B. LA NÉCESSAIRE CLARIFICATION DES RELATIONS FINANCIÈRES ENTRE L'ÉTAT ET LA SÉCURITÉ SOCIALE

1. Les « charges indues » : un inépuisable sujet de polémique

Les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale sont un sujet inépuisable de polémique, dont les divers aspects ont été, à maintes reprises, instruits avec art par la Cour des comptes et la Commission des comptes de la sécurité sociale. Sous peine de verser dans une fastidieuse paraphrase, ce constat ne sera donc pas, à nouveau, développé dans le cadre du présent rapport.

Tout au plus convient-il de souligner que les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale souffrent d'une complexité et d'une confusion préjudiciable à une gestion rigoureuse des comptes sociaux.

a) Des relations financières particulièrement complexes...

Les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale concernent :

- le paiement des charges sociales de l'Etat employeur ;

- les contributions publiques versées par l'Etat à la sécurité sociale au titre du remboursement de certaines prestations sociales (AAH, RMI...) :

Remboursements de prestations à la charge de l'Etat

(en millions d'euros)

2001

2002

%

2003

%

Prestations Famille

4.991

5.236

4,9

5.358

2,3

AAH

4.238

4.448

5,0

4.551

2,3

API

754

789

4,7

807

2,3

Prestations Maladie

282

291

3,2

274

-5,9

FSI

258

267

3,4

274

2,4

dont régime général

228

235

3,2

241

2,5

IVG

24

24

1,0

0

-98,9

dont régime général

23

24

1,0

0

-100,0

Prestations Vieillesse

11

13

12,7

13

1,4

FSI

11

13

12,7

13

1,4

dont régime général

5

7

24,7

7

0,2

TOTAL

5.284

5.540

4,8

5.644

1,9

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale

- les subventions d'équilibre versées par l'Etat à divers régimes au nom de la solidarité nationale :

Subventions d'équilibre versées par l'Etat aux régimes de sécurité sociale de base

(en millions d'euros)

2001

2002

Evolution

2002/2001

2003

Evolution

2003/2002

Montant

Structure

Montant

Structure

Montant

Structure

en %

en %

en %

SNCF

2.223

41,3

2.254

42,0

1,4 %

2.339

42,8

3,8 %

FSPOEIE

1.075

20,0

1.085

20,2

0,9 %

1.159

21,2

6,8 %

ENIM

651

12,1

652

12,1

0,3 %

666

12,2

2,0 %

REGIME MINIER

473

8,8

457

8,5

-3,3 %

580

10,6

26,9 %

Exploitants agricoles (hors AAH)

834

15,5

795

14,8

-4,6 %

587

10,7

-26,2 %

SEITA

103

1,9

96

1,8

-6,2 %

103

1,9

7,0 %

CRRFOM

7,3

0,1

7,3

0,1

0,0 %

7,3

0,1

0,0 %

RISP (Sapeurs Pompiers volontaires)

9,9

0,2

10,4

0,2

5,1 %

10,6

0,2

1,9 %

Opéra de Paris

10,7

0,2

9,9

0,2

-7,5 %

10,5

0,2

6,1 %

Autres petits régimes spéciaux

3

0,1

3

0,1

1,1 %

3

0,1

0,0 %

TOTAL

5.389

100,0

5.370

100,0

-0,3 %

5.465

100,0

1,8 %

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale

- le remboursement direct (« hors FOREC ») de certaines exonérations de cotisations sociales :

Les cotisations prises en charge par l'Etat - Régime général

(en millions d'euros)

2000

2001

En %

2002

En %

2003

En %

Cotisations prises en charge par l'Etat

3.250

3.005

-7,6 %

2.787

-7,2 %

2.332

-16,3 %

Cotisations prises en charge par l'Etat (Régime général 1 )

3.083

2.863

-7,2 %

2.645

-7,6 %

2.191

-17,2 %

Cotisations en faveur de certaines catégories de salariés

1.714

1.712

-0,1 %

1.543

-9,9 %

1.258

-18,5 %

Cotisations en faveur de zones géographiques

535

886

65,4 %

936

5,7 %

755

-19,4 %

Cotisations en faveur de divers secteurs économiques

28

58

109,3 %

99

71,5 %

110

10,9 %

Cotisations en faveur des bas salaires

255

132

-48,4 %

0

0

Cotisations en faveur de la réduction du temps de travail

476

10

-97,9%

0

0

Prises en charge de cotisations en faveur de certaines catégories de cotisants

71

66

-7,7 %

67

2,6 %

68

1,2 %

Autres prises en charge de cotisations par l'Etat

4

0

0

0

Cotisations prises en charge par l'Etat (autres régimes 2 )

167

142

-14,9 %

142

-0,1 %

141

-04 %

1 CNAF : tous régimes intégrés
2 Principalement salariés agricoles
Source : commission des comptes de la sécurité sociale

- et, enfin, les frais de gestion prélevés par l'Etat sur les produits recouvrés des impôts et taxes affectés à la sécurité sociale.

b) ... qui sont sources de nombreux contentieux

Or, comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2001 : « La complexité des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale est le signe le plus net, à la fois, du désordre où l'on est parvenu et de la nécessité de réformes. »

En effet, ces relations financières sont actuellement perturbées par divers contentieux relatifs :

- au montant, et à l'absence de cohérence dans leurs méthodes de calcul, des frais de gestion facturés par l'Etat à la sécurité sociale au titre du recouvrement des recettes fiscales qui lui sont affectées ;

- à la volonté, constante, de l'Etat, d'alléger la charge des subventions d'équilibre dues à certains régimes par l'ajustement des paramètres de la compensation ou/et par la modification des règles de répartition du produit de la contribution sociale de solidarité sur les sociétés (C3S) ;

- aux créances des régimes de sécurité sociale et, plus particulièrement du régime général, sur l'Etat au titre des contributions publiques qui leur sont dues. Dans son dernier rapport, la Commission des comptes de la sécurité sociale évalue, au 31 décembre 2001, le montant total de ces créances à 4 milliards d'euros pour le seul régime général (avant prise en compte de la période complémentaire et des 1,2 milliard d'euros prévus en ce domaine dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2002) :

Créances du régime général sur l'Etat (au 31 décembre 2001)

(en millions d'euros)

Créances et produits à recevoir (1)

Produits 2001
(2)

Encaissements (trésorerie)
(3)

Variation 2001 des créances et des produits à recevoir (4)=(2)-(3)

Charges 2001
(5)

Créances et produits à recevoir au 31/12/2001
(6)=(1)+(4)-(5)

Exonérations emploi

2.163,8

2.723,2

2.563,8

159,4

42,3

2.280,9

Maladie

843,2

1.080,0

999,0

81,0

14,7

909,5

AT/MP

166,3

224,4

206,6

17,8

2,4

181,8

Vieillesse

666,8

924,7

862,0

62,7

17,8

711,7

Famille

487,5

494,1

496,3

-2,2

7,4

477,9

Remboursement de prestations et autres contributions publiques

1.744,7

10.175,0

10.193,7

-18,7

11,0

1.715,0

Maladie

251,9

639,9

500,5

139,4

11,0

380,4

Fonds spécial invalidité

38,1

249,2

222,6

26,6

0,0

64,7

Grand invalide de guerre

48,3

176,3

196,7

-20,4

0,0

27,9

RMI

93,7

-16,9

6,4

-23,4

10,9

59,4

Aides sociales

2,3

-0,1

0,7

-0,8

0,0

1,5

IVG

17,9

23,6

23,7

-0,1

0,0

17,8

Autres (AME)

51,6

207,7

50,2

157,5

0,0

209,1

AT/MP

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Vieillesse

0,6

5,5

0,0

5,5

0,0

6,1

Fonds spécial invalidité

0,6

5,5

0,0

5,5

0,0

6,1

Famille (1)

1.492,1

9.529,6

9.693,2

-163,6

0,0

1.328,6

Majoration d'ARS

179,0

7,9

234,3

-226,4

0,0

-47,4

Allocation de parent isolé

119,1

752,6

775,3

-22,6

0,0

96,4

Allocation aux adultes handicapés

457,9

4.179,4

4.175,5

3,9

0,0

461,7

Revenu minimum d'insertion (*)

736,4

4.589,8

4.508,2

81,6

0,0

818,0

Aide à la scolarité

-0,2

0,0

0,0

0,0

0,0

-0,2

Total des créances sur l'Etat

3.908,5

12.898,2

12.757,5

140,7

53,3

3.995,9

Maladie

1.095,1

1.719,8

1.499,4

220,4

25,7

1.289,8

AT/MP

166,3

224,4

206,6

17,8

2,4

181,8

Vieillesse

667,4

930,2

862,0

68,2

17,8

717,8

Famille

1.979,7

10.023,8

10.189,5

-165,7

7,4

1.806,5

(*) Hors champs CCSS

(1) En ce qui concerne la majoration d'ARS, le crédit de 47,4 millions en faveur de l'Etat a été réduit à 3,51 millions après reversement partiel le 1 er février (le crédit restant servant à couvrir le reliquat de majoration d'ARS des années suivantes).

En ce qui concerne l'API, l'AAH et le RMI, les soldes au 31/12/2001 doivent être regardés au vu des acomptes de janvier 2002 au titre de décembre 2001, non pris en compte dans ce tableau.
Source : Commission des comptes de la sécurité sociale

- enfin, et surtout, à la création et aux modalités de financement du FOREC, qui ont permis à l'Etat de se soustraire aux obligations de l'article 5 de la « loi Veil » de juillet 1994 (codifié depuis à l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale) , selon lesquelles toute exonération de cotisations sociales décidée par l'Etat doit être intégralement compensée, par celui-ci, à la sécurité sociale.

2. Une étape décisive dans la clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale : la suppression annoncée du FOREC

La compensation à la sécurité sociale, par l'intermédiaire du FOREC, des pertes de recettes résultant des exonérations de cotisations, constitue d'ailleurs le principal « abcès » du contentieux financier entre l'Etat et la sécurité sociale. Sa suppression, annoncée par le Gouvernement, fournira donc l'occasion de clarifier les relations entre ces deux entités.

Votre commission a formulé des critiques sévères à l'encontre du FOREC, qui était, en revanche, présenté par le précédent gouvernement comme un instrument de transparence financière.

a) Les griefs formulés à l'encontre du FOREC

En fait, ces griefs s'adressaient plus aux modalités de constitution du FOREC, qu'à son principe même :

- ce fonds n'a été effectivement constitué que très tardivement après sa création législative et pendant la précédente législature, il n'a jamais été doté de ses instances de contrôle ;

- il a été essentiellement alimenté par des recettes prises à la sécurité sociale. Cette dernière, en quelque sorte, se compense ainsi à elle-même les exonérations de charges sociales ;

- il a justifié la mise en place de circuits financiers particulièrement opaques et complexes qui, bouleversant la répartition des recettes et des charges au sein de la sécurité sociale, n'avaient pour autre objectif que d'assurer son équilibre financier annuel ;

- il a vu s'allonger, au fil d'ajustements successifs annuels, voire intra-annuels ou rétroactifs, la liste de ses recettes qui sont, de surcroît, le plus souvent partagées avec l'Etat ou d'autres organismes (au total huit recettes différentes très hétérogènes) ;

- il s'est trouvé, d'emblée, en déficit d'où, en 2000, une dette du FOREC de 2,4 milliards d'euros à l'égard de la sécurité sociale dont une première moitié sera finalement remboursée en 2003, via la CADES ;

- il fait l'objet d'un débat confus en loi de financement, ses recettes et ses dépenses se « télescopant » avec les agrégats de recettes et de dépenses .

Aujourd'hui, la « suppression » du FOREC est réclamée unanimement.

b) Les solutions de remplacement envisageables

Encore faut-il s'entendre sur la nature et les conséquences, pour la sécurité sociale, de cette suppression. Deux solutions sont envisageables en ce domaine :

La suppression « vertueuse » du FOREC

Elle consisterait à inscrire ses recettes et ses dépenses au budget de l'Etat, c'est-à-dire à fondre ses recettes dans le tout-venant des impôts et taxes, et inscrire les dotations budgétaires correspondantes à la compensation des différentes exonérations dans les dépenses du budget de l'Etat, comme cela était le cas avant la création du FOREC .

Cette solution pose un problème de masses financières (gonflement des dépenses de l'Etat d'environ 16 milliards d'euros), même si les soldes restent inchangés. Elle soulève également une interrogation quant à la cohérence de la répartition de certains impôts et taxes entre l'Etat et la sécurité sociale, puisque les droits de consommation sur les tabacs et les alcools sont des recettes importantes du FOREC. Or, il apparaît logique que ces recettes, qui obéissent à une logique de santé publique et qui demeurent dissuasives, restent affectées sinon à la sécurité sociale, du moins à la « sphère sociale ».

La suppression « dangereuse » du FOREC

Elle consisterait à dissoudre le FOREC et à affecter ses recettes directement aux différentes caisses et régimes concernés par les exonérations de cotisations.

En effet, le défaut du FOREC (impossible ajustement annuel des recettes aux dépenses) serait ainsi accentué (et même multiplié par le nombre de caisses) et, surtout, le suivi de la compensation des exonérations à chaque caisse deviendrait extrêmement difficile. Le contrôle du respect, par l'Etat, de l'obligation posée par la « loi Veil » de 1994, deviendrait alors impossible.

A contrario , la non-suppression du FOREC entraînera nécessairement la poursuite de l'inventaire « à la Prévert » de ses recettes, car il faudra continuer à ajuster ces dernières, année après année, aux dépenses, en espérant que cela « tombe juste » à la clôture de chaque exercice 11 ( * ) .

Pour votre commission, une solution de compromis pourrait être trouvée selon les modalités suivantes :

- maintenir le FOREC dans sa forme actuelle (établissement public, distinct du budget de l'Etat et des comptes des régimes de sécurité sociale) ;

- créer en loi de financement un article spécifique qui en déterminerait les recettes et les dépenses (les comptes du FOREC retrouvant ainsi leur transparence) ;

- figer son périmètre de recettes en le simplifiant (diminution et « recentrage » des recettes affectées) ;

- assurer son équilibre annuel par une contribution budgétaire, qui présenterait le mérite de pouvoir être calculée à « l'euro près » 12 ( * ) .

Bien entendu, cette dotation budgétaire devrait s'accroître au cours des prochaines années, afin de prendre en compte la montée en charge du nouvel allégement général de cotisations patronales remplaçant, à compter du 1 er juillet 2003, la ristourne dégressive sur les bas salaires (« ristourne Juppé ») et les allégements liés à la réduction du temps de travail (allégements Aubry I et Aubry II).

Ces opérations seraient contrôlées par le Conseil de surveillance du FOREC, présidé par un parlementaire et, naturellement, par les commissions des finances à travers la dotation budgétaire de l'Etat au FOREC (dont le montant sera fixé en loi de finances).

Ainsi serait satisfaite, par l'Etat, l'obligation qui lui est impartie, en vertu de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, de compenser intégralement à la sécurité sociale le coût des exonérations de cotisations.

* 11 Les excédents du FOREC pour 2001 et 2002 démontrent aujourd'hui les limites de ce genre d'exercice.

* 12 A ce sujet, il convient de rappeler que l'article L. 131-10 du code de la sécurité sociale prévoit déjà une « contribution publique » parmi les recettes du FOREC.

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