B. LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT DE LA MER NE SONT PAS APPLICABLES À LA BAIE DE GRANVILLE SANS DES ADAPTATIONS
Du fait de la proximité des îles anglo-normandes des côtes françaises, les principes internationaux régissant le droit de la mer, et notamment ceux contenus dans la convention internationale signée en 1982 à Montego Bay, en Jamaïque, ne pouvaient être appliqués dans cette zone sans adaptation à ses spécificités géopolitiques.
Rappelons que la convention de 1982 est en réalité entrée en application en 1994, après une nouvelle négociation internationale relative aux grands fonds marins ; la France a, pour sa part, ratifié cette convention en 1996.
Ce texte fixe le statut juridique des espaces maritimes :
. les eaux intérieures désignent les eaux incluses entre le rivage et la mer territoriale ;
. la mer territoriale est l'espace marin compris entre les eaux intérieures et la zone économique exclusive ; sa largeur a été portée de 3 à 12 milles nautiques par la convention de 1982. La France avait anticipé cette extension, en portant à 12 milles ses eaux territoriales en 1971 ;
. la zone économique exclusive (ZEE) a été fixée par la convention de Montego Bay à 200 milles marins. La définition d'une telle zone répond à la volonté des Etats côtiers de contrôler les ressources halieutiques au-delà de la mer territoriale, et démontre l'importance économique croissante de ces ressources. La ZEE s'étend donc à 200 milles marins au-delà des eaux territoriales, soit 370 kilomètres de la côte. La liberté de navigation et de survol y est garantie pour les autres Etats. La France a, là encore, anticipé cette extension dès 1976 au large des côtes métropolitaines (à l'exception de la Méditerranée).
Relevons que notre pays dispose de la troisième ZEE dans le monde par l'étendue (10 millions de km²), essentiellement grâce à ses Territoires d'outre-mer.
C. DE NOMBREUX TEXTES ONT DÉJÀ ÉTÉ ÉLABORÉS SUR LES RELATIONS ENTRE LES ÎLES ANGLO-NORMANDES ET LA FRANCE, SANS ABOUTIR À UNE SOLUTION STABLE ET EXHAUSTIVE
Le premier accord franco-britannique portant sur les conditions de pêche dans la baie de Granville remonte à 1839. Il a longtemps suffi à garantir les pratiques respectives des différents pêcheurs, quel que soit leur pays d'origine. Mais le développement économique croissant de cette activité après la deuxième guerre mondiale a conduit à l'élaboration de nouveaux textes. Ainsi, un accord franco-britannique était conclu à Londres en 1951 sur les droits de pêche aux abords des îlots des Ecrehous et des Minquiers. Parallèlement, la Cour Internationale de Justice de La Haye rendait, en 1953 , à la demande des deux pays, un arbitrage sur la souveraineté de ces groupes d'îlots ; d'un commun accord, il avait été décidé que cet arbitrage aurait une portée de principe, mais n'affecterait pas les droits de pêche découlant de l'accord de 1951.
Par ailleurs, un échange de notes effectué entre les deux pays au mois de février 1965 précisait les droits d'usage des navires de pêche française dans les limites des zones de pêche britanniques.
L'ensemble de ces textes successifs établissait le principe de la détermination de zones exclusives de 3 milles marins autour des îles et le long de la côte française, ainsi que de l'existence d'une mer commune située entre ces zones.
Cependant, ce statut juridique définissant un régime d'accès aux eaux, les pêcheurs se trouvent confrontés dans leurs activités quotidiennes à des difficultés découlant de l'imprécision des limites territoriales et des droits de pêche.
Dans cette perspective, un premier accord, conclu à Guernesey entre la France et le Royaume-Uni le 10 juillet 1992 sur ces points, s'est révélé déséquilibré et inopérant. Cet accord autorisait les autorités du Bailliage de Guernesey à exercer des contrôles techniques en matière de pêche dans la zone des 12 milles nautiques autour des côtes de cette île. Ces « contrôles techniques » ont alors été interprétés par les autorités de Guernesey avec une excessive rigidité, aboutissant, sous ce couvert, à exclure de nombreux navires français des zones de pêche où ils avaient coutume d'opérer.
Plusieurs incidents s'en sont suivis , provoquant la saisie respective de chalutiers, l'envoi de navires de guerre britanniques puis français dans les parages de Guernesey, ainsi que de lourdes amendes infligées par les autorités de l'île à certains pêcheurs français. L'enjeu économique essentiel était constitué par la capture de homards dans des casiers placés trop près des côtes de Guernesey, selon les autorités de l'île, par des pêcheurs français.
Pour mettre un terme à une situation préjudiciable à toutes les parties impliquées, les autorités britanniques et françaises ont alors établi un « modus vivendi » défini par un échange de lettres du 16 août 1994.
Selon les précisions apportées par notre ministère des affaires étrangères, les deux pays convenaient ainsi « d'engager dans les meilleurs délais des conversations afin de parvenir à une position commune sur l'application de la conservation de la ressource halieutique dans la zone des 6 à 12 milles nautiques au sud, à l'ouest, et au nord du Bailliage de Guernesey et précisaient le régime de la pêche dans certaines zones. Ce « modus vivendi » était renouvelable par tacite reconduction tous les douze mois.
Malgré le non-renouvellement de ce « modus vivendi » par les Britanniques en novembre 1996, les conversations avec les autorités de Guernesey se sont poursuivies afin de redéfinir un régime de pêche procurant des avantages équivalents, jusqu'à leur interruption du fait de Guernesey en 1998. Cette situation n'est pas satisfaisante, mais les autorités françaises et britanniques ont choisi de concentrer leurs efforts sur les accords portant sur Jersey. Ceux-ci étaient cependant susceptibles d'affecter indirectement Guernesey.
C'est pourquoi les accords relatifs à la Baie de Granville signés le 4 juillet 2000, comportent un échange de notes qui a pour objet de préciser les conditions d'accès des navires guernesiais dans la baie de Granville et d'éviter que l'abrogation de textes antérieurs, notamment l'échange de notes du 24 février 1965, ne porte préjudice aux droits de pêche des navires français dans les eaux guernesiaises. Cet échange de notes comporte plusieurs séries de dispositions.
Il stipule que l'accord de juillet 2000 n'a pas pour effet d'étendre les droits des navires de pêche immatriculés dans les ports autres que ceux de Jersey ou en France. Il précise cependant que jusqu'à 30 navires basés à Guernesey seront autorisés à pêcher dans la partie de la baie de Granville qui est située dans les eaux territoriales jersiaises.
Ensuite il souligne que l'abrogation des accords antérieurs à l'accord du 4 juillet 2000 n'affecte pas les relations et les droits de pêche entre la France et Guernesey. A la demande des professionnels français, la déclaration unilatérale de la France constate qu'il découle de cette disposition que les ressortissants français pourront continuer de pêcher dans un secteur précis défini par l'échange de notes.
Enfin il prend note d'un double désaccord entre la France et le Royaume-Uni : d'une part les autorités françaises n'acceptent pas l'affirmation des autorités britanniques selon laquelle les pêcheurs guernesiais auraient des droits dans les eaux couvertes par le régime spécial en vigueur applicable dans la baie de Granville ; d'autre part, les autorités françaises n'acceptent pas l'affirmation des autorités britanniques selon laquelle les pêcheurs de Guernesey auraient des droits historiques dans les eaux qui entourent les Roches Douvres.
L'accord du 4 juillet devait être aussi neutre que possible s'agissant de Guernesey, qu'il s'agisse de l'accès des navires guernesiais dans la baie de Granville ou de l'accès des navires français dans les eaux de Guernesey » .
Ainsi, le maintien de l'accès coutumier des navires français aux abords de l'île de Guernesey n'a-t-il pas pu trouver, jusqu'à présent, de solution concrète satisfaisante.
Cet élément permet de souligner les apports marqués contenus dans l'accord signé à Jersey le 4 juillet 2000 sur la pêche dans la baie de Granville, qui règle la situation pour la partie de la baie ne relevant pas des abords de Guernesey.