B. MME CHANTAL LEBATARD, ADMINISTRATEUR À L'UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS FAMILIALES, ACCOMPAGNÉE DE MME MONIQUE SASSIER, DIRECTRICE DES ÉTUDES POLITIQUES
M. Jean DELANEAU, président - Merci d'être venues, mesdames. Nous souhaitons avoir l'avis des représentants des familles sur ce problème. Puisque le professeur Nisand est resté dans la salle, cela nous intéresserait d'avoir votre réaction sur ce qu'il vient de dire, du moins sur certains domaines.
Mme Chantal LEBATARD - Merci monsieur le président, je voudrais tout d'abord excuser mon président, Hubert Brun, qui est retenu à une réunion au Conseil économique et social puisqu'il est rapporteur d'une saisine sur l'insertion des jeunes. Je suis accompagnée de Mme Sassier, directrice des études politiques à l'UNAF et qui m'assistera dans cette audition. Je vous remercie pour votre accueil et je vous rappelle que je ne m'exprime pas en mon nom propre mais au nom de l'UNAF, dont vous connaissez la composition et qui, elle-même, s'exprime au nom de l'ensemble des familles. L'UNAF regroupe des associations qui représentent toute la palette des sensibilités sur cette question puisque nous avons aussi bien des associations familiales catholiques que laïques et il m'appartiendra d'être respectueuse de la diversité de notre composition.
Dans un domaine comme celui-ci, nous avons à tenir compte de la réalité des familles, que les familles fonctionnent correctement et puissent prendre en charge les grossesses et notamment celles des mineures ou des couples parentaux qui abordent la question de la grossesse, comme des familles qui souffrent de dysfonctionnement, et ce au nom de la solidarité entre les familles. Il faut reconna»tre qu'il y a des familles qui souffrent de dysfonctionnements, que ce soit au niveau du couple et donc au niveau du refus de grossesse et de la solitude de la femme confrontée à une grossesse qu'elle ne veut ou qu'elle ne peut plus poursuivre, ou au niveau d'une jeune fille qui se trouverait en situation difficile par rapport à ses parents. Je crois que cela fait aussi partie des réalités familiales que nous devons exprimer.
L'UNAF s'était exprimée sur la loi Veil et cela avait fait l'objet d'un grand débat au sein des associations familiales. Au moment du réexamen de la loi en 1979, l'UNAF avait pris acte de l'évolution et s'était déclarée favorable au maintien, avec amendement, des dispositions législatives qui étaient proposées. Nous avons appelé de tous nos vÏux le dispositif d'encadrement, de prise en charge et d'accompagnement, ainsi que tous les moyens, en particulier les commissions départementales qui devaient accompagner cette loi et permettre une meilleure prise en charge des femmes confrontées à ces difficultés. Les moyens ont fait défaut, aussi bien dans la prise en charge des femmes en détresse que dans les moyens de prévention des grossesses non désirées. Les moyens ont également manqué dans tout le dispositif de formation, d'éducation sexuelle, d'accompagnement des mineures et d'information sur la contraception.
Nous devons considérer que ce qui arrive dans le débat d'aujourd'hui est l'échec d'une volonté globale de notre société de prendre en charge un certain nombre de problèmes. En tant qu'associations familiales, nous sommes interpellées, dans le dispositif qui est proposé, par deux mesures phares qui font l'objet du battage médiatique et de débats entre nous : l'allongement du délai et le problème des mineures. Nous aurons également quelque chose à dire du dispositif de prévention et d'accompagnement qui nous préoccupe tout autant.
En ce qui concerne le délai, l'institution familiale manifeste dans son ensemble une certaine réticence à l'allongement du délai en tant que tel. Nous déplorons d'abord que le dispositif d'accueil des femmes qui souhaitent avorter ne soit pas équitablement et également réparti sur le territoire et qu'on ne puisse offrir aux femmes, dans des délais raisonnables, des réponses qu'elles souhaitent obtenir. Il est inadmissible dans notre pays que des femmes soient renvoyées hors délai simplement parce qu'on n'a pas su les prendre en charge lorsqu'elles souhaitaient faire cette démarche à temps. C'est seulement à partir de là que l'on peut considérer ce qui se passe pour les autres.
Ce qu'a dit le professeur Nisand au sujet de la mauvaise conjugaison du diagnostic prénatal nous interroge aussi énormément. Je représente depuis plusieurs années les associations familiales au sein de la commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction, ce qui m'a permis de voir du c™té des praticiens, notamment lors des dialogues sur les agréments de structure. Le problème que posait le diagnostic prénatal est venu en écho de ce qui remontait des associations qui composent notre institution. Le doute, aujourd'hui, devient insupportable. Les moyens techniques qui sont offerts nous placent face à un doute au moment où on est en train de porter en soi l'enfant idéal, c'est-à-dire tel qu'il se conçoit d'abord dans la tête et non pas idéal au sens de parfait. La grossesse désirée est d'abord quelque chose que l'on porte dans sa tête et l'on ne peut alors concevoir un doute sur l'enfant qui doit venir. Il y a des choses que l'on ne peut vivre. La difficulté est bien une affaire psychologique, celle d'être confronté à un possible qui n'est pas acceptable. Le dispositif du diagnostic prénatal rend impossible l'acceptation du moindre doute. Je ne ferai pas l'affront de dire qu'il s'agit d'IVG de convenance, mais on peut dire qu'il est difficile de concevoir un projet familial dans cette situation-là.
Nous sommes également sensibles au risque médical qui est évoqué et nous souhaitons qu'une femme puisse avorter, si elle doit le faire, dans les meilleures conditions possibles et avec le moins de risques possibles. Il est important que tout cela soit garanti. Le professeur Nisand a proposé un dispositif également réparti sur le territoire, facile d'accès (c'est-à-dire probablement au niveau d'une organisation régionale et l'ARH est là pour ça), qui permette au cas par cas la prise en charge de femmes en détresse qui auraient dépassé le délai, un dispositif offrant des réponses individuelles, non déterminées à l'avance par la loi, et avec le tri qui pourrait être fait à ce moment-là pour aider les femmes à prendre leurs décisions. Ce dispositif rencontrerait facilement l'adhésion de l'UNAF. Il nous para»t raisonnable et respectueux de l'intérêt conjugué de la femme et des familles, donc de l'enfant.
En ce qui concerne l'IVG des mineures, nous sommes confrontés à une des situations les plus difficiles avec une ambiguïté soulignée dès le départ et qui est la suivante : si la jeune fille souhaite prolonger sa grossesse, quelle que soit la position des parents, elle aura le plein exercice de l'autorité parentale sur l'enfant qui na»tra et elle sera, à l'égard de son enfant, considérée comme une mère à part entière et non pas comme une mère en tutelle. Il convient donc quelque part de respecter la mère et la femme qu'elle est devenue par cette grossesse et lui permettre de dire ce qu'elle veut faire. Reste bien súr qu'elle est mineure et que ses parents sont les premiers accompagnateurs. Donc, il ne s'agit pas de récuser l'autorité parentale. Il s'agit de mettre en place un dispositif d'accompagnement spécifique pour des cas de détresse pour lesquels l'autorisation parentale ne peut pas fonctionner. Cela fait encore porter sur le corps médical l'orientation et la prise en compte de cette détresse et c'est peut-être là un problème. Nous sommes très séduits par cette mesure dérogatoire suspensive qui consisterait à permettre dans certains cas la mise en place d'un accompagnement spécifique de la jeune fille.
Ce qui nous para»t important, et en tant que mère je peux le dire, quel que soit le drame que pourrait vivre ma fille, en aucun cas je ne voudrais qu'elle soit confrontée seule à porter cela face aux médecins qui interviendraient. Il est important que ce dispositif d'un adulte référent puisse exister à condition toutefois qu'il s'agisse d'un véritable accompagnement et de qualité, qui puisse avoir une double fonction : écoute et accompagnement dans la démarche, présence et soutien psychologique. Partager avec quelqu'un le secret que l'on porte lorsque l'on n'a pas pu le dire à ses parents est quelque chose qui permet de se reconstruire. Cela peut être, dans la mesure du possible, un vecteur ou un relais pour permettre de renouer le dialogue parents-enfants quand il n'a pas pu se nouer à ce moment-là de crise de manière spontanée.
Il y a des cas où l'annonce permet de renouer des liens et les familles reprennent alors en charge et accompagnent la jeune fille en détresse. Dans les cas où cela ne peut pas fonctionner, il s'agirait d'une violence supplémentaire au drame de la jeune fille que de lui imposer à ce moment-là un recours aux parents, c'est une responsabilité sociale. Si un tel dispositif était retenu, il conviendrait dès le départ de lui donner les moyens de fonctionner. A quoi servirait de proposer des adultes référents si l'on ne mettait pas en place les moyens financiers et humains qui conviendraient ? Dans le cas contraire, on risque de galvauder le dispositif et de créer plus de détresse qu'on n'apportera de réponse.
En ce qui concerne l'accueil et l'accompagnement des femmes en détresse, nous insistons sur deux points. Le premier porte sur l'entretien médical. Des dispositions nouvelles sont prises dont un allégement du devoir d'information du médecin sur les alternatives à l'avortement. Il convient de rappeler que le premier entretien médical est le moment où la femme se voit confrontée réellement et pour la première fois à sa grossesse face à un tiers, et c'est là que peuvent se nouer la responsabilité et le choix de la décision. Il importe qu'à ce moment-là lui soit rappelé l'ensemble des choix qu'elle peut faire et non pas l'enfermer dans une décision car cela est trop t™t. Il est important de ne pas court-circuiter les décisions. Il convient donc que l'information soit complète et qu'elle indique bien les lieux et ressources disponibles.
La question de l'entretien social obligatoire a été écartée rapidement dans les débats parlementaires au motif qu'il est une insulte faite aux femmes et qu'elles ont déjà tout organisé dans leur tête lorsqu'elles viennent. C'est donc leur imposer un entretien supplémentaire avec un tiers non-médecin. Ceci est vrai pour une partie des femmes, mais il ne faut pas oublier toutes celles qui n'ont pas pu prendre la responsabilité de leur corps au niveau de la contraception, qui n'ont jamais pu parler de leur vie sexuelle et qui se trouvent confrontées à une grossesse sans avoir en face d'elles les mots qui conviennent. L'entretien avec ce tiers non médical, qui est formé à cette écoute particulière, est parfois la première occasion de discuter de sa vie de femme. Il est dommage de le récuser et de ne pas le vouloir sous prétexte que l'on n'a pas trouvé les moyens pour le faire auparavant. Il serait pertinent de mettre les vrais moyens et de donner une vraie chance de parole aux femmes et qu'il y ait là un accueil responsable et respectueux d'une vraie liberté.
Enfin, nous insistons sur deux autres points. Premièrement, la stérilisation comme moyen de contraception suscite les plus grandes réserves de notre institution pour deux raisons. Les rapports réalisés sur les parcours familiaux et les histoires de chacun, comme le rapport d'Irène Théry, ont montré que, dans un monde un peu fragile, nous avons des séquences de vie familiale plus que des histoires linéaires dans la continuité d'un projet familial. Il ne faut pas écarter cette possibilité. Ce qui para»t impossible ou définitif à un moment donné peut ne pas l'être plus tard si le hasard, une rencontre amènent d'autres projets. La stérilisation pour les femmes est un acte grave et quasi définitif. Il est redoutable de penser que cela pourrait être une décision un peu facilitée. Nous n'avons pas d'opposition absolue à ce que cette possibilité puisse exister. Nous voulons qu'elle soit encadrée et que le cheminement soit le plus accompagné possible pour qu'il n'y ait pas d'engagement irréversible.
Concernant la stérilisation, je dois vous faire part d'inquiétudes qui émanent du dispositif tel qu'il ressort de la première lecture, au sujet des handicapés et des personnes sous tutelle. Le dispositif para»t un peu léger et il conviendrait de donner davantage de garanties, de sécurité pour que seul un vrai motif médical puisse permettre une telle mutilation des personnes, dans le respect de leur dignité. Il ne faut pas redouter à ce point la sexualité des handicapés. Cela fait partie de la prise en compte du respect de la personne et du droit des personnes que de mettre en place des dispositifs respectueux de leur intégrité.
Le deuxième point concerne le dispositif de prévention et l'importance de l'information des jeunes très en amont sur l'éducation à la vie et au respect de son corps, à la sexualité responsable. Les décisions qui sont prises et les propositions qui sont faites ne peuvent que rencontrer l'accord des parents, sous réserve que ceux-ci ne soient pas écartés et que les lieux de concertation et d'élaboration des programmes consultent les parents. Je pense en particulier au conseil supérieur de l'information sexuelle qui n'a jamais disposé de vrais moyens et n'a pas pu remplir ses missions. Il faut aider les parents dans cette démarche d'accompagnement des enfants. Les réseaux de soutien et d'écoute à la parentalité pourraient aussi être encouragés à prendre en charge cette dimension de la responsabilité parentale qui est de savoir parler à ses enfants. Je crois que c'est un point qui est cher au professeur Nisand car nous avons eu des échanges à ce propos. Il faudrait que ce soit d'abord au sein de la famille que ces questions soient abordées en partenariat avec l'école et en complémentarité avec les lieux où les enfants peuvent avoir cette information.
J'ajouterai une mise en garde. Il arrive souvent que dans les propos, il y ait un lapsus à propos des centres agréés. Je rappelle qu'il s'agit des centres de planification et d'éducation familiale et que le raccourci Ò planning Ó crée une confusion entre l'association, qui a sa mission et son objectif, et l'ensemble du dispositif dans sa pluralité et son libre choix. Les raccourcis peuvent entra»ner une ambiguïté, y compris sur la mission spécifique de l'association du planning familial.
M. Jean DELANEAU, président - Merci. Dans le texte qui nous arrive de l'Assemblée nationale, il est dit que si le consentement n'est pas obtenu, la mineure se fait accompagner dans sa démarche par la personne majeure de son choix. Cela vous suffit-il comme définition du référent ?
Mme Chantal LEBATARD - Non. Je crois que j'ai insisté sur ce que nous voulions de qualité et de possibilité d'accompagnement et sur le r™le du référent. Il importerait de préciser, soit par décret, soit dans le texte même de la loi, quelle peut-être la qualité du référent. Il incombe au médecin, dans son entretien, d'aider la jeune fille à choisir la personne dans les possibilités qui lui sont offertes. Il doit y avoir un choix parmi des gens qui peuvent vraiment remplir une mission auprès d'elle.
M. Jean-Louis LORRAIN - Madame, je ne voudrais pas être trop sévère, mais j'aimerais avoir votre réaction. Vous avez beaucoup insisté sur les notions de suppression du doute, sur la sécurité et la garantie. Vous entrez dans un discours qui me semble sécuritaire et qui découle sur la demande des moyens. S'il est évident que notre société doit faire le maximum d'efforts, il est aussi évident que la souffrance, le deuil et les injustices sont un cycle infernal que vous ne pouvez pas supprimer. Nous devons le canaliser. Ce discours sécuritaire aura aussi pour conséquence le problème de la responsabilité médicale, le problème de l'angoisse qui s'abat sur nos concitoyens pour tout. C'était une remarque, mais peut-être suscite-t-elle chez vous une réaction.
En ce qui concerne l'entretien social, je constate que vous avez adouci la notion d'insulte faite à la femme, ce qui voudrait dire qu'habituellement, lorsque l'on parle d'entretien social ou de travailleurs sociaux, il y a un arrière-fond coercitif alors que l'empathie appara»t souvent. Vous en avez parlé, je crois que cela serait bon de le répéter aussi.
J'aurais aimé avoir votre avis sur l'accompagnement post-IVG qui, je pense, est un point à retenir. Enfin, ne croyez-vous pas qu'il y a un rendez-vous qui a été manqué de la part de votre association ? C'était l'occasion de dénoncer ou peut-être d'amplifier vos demandes en matière de politique familiale de manière générale, en quittant ce débat mécaniste sur l'IVG.
M. Francis GIRAUD - J'ai écouté avec attention les propos que vous avez tenus sur l'entretien prévu dans la loi Veil. Cet entretien doit-il être proposé ou bien obligatoire comme il l'était dans la loi ? Dans cet entretien, il y avait pour les femmes qui n'avaient pas pris leur décision la nécessité de les informer sur la manière possible d'accompagner une grossesse. Dans la loi Veil, l'avortement n'était pas la voie obligatoire. Quel est votre avis sur ce qui se fait en France concernant le dispositif d'accompagnement d'une grossesse d'une femme en détresse et qui souhaite garder son enfant ? Concernant le référent, cette personne sera-t-elle responsable vis-à-vis de la grossesse ou s'agit-il simplement de l'avis passager d'une personne choisie ?
M. Lucien NEUWIRTH - Je vous ai écoutée avec beaucoup d'intérêt. Ne pensez-vous pas nécessaire l'élaboration conjointe parents-enseignants d'une forme d'éducation et d'information pour sensibiliser à la fois les familles et les enseignants ? Je me pose la question de savoir pourquoi a été mis sous le boisseau le Conseil supérieur de l'information sexuelle qui était un lieu de rencontre exceptionnel et qui a permis une avancée que l'on a stoppée. Je voulais savoir si vous aussi vous jugez souhaitable de ranimer ce Conseil.
M. Guy FISCHER - Je suis conseiller général d'un canton qui se situe dans une zone difficile, les Minguettes à Lyon. J'ai eu l'occasion de traiter de l'action des centres de planification et d'éducation familiale qui sont souvent de compétence départementale. La compétence est-elle bien du conseil général ou devrait-elle être de l'Etat ? J'ai le sentiment parfois que les départements exercent cette compétence à la marge et je voudrais bien, excusez-moi l'expression, la Ò refiler Ó à quelqu'un, comme pour la médecine scolaire où ce sont les communes. N'y a-t-il pas là à réfléchir dans le dispositif en amont ?
Mme Annick BOCANDÉ - Je voudrais vous remercier, madame, de la tonalité qui a été la v™tre pour traiter de ce sujet. Entre 1990 et aujourd'hui, le nombre d'IVG en France a considérablement augmenté. On parle d'une augmentation de 6 %, ce qui porte la France dans le peloton de tête des pays européens. Comment expliquez-vous cette situation ? Vous avez parlé de cette commission pluridisciplinaire qui pourrait accompagner les femmes dans leurs décisions au-delà du délai de dix semaines. Vous avez également souligné les insuffisances de la société face à la prise en compte des problèmes de contraception, des manques de moyens pour répondre aux demandes des femmes. Croyez-vous que la mise en place de cette commission va pouvoir régler le problème ? Ces moyens dont vous avez dénoncé l'inexistence, ne craignez-vous pas qu'ils soient à nouveau insuffisants et que cette commission ait un nombre incalculable de demandes à prendre en charge ?
Mme Chantal LEBATARD - En ce qui concerne l'angoisse sécuritaire que vous avez évoquée, je crois avoir souligné dans mes propos que c'était pour nous une inquiétude de voir que cette hantise de la sécurité, ce refus des doutes, risquaient justement, en raison des moyens nouveaux qui sont offerts, d'augmenter le recours à l'avortement et de rendre la grossesse impossible avec la distinction entre le refus de la grossesse et le refus de cette grossesse, distinction faite par le professeur Nisand. Je vois là que l'on est à une articulation essentielle qu'il convient de bien prendre en compte. L'entretien social est pour nous essentiel. Nous avons parmi nos membres des mouvements de conseillers conjugaux et des associations familiales qui ont mis en place des services de conseil conjugal. C'est la remontée de ce terrain qui nous dit combien cet accueil est important et combien les femmes qui viennent jusque-là sont soit claires dans leurs têtes et il s'agira d'une formalité - respectons ce choix -, soit arrivent parce qu'elles n'ont pas pu parler et c'est alors l'occasion de rencontrer quelqu'un dont la mission est de les écouter et non pas de poser un geste médical. C'est cette dissociation entre le temps personnel et le temps médical qu'il faut respecter avec les deux entretiens.
Je n'ai effectivement pas parlé de l'accompagnement post-IVG et des entretiens post-IVG, et c'est un oubli. Il est effectivement important car, comme le rappelait le professeur Nisand, il s'agit, quelle que soit la décision, d'un acte grave dans la vie d'une femme, la maternité ne s'abordant pas n'importe comment. Cela mérite d'être accompagné, pris en charge. L'entretien post-IVG est le moment où, sorti de la crise, on peut mettre en place un cheminement responsable avec sa propre sexualité. C'est là que pourra se nouer quelque chose de la contraception responsable et qui protégera la femme d'une situation de détresse à venir. Il est important qu'il y ait des moyens pour le faire.
L'entretien doit-il être proposé ou obligatoire ? Dans une société où nous avons du mal et où nous constatons l'échec car nous n'avons pas su mettre les moyens pour des entretiens obligatoires, il est souhaitable de conserver ce caractère obligatoire car c'est une chance donnée de bien prendre en compte le respect de la femme dans l'ensemble de ses décisions, plut™t que d'alléger le dispositif. J'ai d'ailleurs peur que des raisons budgétaires vous conduisent à écarter très vite ce dispositif. Dans l'entretien médical, j'ai souligné l'importance de l'ensemble de l'information. Cette information doit être répétée dans l'entretien social, dans un autre langage et avec un autre point de vue. Le conseiller conjugal qui accueille la femme a un r™le essentiel et il faut lui donner les moyens et le temps d'exercer sa mission.
Concernant la prise en charge des grossesses et des femmes seules en particulier, les dispositifs qui fonctionnent doivent être renforcés car ils sont trop courts et l'on ne répond pas en termes de libre choix. Il faut veiller à l'équilibre des moyens.
En ce qui concerne le Conseil supérieur de l'information sexuelle, nous avons déploré son fonctionnement étiolé. Malgré les tentatives qui ont été faites, puisque j'ai participé à un certain nombre de commissions dans l'ancienne disposition, on sait qu'il s'est sabordé et qu'il est en cours de renaissance. C'était un lieu de concertation et d'échanges tout à fait intéressant. Il convient de renforcer l'aspect concertation et élaboration conjointe (enseignants, parents, droits des femmes). C'est une volonté de notre institution d'y siéger fortement pour que la responsabilité parentale ne soit pas escamotée.
Sur la question des compétences du département et de l'Etat, j'ai envie de dire que cela relève des deux. S'il n'y a pas, marquée dans la loi, de volonté forte de l'Etat avec des impulsions, des orientations et des moyens, il n'y aura pas d'équité et de garanties sur le plan du territoire, notamment dans les DOM-TOM. Il faut des moyens d'Etat. Mais c'est aussi une responsabilité de proximité, et là on relève bien des dispositifs départementaux qui sont au plus près des réalités du terrain.
Aucun des dispositifs proposés n'apportera à lui seul une réponse à la détresse de femmes. C'est bien l'ensemble de la cha»ne qu'il faut voir : prévention, accompagnement, dialogue, lieux d'écoute, lieux de décisions. C'est tout le dispositif qui a sa cohérence pour assurer la prise en charge des femmes.
Mme Monique SASSIER - Je voudrais apporter un élément sur la question de l'installation des centres. Je pense que la proximité est essentielle et, de ce point de vue, le département, en charge de la politique sociale et familiale, est évidemment tout désigné. Néanmoins, il faudrait prévoir la situation d'une jeune femme qui voudrait garder un anonymat par rapport à une proximité trop grande. Donc, un principe de souplesse doit être gardé. Je pense notamment au monde rural où les choses peuvent être compliquées.
Je voudrais rappeler les trois principes fondamentaux qui ont guidé la réflexion de l'institution. Les questions qui nous sont posées le sont à partir des femmes en détresse et nous pensons que le débat entre la femme et le médecin, la femme et un professionnel, la femme et sa famille reste essentiel. Une des causes de la détresse est fondée sur des éléments de solitude. Le r™le de la société est d'organiser cette rupture de solitude et ce débat. Nous souhaitons que l'autorisation parentale soit suspendue et non pas supprimée parce que nous pensons que le débat peut se renouer après la crise. Le référent doit être de qualité : un médecin, un travailleur social, une personne d'un centre de planification, un conseiller conjugal, un enseignant s'il y a un lien de confiance. Mais ce n'est pas en tout cas le voisin, l'ami. Le référent est important parce qu'il réintroduit éventuellement le père de l'enfant dans le débat toutes les fois que cela est possible.
Le deuxième principe est celui de la qualité au-delà du débat. Enfin, aucune loi, aussi bonne soit-elle, ne dispense de débat sur les moyens. Notre société moderne doit associer débat sur les lois et débat sur les moyens de mise en Ïuvre. Sinon, nous serons ramenés devant un autre débat législatif.
Les travaux qui sont menés ces derniers temps au Commissariat général au Plan sur les politiques publiques en direction des jeunes ont été l'occasion de discussions avec de nombreux chercheurs, notamment sur les circonstances des jeunes femmes de quatorze-quinze ans enceintes dans des lieux difficiles. On a constaté que cette jeune femme enceinte souhaite renouer avec le débat familial et que sa situation de jeune fille enceinte est une sorte d'appel à la famille, c'est-à-dire de retour à la famille. Quand l'enfant na»t, il arrive qu'elle soit réintégrée dans l'école, dans des prestations. Il y a donc là un appel à la responsabilité collective de la famille. Cet élément de prise en compte de ce qui se passe dans notre pays latin, largement inspiré des fondements psychanalytiques aujourd'hui, compte dans les réponses que l'on apporte aux problèmes sociaux, collectivement et individuellement.