2. L'analyse de la commission : préserver l'identité de la commune pour développer l'intercommunalité
Après avoir examiné attentivement les positions des diverses associations d'élus, tant au cours d'auditions qu'au travers de leurs congrès de l'automne dernier, votre rapporteur a procédé à une analyse de la question, s'efforçant de concilier le développement de l'intercommunalité avec la préservation de l'identité de la commune, cellule de base de la démocratie de proximité .
a) Une question de meilleure identification, plus que de légitimité
Il n'est pas anormal, dans son principe, de prévoir une élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, pour tenir compte, en particulier, de transferts de compétences impliquant une responsabilité budgétaire croissante.
M. Jean-Marie Bockel, président de l'Association des maires des grandes villes de France, a cependant exprimé devant votre rapporteur une interrogation essentielle : « s'agit-il de répondre à un besoin de légitimité exprimé par les élus, ou de répondre à une nécessité que le projet intercommunal politique soit identifié et validé par les citoyens ? ».
Il ne s'agirait peut-être pas tant de « légitimer » une représentation qui est d'ores et déjà légitime. Les conseillers communautaires sont élus par les conseillers municipaux, en leur sein, parce qu'ils représentent leur commune et, comme on l'a déjà relevé, le suffrage universel peut être direct ou indirect.
Le vote de l'impôt appartient aux élus, y compris aux conseillers communautaires, car leur pouvoir en la matière est assis sur la loi votée par le Parlement.
M. Jean-Marie Bockel a estimé que « même si les communautés sont autorisées à prélever une fiscalité additionnelle, la plupart du temps, leurs ressources fiscales reposent essentiellement sur la fiscalité économique, or le consentement à l'impôt économique n'intéresse pas les citoyens ».
Remettre en cause la légitimité des conseillers communautaires au motif qu'ils procèdent du suffrage universel indirect reviendrait, d'une certaine manière, à remettre en cause la légitimité des conseils municipaux qui les ont choisis.
L'élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct comporterait aussi un risque à ne pas négliger, celui de politiser des institutions généralement conçues comme un outil au service des communes en dehors de préoccupations partisanes .
Pour autant, une élection au suffrage universel direct peut, en effet, se concevoir afin de permettre au citoyen de mieux identifier les responsabilités . L'élection implique, en amont, une campagne avec l'annonce de projets et, en aval, un compte-rendu de mandat. D'une certaine manière, les conseils de communautés ne souffriraient pas tant d'un manque de légitimité -ils procèdent de la commune- que d'un manque de notoriété et d'explication.
b) Démocratie de proximité ou démocratie communautaire
Encore pourra-t-on souligner le paradoxe consistant à prévoir, dans le même projet de loi, d'une part, des conseils de quartier, afin de rapprocher la gestion municipale de la population et, d'autre part, l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires , inévitablement plus éloignés de la population que les élus municipaux.
Dans les deux hypothèses, la réponse doit assurer que la démocratie de proximité ne constitue pas un prétexte pour une remise en cause de la commune, perçue par l'opinion comme la cellule de base de la démocratie.
Un autre paradoxe tient au fait que, pendant que la France semble vouloir « élargir » le cercle de la gestion municipale, d'autres pays, comme l'Allemagne, après avoir réduit le nombre de leurs communes, cherchent à nouveau à rapprocher la gestion locale de la population.
c) Préserver l'identité communale, cellule de base de la démocratie
A l'issue de leur 84 ème congrès, le 22 novembre 2001, l'Association des maires de France et les présidents de communautés de France ont réaffirmé que la commune constituait « le cadre privilégié d'une démocratie et d'une administration de proximité ».
Les maires et les présidents de communautés sont convaincus de ce que « l'intercommunalité constitue la seule voie pour conduire des projets de développement et réaliser des équipements, mutualiser les dépenses et les ressources et optimiser les services, (mais) elle ne saurait absorber toutes les compétences communales ni a fortiori déboucher sur la constitution de nouvelles collectivités territoriales ».
Les maires et les présidents de communauté de France entendent aussi « préserver le climat de confiance entre les élus communaux et intercommunaux, garants du développement même de l'intercommunalité ».
M. Lionel Jospin, Premier ministre , comme en écho, a affirmé, devant ce congrès, que « l'intercommunalité, ce n'est pas une supracommunalité », que le mode de scrutin devrait « traduire le principe que l'intercommunalité procède des communes, et non l'inverse » et que sa « préférence va à une élection au sein des circonscriptions communales et le même jour que celle des conseillers municipaux ».
Pour sa part, M. Jacques Chirac, Président de la République, a affirmé de la manière la plus claire que l'élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct « irait dans le sens de l'approfondissement de la démocratie. Mais le lien avec chaque commune doit impérativement être préservé ». Il a ajouté que « les candidats aux fonctions intercommunales devraient figurer sur les listes des candidatures aux élections municipales, commune par commune, pour être également membres du conseil municipal ».
La nécessité de préserver l'identité communale -dont le Sénat est évidemment convaincu- semble donc faire l'objet d'un consensus et conduit à préconiser quelques orientations claires et fermes pour l'élection des conseillers communautaires :
a) Les conseillers communautaires doivent être élus dans le cadre d'une circonscription électorale communale , afin de garantir de manière certaine la représentation de chaque commune sans exception et que toute commune choisisse seule ses représentants . Un scrutin de liste dans le cadre de la communauté, même assorti de l'obligation pour chaque liste d'avoir au moins un représentant par commune, ne remplirait pas cet objectif, car le « représentant » de la commune n'aurait pas été choisi de manière exclusive par celle-ci.
Le choix de la commune comme circonscription électorale est indispensable pour écarter le risque d'évolution vers la supracommunalité.
b) La répartition des sièges entre les communes ne saurait se faire sur la base de critères exclusivement démographiques , sauf à écraser la représentation des petites communes dans une communauté qui ne serait pas démographiquement homogène.
Les règles de répartition des sièges laissent une large part à l'accord amiable entre les communes.
c) Il ne doit pas y avoir de contradiction entre la représentation de la commune au conseil municipal et sa délégation au conseil de communauté . Il conviendra donc d'en tirer toutes les conséquences lors de la fixation du régime électoral des conseillers communautaires.
Il est en particulier impératif que les conseillers communautaires soient tous des conseillers municipaux des communes qu'ils représentent.
On rappellera à cet égard que la loi du 12 juillet 1999 précitée a rendu obligatoire la représentation des communes par des conseillers municipaux (sauf dans les syndicats), précisément pour garantir une représentation des communes conforme à celle des conseils municipaux.
L'élection des conseillers municipaux et celle des conseillers communautaires devraient intervenir le même jour et, quand cela est possible, par un même scrutin. Le mode de scrutin municipal à Paris, Marseille et Lyon, où les électeurs désignent par un même vote les conseillers de la ville et ceux de l'arrondissement, pourrait servir d'orientation, du moins dans les communes de plus de 3.500 habitants.
Ce mode de scrutin pourrait en effet assurer effectivement à la commune une représentation conforme à l'orientation municipale qu'elle s'est choisie, tout en garantissant une représentation de la minorité municipale.
D'autres formules pourraient être trouvées, dès lors qu'elles préserveraient la cohérence entre le conseil municipal et la délégation communale au sein de la communauté.
La question apparaît plus complexe dans les communes de moins de 3.500 habitants où le mode de scrutin applicable conduit les électeurs à choisir leurs représentants nom par nom (possibilité de panachage).
La réflexion sur la détermination du mode de scrutin doit donc se poursuivre et une décision immédiate à ce sujet serait manifestement prématurée.
d) Réfléchir aux conséquences de la création éventuelle d'une nouvelle catégorie de collectivité territoriale
En effet, avec un territoire délimité, des compétences élargies, une fiscalité intégrée, un organe délibérant élu au suffrage universel direct, les communautés ne risqueraient-elles pas d'évoluer inévitablement vers le statut de collectivité territoriale ?
M. le président Christian Poncelet a opportunément rappelé, devant le dernier congrès de l'Association des maires de France et des présidents des communautés de France, que « nous devrons réfléchir à l'organisation institutionnelle de nos différents niveaux de collectivités locales , pour éviter que sa complexité croissante soit un obstacle à l'adhésion des Français. De ce point de vue, l'élection directe des instances intercommunales (...) me semble inséparable de cette réflexion puisqu'elle consacrera, de fait, la naissance d'une nouvelle catégorie de collectivités territoriales dans notre pays ».
Notre pays peut-il sans réflexion suffisante continuer « d'empiler » les échelons administratifs ?
Une telle question peut-elle être tranchée par le vote d'une disposition issue d'un amendement ?
e) Ne pas briser la confiance pour consolider l'intercommunalité
La décision sur cette question n'a rien d'urgent, puisque l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires n'interviendrait pas, au plus tôt, avant 2007, année du prochain renouvellement général des conseils municipaux.
D'ailleurs, l'Assemblée nationale s'est elle-même limitée à l'adoption d'un principe, sans en fixer les modalités qui, on l'a vu, pour certaines d'entre elles méritent des investigations supplémentaires (par exemple, pour la détermination du mode de scrutin dans les communes de moins de 3.500 habitants). Le vote d'un principe sans valeur normative peut néanmoins avoir un certain impact qu'il ne faut pas négliger.
Votre rapporteur tient à souligner que l'intercommunalité a progressé ces dernières années parce qu'elle s'est réalisée dans un climat de confiance entre communautés et communes. La consolidation de l'intercommunalité suppose la préservation de cette confiance.
Une annonce par voie législative du changement de mode d'élection des délégués intercommunaux doit, pour ne pas compromettre cette confiance indispensable à la coopération intercommunale, être assortie de principes rigoureux qui fixent des orientations préservant l'identité communale.
Devant le congrès des l'Association des maires de France et des présidents de communautés de France, M. Christian Poncelet, président du Sénat, a affirmé à juste titre que « l'élection directe ne peut être que le couronnement d'un processus intercommunal réussi ». Il a ajouté que « prendre une décision dès aujourd'hui serait à la fois prématuré, inutile, voire contre-productif ».
On observera, en outre, qu'un engagement prématuré vers l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires pourrait avoir aussi pour conséquence, dans les faits, de figer des périmètres de communautés alors que certaines évolutions pourraient s'avérer utiles.
Si retenir le principe, à la condition de l'encadrer strictement afin de préserver l'identité communale , apparaît possible, en revanche, il est indispensable de poursuivre la réflexion avant d'en arrêter les modalités et la date de mise en oeuvre.