N° 210

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 31 janvier 2001

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, relatif à l' interruption volontaire de grossesse et à la contraception ,

Par M. Francis GIRAUD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Jean-Yves Autexier, Paul Blanc, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Alain Hethener, Claude Huriet, André Jourdain, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Max Marest, Georges Mouly, Roland Muzeau, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème légis.) : 2605 , 2726 et T.A. 582

Sénat : 120 (2000-2001)

Vie, médecine et biologie.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Un quart de siècle après le vote de la loi du 17 janvier 1975, le Parlement se trouve conduit à réexaminer le cadre juridique régissant l'interruption volontaire de grossesse.

Il est heureux que le débat se déroule aujourd'hui dans un climat moins passionné que celui de l'époque. Chacun s'accorde à reconnaître que la loi Veil était nécessaire et qu'elle a atteint son objectif : elle a permis de mettre fin à cette honte collective que constituaient les décès de ces femmes victimes d'avortements clandestins. Elle s'est traduite, de ce point de vue, par un incontestable progrès.

Le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis propose d'allonger de deux semaines le délai légal pour pratiquer une IVG afin de porter celui-ci à dix semaines de grossesse ou douze semaines d'aménorrhée.

Votre commission a considéré que cette question devait être abordée de manière sereine, hors de toute considération morale, philosophique ou idéologique, en gardant à l'esprit qu'il s'agit pour le législateur de trouver une solution concrète à des situations humaines toujours douloureuses.

Le problème éthique que constitue l'avortement a été abordé au fond et largement débattu par notre société lors du vote de la loi de 1975, puis de son réexamen en 1979. De ce point de vue, il n'y a, à l'évidence, aucune différence entre un avortement réalisé à huit, dix ou douze semaines de grossesse.

L'allongement du délai légal soulève néanmoins des questions délicates. Votre commission regrette à cet égard la déclaration d'urgence dont le Gouvernement, d'emblée, a assorti la discussion du projet de loi. Un tel sujet aurait nécessité réflexion et concertation entre les deux assemblées.

Votre commission a souhaité recueillir l'avis d'un certain nombre de personnalités susceptibles d'éclairer sa réflexion : ces auditions, dont le compte rendu intégral est publié dans le tome II du présent rapport, ont donné lieu à des débats extrêmement riches qui témoignent d'une très grande diversité d'approches.

Au terme de son analyse, votre commission a tout d'abord formulé le constat d'un triple échec :

- le nombre d'IVG n'a pas significativement diminué depuis 1976 ;

- notre pays ne s'est pas doté d'une véritable politique d'information sur la sexualité et la contraception ;

- notre pays ne s'est pas davantage donné les moyens d'appliquer correctement la loi Veil.

Analysant la disposition essentielle de ce projet de loi -l'allongement du délai légal pour l'IVG-, votre commission, dans sa majorité, a constaté que cette proposition, outre qu'elle n'apportait pas de réponse au problème posé -le départ à l'étranger des femmes hors délais- comportait de surcroît des risques inquiétants.

Donnant la priorité à l'impératif de santé publique, votre commission a donc fait le choix de s'opposer à l'allongement du délai légal et de formuler parallèlement un certain nombre de propositions de nature à apporter une solution effective aux difficultés rencontrées.

Elle a ainsi jugé qu'il convenait de se doter des moyens d'appliquer correctement les lois existantes, de permettre la prise en charge des situations les plus douloureuses dans le cadre de l'interruption médicale de grossesse, de maintenir le caractère obligatoire de l'entretien social préalable, d'entourer de garanties la difficile question de l'accès des mineures à l'IVG, de réaffirmer la nécessité d'un suivi médical de la contraception et d'encadrer la pratique de la stérilisation à visée contraceptive.

Enfin, à titre symbolique, votre commission a exprimé le regret que ce projet de loi " relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception" traite en premier lieu -c'est l'objet du titre premier- de l'IVG et qu'il relègue en fin de texte, dans le titre II, le volet contraception.

Votre commission considère, en toute logique, que l'accent devait d'abord porter sur la contraception, dont l'échec éventuel conduit à l'IVG.

I. CONTRACEPTION ET IVG EN FRANCE : LE CONSTAT D'UN ÉCHEC COLLECTIF

L'interruption volontaire de grossesse (IVG) a été autorisée en France sous certaines conditions, de façon temporaire par la loi du 17 janvier 1975, puis de façon définitive par la loi du 31 décembre 1979. Son remboursement, pris en charge par l'Etat, a été mis en oeuvre en 1983.

L'article L. 2212-1 du code de la santé publique précise que l'interruption de la grossesse peut être demandée par une femme enceinte en " situation de détresse ", avant la fin de la dixième semaine de grossesse .

La femme doit d'abord consulter un médecin, qui l'informe des risques encourus et lui remet un dossier qui rappelle notamment les dispositions législatives applicables. Pendant le délai de réflexion d'une semaine dont elle dispose avant de confirmer sa demande, elle doit obligatoirement avoir un entretien avec un conseiller conjugal ou familial, ou avec une assistante sociale. Lors de la deuxième consultation médicale, qui doit avoir lieu au plus tôt deux jours après l'entretien, elle doit remettre au médecin l'attestation d'entretien et la confirmation écrite de sa demande d'interruption de grossesse.

Lorsque l'interruption de grossesse est pratiquée pour motif thérapeutique , elle peut avoir lieu au-delà du délai de dix semaines , le diagnostic prénatal étant prévu par la loi.

Pour les mineures célibataires, l'article L. 2212-7 du code de la santé publique rend obligatoire l'autorisation d'un des parents ou du représentant légal. En revanche, les mineures mariées n'ont pas besoin d'une telle autorisation.

A. DES IVG ENCORE TROP NOMBREUSES

Le nombre d'IVG n'a pas significativement diminué depuis 25 ans.

Ce constat accablant est aussi celui d'un échec collectif dont la responsabilité est partagée par toutes les majorités politiques qui se sont succédé pendant cette période.

En 1976, il y avait 250.000 IVG par an dans notre pays. En 1998, 214.000 IVG ont encore été pratiquées 1 ( * ) : en un quart de siècle, le nombre des IVG n'a donc que très faiblement diminué (-14 %).

Le nombre d'IVG avait plutôt légèrement diminué de 1990 à 1995 pour atteindre 199.000. Il a augmenté deux fois, en 1996 et en 1998, sans que l'on puisse discerner les raisons de ces variations.

Selon le rapport du professeur Nisand, que votre commission a auditionné le 20 décembre 2000, chaque femme connaît en moyenne dans sa vie une grossesse accidentelle et, une fois sur deux, elle décide de l'interrompre.

Pour la très grande majorité des femmes, -les 5/6ème- le recours à l'avortement est accidentel et unique. L'IVG en France n'est donc pas un moyen de contraception, même pour les femmes qui y ont recours plusieurs fois dans leur vie.

La France se situe à une place moyenne en Europe : on y avorte plus qu'en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, mais moins qu'en Italie et qu'en Europe de l'Est.

La légère croissance du taux d'IVG chez les plus jeunes femmes constitue un phénomène particulièrement préoccupant.

Rapporté au nombre de femmes considérées habituellement comme étant en âge de procréer (c'est-à-dire les femmes de 15 à 49 ans), le nombre d'IVG pour 1.000 femmes a évolué à la baisse, de 13,6 en 1990 à 13,3 en 1997. Toutefois, il faut noter qu'à partir de 1991, les femmes nées dans les années d'après-guerre arrivent dans la tranche d'âge des 45 à 49 ans au sein de laquelle les IVG sont rares (0,7 %o). L'augmentation importante du nombre de femmes dans cette tranche d'âge (700.000 entre 1990 et 1997) exerce, à cet égard, un effet mécanique à la baisse 2 ( * ) .

Si, en revanche, on ne prend en compte que les femmes âgées de 15 à 44 ans le taux d'IVG apparaît plutôt en légère progression, de 15,0 %o en 1990 à 15,4 %o en 1997.

En fait, ce taux a plutôt crû pour les jeunes et très jeunes femmes, ce qui révèle peut-être un changement de comportement. Ainsi, de 1990 à 1997, le recours à l'IVG est plutôt stable au-delà de 25-26 ans alors qu'il augmente chez les plus jeunes. Les taux les plus élevés concernent les femmes de 20 à 24 ans (24 % en 1997, 21 %o en 1990), mais la plus forte augmentation est le fait des 18-19 ans : 19 %o contre 15 %o sept ans auparavant.

Pour les très jeunes femmes, âgées de 15 à moins de 18 ans, le taux atteint près de 7 %o en 1997 (6 %o en 1990). Cette évolution, certes limitée par rapport à celle constatée pour les femmes un peu plus âgées, illustre l'importance d'une information précoce sur les moyens contraceptifs et d'un accès facilité aux jeunes.

L'augmentation du taux d'IVG chez les jeunes femmes peut donner lieu à plusieurs hypothèses, encore difficiles à confirmer. L'évolution des modes de vie dans un contexte parfois marqué par la précarité économique pourrait apporter des éléments d'explication.

Une fraction significative des jeunes femmes d'aujourd'hui a, en effet, été confrontée à des situations prolongées de chômage, pour elles-mêmes ou leurs proches. Ceci a, entre autres, pour effet de conduire à des installations en couples plus tardives, avec ou sans mariage, et donc à un nombre croissant de jeunes femmes seules ou n'ayant pas de situation professionnelle et familiale stable. Celles-ci pourraient avoir plus de difficultés, souvent en raison de leur situation matérielle, à recourir à une contraception efficace et, en cas de grossesse accidentelle, ne pas se sentir en mesure de l'assumer.

L'accent mis sur la prévention contre le Sida et l'usage du préservatif a pu aussi faire ressentir la contraception comme un élément secondaire au regard de la protection contre les maladies sexuellement transmissibles (MST) et ne pas inciter à des pratiques contraceptives plus systématiques ou plus sûres que le seul préservatif.

* 1 Ce chiffre comprend les 3.000 interruptions thérapeutiques de grossesse (ITG) déclarées pour des motifs médicaux.

* 2 Cf. DREES, " Les IVG en 1998 ", dans Etudes et Résultats, n° 69, juin 2000.

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