3. Les principales modifications apportées par l'Assemblée nationale
Alors que cela n'était pas prévu par le projet de loi initial, l'Assemblée nationale, parfois contre l'avis du Gouvernement, a étendu aux communes de 3.500 à 20.000 habitants, aux départements et aux régions la séance annuelle réservée ( article 8 ) et les missions d'information et d'évaluation ( article 9 ).
Elle a ajouté plusieurs dispositions tendant à assouplir les conditions de délégation de fonction du chef de l'exécutif aux autres conseillers, dans les communes, les départements et les régions ( articles 11 bis à 11 quater ).
Elle a généralisé à l'ensemble des arrondissements de Paris, Marseille et Lyon , même ceux de moins de 50.000 habitants, l'obligation de créer des conseils de quartier ( article 13 ).
Elle a étendu aux établissements publics de coopération intercommunale comprenant au moins une commune de 3.500 habitants et plus (contre 20.000 dans le projet de loi initial) les dispositions relatives à la séance mensuelle réservée et aux missions d'information et d'évaluation ( article 14 ).
Elle a prévu un mode dérogatoire de désignation des membres d'un comité syndical par les établissements publics de coopération intercommunale qui en sont membres ( article 14 bis ).
Enfin, elle a repoussé à 2004 l'entrée en vigueur dans les régions de la séance annuelle réservée, afin de la faire coïncider avec le nouveau mode de scrutin et les modalités de fonctionnement futures des régions ( article 15 ).
4. La position de la commission
a) L'opposition doit pouvoir s'exprimer à tout moment, sans méconnaître le principe majoritaire
Donner les moyens à l'opposition de s'exprimer ne doit pas conduire à une confusion entre les responsabilités de l'exécutif et celles des autres élus. La démocratie consiste aussi à bien identifier les responsables, les détenteurs du pouvoir à un moment donné. Aussi, les droits supplémentaires proposés ne doivent-ils pas conduire à entraver le libre fonctionnement des collectivités locales, en plaçant régulièrement le débat de l'assemblée sur le programme de l'opposition, alors que celui-ci n'a pas été approuvé par les électeurs dans leur majorité.
Votre commission des Lois tient à réaffirmer à cet égard les positions qu'elle avait déjà exprimées lors de l'examen de la loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République : le Sénat n'avait pas souhaité institutionnaliser des pratiques de démocratie lorsque l'instauration de procédures aurait eu pour effet de faire perdre toute souplesse aux pratiques existantes , de créer des contraintes disproportionnées avec l'intérêt de la mesure ou de permettre la déstabilisation des majorités portées à la tête des collectivités locales par le suffrage universel 6 ( * ) .
Elle ne partage pas le point de vue du Gouvernement, qui propose de faire des séances annuelles réservées des tribunes , dont l'opposition pourrait faire état dans l'espace qui lui sera réservé dans le bulletin d'informations générales de la collectivité.
Au contraire, en dépassant les clivages qui ont pu naître lors de la campagne électorale , l'assemblée délibérante doit constituer un lieu de travail , dont la finalité unique, à savoir la bonne gestion de la collectivité concernée, est partagée tant par l'équipe dirigeante que par les conseillers figurant sur la ou les listes qui n'ont pas été élues.
L'expression de l'opposition doit donner lieu à une certaine souplesse : pourquoi la cantonner à une séance annuelle réservée ou à « un espace » dans les bulletins d'informations générales, alors que l'opposition s'exprime actuellement au cours de chaque séance du conseil, sous forme de questions ou à tout moment lors du débat ? La vie démocratique ne peut être institutionnalisée un jour par an.
b) Faut-il des droits réservés à l'opposition ou des droits égaux pour tous les élus au sein des assemblées délibérantes ?
Les articles proposés tant par le projet de loi initial que le texte de l'Assemblée nationale ne résolvent pas cette impasse : peut-on définir juridiquement la notion éminemment politique de « minorité » ?
En droit, deux éléments peuvent conduire à définir la minorité dans l'assemblée délibérante d'une collectivité locale : d'une part, le mode de scrutin ; d'autre part, l'existence de groupes d'élus dans les villes de plus de 100.000 habitants, les départements et les régions 7 ( * ) .
Cependant, dans beaucoup de situations, il n'est ni possible ni souhaitable de définir quels conseillers appartiennent à la majorité et lesquels à l'opposition. La vie politique, dans le souci de l'intérêt général, peut amener à faire se rejoindre sur des positions communes des élus qui s'étaient présentés sur des listes différentes aux élections. En particulier, la notion d'opposition est bien souvent étrangère aux conseils communautaires des établissements publics de coopération intercommunale.
Deux façons de définir la minorité sont proposées, tant par l'Assemblée nationale que le Gouvernement : dans les communes, il s'agirait des « conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale » ; dans les conseils généraux et régionaux, des membres des groupes d'élus « n'ayant pas de membres au sein du bureau ».
Votre commission se demande si ce dispositif est très opératoire, dans la mesure où il n'est pas exclu qu'un président de conseil général ou régional choisisse d'associer un ou plusieurs représentants de l'opposition dans le bureau. Elle regrette que le Gouvernement, interrogé par votre rapporteur, soit incapable d'évaluer l'effet de cette définition : aucune donnée n'a été fournie sur la composition actuelle des bureaux des conseils généraux et régionaux, permettant de se rendre compte si la définition était ou non pertinente.
Afin de ne pas accréditer l'idée d'une définition légale de la minorité, il a pu être envisagé d'ouvrir les droits proposés à l'ensemble des conseillers, sous condition de seuil.
Le Gouvernement refuse toutefois d'ouvrir les nouveaux droits des élus à l'ensemble des conseillers et la fixation d'un seuil , au motif que certaines majorités locales de coalition en seraient ébranlées, le seuil créant des clivages dans les collectivités où le courant principal ne détient pas à lui seul la majorité. Il craint que ne se dégage une minorité de blocage. Enfin, il souligne que la notion de « conseiller n'appartenant pas à la majorité municipale » existe déjà et ne soulève pas de problème.
Il est vrai qu'un article du code général des collectivités territoriales fait référence à cette notion : il s'agit du prêt d'un local commun, dans les communes de 3 500 habitants et plus.
Votre commission des Lois préfère quant à elle ne pas étendre cette notion à de nouveaux dispositifs. L'esprit de la loi du 6 février 1992, consistant à reconnaître de nouveaux droits à l'ensemble des élus des assemblées délibérantes, doit être maintenu.
En pratique il est possible que ces droits soient davantage utilisés par les élus minoritaires que par les élus de la majorité. Il n'en demeure pas moins que ces droits sont d'autant plus reconnus et susceptibles d'être effectivement utilisés qu'ils sont ouverts à l'ensemble des élus , sans distinction préalable artificiellement posée par la loi, au mépris de la réalité politique locale.
c) Une comparaison peu pertinente avec le Parlement
De façon générale, votre commission conteste le parallèle établi avec les missions d'information, les commissions d'enquête parlementaires ou les journées d'initiative parlementaire , s'agissant de collectivités territoriales.
Ces mécanismes nationaux ne correspondent pas à la réalité municipale, départementale ou régionale. Les assemblées délibérantes des collectivités locales ne sont pas principalement tournées vers l'élaboration des normes, mais vers la gestion d'une collectivité. De plus, cette comparaison n'est pas pleinement pertinente, dans la mesure où les missions d'information, les commissions d'enquête et les journées d'initiative parlementaire ne sont pas réservées aux seuls groupes de l'opposition.
d) Faire confiance aux collectivités locales et ne pas entraver leur fonctionnement démocratique
Au niveau local, les collectivités ont su organiser un dialogue beaucoup plus apaisé que celui existant au niveau national. Faut-il que la loi impose des contraintes à la vie normale d'une collectivité issue du suffrage universel, lorsque le règlement intérieur des assemblées délibérantes peut parfaitement y pourvoir ? Faut-il revenir sur le principe majoritaire qui est le résultat de l'expression du suffrage, c'est-à-dire de la démocratie ?
Votre commission des Lois souhaite que les collectivités locales, dans le cadre du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales , continuent à régler les relations entre leurs élus, par exemple dans leur règlement intérieur. Il serait dommage de légiférer pour les très rares collectivités dans lesquelles l'opposition n'a pas voix au chapitre, faisant ainsi prévaloir un climat de méfiance à l'égard des exécutifs locaux. Au contraire, comme beaucoup de responsables locaux en sont convenus, l'exécutif qui ne laisserait pas l'opposition s'exprimer et ne lui reconnaîtrait pas de droits serait vraisemblablement sanctionné à la prochaine échéance électorale.
Le ministère de l'intérieur lui-même, interrogé par votre rapporteur, admet qu'il n'existe à l'heure actuelle aucun contentieux sur les droits de l'opposition dans les collectivités locales (hormis celui des délégations de fonction, qui concerne davantage les relations internes à la majorité).
De plus, les modalités très encadrées d'expression de l'opposition risquent de ne pas correspondre aux réalités locales, extrêmement diverses. Ce qui peut être souhaitable dans une région ou une ville de plus de 100.000 habitants ne correspond sans doute pas aux pratiques moins formalisées des communes de 3.500 habitants et plus.
Ce projet de loi, fortement imprégné de centralisme , traduit la méconnaissance par l'Etat des pratiques actuelles de démocratie locale. Or, votre commission des Lois remarque que, dans les Etats voisins au sein de l'Union européenne, à l'exception du droit à l'information , les droits des élus dans les assemblées locales ne sont pas directement réglementés.
e) Les modifications proposées
Votre commission des Lois vous proposera de :
- supprimer l'organisation obligatoire d'une séance annuelle réservée à l'opposition ( article 8 ) ;
- supprimer l'inscription dans la loi des missions d'information et d'évaluation constituées au sein des assemblées délibérantes des collectivités locales ( article 9 ) ;
- supprimer les dispositions contraignantes relatives au contenu des procès verbaux des réunions du conseil municipal ( article 10 ) ;
- supprimer l'obligation d'un espace réservé à l'opposition dans les bulletins d'informations générales ( article 11 ) ;
- étendre aux établissements publics de coopération intercommunale d'une part, aux arrondissements de Paris, Marseille et Lyon d'autre part, les possibilités de délégation de fonction ouvertes aux autres collectivités locales ( article additionnel après l'article 11 bis et article 13 ) ;
- ne pas étendre à Paris, Marseille et Lyon l'obligation de créer des conseils de quartier ( article 13 ) ;
- supprimer l'extension aux établissements publics de coopération intercommunale du prêt d'un local pour les conseillers de l'opposition ( article 14 ) ;
- supprimer les règles dérogatoires prévues pour la désignation des membres du comité syndical ( article 14 bis ) ;
- porter de six mois à un an le délai de mise en place des commissions consultatives des services publics locaux ( article 15 ).
* 6 Rapport n° 358 (Sénat, 1990-1991) de M. Paul Graziani au nom de la commission des Lois : « Quel que soit l'intérêt des mesures de démocratie contenues dans le projet de loi, elles ne fondent pas la démocratie locale, contrairement à ce que semblent considérer les auteurs du projet de loi : elles y contribuent simplement, car le fondement essentiel de la démocratie locale demeure l'élection des assemblées délibérantes des collectivités territoriales.
« Doivent être rejetées toutes les mesures inutiles, soit qu'elles n'aient qu'une valeur d'affichage, soit qu'elles substituent à des pratiques souples des procédures rigides ou des sources de contraintes permanentes pour les collectivités locales.
« La défense des droits des élus minoritaires ne peut servir de prétexte pour soumettre l'action des élus majoritaires au contrôle continuel des élus minoritaires, au risque de rendre impossible toute gestion cohérente et efficace. »
* 7 Articles L. 2121-28, L. 3121-24 et L. 4132-23 du code général des collectivités territoriales.