2. Une concertation trop tardive
Le besoin de concertation est patent, notamment en amont des projets , la concertation au titre de l'enquête publique intervenant trop tard, alors que les principales orientations d'un projet sont déjà acquises. En particulier, une revendication récurrente du public consiste à pouvoir discuter de l'opportunité d'un projet .
A la suite des difficultés rencontrées lors la construction du TGV Méditerranée, une mission confiée au préfet Carrère avait conduit à la rédaction de la circulaire dite Bianco du 15 février 1992 22 ( * ) , qui prévoit une procédure de concertation pour les études de tracé des grands projets d'infrastructures de l'Etat, dès la conception du projet. La procédure repose sur la constitution d'une commission indépendante, désignée par le préfet, celle-ci restant en charge de l'organisation du débat.
Cette procédure a été finalement reprise dans la loi du 2 février 1995 relative à la protection de l'environnement dite loi Barnier, qui crée la Commission nationale du débat public , inspirée du Bureau des audiences publiques sur l'environnement (BAPE) du Québec.
Cette loi prévoit également que pour les grandes opérations publiques d'aménagement d'intérêt national de l'Etat et des collectivités territoriales, présentant un fort enjeu socio-économique ou ayant un impact significatif sur l'environnement, un débat public peut être organisé sur les objectifs et les caractéristiques principales des projets, pendant la phase de leur élaboration .
De plus, la convention d'Aarhus de 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, signée par la France, mais non encore ratifiée, est entrée en vigueur le 30 octobre 2001, et renforce les exigences en matière de participation du public .
L'alinéa 4 de son article 6 prévoit ainsi que « la participation du public commence au début de la procédure, c'est à dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence ».
3. La nécessaire réforme du rôle de l'Etat
a) Un Etat juge et partie
L'Etat n'est pas seulement l'autorité compétente pour décider de l'expropriation, il est souvent en même temps maître d'ouvrage. Il a la charge en outre du respect d'autres réglementations qui, sans être liées à l'utilité publique, peuvent influer sur le contenu de l'autorisation (charge de l'exécution des lois et règlements en matière d'environnement, de protection des intérêts culturels ou de sécurité, polices spéciales). A l'heure actuelle, lorsqu'un projet émane de l'Etat, celui-ci va successivement élaborer ce projet, le soumettre à consultation et statuer sur son utilité publique.
Ceci aboutit à une confusion des rôles préjudiciable à la crédibilité de l'Etat, d'autant plus que l'attitude du public a évolué, l'Etat ne suscitant plus le même respect révérenciel.
b) Des conséquences de la décentralisation encore insuffisamment tirées
Par ailleurs, le rapport du Conseil d'Etat soulignait que n'avaient pas été tirées toutes les conséquences de la décentralisation. En effet, les grandes villes et les régions sont devenues des opérateurs à part entière. Les collectivités territoriales, les établissements publics et même les personnes morales de droit privé investies d'une mission de service public peuvent demander et poursuivre l'expropriation.
Or, elles ne peuvent déclarer l'utilité publique pour leurs propres projets , la protection du droit de propriété 23 ( * ) s'opposant à ce qu'une autorité autre que l'Etat décide de l'expropriation.
Actuellement, la déclaration d'utilité publique vise à permettre l'expropriation, mais aussi à cautionner l'intérêt général d'un projet. Il est donc dommageable qu'il ne soit pas prévu de procédure permettant de constater l'intérêt général de tous les projets, qu'ils nécessitent ou non une expropriation.
Il serait donc souhaitable que les collectivités locales puissent se prononcer sur l'intérêt général de leur projet , à l'issue de l'enquête publique, par une déclaration de projet, afin de montrer clairement qu'elles en sont le maître d'ouvrage, et d'assumer cette responsabilité.
Il s'agit donc de dissocier déclaration d'intérêt général et expropriation , une déclaration d'utilité publique restant nécessaire à l'issue de cette déclaration de projet s'il y a expropriation.
De même, la concertation entre l'Etat et les collectivités locales s'appuie sur des textes obsolètes comme la loi n° 52-1265 du 29 novembre 1952 sur les travaux mixtes et son décret d'application n° 55-1064 du 4 août 1955, qui visaient à l'origine les travaux intéressant à la fois la Défense nationale et les services civils, et ont été dévoyés afin de permettre la conciliation d'intérêts publics divergents, comme la protection de l'environnement et la nécessité d'aménagement du territoire.
Cette procédure présente l'inconvénient de rallonger considérablement les procédures et, en cas de désaccord entre les services, de renvoyer le dossier à Paris , alors même que décentralisation et déconcentration devraient aller de pair. De plus, aucune articulation n'est prévue avec la procédure d'enquête publique, qui peut très bien être ouverte alors que l'instruction mixte est en cours .
Au vu de ce constat, Mme Dominique Voynet, alors ministre de l'environnement, a annoncé dans une communication au Conseil des ministres du 27 septembre 2000 une réforme de l'utilité publique visant trois objectifs fondamentaux : la démocratisation et la transparence du processus d'élaboration des projets d'aménagement et d'équipement, la prise en compte de la décentralisation dans l'appréciation de l'utilité publique des projets des collectivités locales, ainsi que la simplification et la rationalisation des procédures.
Le 17 janvier 2001, dans une déclaration du Gouvernement sur la décentralisation à l'Assemblée nationale, le Premier ministre annonçait pour 2001 un projet de loi réformant le droit des enquêtes d'utilité publique.
* 22 Circulaire n° 92-71 du 15 décembre 1992 relative à la conduite des grands projets nationaux d'infrastructure.
* 23 Article 17 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».