TABLEAU COMPARATIF

Tome II : Compte rendu intégral des auditions

SOMMAIRE

Pages

I. AUDITIONS PUBLIQUES DU MERCREDI 20 DÉCEMBRE 2000 153

A. PROFESSEUR ISRAËL NISAND, CHEF DE SERVICE DE GYNÉCOLOGIE-OBSTÉTRIQUE AU SIHCUS-CMCO DE STRASBOURG, AUTEUR DU RAPPORT " L'IVG EN FRANCE : PROPOSITIONS POUR DIMINUER LES DIFFICULTÉS QUE RENCONTRENT LES FEMMES " (FÉVRIER 1999) 154

B. MME CHANTAL LEBATARD, ADMINISTRATEUR À L'UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS FAMILIALES, ACCOMPAGNÉE DE MME MONIQUE SASSIER, DIRECTRICE DES ÉTUDES POLITIQUES 169

C. PROFESSEUR RENÉ FRYDMAN, CHEF DE SERVICE DE GYNÉCOLOGIE-OBSTÉTRIQUE, HÔPITAL ANTOINE BÉCLÈRE DE CLAMART 178

D. MME DANIELLE GAUDRY, PRÉSIDENTE DE LA CONFÉDÉRATION DU MOUVEMENT FRANÇAIS POUR LE PLANNING FAMILIAL ET DE MME MARTINE LEROY, RESPONSABLE DU DOSSIER AVORTEMENT DE LA CONFÉDÉRATION 185

E. PROFESSEUR BERNARD GLORION, PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL DE L'ORDRE DES MÉDECINS 194

F. PROFESSEUR MICHEL TOURNAIRE, CHEF DE SERVICE DE GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE À L'HÔPITAL SAINT-VINCENT DE PAUL, PRÉSIDENT DU GROUPE DE TRAVAIL DE L'AGENCE NATIONALE D'ACCRÉDITATION ET D'ÉVALUATION EN SANTÉ (ANAES) SUR L'IVG 201

G. PROFESSEUR CLAUDE SUREAU, PRÉSIDENT DE L'ACADÉMIE NATIONALE DE MÉDECINE 211

H. PROFESSEUR DIDIER SICARD, PRÉSIDENT DU COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D'ÉTHIQUE POUR LES SCIENCES DE LA VIE ET DE LA SANTÉ 219

II. AUDITIONS DU MERCREDI 17 JANVIER 2001 225

A. DOCTEUR BERNARD MARIA, PRÉSIDENT DU COLLÈGE NATIONAL DES GYNÉCOLOGUES OBSTÉTRICIENS FRANÇAIS 225

B. DOCTEUR PAUL CESBRON, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES CENTRES D'INTERRUPTION DE GROSSESSE ET DE CONTRACEPTION (ANCIC) ET CHANTAL BIRMAN, VICE-PRÉSIDENTE DE L'ANCIC 242

C. DOCTEUR MARC ZAFFRAN ALIAS MARTIN WINCKLER, MÉDECIN ET ÉCRIVAIN 251

D. DOCTEUR BERNARD BOURREAU, GYNÉCOLOGUE OBSTÉTRICIEN DANS LE SERVICE DE MATERNITÉ OBSTÉTRIQUE DE L'HÔPITAL GÉNÉRAL DE BLOIS, DOCTEUR SYLVETTE DESROCHES, MÉDECIN, MME CHRISTINE CLAVAL, INFIRMIÈRE DU CENTRE IVG ET MME MICHELINE DUPONT, CONSEILLÈRE CONJUGALE DU CENTRE DE PLANIFICATION 259

I. AUDITIONS PUBLIQUES DU MERCREDI 20 DÉCEMBRE 2000

M. Jean DELANEAU, président - Monsieur le professeur, mes chers collègues, dans quelques semaines, début février, le Sénat aura à se prononcer sur le projet de loi relatif à l'IVG, à la contraception et à la stérilisation, puisque l'Assemblée nationale a ajouté un troisième volet. Avant de désigner notre rapporteur, ce que nous ferons demain, nous avons souhaité ouvrir notre réflexion par l'audition d'un certain nombre de personnalités (médecins, responsables d'organisations familiales, responsables de planning familial, représentants du Conseil national de l'Ordre des médecins ou de l'Académie nationale de médecine) afin de pouvoir être éclairés sur les problèmes soulevés par cette troisième loi. Pour ma part, j'ai eu le privilège, si je puis dire, d'avoir participé largement à la discussion de la première, d'avoir été le rapporteur à l'Assemblée nationale de la deuxième et de me trouver président de la commission qui doit traiter ici de la troisième. Il est important de voir comment les choses se sont passées depuis vingt-cinq ans, quels sont les problèmes qui justifient que l'on soit amené, vingt ans après la loi de 1979, à revoir le dispositif.

Nous avons souhaité que le Professeur Nisand, chef de service de gynécologie-obstétrique à Strasbourg et qui, en février 1999, a remis à Mme la ministre Martine Aubry un rapport intitulé " L'IVG en France : propositions pour diminuer les difficultés que rencontrent les femmes " , ouvre notre journée d'auditions. Ceci est important car nous avons, professeur Nisand, suivi vos déclarations à ce moment-là et nous avons cru comprendre qu'il y avait malgré tout une certaine hésitation dans vos propos en tant que médecin et nous les comprenons parfaitement. Nous souhaitons donc que vous puissiez nous dire comment vous avez été amené à faire des propositions et, dans une certaine mesure, à avaliser la prorogation de délai telle qu'elle est proposée par le projet de loi. Je voudrais également indiquer à nos collègues que nous avons saisi la délégation sénatoriale aux droits des femmes qui a désigné Mme Odette Terrade, qui nous fait l'honneur de venir à cette série d'auditions. Ces auditions font l'objet d'un enregistrement audiovisuel pour une diffusion en différé sur la cha»ne parlementaire et d'un compte rendu intégral qui sera annexé au rapport de la commission. Peut-être pourriez-vous faire un exposé liminaire avant que l'on consacre une demi-heure aux questions. Je demande à nos collègues de bien respecter le principe de ces auditions si l'on veut qu'elles soient utiles, c'est-à-dire que nous attendons plus des questions qu'un exposé de vos positions éventuelles sur le sujet. Ceci viendra après. Il faut bien sérier ces deux problèmes. Aujourd'hui, nous avons des questions à poser et nous espérons un certain nombre de réponses.

A. PROFESSEUR ISRAËL NISAND, CHEF DE SERVICE DE GYNÉCOLOGIE-OBSTÉTRIQUE AU SIHCUS-CMCO DE STRASBOURG, AUTEUR DU RAPPORT " L'IVG EN FRANCE : PROPOSITIONS POUR DIMINUER LES DIFFICULTÉS QUE RENCONTRENT LES FEMMES " (FÉVRIER 1999)

Professeur Israël NISAND - Merci monsieur. Il est intimidant de venir pour la première fois devant des sénateurs de la République française. Je travaille depuis trois ans sur un sujet qui m'est apparu comme brúlant lorsque j'étais chef de service dans la région parisienne, particulièrement dans une banlieue défavorisée où j'ai compris qu'on ne pouvait pas véritablement ne pas travailler sur la question de l'IVG dans notre pays.

Le bilan que j'ai remis à Mme Aubry il y a presque deux ans était assez contrasté : 220.000 IVG sans baisse notable puisque l'on estimait à 250.000 le nombre des IVG en 1975, des femmes qui n'utilisent pas l'IVG comme contraception puisque cinq sur six d'entre elles ne subiront qu'une seule IVG dans leur vie. Il n'y a donc pas eu de banalisation de l'IVG depuis la loi Veil, ni de diminution notable.

Par contre, des difficultés sérieuses voire graves apparaissent dans certaines grandes villes en ce qui concerne la continuité du service public, en particulier en été où les femmes dans notre pays se trouvent confrontées à des difficultés parfois insurmontables. On peut dire que c'est parfois la maltraitance au quotidien qui les attend lorsqu'elles sont dans une démarche d'IVG. Ces éléments m'ont motivé pour dire haut et fort sur la place publique, et auprès de l'exécutif, ce qu'il en était.

Dans le rapport, j'avais particulièrement isolé trois catégories de femmes en très grande souffrance : les étrangères, et là le problème est désormais réglé ; les mineures et les femmes qui dépassent le délai. 5 à 10 % des mineures qui nous consultent pour une IVG sont dans l'incapacité totale, pour des raisons culturelles, religieuses ou d'origine, de dévoiler leur vie sexuelle à leurs parents. Les contraindre à le faire dans l'urgence constitue une forme de viol. Il fallait donc trouver une solution afin que pour ces filles-là, lorsque la médiation familiale est rendue impossible, on trouv%ot une solution.

Le tutorat est une bonne formule, encore faut-il, par voie de décret, trouver la solution pour couvrir la responsabilité du médecin dans cette démarche-là. Nous attendons, en tant que médecins, que l'on nous dise comment faire lorsque l'on a besoin d'endormir une de ces jeunes femmes et comment faire pour se passer de l'autorisation parentale en amont d'un geste chirurgical. On est en train de trouver une configuration qui nous le permette, dans les cas où cela est nécessaire. Dans 90 % des cas, les parents sont les meilleurs protecteurs de l'enfant et revenir vers eux au moment d'un tel événement est souvent la meilleure solution. D'ailleurs, les jeunes nous y autorisent souvent. Lorsqu'ils ne nous y autorisent pas ou qu'ils courent un risque physique dans cette démarche, il faut que nous ayons une autre solution que de leur répondre abruptement que, sans la signature des parents, rien n'est possible. Ceci peut les pousser au suicide, ou au désarroi en tout cas.

La troisième catégorie de femmes recouvre celles qui dépassent le délai. Ce sont celles qui attirent le plus l'attention car il y a vraiment une très grande difficulté. Nous sommes tous, en France, dans l'embarras devant le débat sur l'IVG. Même ceux qui y sont favorables et qui mènent un combat pour l'allongement du délai éprouvent également quelques difficultés.

Je vais en quelques mots essayer de dire pourquoi il est difficile de discuter de ce sujet. Il s'agit en fait d'un arbitrage entre trois droits : le droit des femmes et des mères, le droit des médecins et quelque chose dont on n'a pas l'habitude de parler, le droit des fÏtus. Si vous le permettez, je vais aborder ces trois droits en essayant d'évoquer leurs éléments contradictoires et en essayant de trouver en conclusion une formulation qui permette, au travers de la loi de la France, de respecter ces droits.

Tout d'abord, les droits de la femme. Plus de 5.000 femmes vont à l'étranger pour faire une IVG et personne ne sait vraiment combien car on ne demande pas à une femme qui traverse la frontière pourquoi elle le fait. Nous estimons ce chiffre à 5.000 et il s'agit certainement d'une sous-estimation car une seule clinique de Hollande accueille 1.000 Françaises par an. La moitié à peu près est dans les deux semaines supplémentaires, l'autre moitié, dans le plus grand désarroi, est au-delà des deux semaines qui sont rajoutées. Il s'agit d'une première remarque sur le droit des femmes.

Si l'on regarde le débat sous cet angle-là, ajouter deux semaines au délai ne suffit plus pour respecter le droit des femmes. Il me semble là qu'il y a quelque chose qui aide mais qui ne résout pas le problème et qui, à tout le moins, entra»nera que, sous le maillet des Assemblées parlementaires, ce problème revienne de manière récurrente dans deux ans pour deux semaines supplémentaires. Il me semble, en tant que citoyen qu'il eût été préférable, plut™t que de voter deux semaines maintenant, de trouver une configuration qui perm»t de régler définitivement ce problème.

Toujours dans le domaine du droit de la femme, ce sont les plus défavorisées et les plus jeunes qui dépassent le plus le délai. Les plus jeunes sont souvent dans des situations de sollicitation sexuelle intra-familiale, nous sommes dans du Zola. Il n'y aura nul mal à démontrer d'ici trois ans que l'ajout de deux semaines, apporté en 2001, est insuffisant. Ce sera à nouveau les 3.000 femmes les plus défavorisées qui seront dans la " panade " la plus complète et nous ne pourrons à nouveau ne pas écouter cette très grande misère et cette très grande difficulté. Je peux vous prédire que si nous laissons le texte tel qu'il est actuellement, nous y reviendrons encore et encore. Je ne trouve cela ni astucieux ni élégant sur le plan de la logique parlementaire.

Enfin, toujours dans le domaine du droit des femmes, il faut bien soutenir et dire qu'élever un enfant et décider de faire un enfant est un élément d'une gravité exceptionnelle dans la vie d'une femme. Je crois que personne ne peut se mêler de cette décision-là. Voilà ce que l'on peut dire de manière très laconique en matière de droit des femmes.

Je vais aborder maintenant deux autres points qui sont plus difficiles et moins consensuels.

Le problème du doit des médecins d'abord. Jusqu'à dix semaines, et sans vous abreuver de détails techniques, l'IVG est un geste relativement facile sur le plan technique et sur le plan psychologique. Je dis bien relativement, car sont venus à notre aide des moyens médicaux qui nous permettent de faire une IVG, j'allais dire un peu sans y toucher, en tout cas pas de manière chirurgicale pour les jeunes IVG. Lorsque nous sommes obligés de le faire de manière chirurgicale, le geste est rapide et relativement facile.

Lorsque l'embryon devient un fÏtus, au-delà de dix semaines, il s'ossifie et les choses se g%otent sur le plan technique, c'est-à-dire que le geste devient difficile, non pas seulement sur le plan technique, et je vous passe les détails, mais également sur le plan psychologique. Les médecins ne sont pas des automates et des techniciens, ils sont comme vous, ils ont une %ome. Les difficultés techniques vont s'aggravant avec l'%oge gestationnel. Il faut donc entendre les médecins lorsqu'ils vous disent que cela est difficile. Il ne s'agit pas d'un acte que nous pouvons faire comme l'IVG, pour lequel il faut et il suffit que la femme demande. Je vous rappelle qu'une femme peut venir et simplement nous dire qu'elle souhaite une IVG et si on lui demande les motifs de sa décision, elle est en mesure de nous répondre que cela ne nous regarde pas, l'IVG étant un droit dans notre pays.

En revanche, pour un acte aussi difficile techniquement, le corps médical souhaite, comme pour tous les actes médicaux, pouvoir dire non dans des circonstances où l'on ne serait pas dans le cadre de l'IVG ou encore dans des circonstances où la bénignité de l'indication ne compense pas la gravité du geste. Nous serions là dans une démarche médicale habituelle.

Nous voulons pouvoir dire oui à une femme qui est à dix-huit semaines et qui a une grossesse de son beau-père ou à une femme qui est schizophrène et qui a eu une grossesse dans son institution. Nous voulons pouvoir dire non à une femme qui, à quatorze semaines, nous dit que la grossesse ne tombe pas au bon moment ou que l'échographiste a eu un doute sur la morphologie du fÏtus ou pire encore, les motifs véniels, qui sont rares. Nous devons pouvoir leur dire non autrement qu'au travers de la clause de conscience car celle-ci n'est pas à géométrie variable, mais je me trompe peut-être. Si un médecin fait valoir la clause de conscience, il le fait pour toutes les IVG et cela veut dire qu'il n'en fera jamais. Or, moi qui ne fais pas valoir la clause de conscience dans ma pratique, je veux pouvoir dire non comme cela s'est produit la semaine dernière à une femme d'origine étrangère qui venait pour une IVG en raison du sexe qui ne lui convenait pas. Je lui ai dit non car je veux pouvoir me regarder dans la glace le soir. Je ne lui ai pas dit non en fonction d'une clause de conscience car je ne la fais pas valoir, mais parce que je ne peux pas faire le geste difficile qu'elle me demande compte tenu d'un certain nombre d'éléments d'environnement, de morale laïque, appelez cela comme vous le voulez. Dans l'IVG, telle qu'elle existait jusqu'à présent, ceci n'existait pas.

Maintenant, pourraient se rajouter aux 5.000 femmes, des femmes qui viendraient pour d'autres raisons. Je crois qu'il faut que la loi de la France le prévoie. Enfin, toujours dans le domaine du droit des médecins, je veux parler du manque de moyens. Dans mon service, où l'on accepte les IVG tardives au titre de l'interruption médicale de grossesse (IMG) depuis quelques mois, nous avons constitué un groupe de réflexion qui ne comporte d'ailleurs pas que des médecins.

Il y a deux semaines, est venue, avec son petit copain de dix-huit ans, une jeune fille de treize ans qui avait eu deux rapports. Elle était aller chercher la pilule du lendemain dans une pharmacie, parce qu'elle habite dans un petit village près de Strasbourg. Le test de grossesse était positif, mais puisqu'elle avait pris la pilule du lendemain, elle ne risquait pas d'être enceinte, bien entendu. Elle s'est mise à attendre ses règles pendant trois mois, au bout de trois mois une infirmière ou une assistante sociale l'a envoyée chez nous : elle était à quatorze semaines, effondrée. Nous ne pouvons pas envoyer une jeune fille comme elle en Hollande, cela nous dépasse. A titre personnel, j'ai honte de l'avoir fait pendant des années. Nous avons soumis ce cas à l'ensemble du service, à notre commission. Tout le monde décide d'accepter pour cette jeune fille de treize à quinze semaines. Bien entendu, on ne peut pas le faire de manière chirurgicale. Nous mettons cette jeune fille dans un lit et provoquons l'accouchement. Au bout d'une heure, elle a très mal et nous lui donnons de la morphine. Elle hurle de douleur alors que nous sommes au maximum de dose de morphine. Nous appelons l'anesthésiste qui lui fait une péridurale. Ceci se fait en salle de naissance d'où nous sortons une femme pour pouvoir faire une péridurale à cette jeune fille qui en avait le plus grand besoin et qui a donc expulsé en salle d'accouchement. Le lendemain, les sages-femmes de mon service, qui ne sont pas hostiles à l'IVG, étaient toutes dans mon bureau en disant : " Mais monsieur, nous n'allons plus faire que cela. Où et comment peut-on faire cela ? ".

En acceptant à titre exceptionnel dans mon service, je crée un appel d'air sur tout l'est de la France auquel je ne peux pas répondre. Je ne sais pas répondre lorsqu'on me demande comment je vais pouvoir me limiter. Vais-je prendre les femmes de mon canton, les premières qui ont consulté dans la semaine ou encore les plus jeunes ? Je ne sais pas faire la sélection. Faire une loi est une chose, donner aux médecins les moyens d'agir en est une autre.

Tout le corps médical est en train de dire qu'il n'a pas les moyens de faire correctement les accouchements et, à tout le moins, les IVG. Je mets à égalité les IVG et les accouchements, je n'assortis pas l'IVG d'une copule péjorative. Pour moi, il s'agit d'un événement de la vie d'une femme et nous n'avons pas les moyens de le faire actuellement.

Je voudrais terminer sur les droits du fÏtus. Trois options philosophiques sont présentes dans notre pays sur les droits du fÏtus, dont on ne parle plus car cela est devenu obscène, ce qui est bizarre.

L'option vitaliste : lorsque le spermatozoïde est entré dans l'ovule, c'est un sujet et il a tous les droits du sujet. Cette option vitaliste a corrompu le débat sur cette question.

Une autre option, tout aussi extrémiste de l'autre c™té, consiste à dire qu'il n'y a rien dans le ventre d'une femme enceinte s'il n'y a pas de désir d'enfant. Cette option n'est pas plus jouable que la première et donc sur le plan philosophique, car il faut toujours revenir aux fondamentaux. Cela pose la question de savoir ce qu'est un embryon, un fÏtus ? C'est un sujet en acquisition de droits. Les droits d'un embryon à quatre cellules dans une éprouvette ne sont pas les mêmes que les droits d'un embryon à dix semaines, qui eux-mêmes sont différents de ceux d'un fÏtus de douze, quatorze, vingt-huit ou trente-neuf semaines. Par conséquent, les droits du fÏtus sont acquis à 100 % le jour de sa naissance, lorsqu'il est vu et nommé. En dehors de cette philosophie-là, je ne vois pas comment on peut décrire le système juridique français, sauf à entrer dans des contradictions terribles.

En ce qui me concerne, je tiens compte du fait que le diagnostic prénatal (DPN) est très développé dans notre pays, au point que la France est le pays au monde où les DPN sont les plus répandus et les plus précoces. Peut-être est-ce une erreur ? Vous savez que l'offre de soins génère la demande de soins. Par ailleurs, nous sommes dans un système un peu marchand et nous avons, quelle que soit l'analyse des causes, un DPN très précoce. Dans les grandes villes, 98 % des femmes ont une échographie très détaillée à onze semaines de grossesse. Or 5 % des échographies se terminent par un doute. Près de 40.000 femmes sortent de cette échographie avec un doute qui peut porter sur l'épaisseur de la nuque, sur la position d'un pied ou sur la vitalité de l'enfant. Je tiens pour mortifère le croisement de deux délais : le délai de l'IVG et celui du DPN. On peut se le cacher et dire que cela n'existera pas, mais cela existe déjà. J'ai des chiffres à la disposition de ceux que cela intéresse.

Le corps médical doit gérer un entrecroisement difficile entre des informations qu'il n'a pas le droit de taire sur le DPN et ses doutes, et la possibilité pour la femme de faire une IVG. Souvent, il s'agit d'une grossesse totalement désirée qui, du fait de la parole médicale, ne l'est plus, car rien n'est pire que le doute. Je vous rappelle que les médecins sont désormais contraints d'exposer tous les résultats de leurs examens jusque, y compris, les risques exceptionnels. Talonnés par le monde judiciaire, ils le feront. Il est juste de dire que ce ne sont pas les mêmes femmes qui demandent une IVG ou une IMG pour malformation. Je dis que les 5.000 femmes ou plus dont j'ai parlé tout à l'heure doivent être prises en charge en France. C'est pour cela qu'il n'y a pas d'hésitation dans mon propos et j'écrivais déjà cela à Mme Aubry il y a deux ans. Je disais aussi, comme il faut bien les prendre au-delà du délai de deux semaines supplémentaires, qu'il faut un garde-fou et que ne viennent pas se rajouter à ces 5.000 femmes-là d'autres femmes pour des raisons moins avouables et qui obligeraient les médecins à faire valoir une clause de conscience à géométrie variable, ce que je fais actuellement comme dans le cas qui s'est produit la semaine dernière.

Pour terminer, monsieur le président, ma proposition est la suivante : concernant la possibilité d'IVG sans l'accord des parents, je bats des mains ; concernant la suppression de l'entretien obligatoire, je bats des mains ; pour ce qui est de l'allongement du délai de l'IVG, oui au travers de l'IMG qui existe dans la loi de 1975.

Dans le cas de l'IMG, il ne suffit pas que la femme demande, il y a en aval un contr™le de l'indication, c'est-à-dire qu'elle ne peut plus dire que les motifs ne regardent pas le médecin. Je suis d'accord pour dire qu'on ne peut pas placer les médecins comme juges de cela. Je propose que l'on organise l'IMG comme on l'a fait concernant les malformations. En 1994, à l'instigation d'un député, Jean-François Mattei, nous avons organisé l'IMG pour malformation en assortissant cette demande d'une rencontre avec un comité d'experts. Le législateur a demandé aux médecins de se mettre ensemble pour prendre une décision d'une pareille importance.

Je propose maintenant que l'on organise l'IMG pour cause maternelle et que l'on organise des groupes, des centres, des collectivités dans chaque ville, réunis deux fois par semaine et que l'on pourrait appeler centres d'interruption de grossesse ou centres pluridisciplinaires d'interruption de grossesse et comprenant des médecins volontaires dont vous savez que ce ne sont pas ceux qui veulent le plus de mal aux femmes, mais aussi des représentantes du planning familial, de l'ANSIC, de la CADAC, une représentante de la délégation aux droits des femmes. Ainsi, des non-médecins seraient amenés à entendre toutes les demandes d'interruption de grossesse au-delà de dix semaines. Bien entendu, dans une demande pour choix de sexe, on trouverait un ensemble de gens autour de cette table pour dire non, mais toutes les vraies demandes d'IVG trouveraient un assentiment.

Ce que je propose, c'est une modulation et peut-être une négociation entre le droit des femmes à obtenir une IVG et le droit des médecins à ne pas la faire lorsqu'ils se trouvent dans une situation qu'ils ne peuvent pas assumer. Si l'on ne procède pas ainsi, d'une part un certain nombre de médecins risquent de regimber parce qu'ils ont trop peu de moyens et d'autre part des personnes, comme moi, n'accepteront pas qu'on leur dise de faire des IVG dans un contexte où la femme peut dire qu'elle ne souhaite pas sa grossesse sans savoir pourquoi elle souhaite l'IVG. Les médecins peuvent tout entendre et toutes les demandes de la société sont audibles, mais ils ne peuvent pas tout accepter car, bien heureusement pour la France, elle comporte de très nombreux médecins qui ne sont pas sans conscience.

M. Jean DELANEAU, président - Vous avez fait un tour d'horizon tout à fait important. Il y a peut-être une première question : en 1979, la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale s'était beaucoup interrogée sur les problèmes de complications. Nous disposions à ce moment-là des études réalisées entre 1975 et 1978 et qui, compte tenu des moyens dont nous disposions à cette époque, montraient qu'il y avait une période, qui se situe entre neuf et onze semaines, qui était le passage de la limite entre la relative bénignité et le risque de voir des complications pas seulement immédiates mais aussi sur l'avenir gynécologique, obstétrical ou sexuel de la femme. Pensez-vous que les choses ont évolué positivement ? Disposons-nous d'études, depuis cette période, qui puissent répondre à cette interrogation ?

Professeur Israël NISAND - Les choses ont changé, la technique a évolué et nous disposons maintenant de moyens qui nous permettent effectivement d'être plus súrs que nous l'étions en 1975-1979. Il faut tout de même remarquer que plus l'%oge gestationnel est avancé, plus le geste est risqué. Toutes les études internationales convergent dans ce sens. Je ne pense pas qu'il y ait là un argument car une femme qui ne souhaite pas sa grossesse, même si on lui annonce des complications potentielles, ne s'arrête pas à cela. L'ANAES, qui est en train de sortir un document très intéressant à ce sujet, le souligne également. Les IVG au-delà de dix semaines doivent être pratiquées par des médecins qui ont une compétence chirurgicale. On ne peut pas gérer ce type d'IVG, qui peut se traduire par des ruptures utérines, par des accidents relativement sévères, sans qu'il y ait un plateau technique et une compétence chirurgicale disponibles. Il faut être très vigilant pour que les complications graves ne surviennent pas et ne pas laisser dans des structures ambulatoires les IVG tardives.

M. Jean DELANEAU, président - En ce qui concerne la sécurité juridique du médecin, je pense qu'actuellement, même avec le transfert d'un certain nombre de sanctions du code pénal vers le code de la santé publique, il reste le problème d'un acte pratiqué par des médecins en dehors du consentement parental des mineures et particulièrement sur des jeunes mineures, au cas où malheureusement il y aurait un " pépin ". Quelle est la couverture du médecin ?

Professeur Israël NISAND - Je voulais dire à ce titre que le tutorat ne couvre pas tout le problème. Très récemment, une fille de quatorze ans a appelé mon service en disant que ses parents voulaient la punir d'avoir eu un rapport sexuel en lui interdisant d'avorter. Elle voulait savoir si cela valait la peine qu'elle vienne quand même, nous lui avons dit oui. Une heure plus tard, la mère appelait car elle savait que sa fille était dans nos murs. Elle nous menaçait de porter plainte pour coups et blessures volontaires si on l'avortait. Le tutorat ne nous met pas à l'abri de cela. C'est pourquoi, dans le rapport que j'ai écrit, je suis allé plus loin que le tutorat en demandant l'abolition pure et simple de l'autorisation parentale pour l'IVG. Maintenir l'autorisation parentale pour l'IVG, c'est accepter ipso facto que les parents puissent la refuser. C'est un non-sens de dire que l'on laisse l'autorisation pour que les parents puissent la donner et non pas pour la refuser. Je crois que le courage politique voudrait qu'on aille jusqu'à l'abolition pure et simple de l'autorisation parentale en matière d'IVG.

M. Jean CHÉRIOUX - Nous n'avons pas à recevoir de leçon en matière de courage politique, vous n'avez pas à juger du courage politique. C'est un respect par rapport à nous.

M. Jean DELANEAU, président - M. Nisand nous parle de sa morale, plus que de la n™tre. Je voudrais que cette réunion reste dans son cadre. Nous avons demandé, et ils ont accepté, à un certain nombre de personnes qui ont réfléchi à ces problèmes, de venir nous présenter un exposé et de répondre à nos questions. Je souhaite qu'il n'y ait pas d'interpellations. Nous n'avons pas à imposer nos conditions. Nous pourrons faire des commentaires dans les rapports ou au cours des discussions que nous aurons mais je crois qu'il faut, surtout dans ce domaine-là, rester particulièrement calmes.

Professeur Israël NISAND - Pardonnez-moi, je retire ce que j'ai dit. Comme vous le savez, je ne suis pas un politique, je ne manie pas la langue des débats politiques. D'ailleurs, je faisais allusion non pas à ce qui s'est passé mais aux choses de l'avenir. Je sens, en disant Ò courage politique Ó, que les choses sont difficiles dans notre société, en raison d'opinions et de courants différents sur ce sujet. Ce que je dis en tant que praticien proche de ces femmes, c'est que nous allons à nouveau nous retrouver dans des conditions d'illégalité.

Je vais vous raconter ce qui se passe dans la pratique. Je suis confronté à des jeunes femmes qui nous ramènent des signatures dont nous ne connaissons pas l'origine, et nous n'avons pas la compétence pour la vérifier, et qui, pour maintenir l'anonymat de leur geste et de leur acte, se débrouillent pour trouver, on ne sait comment, les 1.300 francs et quelques centimes en liquide pour payer leur IVG afin que cela ne passe pas par la sécurité sociale de leurs parents. Souvent, les manières qu'elles ont d'obtenir en quelques jours les 1.300 francs en liquide sont bien peu avouables. Nous sommes témoins de cela et bien souvent je réagis face à ces femmes comme si elles étaient mes propres filles : j'aurais envie de leur donner la somme. Nous sommes dans une situation où nous poussons les jeunes femmes vers des actes gravissimes et nous les abandonnons dans une période de détresse. Les parents n'ont pas fait en amont ce qu'il fallait pour qu'elles soient protégées. Ces jeunes filles sont déjà dans une situation d'abandon, voire de sévices sexuels. Nous avons entendu des jeunes filles nous dire : " Comment voulez-vous que j'aille demander l'autorisation d'avorter à cet homme que je redoute et qui m'a mise enceinte ? ". Nous leur demandons immédiatement si elles acceptent de porter plainte et elles refusent car elles ont trop peur. Je crois qu'il y a là une démarche qui consiste à trouver la solution pour aider ces femmes. Je vous le dis en tant que praticien, c'est une urgence. On nous demande d'avoir du courage et de prendre en charge ces filles au nom de l'assistance à personne en danger, tout en nous mettant dans l'illégalité. Certains médecins refusent en disant qu'ils ne peuvent enfreindre la loi, et ils ont aussi raison.

M. Francis GIRAUD - Monsieur le Président, mes chers collègues, je voudrais poser deux questions en raison de l'expérience du professeur Nisand dans le domaine de l'IVG. A-t-il observé, sur les cinq ou dix dernières années, une amélioration chez les jeunes des connaissances sur la contraception, les moyens, l'IVG etc. ou bien l'ignorance reste-t-elle abyssale ? Dans le projet de loi qui sera soumis, on parle de stérilisation. Et là c'est au chirurgien que je m'adresse : quelle est son opinion sur la stérilisation, dans quelles circonstances, aussi bien pour les femmes que pour les hommes ?

M. Lucien NEUWIRTH - Nous vous avons écouté avec beaucoup d'attention. Je pense que votre formulation n'a pas été exactement ce qu'elle aurait pu être parce que vous ressuscitez l'idée d'un pouvoir médical, et vous savez ce que l'on en pense. Je crois que c'est un problème de formulation de votre part. Pensez-vous que compara»tre devant un comité important et nombreux, d'après ce que vous avez indiqué, est préférable à un entretien plus confidentiel, plus confiant ? L'Etat, depuis la loi Veil, a été incapable de donner les moyens en amont de développer l'information, la communication sur la contraception qui est le seul moyen de nous préserver de l'IVG.

M. Jean-Louis LORRAIN - Avant le petit incident, je m'étais posé une question concernant le r™le de l'expert. Ne sentez-vous pas qu'il est en train d'évoluer à l'occasion de dossiers comme celui-ci, malgré l'expert ou avec lui, dans la mesure où il devient un peu l'outil des médias. Avez-vous encore la possibilité de garder votre libre-arbitre et d'être véritablement pour nous des référents ?

En ce qui concerne l'avortement, vous avez beaucoup parlé des droits. La loi Veil permettait l'avortement dans certaines conditions, mais là on entre dans une phase de droit à l'avortement. N'est-ce pas une modification importante, une autre orientation, en particulier quand vous sous-tendez qu'il faut supprimer l'entretien qui peut se faire de façon très rapprochée. Supprime-t-on aussi dans le texte la notion positive d'information sur le suivi de la grossesse et sur les possibilités qu'auraient les jeunes femmes de pouvoir encadrer leur grossesse ? Si ceci est supprimé de la loi, on entre une fois de plus dans la notion de droits. Vous parliez de la notion d'approche de la souffrance et disiez qu'on ne peut laisser ces jeunes filles confrontées à une Ò autorité parentale Ó. L'enfant peut toujours se retourner vers le juge. Cela est-il suffisant ? Je ne le sais pas.

M. Jean CHÉRIOUX - Monsieur le professeur, parmi les droits que vous avez évoqués, il y a le droit du fÏtus. Vous ne vous êtes pas étendu très longtemps là-dessus, mais si j'ai bien compris, il s'agit d'un droit à géométrie variable. Ce texte, en réalité, n'est pas une continuité par rapport à la loi Veil. C'est une rupture car la loi Veil était basée sur le respect de la vie dès le départ. En face de cela, on mettait la détresse des femmes puis on essayait de trouver une solution. Maintenant, vous êtes pour la reconnaissance du droit à l'avortement.

M. Guy FISCHER - Dans vos déclarations précédentes, dans vos écrits, vous avez fait part de vos craintes d'eugénisme liées à l'allongement des délais. Pouvez-vous expliciter votre point de vue ?

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - J'ai ressenti votre propos, professeur, à peu près de la même manière que M. Neuwirth avec cette espèce de tonalité générale qui pourrait justifier les craintes d'un retour du pouvoir médical. Pourriez-vous préciser ? J'ai beaucoup apprécié dans vos propos le souhait, que vous avez émis, que toutes les femmes puissent interrompre leur grossesse avec une prise en charge en France.

En revanche, je trouve redoutable le dispositif que vous proposez, d'entretien, de prise de décision par un collectif pour toutes les femmes souhaitant une IVG en dehors du délai légal que vous continuez à fixer à dix semaines de grossesse. N'y a-t-il pas là une contradiction avec votre souhait de garder en France ces femmes qui veulent interrompre leurs grossesses et cette espèce de tribunal, qui sera ressenti en tout cas comme un tribunal. Je crois que les femmes qui auront les moyens continueront à aller à l'étranger, sans interrogatoire, sans décision prise par un collectif, et celles qui n'auront pas les moyens, elles, devront subir cette comparution devant un collectif qui ne sera pas facile à supporter.

M. Bernard SEILLIER - Monsieur le professeur, vous avez évoqué, au sujet du droit des fÏtus, trois options. Vous avez appelé la première vitaliste. J'appellerai, faute de mieux, les deux autres négationnistes ou progressivistes, puisque dans la troisième était développée l'idée d'un sujet en acquisition de droits. Voyez-vous d'autres critères pour déterminer les phases de cette progressivité que des critères sur l'état purement physique du fÏtus ou des critères sur la technologie de l'intervention pour interruption ?

Professeur Israël NISAND - Je ne crois pas avoir utilisé le mot " compara»tre ", ni le mot " tribunal ". Encore une fois, je ma»trise mieux la langue scientifique que la langue politique.

Permettez-moi d'éclairer un dispositif que je propose et dont mes collègues pensent qu'il est la solution. Il ne s'agit pas de faire compara»tre une femme. Il s'agit simplement de mettre autour d'une table, en l'absence de la femme, son dossier pour que des situations extrêmes et rares, comme celles que j'évoquais, puissent être repérées. Savez-vous que nous voyons en trois secondes la demande d'IVG, qui est une demande spécifique. Les gens qui viendront vous dire que l'IVG et l'IMG ne concernent pas les mêmes femmes ont raison et croyez que nous les reconnaissons tout de suite. Une femme dans la détresse et qui nous dit qu'elle ne s'est pas rendu compte de sa grossesse, qu'on l'a laissée tra»ner, qu'on lui a donné un rendez-vous à trois ou quatre semaines, nous savons qu'elle est dans une démarche d'IVG. Ceci concerne les trois quarts des femmes qui dépassent le délai.

La décision de la commission pluridisciplinaire ne sera pas que médicale, mais d'ordre médico-psychologique et social. Des médecins participeront à la discussion et sauront que la commission ne voit pas d'inconvénients à ce que l'on fasse cette interruption. Il ne s'agit pas d'un retour du pouvoir médical. Je ne fais pas partie de l'ordre corporatiste des médecins. J'ai une très grande sévérité de jugement personnel vis-à-vis des collègues qui m'en veulent de m'exprimer sur leur manière de gérer leurs services comme des PME, faisant valoir la clause de conscience pour eux-mêmes mais également pour leurs adjoints, et ce depuis vingt-cinq ans. Je ne suis pas de ceux qui mangent au r%otelier du pouvoir médical.

En revanche, puisque je demande qu'on puisse faire des IVG, pas dans les deux semaines qui suivent mais plus, l'IMG n'étant pas limitée dans un délai, il s'agit simplement de restituer la " Roberval " dans nos regards entre, d'une part, le poids de la demande qui est variable et, d'autre part, le poids du geste qui nous est demandé. Il y a des femmes qui, entre quatorze et dix-sept semaines ne voient pas la différence. Il y a des cas où, à dix-sept semaines, il faut pouvoir prendre en charge des femmes. Il y a d'autres cas à quatorze semaines où il faut pouvoir dire non.

D'ailleurs souvent, quand nous leur disons non au-delà du délai, nous avons la surprise de voir la femme rassurée car si elle est arrivée vers ce seuil, c'est parce qu'elle le cherchait. L'effet seuil va être reculé de deux semaines, non pas pour les femmes qui ne peuvent accepter la grossesse et qui se reconnaissent au premier coup d'Ïil, mais pour les femmes pour lesquelles la grossesse est intimement désirée.

Véritablement, sortez-vous de l'idée que je suis un adepte du pouvoir médical et que je veux dresser des tribunaux. Je veux simplement créer un mécanisme qui nous permette de sortir du " il faut et il suffit que la femme demande ".

En réponse à M. Lorrain, le r™le de l'expert est effectivement en train d'évoluer. A propos de l'expert judiciaire qui signe l'IMG actuellement, je pense que, contrairement au dispositif de loi qui existe actuellement pour l'IVG pour cause maternelle, il faut enlever la signature de l'expert et la remplacer par la signature de cette commission dont je vous parlais. C'est ce que nous avons réalisé dans mon service depuis trois mois : le groupe décide et en fonction de cette décision je signe ou je ne signe pas. Je trouve que l'association de l'expert judiciaire à l'IMG pour cause maternelle était pertinente en 1975 ; cela est devenu impropre aujourd'hui.

Concernant la suppression de l'entretien obligatoire, oui, parce que c'est une insulte faite aux femmes. C'est une insulte que de leur dire : " vous avez eu un échec de votre contraception par stérilet, pour obtenir l'IVG que vous demandez, il faut que vous alliez rendre compte à quelqu'un ". Parmi les femmes qui réalisaient les entretiens, des conseillères conjugales de haut niveau savaient ne pas insister dans certaines circonstances et être plus incisives dans d'autres, mais je ne crois pas que l'on puisse obliger quelqu'un à un entretien : je suis pour qu'il soit systématiquement proposé mais non obligatoire. Cela ne supprime pas les informations que les médecins seront obligés de donner aux patientes sur le suivi de leur grossesse et sur les aides. Cela ne dispense pas les médecins d'avoir recours à une assistante sociale ou à un psychologue s'ils l'estiment utile.

Enfin, le pouvoir judiciaire modifie considérablement le pouvoir des médecins et je peux vous dire qu'il y a une vague de fond extrêmement grave liée à l'arrêt Perruche. Je le constate déjà dans le centre pluridisciplinaire auquel je participe, où devant des anomalies mineures de type pied-bot, des collègues se demandent à quoi ils servent si l'enfant est susceptible de porter plainte à dix-huit ans. Cet arrêt Perruche remet en cause très clairement la loi de 1994 sur les centres pluridisciplinaires. Beaucoup de gens se demandent s'il est encore utile de regarder les dossiers car une association d'experts ferait aussi bien.

Je ne crois pas que cette loi soit en rupture par rapport à la loi Veil car elle est l'expression d'une société qui cherche à protéger ses femmes, à accro»tre leurs droits et à veiller à leur bonne santé et à leur bonheur. Je crois que nous sommes dans une société qui respecte la vie. Dans l'histoire d'une femme, souvent une grossesse désirée ne peut survenir parce qu'il y a eu des événements moins heureux préalablement. La loi Veil tenait compte du nombre de femmes qui subissaient des actes médicaux qui n'en étaient pas et qui perdaient leur vie, mais également du droit des femmes. Dans cette perspective, nous ne sommes pas dans une rupture par rapport à la loi Veil.

On m'a prêté l'utilisation du mot eugénisme, parce que les impératifs de l'audimat résument une pensée un petit peu compliquée. Je sais bien, pour l'expliquer à mes étudiants et à mes collègues, que l'eugénisme ne s'applique que dans des politiques collectives et souvent coercitives. Là, il s'agit d'avoir des enfants en bonne santé ; nous ne sommes pas stricto sensu dans la définition de l'eugénisme. De plus, je considère que l'utilisation du mot " eugénisme " fausse le débat car il tire derrière lui des connotations qui font référence à la médecine nazie et à d'autres choses. Loin d'éclairer le débat, cela le perturbe. Ne ma»trisant pas les journalistes, je ne me suis pas rendu compte qu'en donnant des interviews par téléphone, la complexité des idées que je viens d'exprimer ici pouvait être perturbée et qu'un mot rapide pouvait remplacer une phrase pas très claire. J'ai envoyé des droits de réponse qui m'ont été refusés.

En revanche, je redis que le croisement du délai du DPN et du délai de l'IVG est mortifère. Cela va produire, dans un certain nombre de cas, un empressement de l'environnement médical et familial. Nous avons un exemple : le laparoschisis est une hernie dans laquelle l'intestin s'engage et sort dans le liquide amniotique. Cela se voit extrêmement t™t dans la grossesse. A la naissance, on accouche l'enfant dans un endroit de chirurgie pédiatrique, le chirurgien pédiatre endort l'enfant, rentre l'intestin et referme la hernie, le pronostic est excellent. Mais le laparoschisis est très spectaculaire à l'échographie de onze semaines : il saute aux yeux des mères et dans cette circonstance les femmes nous disent qu'elles ne veulent pas d'un enfant que l'on va opérer à la naissance. Quelle que soit l'annonce, vous vous retrouvez dans des situations comme celle-là. Nous sommes incapables de dire que nous pouvons protéger le laparoschisis contre un avortement alors que la grossesse est désirée et qu'elle ne l'est plus du fait du système médico-social et technologique que nous avons mis en place. Donc, je ne parle pas d'eugénisme mais de l'inquiétude des parents individuels disposant d'une carte supplémentaire, et je dirai que le doute est encore pire que le diagnostic. Lorsque l'on dit à une femme que l'enfant a une nuque épaisse, sachant que 3 % des trisomies 21 ont des nuques épaisses, les femmes ne viennent même plus au rendez-vous d'amniocentèse, le doute est mortifère. On m'a beaucoup reproché de mettre ce débat sur la table et de considérer les femmes comme des écervelées.

Concernant la phase progressiviste dans l'évolution du fÏtus, il y en a effectivement une très importante. Jusqu'à dix semaines, l'embryologie n'est pas terminée. Nous sommes capables de faire un diagnostic avant dix semaines : il s'agit de l'anencéphalie. Nous ne faisons pas de DPN industriel avant dix semaines. En revanche, à onze semaines, tout a changé, tous les organes sont en place et ils peuvent être examinés. Ce qui différencie la demande à dix semaines de celle à onze semaines, c'est que, dans le premier cas, la femme peut me dire qu'elle ne veut pas de la grossesse, ce que je peux entendre, alors que, dans le deuxième cas, elle risque de dire qu'elle ne veut pas de cette grossesse, ce qui me pose problème.

Sur la contraception, nous n'avons pas fait ce que nous aurions dú faire durant les vingt dernières années. 40 % des femmes payent leur pilule. Chaque semaine, des femmes arrivent avec une grossesse non désirée car elles n'ont pas pu se payer la pilule du mois suivant. Je considère que cela est scandaleux. Mais nous n'avons pas éduqué les adultes de demain que sont les adolescentes. J'organise depuis dix ans un programme d'information des adolescentes et je me trouve dans une solitude que vous n'imaginez pas. Bien que je sois professeur en médecine, je consacre quatre heures par semaine à montrer aux jeunes médecins comment le faire dans les classes de troisième. Un tel programme, institué par l'Etat et rendu obligatoire aurait porté ses fruits depuis vingt ans. Il n'est pas trop tard pour le faire.

La stérilisation est une forme de contraception, certes, mais qu'il faut réserver à des situations où, médicalement, il est difficile de réaliser la contraception. En tant que directeur d'un département de fécondation in vitro , je rencontre une fois par mois une demande de fécondation in vitro dont la cause n'est autre qu'une stérilisation volontaire de la femme dans les années précédentes. Les femmes ignorent quand elles se font stériliser que cela est irréversible et que tout peut changer dans leur vie. Je suis très réticent à faire des ligatures des trompes car cela tue. La ligature des déférents me para»t beaucoup moins nuisible. De plus, l'homme peut mettre en banque du sperme, ce que ne peut pas faire la femme.

M. Jean DELANEAU, président - La ligature des trompes est considérée en droit, si je ne m'abuse, comme une mutilation. En ce qui concerne la ligature des déférents, la raison n'est-elle pas un machisme sous-jacent dans notre pays latin ?

Professeur Israël NISAND - Oui, d'ailleurs lorsqu'on leur propose, les hommes ne veulent pas d'une ligature des déférents. Beaucoup de femmes, dix ans après une ligature des trompes, nous demandent de leur reperméabiliser les trompes alors qu'elles ne veulent pas d'enfant, tant elles se trouvent mal.

M. Jean DELANEAU, président - Nous pouvons vous remercier. C'était un tour d'horizon tout à fait intéressant.

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