CHAPITRE IV :

L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE : DES MESURES INSUFFISANTES MALGRÉ LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE DU SÉNAT SUR LES CONDITIONS DE DÉTENTION DANS LES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES

I. LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE DU SÉNAT

Le 10 février dernier, le Sénat a constitué une commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France.

A cet égard, votre rapporteur tient à rappeler qu'il avait déjà demandé lors de l'examen des crédits du ministère de la justice en 1998 et en 1999 la création d'une telle commission.

Parmi les trente mesures d'urgence énumérées par la commission, deux ont retenu particulièrement l'attention de votre rapporteur parce qu'elles révèlent le décalage entre l'urgence d'une situation maintes fois dénoncée et l'absence de mesures radicales pour y remédier. Elle concernent la réhabilitation du parc pénitentiaire et l'augmentation du nombre des personnels pénitentiaires.

Extrait des propositions de la commission d'enquête

A. RÉHABILITER LE PARC PÉNITENTIAIRE

L'administration pénitentiaire est confrontée à la nécessité de réhabiliter une grande partie de son parc immobilier. A l'évidence, cette réhabilitation n'aura d'effets positifs qu'à moyen terme.

Ce constat ne doit pas pour autant conduire à renoncer à des actions de court terme : il est nécessaire d'élaborer une stratégie immobilière qui serait déclinée par une loi de programme.

1. A court terme

a) Elaborer une stratégie immobilière

Le coût de la réhabilitation est considérable : selon une étude récemment réalisée sur la base d'un échantillon de quinze établissements représentatifs, il s'élèverait à 3,3 milliards de francs sans prendre en compte les cinq plus grandes maisons d'arrêt (dont la rénovation est évaluée à 3,5 milliards de francs) et les établissements dont la fermeture est programmée.

Ce montant ne comprend que les améliorations et remises en état et n'intègre pas le coût de l'encellulement individuel, estimé à 6,2 milliards de francs.

Au total, le montant des autorisations de programme du titre V nécessaires à la rénovation des établissements pénitentiaires s'élèverait au moins à 13 milliards de francs.

Il apparaît impératif de disposer d'un bilan exhaustif de la situation des établissements pénitentiaires afin de pouvoir établir les priorités et élaborer une stratégie immobilière.

b) Adopter une loi de programme

Afin de dégager les crédits nécessaires et de les utiliser de la manière la plus rationnelle possible, la commission d'enquête propose de lancer, à travers une nouvelle loi de programme, un plan de réhabilitation sur cinq ans qui fixerait les objectifs à atteindre et les moyens financiers à y consacrer.

2. A moyen terme

La commission d'enquête préconise les orientations suivantes.

a) Détruire, réhabiliter et construire

Il convient de conjuguer la réhabilitation du parc ancien et la construction de nouvelles prisons. Bien entendu, les plus vétustes et les moins adaptées des vieilles prisons devront être fermées. La commission rappelle que les choix d'implantation doivent tenir compte de la nécessité d'un accès commode pour le personnel, les familles et les intervenants.

La commission d'enquête estime nécessaire que la rénovation du parc ancien -comme c'est déjà le cas pour les nouvelles constructions- soit réalisée en s'inspirant du modèle hollandais, qui privilégie l'encellulement individuel et l'intégration de la douche dans la cellule.

En outre, les bâtiments doivent être équipés de parloirs suffisamment vastes, de lieux de formation, d'ateliers, de locaux socio-éducatifs et de terrains de sport adaptés.

b) Privilégier les établissements à taille humaine

Les bâtiments prévus dans le programme 4 000 sont susceptibles d'accueillir 600 détenus. Ce chiffre apparaît encore trop élevé, la commission d'enquête estimant que la taille idéale d'un établissement pénitentiaire devrait plutôt se rapprocher de 300 places.

c) Prévoir un effort important de maintenance

A l'heure actuelle, 300 millions de francs annuels au minimum seraient nécessaires pour assurer un entretien efficace du parc immobilier de l'administration pénitentiaire.

Il convient donc d'évaluer de manière précise le montant exact des coûts relatifs à la maintenance des établissements pénitentiaires et de réévaluer en conséquence la dotation budgétaire correspondante.

Au-delà d'une clarification budgétaire souhaitable, la commission propose la création d'une " agence pénitentiaire ", structure publique qui gérerait de manière autonome le patrimoine pénitentiaire et serait en charge à la fois des dépenses d'investissement et d'entretien. Aucune modalité de gestion ne serait a priori écartée et cette structure pourrait déléguer la maintenance de certains établissements à des sociétés privées dans le cadre d'un cahier des charges précis.

La modernisation des techniques de gestion, notamment par le recours à l'informatique, serait de nature à améliorer la maintenance.

L'augmentation des moyens financiers destinés à l'entretien des bâtiments ne sera efficace que si l'organisation humaine de la maintenance est revue sérieusement.

Il apparaît donc urgent d'engager une réflexion sur le rôle des personnels techniques en fonction des options de gestion retenues. En effet, si la maintenance continue d'être assumée en régie directe, un effort important de recrutement devra être accompli. Si l'entretien est externalisé, il faudra plutôt former les personnels techniques au contrôle des actions menées par des entreprises privées.

B. ASSOCIER ÉTROITEMENT LE PERSONNEL À CES RÉFORMES

1. Disposer de personnels en quantité et en qualité suffisantes

Les réformes proposées par la commission d'enquête ne pourront entrer en vigueur que si les personnels y sont étroitement associés. Pour cela, l'administration pénitentiaire doit disposer de personnels en quantité et en qualité suffisantes.

La commission d'enquête a constaté que l'administration pénitentiaire souffrait d'un sous-effectif chronique en personnels administratifs et techniques, mais également de postes de surveillants non pourvus.

2. Pourvoir les postes prévus

Il faut que les besoins de l'administration pénitentiaire en ressources humaines soient clairement identifiés et que la taille des effectifs soit adaptée en conséquence. Il faut que tous les postes prévus soient réellement pourvus.

[...]

En ce qui concerne les effectifs de l'administration pénitentiaire, la commission d'enquête, s'appuyant sur un rapport de décembre de la Cour des comptes, a dressé les constats suivants.

D'abord, les effectifs apparaissent insuffisants, notamment au regard de la montée en charge de la population pénale dans les années 70 et 80. Aujourd'hui, on compte 2,6 détenus par surveillant, étant rappelé que sur le terrain, un seul surveillant a souvent en charge une coursive accueillant une centaine de détenus. Par rapport aux autres pays de l'Union européenne, la France se caractérise par un faible taux d'encadrement de ses détenus.

En outre, l'abaissement de l'âge de la retraite pour le personnel de surveillance a accélérer les départs à la retraite sans que cette mesure s'accompagne d'un plan de recrutement destiné à combler les vacances de postes.

Le développement de fortes tensions au sein des établissements pénitentiaires a conduit la ministre de la justice à demander l'autorisation de recruter de nouveaux surveillants en surnombre. Au titre de l'exercice 1998, 400 recrutements en surnombre lui ont été accordés, et une même mesure portant sur 507 surveillants a été acceptée en 1999 afin d'amortir les effets de la bonification du cinquième.

Toutefois, ces surnombres n'ont pas permis de pallier toutes les vacances de postes en raison du décalage de huit mois lié à la formation des élèves surveillants.

Par ailleurs, l'administration pénitentiaire souffre d'un manque de personnels administratifs et techniques. Les besoins sont évalués à 272 personnels administratifs et 310 personnels techniques. Aujourd'hui, 675 agents seulement sont responsables de l'entretien de 186 établissements pénitentiaires. Ceci explique sans doute en partie l'état déplorable du parc pénitentiaire et l'absence quasi totale de maintenance.

Enfin, la composition du personnel pénitentiaire traduit une préoccupation essentiellement sécuritaire au détriment de la réinsertion des détenus.

Ainsi, les personnels de surveillance ont vu leur nombre régulièrement accru de 84 emplois en moyenne chaque année de 1988 à 1998 et la filière de surveillance a représenté plus de 80 % des créations d'emplois budgétaires dans la même période. Au 1 er janvier 2000, on compte en moyenne pour 100 détenus 40 surveillants mais un seul travailleur social.

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