V. DES REVENDICATIONS LÉGITIMES ENCORE INSATISFAITES
Si le
monde combattant reconnaît à bon droit les avancées
réalisées cette année et accueille favorablement les
quatre mesures nouvelles annoncées par le gouvernement, votre rapporteur
estime légitime d'insister, cette année encore, sur les quelques
points qui restent en suspens.
En outre, on peut observer que la diminution naturelle du nombre des
bénéficiaires des mesures financées par le présent
budget, notamment au titre des pensions d'invalidité et du Fonds de
solidarité pour l'Afrique du nord et l'Indochine, estimée
à 139,1 millions d'euros, soit 914 millions de francs, laisse
une certaine marge de manoeuvre au gouvernement pour satisfaire les
revendications du monde combattant.
A. LA « DÉCRISTALLISATION » : UN ESPOIR DÉÇU
Les
ressortissants des pays autrefois placés sous la souveraineté de
la France ayant accédé à l'indépendance ont, en
principe, les mêmes droits à pension militaire d'invalidité
et à retraite du combattant que les nationaux français. Depuis
1958 cependant, un dispositif législatif dit de
« cristallisation », applicable aux pensions militaires
d'invalidité et aux retraites du combattant, a modifié
l'étendue des droits des ex-nationaux sur les montants versés
(blocage de la valeur du point de base) et l'ouverture de droits nouveaux.
La « cristallisation », dispositif aux règles
diverses et inégalitaires, entraîne une grande dispersion des
valeurs du point de pension militaire d'invalidité utilisées,
entre 0,48 euro (3,14 francs) et 6,87 euros (45,05 francs). Son impact
réel doit cependant être apprécié au regard du
pouvoir d'achat que les pensions cristallisées procurent à leurs
bénéficiaires.
En outre, la question de la cristallisation doit être examinée
à la fois du point de vue du tarif des pensions (valeurs du point
d'indice) et du point de vue de l'ouverture de droits nouveaux.
Dès la discussion du projet de loi de finances pour 1999, le
secrétaire d'Etat avait proposé d'engager la réflexion sur
cette question en termes de pouvoir d'achat, en comparant, pour un même
taux d'invalidité, le pouvoir d'achat d'une pension attribuée
à un ancien combattant ressortissant français et celui de la
pension aujourd'hui versée à un ancien combattant d'un pays
devenu indépendant. Les résultats avaient souligné un
retard particulièrement significatif pour le Maroc et la Tunisie :
« le pouvoir d'achat de la pension versée au Maroc et en
Tunisie ne permet pas aux intéressés de subvenir à leurs
besoins ».
La cristallisation se traduit ainsi par une très grande dispersion du
point en vigueur selon la nationalité des pensionnés : 6,87
euros (45,05 francs) à Djibouti, 4,26 euros (27,97 F) au
Sénégal, mais 1,96 euro (12,88 F) en Guinée, 1,18 euro
(7,77 F) au Maroc et en Tunisie et 0,48 euro (3,14 F) au Vietnam (pour
mémoire, la valeur non cristallisée du point de PMI est de 12,48
eruos au 1
er
décembre 2000).
Dans les Etats du Maghreb, où le niveau de vie a progressé depuis
la mise en place du dispositif de cristallisation et où les valeurs du
point actuelles procurent un pouvoir d'achat très inférieur au
niveau de vie, une revalorisation du point de PMI se justifie pleinement.
Il est difficile de comprendre comment, dans les conditions budgétaires
actuelles, il n'a pas été possible de prendre une décision
« équitable » concernant les seules retraites des
combattants originaires du Maghreb, pour un coût de l'ordre de 18,3
millions d'euros (120 millions de francs), soit 13 % du montant des
économies dégagées.
Certes, le Secrétaire d'Etat s'est engagé à oeuvrer
« en faveur de la traduction au plan administratif de
décisions de justice ». Une récente décision du
Conseil d'Etat (avis rendu sur question préjudicielle du Tribunal
administratif de Dijon - JO du 1
er
janvier 2000) a en effet
précisé que la cristallisation ne devait s'appliquer qu'aux
tarifs des prestations versées au titre du code des questions militaires
d'invalidité et des victimes de guerre, et non à l'ouverture de
droits nouveaux.
C'est dans ce contexte qu'ont été adoptés les articles 109
et 100 de la loi de finances pour 2001, n° 2000-1352 du 30 décembre
2000.
L'article 109 de la loi précitée prévoit que
«
l'article 71 de la loi n° 59-1454 du 26
décembre 1959 et l'article 26 de la loi n° 81-734 du 3 août
1981 sont complétés par un alinéa ainsi
rédigé : La retraite du combattant pourra être
accordée, au tarif tel qu'il est défini ci-dessus, aux anciens
combattants qui remplissent les conditions requises postérieurement
à la date d'effet de cet article ».
En application de ces
dispositions, les retraites du combattant ont été
concédées à un taux
« cristallisé » à compter du 1
er
janvier 2001. Il s'agissait donc de lever la forclusion sur l'attribution de
droits nouveaux s'agissant des retraites du combattant des anciens combattants
d'outre-mer.
L'article 110 de la loi précitée institue une commission
d'étude de la revalorisation des pensions chargée de proposer des
mesures d'ordre législatif et réglementaire permettant la
revalorisation des rentes, des retraites et des pensions des anciens
combattants de l'outre-mer. Cette commission, composée de
représentants des associations d'anciens combattants et des
administrations concernées, de deux députés et de deux
sénateurs, a pour mission d'émettre des propositions sous la
forme d'un rapport au Premier ministre, dans un délai de six mois
suivant son installation.
Votre rapporteur tient cependant à souligner que la première
réunion de cette réunion n'est intervenue que le 23 octobre 2001
et que l'arrêté fixant nominativement ses membres n'était
toujours pas paru à l'heure de la rédaction de la présente
note.
Au 31 décembre 2000, le nombre de retraites du combattant
cristallisées était de 47.964. Si les dispositions contenues dans
la loi de finances pour 2001 semblaient constituer un premier pas vers la
décristallisation, votre rapporteur ne peut que constater que l'espoir
que ce premier pas a suscité a été déçu.
Votre rapporteur estime qu'il est du devoir du gouvernement aujourd'hui
d'avancer sur cette question qui préoccupe le monde combattant pour des
raisons d'équité et de justice depuis de nombreuses années.
Votre rapporteur spécial accueille favorablement l'amendement
adopté à l'Assemblée nationale visant à majorer les
crédits du chapitre 46-20 « Pensions d'invalidité,
allocations et indemnités diverses » de 1,52 million d'euros
afin de financer l'ouverture des droits à pension relatifs au code des
pensions militaires d'invalidité pour les ayants cause des anciens
combattants des anciennes colonies, dans la continuité des mesures
décidées en loi de finances pour 2001 (articles 109 et 110).
B. L'ÂGE D'ATTRIBUTION DE LA RETRAITE DU COMBATTANT
S'agissant ensuite de l'anticipation de
l'âge de
versement
de la
retraite
du combattant
, votre rapporteur tient à
rappeler que la modicité de cette allocation fait que cette mesure
n'aurait véritablement de portée que pour les personnes disposant
de faibles ressources, et qu'une telle disposition constitue en
réalité une mesure de solidarité significative et
fondée.
Votre rapporteur a toujours considéré que cet abaissement pouvait
se faire par étapes, parallèlement à l'extinction
programmée du fonds de solidarité. Toutefois, il tient à
souligner que cette solution risque bientôt de perdre de son
intérêt dans la mesure où près de la moitié
des anciens combattants potentiellement concernés a d'ores et
déjà atteint l'âge de 65 ans.
Le présent projet de loi prévoit, dans son article 63,
l'attribution à 60 ans de la retraite du combattant aux
bénéficiaires d'une pension militaire d'invalidité au
titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de
guerre. Cette mesure est évaluée à 12,2 millions
d'euros, soit 80 millions de francs, et concernent 29.500 anciens combattants
d'AFN pensionnés.
Votre rapporteur considère cette mesure comme un progrès
indéniable mais estime souhaitable d'étudier plus avant les
possibilités d'une généralisation de l'attribution de la
retraite du combattant à 60 ans.
Outre, l'abaissement progressif de l'âge de versement de la retraite du
combattant, votre rapporteur est favorable à une augmentation de
l'indice de pension. L'article L. 256 du code des pensions militaires
d'invalidité et des victimes de la guerre dispose en effet que le
montant de la retraite est déterminé par application de l'indice
de pension 33 tel qu'il est défini à l'article L. 8
bis
du
même code. Dès lors, une solution alternative à
l'abaissement de l'âge de versement de la retraite pourrait être un
passage de l'indice de pension de 33 à l'indice 48 pour le calcul du
taux de la retraite versée. Cette augmentation de l'indice pourrait
également se faire par étapes : plus 5 points par an en
trois ans. Le coût total estimé de cette augmentation est de
l'ordre de 1,5 milliard de francs. Alors que le coût cumulé
(2002-2006) d'une mesure de généralisation du versement de la
retraite du combattant à 60 ans serait, selon les données du
ministère de la défense, de l'ordre de 2,8 milliards de
francs.
En tout état de cause, votre rapporteur estime que l'argumentation du
Gouvernement, qui craint que, ce faisant, on se rapproche des
caractéristiques d'une pension de vieillesse (et donc, partant, d'un
risque d'assujettissement fiscal) n'est pas fondée. La retraite des
anciens combattants reste, et restera toujours, l'expression d'une
reconnaissance de la Nation et n'a rien à voir avec la retraite
versée au terme d'une vie professionnelle.
C. LA SITUATION DES VEUVES D'ANCIENS COMBATTANTS
Le
gouvernement a annoncé une mesure bienvenue dans le présent
projet de loi en faveur des veuves des grands invalides, à savoir
l'augmentation de 120 points d'indice de leur majoration de pension (article
62).
Si votre rapporteur accueille favorablement cette mesure à destination
des veuves de grands invalides, il n'en conteste pas moins l'absence de mesure
en faveur de toutes les autres veuves.
Sur 1.750.000 veuves ressortissantes de l'ONAC au
1
er
janvier 1998, quelque 160.000 seulement
bénéficient de la réversion de la pension
d'invalidité de leur conjoint décédé, étant
entendu que la pension de veuve au taux normal est inférieur au minimum
vieillesse.
En 2000, les services départementaux de l'ONAC ont dispensé une
aide financière à 8.068 veuves pour un montant global de
2,945 millions d'euros (soit 19,3 millions de francs), soit une
augmentation de 6,3 % du nombre de bénéficiaires et de
15 % du montant des dépenses par rapport à l'exercice 1999.
Ainsi 1,8 million d'euro (près de 12 millions de francs) ont
été consacrés à 4.956 veuves exposées
à des difficultés financières ponctuelles liées
à l'acquittement de frais médicaux, de factures d'énergie,
de frais résultant de la charge d'enfants ou de frais d'obsèques.
Au regard du nombre total de veuves d'anciens combattants, votre rapporteur
estime que cet effort de solidarité n'est pas suffisant.
La commission des Affaires sociales du Sénat a pourtant formulé
plusieurs pistes de solution, d'incidence budgétaire inégale :
réversion de la retraite, assouplissement des conditions de
réversion des pensions d'invalidité, revalorisation des pensions
de veuves.
En outre, le recyclage des ressources du fonds de solidarité afin de
financer une aide spécifique pour les veuves d'anciens combattants sous
la forme d'une allocation différentielle sous condition de ressources
constitue une des revendications du monde combattant et a été, un
temps, envisagé par le secrétaire d'Etat lui-même. Votre
rapporteur s'interroge donc sur les intentions du gouvernement à cet
égard.
D. L'INDEMNISATION DES ORPHELINS DE DÉPORTÉS
Votre rapporteur s'interroge sur le bien-fondé de la mesure d'indemnisation prise par le décret n° 200-657 du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites.
Le dispositif juridique et la procédure d'indemnisation
D'après les dispositions de ce décret, toute
personne
dont le père ou la mère a été déporté
à partir de la France dans le cadre de persécutions
antisémites durant l'occupation et a trouvé la mort en
déportation, a droit à une mesure de réparation si elle
était mineure de vingt et un ans au moment où la
déportation est intervenue.
Sont exclues du bénéfice de cette mesure les personnes qui
reçoivent une indemnité viagère versée par la
République fédérale d'Allemagne ou la République
d'Autriche à raison des mêmes faits.
L'indemnisation revêt deux formes selon la demande de
l'intéressé : un capital forfaitaire et unique de 180.000 francs
(27.440 euros) ou une rente viagère mensuelle de 3.000 francs
(457,35 euros) servie jusqu'au décès du
bénéficiaire.
Le paiement des rentes viagères et des indemnités de capital est
assuré par l'ONAC qui reçoit à cet effet des
crédits du budget des services généraux du Premier
ministre (la gestion des sommes versées à l'ONAC au titre de ce
dispositif est assurée dans le cadre de la réglementation des
ressources affectées).
Le nombre et le montant des indemnisations
A la
date du 3 septembre 2001, 15.253 demandes d'indemnisation avaient
été reçues, réparties en :
- 11.4000 décisions définitives d'accord ;
- 3.403 décisions en instance ;
- 450 décisions de refus (parents non déportés, orphelins
de plus de 21 ans ...).
Au 12 septembre 2001, la dépense enregistrée par l'ONAC
était de :
- 886,7 millions de francs (135,2 millions d'euros) pour l'attribution du
capital ;
- 113,2 millions de francs (17,3 millions d'euros) pour les rentes
viagères initiales ;
- 74,6 millions de francs (11,37 millions d'euros) au titre des
mensualités servies.
Au total, l'indemnisation versée au titre du décret du 13 juillet
2000 entre le 30 octobre 2000 et le 12 septembre 2001
s'élève à 1.074,5 millions de francs (163,8 millions
d'euros), sur crédits inscrits au budget des SGPM.
Votre rapporteur, estime, que dans un souci d'équité et
d'indifférenciation raciale ou religieuse, cette mesure de
réparation devrait être étendue à tous les orphelins
de déportés non juifs, fusillés ou massacrés.
E. L'INDEMNISATION DES INCORPORÉS DE FORCE DANS LES FORMATIONS PARAMILITAIRES ALLEMANDES (RAD - KHD)
Les
engagements pris concernant
l'indemnisation des incorporés de force
dans les formations paramilitaires allemandes
(RAD-KHD)
9(
*
)
, par alignement sur la situation des
incorporés de force dans l'armée allemande, n'ont toujours pas
été tenus. Le recensement a pourtant été
effectué depuis plus de deux ans (31 mars 1999), la quasi
totalité des 10.000 demandes reçues, examinées, et la
fondation « Entente franco-allemande » est prête
à financer en grande partie cette indemnisation, sous réserve que
le Gouvernement français s'y engage lui aussi.
Dans la réponse à la question portant spécifiquement sur
les incorporés dans les organisations RAD ou KHD, posée par
votre rapporteur au secrétaire d'Etat dans le cadre de son traditionnel
questionnaire budgétaire, il est indiqué que :
«
Le gouvernement, après avoir examiné attentivement
ce dossier, a approuvé la décision prise le 25 juin 1998 par le
comité directeur de la fondation Entente franco-allemande
d'élargir à cette dernière catégorie
d'incorporés de force le droit à l'allocation unique qu'elle est
chargée de distribuer. C'est en effet dans le cadre de l'accord
franco-allemand du 31 mars 1981 et des fonds qui ont été
réservés pour l'application de cet accord que la solution doit
être trouvée. Le conseil d'administration de l'Entente a
conditionné, jusqu'à présent, le versement lui incombant
à la participation de l'Etat.
Le gouvernement ne s'estime pas tenu
par cet engagement, l'accord du 31 mai 1981 n'ayant pas prévu une
contribution de la France à une indemnisation qui relève de la
responsabilité allemande
».
Votre rapporteur regrette que les crédits nécessaires au
règlement définitif de ce dossier ne soient toujours pas inscrits
dans le présent projet de budget et ne partage pas du tout l'opinion du
secrétaire d'Etat selon laquelle le gouvernement ne doit pas s'estimer
tenu par cet engagement.