B. LE MODE D'ÉLECTION DES MEMBRES DES ORGANES DÉLIBÉRANTS DES STRUCTURES INTERCOMMUNALES DOTÉES D'UNE FISCALITÉ PROPRE

La question du mode d'élection des membres des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale n'est pas nouvelle. Elle est périodiquement soulevée et votre rapporteur ne peut oublier en particulier les discussions que ce sujet a suscitées lors de l'examen de la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dont il était également le rapporteur.

Le présent projet de loi ( article 7 ter ) relance ce débat en retenant le principe de l'élection au suffrage universel direct, renvoyant à une loi ultérieure l'établissement du mode de scrutin.

Avant toute chose, votre rapporteur relève que le débat ne porte pas sur le principe de l'élection . Les membres des organes délibérants des structures intercommunales sont déjà élus par les conseillers municipaux, eux-mêmes élus, et représentent ainsi les communes membres. Ils sont donc élus au suffrage universel indirect, dont la légitimité est expressément reconnue par l'article 3 de la Constitution . De plus, depuis la loi du 12 juillet 1999 précitée, les conseillers communautaires sont obligatoirement élus au sein des conseils municipaux (sauf dans les syndicats).

Le débat porte, en revanche, sur le remplacement ou non du suffrage universel indirect par le suffrage universel direct pour l'élection des membres des organes délibérants des structures intercommunales dotées d'une fiscalité propre, siégeant au sein d'une institution qui n'est pas reconnue comme une collectivité territoriale par la loi au sens de l'article 72 de la Constitution.

Cependant, l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires pourrait avoir des conséquences importantes, en particulier sur la création éventuelle d'un nouvel échelon territorial et sur l'avenir de nos communes, auxquelles nos concitoyens sont si attachés.

Il n'est donc pas possible de prendre une décision en la matière sans l'avoir mûrement réfléchie.

Votre rapporteur souhaite rappeler comment le développement récent de l'intercommunalité a relancé le débat, puis développer les principes dans le cadre desquels la perspective d'une évolution est envisageable après réflexion, avant d'exposer les solutions retenues par votre commission des Lois.

1. Le développement de l'intercommunalité a relancé le débat sur le mode de désignation des organes délibérants des structures intercommunales à fiscalité propre

a) Une réponse par étapes successives à l'émiettement communal

Le développement des structures de coopération intercommunale s'est réalisé dans un contexte d'émiettement communal.

Les diverses tentatives pour inciter au regroupement des communes se sont toutes soldées par un échec et, en particulier, la loi du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes. L'attachement ainsi manifesté à la survie des communes n'a pas empêché une mutualisation des moyens par le développement par étapes successives de la coopération intercommunale.

Les structures intercommunales s'appuient sur la commune qui en demeure le socle.

La loi du 22 mars 1890 créa le syndicat de communes, établissement public qui permet d'adapter la gestion communale, soit aux nécessités techniques (électrification, adduction d'eau), soit à certaines activités qui, par leur nature, débordent les limites territoriales des communes (transport, urbanisme, assainissement).

Un décret du 20 mai 1955 institua les syndicats mixtes qui permettent aux communes et départements de s'associer entre eux, ainsi qu'avec des établissements publics locaux.

L'ordonnance du 5 janvier 1959 a autorisé la création de syndicats à vocation multiple (SIVOM). Comme leur nom l'indique, ces syndicats peuvent être chargés de plusieurs missions : adduction d'eau, lutte contre l'incendie, construction et gestion d'installations sportives, de locaux scolaires, de crèches, de maisons de retraite ou encore, transports de personnes.

La loi du 5 janvier 1988 a institué un « syndicalisme à la carte » en permettant à une commune de n'adhérer à un syndicat que pour une partie seulement des compétences exercées par celui-ci.

Dans le but de répondre au problème posé par les agglomérations, l'ordonnance du 5 janvier 1959 institua, pour sa part, les districts urbains. Cette formule, plus intégrée que les syndicats de communes, fut ensuite étendue aux zones rurales par la loi du 31 décembre 1970 .

La loi du 31 décembre 1966 a créé la communauté urbaine, forme très intégrée de coopération destinée à répondre aux problèmes posés par les grandes agglomérations. Elle a créé d'office quatre communautés urbaines dans les grandes agglomérations (Bordeaux, Lille, Lyon et Strasbourg). Dix autres agglomérations se sont dotées de cette structure de coopération (Cherbourg, Le Creusot-Montceau-les-Mines, Dunkerque, Le Mans, Brest, le grand Nancy, Arras, Alençon, Nantes et Marseille).

Les syndicats d'agglomération nouvelle -qui ont résulté de la loi du 13 juillet 1983 -, ont été instaurés pour répondre aux besoins des villes nouvelles créées dans les années soixante-dix. Neuf villes nouvelles existent, dont cinq en région parisienne.

En créant deux nouvelles structures -les communautés de communes et les communautés de villes- la loi du 6 février 1992 d'orientation relative à l'administration territoriale de la République, a entendu axer la coopération intercommunale sur le développement économique et l'aménagement de l'espace.

A la veille de la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, l'intercommunalité connaissait un dynamisme réel. En outre, l'intercommunalité à fiscalité propre était en essor.

Au 1 er janvier 1999, on dénombrait 1.680 établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, regroupant 19.065 communes, soit une population totale de 34,4 millions d'habitants, dont 12 communautés urbaines, 1.654 communautés de communes et districts et 9 syndicats d'agglomération nouvelle.

b) La loi du 12 juillet 1999

Cette loi, adoptée en termes identiques par les deux assemblées, a permis ce que le président du Sénat, M. Christian Poncelet, a qualifié, devant le 84 ème congrès de l'Association des maires de France et des présidents de communautés de France le 21 novembre 2001, de « véritable révolution de velours » de l'intercommunalité .

Selon M. le Président du Sénat, en deux ans, notre pays est passé « sur la base du volontariat, d'une myriade municipale, difficilement compatible avec le poids croissant des responsabilités locales, à un paysage intercommunal plus cohérent et efficace, tout en restant respectueux des identités communales ».

La loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale offre désormais un ensemble cohérent d'établissements publics de coopération intercommunale caractérisé par la progressivité des transferts de compétences et des moyens financiers et fiscaux dont ils bénéficient. Les communes peuvent désormais coopérer au sein de trois types d'établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre en fonction de l'importance démographique du groupement, d'une part, du degré d'intégration des compétences et de la fiscalité nécessaire pour résoudre les problèmes auxquels elles sont confrontées, d'autre part :

- les communautés urbaines , niveau le plus intégré de l'intercommunalité, sont désormais réservées aux groupements de plus de 500.000 habitants, dans un retour à l'esprit de la loi de 1966 qui visait à favoriser l'émergence de métropoles régionales d'équilibre, et disposent de compétences renforcées.

Les communautés urbaines existantes peuvent opter pour un élargissement des compétences et pour la taxe professionnelle unique à la majorité simple du conseil communautaire et des conseils municipaux si elles remplissent les conditions de seuil requis.

Les communautés urbaines à taxe professionnelle unique bénéficient d'une dotation moyenne par habitant au moins égale à celle des communautés urbaines à fiscalité additionnelle, qui est la plus élevée des établissements publics de coopération intercommunale (456,89 F par habitant en 2001).

- les communautés d'agglomération , nouvelle catégorie d'établissements publics de coopération intercommunale qui correspond au niveau intermédiaire d'intégration, sont destinées aux zones urbaines puisqu'elles sont réservées aux groupements de plus de 50.000 habitants dont au moins une des communes doit compter plus de 15.000 habitants, sauf s'il s'agit de la commune chef-lieu de département.

Les communautés d'agglomération disposent de compétences obligatoires étendues : développement économique, aménagement de l'espace et transports, habitat et logement, politique de la ville. Elles doivent, en outre, exercer trois compétences parmi les cinq suivantes : eau, assainissement, environnement, équipements communautaires, voirie communautaire.

Elles disposent obligatoirement de la taxe professionnelle unique. Elles se voient attribuer une dotation moyenne de 250 francs par habitant la première année d'application de la réforme, en 2000. La progression de cette dotation, dont le niveau est garanti pour les communautés d'agglomération qui se créeront avant 2005, ne pourra être inférieure à l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation hors tabac.

- la transformation des communautés de villes et des districts en établissements de l'une ou l'autre des catégories précitées, selon l'étendue des compétences exercées au moment de leur transformation, s'effectue dès lors que ces structures bénéficient déjà des compétences requises pour les catégories vers lesquelles elles souhaitent évoluer, selon des procédures spécifiques, rapides et souples, afin que celle-ci ne se traduise pas par une régression de leur niveau d'intégration intercommunale.

- les communautés de communes correspondent au premier niveau d'intégration fiscale et de compétences et sont destinées, en l'absence de condition démographique, aux milieux faiblement urbanisés ou d'urbanisation diffuse sans que cela fasse obstacle à leur création en milieu urbain plus dense, dans une démarche progressive d'intégration intercommunale.

Les plus intégrées d'entre elles bénéficient d'une bonification de la dotation par habitant de dotation globale de fonctionnement, sous réserve de ne pas répondre aux critères de population des communautés d'agglomération. Il s'agit des communautés de communes à taxe professionnelle unique comptant soit entre 3.500 et 50.000 habitants, soit plus de 50.000 habitants et ne comprenant pas de communes de plus de 15.000 habitants.

Outre ces conditions de population, un niveau d'intégration des compétences est également requis pour pouvoir bénéficier de cette majoration. En plus des compétences obligatoires exercées par les communautés de communes à fiscalité additionnelle (le développement économique et l'aménagement de l'espace), ces communautés de communes à taxe professionnelle unique doivent adopter au moins quatre parmi les cinq groupes de compétences suivants : le développement économique, l'aménagement de l'espace communautaire, la création ou l'aménagement et l'entretien de la voirie d'intérêt communautaire, le logement social et l'élimination et la valorisation des déchets des ménages et des déchets assimilés.

La bonification prévue permet à ces communautés de communes à taxe professionnelle unique situées en milieu rural d'avoir une dotation égale à 175 francs en moyenne par habitant, montant nettement supérieur à la dotation par habitant des communautés de communes à taxe professionnelle unique (177,10 francs en moyenne par habitant en 2001).

- de nouvelles règles d'éligibilité à la dotation de développement rural et à la dotation globale d'équipement complètent cette bonification de la dotation globale de fonctionnement pour les établissements publics de coopération intercommunale existants en milieu rural.

La part de la dotation de développement rural qui était réservée jusqu'à présent aux communes est supprimée au seul bénéfice des groupements de communes à fiscalité propre exerçant une compétence en matière d'aménagement de l'espace et de développement économique, dont la population regroupée n'excède pas 60.000 habitants et qui ne satisfont pas aux seuils de population nécessaires pour une transformation en communauté d'agglomération, si les deux tiers au moins des communes du groupement comptent moins de 5.000 habitants.

En outre, les groupements de communes de plus de 20.000 habitants en métropole et de plus de 35.000 habitants dans les départements d'outre-mer bénéficient, à compter de 2000, de la dotation globale d'équipement à la condition que les communes membres de l'établissement public de coopération intercommunale soient éligibles à cette même dotation. Cette mesure a pour objectif de renforcer l'intercommunalité en zone rurale.

c) Le poids de l'intercommunalité

Les établissements publics de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre (communautés de communes, communautés urbaines, communautés d'agglomération) sont au nombre de 1998 au 1 er janvier 2001 et rassemblent 24.000 communes et 41 millions d'habitants.

d) Les interrogations des élus sur le devenir de l'intercommunalité

Selon une enquête sur la coopération intercommunale réalisée auprès de 2.458 maires de villes entre 3.000 et 20.000 habitants à laquelle 813 d'entre eux ont répondu 1 ( * ) , 95 % de ces maires en ont une opinion « favorable ». Les principaux avantages de l'intercommunalité cités par ces élus sont :

- une meilleure répartition des richesses entre les communes (57 %),

- une amélioration de la qualité des services rendus (54 %),

- davantage d'équipements sportifs, culturels et de loisirs (27 %),

- une meilleure utilisation des impôts locaux (19 %).

Les maires de ces villes sont partagés sur la coexistence de la commune, d'un établissement public de coopération intercommunale, du département, de la région et d'un « pays », 47 % considérant qu'il s'agit d'une bonne chose pour gérer les dossiers au plus près des citoyens et 46 % estimant que cela est plutôt une mauvaise chose, compliquant la prise de décision et coûtant cher.

Parmi les principaux inconvénients de l'intercommunalité, les maires des villes de 3.000 à 20.000 habitants citent :

- une difficulté plus grande pour les citoyens à savoir « qui fait quoi » (64 %),

- la perte d'identité des communes (35 %),

- le coût d'une assemblée supplémentaire (25 %),

- le doublement des services (23 %),

- le renforcement de la ville centre (23 %),

- la perte de pouvoir des maires (19 %),

- une augmentation des impôts locaux (17 %).

Une majorité des maires de ces villes est favorable au maintien de l'élection des délégués par les conseils municipaux (57 %, mais ils étaient 70 % en 1999), tandis que 40 % se déclarent favorables à l'élection au suffrage universel direct.

Un autre sondage, réalisé pour le dernier Congrès de l'Association des maires de France en novembre dernier, témoigne du partage en deux parties pratiquement égales des maires, toutes strates de population confondues , puisque 50 % d'entre eux sont favorables à l'élection des membres des établissements publics de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre ( contre 48 % qui expriment un avis contraire ).

e) Le projet de loi et les propositions de loi

Le projet de loi relatif à la démocratie de proximité, dans sa rédaction initiale, ne comportait pas de dispositions sur l'élection au suffrage universel direct des délégués des communes au sein des structures intercommunales.

La proposition en ce sens de la commission pour l'avenir de la décentralisation présidée par M. Pierre Mauroy (proposition n° 7) n'avait donc pas, au stade du texte initial, été suivie par le Gouvernement.

La disposition qui nous est soumise à l'article 7 ter du projet de loi est issue d'amendements identiques de la commission des Lois, de son président M. Bernard Roman et de M. Patrice Martin-Lalande adoptés par l'Assemblée nationale, auxquels le Gouvernement a donné un avis de sagesse.

Ce texte concerne les seuls établissements publics de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre (communautés urbaines, communautés d'agglomération, communautés de communes, syndicats d'agglomération nouvelle). Rien ne serait donc modifié pour les autres structures intercommunales.

Les conseillers communautaires seraient élus au suffrage universel direct « dans les conditions définies par une loi ultérieure » . Le mode de scrutin ne serait donc pas défini, mais certains principes sont néanmoins posés par le projet de loi :

- l'élection aurait lieu le même jour que celle des conseillers municipaux,

- chaque commune serait représentée par au moins un siège,

- le mode de scrutin devrait respecter le principe de parité , tel qu'il a été établi par la loi n° 2000-493 du 6 juin 2000 tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives (parité au sein de chaque groupe de six candidats dans l'ordre de présentation de la liste, pour les communes d'au moins 3.500 habitants).

On remarquera tout d'abord qu'un tel texte ne lierait pas le législateur, qui garderait toute latitude pour la définition, ultérieurement, du mode de scrutin . Le législateur ne peut en effet pas se lier pour l'avenir et ce qu'une loi prévoit peut être modifié par une autre loi.

Il n'en demeure pas moins que ce texte constituerait un signal important, comme en attestent les débats qu'il suscite.

La proposition de loi de M. Jacques Oudin et de plusieurs de ses collègues 2 ( * ) ne se limite pas à poser des principes, mais instaure un mode de scrutin pour l'élection des membres des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. La circonscription électorale serait la commune et l'élection aurait lieu le même jour que celle des conseillers municipaux, mais par scrutins séparés.

Les candidats à l'organe délibérant devraient être aussi candidats aux élections municipales, mais les deux mandats seraient distincts , un candidat pouvant se trouver être élu à l'un de ces conseils mais pas à l'autre. Les délégués de la commune seraient élus au scrutin majoritaire à deux tours lorsque le nombre de sièges à pourvoir serait de 4 ou moins, ou lorsque la population serait inférieure à 3.500 habitants. Lorsque la population de la commune serait au moins égale à 3.500 habitants et que la commune disposerait d'au moins 5 sièges, l'élection se ferait au scrutin proportionnel suivant la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel. Dans toutes les communes, la déclaration de candidature pour l'élection des conseillers communautaires serait obligatoire. Les candidatures isolées seraient interdites dans les communes disposant de plus de quatre sièges.

La proposition de loi de M. Claude Biwer 3 ( * ) a un objectif plus ciblé. Elle prévoit que lorsqu'une commune issue d'une fusion comportant la création d'une ou plusieurs communes associées adhère à un établissement public de coopération intercommunale, les maires délégués des communes associées sont membres de droit de son organe délibérant.

* 1 Le Courrier des Maires - octobre 2001 - Sondage réalisé pour les 6 èmes assises des petites villes à L'Isle sur Sorgues, les 4 et 5 octobre 2001.

* 2 Document Sénat n° 400 (2000-2001).

* 3 Document Sénat n° 21 (2001-2002).

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