article 45 de la Constitution qui décrit le déroulement de la procédure d'examen des projets ou propositions de loi ordinaires est applicable. Toutefois, faute d'accord entre les deux assemblées, le texte ne peut être adopté par l'Assemblée nationale en dernière lecture qu'à la majorité absolue de ses membres. Les lois organiques ne peuvent être promulguées qu'après déclaration par le Conseil constitutionnel de leur conformité à la Constitution.
Votre commission des Lois vous suggère en outre de préciser que les projets de loi ayant cet objet devront être soumis en premier lieu au Sénat. Cette précision consacrerait une pratique fréquente mais non systématique, qui est en accord avec le rôle constitutionnel du Sénat.
Elle vous propose d 'adopter l'article 3 dans la rédaction qu'elle vous soumet.
Article 4
(article 34
de la constitution)
Coordinations
Cet article complète les dispositions de l'article 34 de la Constitution qui réserve au domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources, afin de préciser que cette compétence législative devra s'exercer dans le respect des nouvelles règles issues des articles 1 er et 2 de la proposition de loi.
A l'examen, cette disposition n'apparaît pas nécessaire. Sans qu'il soit besoin de le préciser expressément à l'article 34 de la Constitution, la compétence dévolue au législateur par cet article devra nécessairement s'exercer en respectant les règles énoncées aux articles 72-1 à 72-2.
C'est pourquoi, votre commission des Lois vous propose de ne pas retenir cet article dans les conclusions qu'elle vous soumet.
TEXTE PROPOSÉ PAR LA COMMISSION DES LOIS
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
RELATIVE A LA
LIBRE ADMINISTRATION
DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
ET À
SES IMPLICATIONS FISCALES ET FINANCIÈRES
Article 1 er
Il est inséré, au titre XII de la Constitution, un article 72-1 ainsi rédigé :
" Art. 72-1.- La libre administration des collectivités territoriales est garantie par la perception de recettes fiscales dont elles votent les taux dans les conditions prévues par la loi.
" Les ressources hors emprunt de chacune des catégories de collectivités territoriales sont constituées pour la moitié au moins de recettes fiscales et autres ressources propres.
" Les collectivités territoriales peuvent recevoir le produit des impositions de toute nature.
" Toute suppression d'une recette fiscale perçue par les collectivités territoriales donne lieu à l'attribution de recettes fiscales d'un produit équivalent. "
Article 2
Il est inséré, au titre XII de la Constitution, un article 72-2 ainsi rédigé :
" Art. 72-2 .- Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales et toute charge imposée aux collectivités territoriales par des décisions de l'Etat sont accompagnés du transfert concomitant des ressources permanentes, stables et évolutives nécessaires.
" Ces ressources assurent la compensation intégrale des charges imposées. "
Article 3
Il est inséré, au titre XII de la Constitution, un article 72-3 ainsi rédigé :
" Art.- 72-3.- Une loi organique fixe l'organisation et les compétences des collectivités territoriales. Les projets de loi ayant cet objet sont soumis en premier lieu au Sénat. "
TABLEAU COMPARATIF