Annexe 56 - LES LIMITES DU RECOURS À DES INSTRUMENTS JURIDIQUES VOLONTAIRES
Source : Mme Isabelle DOUSSAN - Chercheur INRA
Le recours à des instruments juridiques volontaires (entendus comme ceux nécessitant le consentement à la contrainte des personnes assujetties) dans le domaine de la protection de l'environnement est communément conçu comme un accompagnement des dispositifs réglementaires. Le recours à ce type d'instruments traduit la volonté des pouvoirs publics d'élargir la gamme des techniques juridiques dans un souci de plus grande efficacité du droit dans le domaine de la protection de l'environnement. La logique qui anime ces instruments est d'octroyer un avantage économique à la personne qui y consent. En d'autres termes, l'intérêt général est servi par la poursuite des intérêts des particuliers.
Deux exemples en droit français illustrent cette
démarche dans le domaine agricole: les contrats
agrienvironnementaux et la qualification au titre de l'agriculture
raisonnée.
1. Les contrats agri-environnementaux
Si l'on excepte une timide tentative en 1985, c'est le règlement communautaire du 30 juin 1992, concernant les méthodes de production agricole compatibles avec les exigences de protection de l'environnement ainsi que l'entretien de l'espace naturel, qui marque le début d'une politique environnementale contractuelle dans le domaine agricole. Ce règlement prévoyait un système de contractualisation d'aides publiques destinées à encourager des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement ( 12 ( * ) ) . L'agriculteur contractant acceptait des contraintes plus lourdes que le seul respect des réglementations existantes en contrepartie d'aides financières calculées en fonction des pertes de revenus et du surcoût entraînés par ses obligations contractuelles.
Toutefois, au regard de la politique tant agricole qu'environnementale mise en oeuvre par ces mesures, le résultat fut assez décevant : nombre très faible d'exploitations engagées, absence d'impact significatif en termes de changement des modes d'exploitation, améliorations mineures quant à la protection des espaces naturels ( 13 ( * ) ) . En réalité, le système a contribué essentiellement au maintien de petites exploitations pratiquant déjà des méthodes de production respectueuses de l'environnement.
Moins d'une dizaine d'années plus tard, le système agrienvironne-mental a été sensiblement réformé par le règlement communautaire du 17 mai 1999 relatif au développement rural et, au plan national, par la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, laquelle a crée les contrats territoriaux d'exploitation -CTE-.
Les CTE répondent, en partie, aux critiques formulées à propos des mesures agrienvironnementales. Ainsi, leur objet n'est pas limité à l'environnement, mais concerne également le domaine économique et de l'emploi. Ainsi, par l'association de ces trois volets, les exigences environnementales font partie intégrante de l'ensemble des contraintes s'imposant aux agriculteurs. Cette disposition s'inscrit dans une démarche plus globale visant à associer des méthodes de production respectueuses de l'environnement à une logique de marché, notamment de marchés des produits de qualité.
Toutefois, les contrats territoriaux d'exploitation ont semble-t-il souffert de certaines faiblesses qui ont conduit, entre autres, à leur abandon en 2002.
Il est certain que le dispositif s'est révélé assez complexe et d'une faible lisibilité pour les agriculteurs. On a pu observer sur le terrain la grande difficulté, et souvent l'impossibilité, à mettre en oeuvre de manière cohérente et simultanée les trois volets des contrats territoriaux d'exploitation. Soit l'aspect environnemental a pris le dessus, le contrat est alors, dans la lignée des précédentes mesures agrienvironnementales, le moyen d'aider financièrement des exploitations situées dans des zones difficiles et pratiquant déjà des méthodes de production respectueuses de l'environnement. Soit l'aspect économique l'a emporté, réduisant alors le volet environnemental à la portion congrue, le CTE se transformant alors sur le terrain en un contrat « de filière » selon une stratégie purement commerciale (14 ( * )).
Cependant, au regard des objectifs ambitieux de ces contrats,
on ne peut que déplorer leur mise à l'écart trop rapide et
s'interroger sur ce que pourront apporter les nouveaux contrats d'agriculture
durable.
2. La qualification au titre de l'agriculture raisonnée
Le dispositif de qualification des exploitations, et de leurs produits, au titre de l'« agriculture raisonnée » (15 ( * )) est récent. Les textes prévoient la possibilité de « qualifier » les exploitations agricoles, et à terme les produits qui en sont issus, lorsque l'agriculteur met en oeuvre les « moyens techniques et pratiques agricoles conformes aux exigences du référentiel de l'agriculture raisonnée ».
Ce référentiel porte « sur le respect de l'environnement, la maîtrise des risques sanitaires, la santé et la sécurité au travail et le bien-être des animaux ». Or, en ce qui concerne la protection de l'environnement, on s'aperçoit que les engagements de l'agriculteur ne différent pas sensiblement du simple respect de la réglementation (16 ( * )). Le ministère de l'agriculture le reconnaît d'ailleurs lui-même puisque afin de bien distinguer la nouvelle qualification des contrats territoriaux d'exploitation, il est noté que seuls ces derniers vont « sensiblement au-delà des exigences réglementaires » (17 ( * )).
Ainsi, non seulement la plupart des articles du référentiel reprennent des contraintes existantes, mais celles qui sont présentées comme nouvelles, n'apportent rien, car elles figurent déjà, sous une formulation différente, dans les textes applicables (18 ( * )). Il en va ainsi par exemple des « exigences » selon lesquelles les éleveurs doivent « connaître les quantités d'effluents produites sur l'exploitation ». Sachant que la réglementation applicable aux élevages classés ainsi que celle concernant les zones vulnérables, fait obligation aux agriculteurs de tenir un plan d'épandage relevant notamment les quantités d'azote épandu, on peut supposer, a fortiori, que l'exploitant est déjà tenu de connaître les quantités produites. Il en va de même de l'article 20 du référentiel « exigeant » la connaissance des valeurs fertilisantes des différents épandus, sachant que pour les élevages soumis à autorisation et ceux situés dans les zones vulnérables, la réglementation oblige les agriculteurs à produire un bilan de fertilisation azotée. Il est plus loin « exigé » de l'agriculteur qu'il respecte les prescriptions des programmes d'action, obligatoires en zones vulnérables, étant d'ailleurs précisé que « l'azote ne doit pas être apporté en dehors des périodes d'interdiction » ...
Autrement dit, la qualification au titre de l'agriculture raisonnée se situe dans le droit fil du PMPOA ; il s'agit d'employer un instrument de type incitatif -ici la qualification « agriculture raisonnée » qui, si elle est portée sur les produits agricoles, jouera le rôle d'un label- comme appui de la réglementation. Dans cette logique, un pallier supplémentaire est même franchi, puisqu'il ne s'agit plus seulement d'aider provisoirement des exploitants à mettre leurs entreprises aux normes, mais d'offrir une reconnaissance officielle et durable aux exploitants qui respectent la réglementation.
Par ailleurs, on peut craindre la confusion entraînée par l'apposition de la qualification au titre de l'agriculture raisonnée sur les produits agricoles. Le consommateur sera dans l'impossibilité de savoir que ce nouveau « label » ne lui « garantit » que le simple respect d'une réglementation minima (19 ( * )). Alors même que les attentes des consommateurs se font plus précises en termes de traçabilité des produits alimentaires, cette nouvelle qualification marque un recul du droit à l'information.
Plus généralement, cette nouvelle qualification met en lumière les limites du recours à des instruments volontaires dans le domaine de l'environnement. En effet, par principe, les « contraintes consenties » doivent aller au-delà des exigences réglementaires. Mais, d'une part, le dispositif doit être alors suffisamment clair et nettement incitatif pour jouer pleinement son rôle et d'autre part, et surtout, l'effectivité des instruments volontaires est alors subordonnée au respect par l'ensemble des exploitants de règles minimales de protection de l'environnement. L'instauration d'un « degré de protection supérieure » par des instruments volontaires suppose en effet qu'il existe un « degré de protection inférieure » qui soit effectif... A défaut, ce qui est actuellement le cas, ces instruments sont condamnés à servir de mesures incitatives au respect de la réglementation. Sauf à dénaturer le système juridique dans son entier, le recours à ces instruments ne peut être alors que provisoire, c'est-à-dire limité à des dépenses d'investissement et non de fonctionnement ou destiné à être modifié afin de dépasser les exigences réglementaires. En ce sens, on doit d'ailleurs signaler la position du Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire à propos de la qualification au titre de l'agriculture raisonnée, qui se prononce pour « une logique de progression du niveau des exigences dans le temps » du référentiel .
* ( 12 ) Par exemple, la conversion à l'agriculture biologique, « l'extensification » des productions animales, l'élevage de races en voie de disparition ou encore la mise en jachère de certaines parcelles.
* ( 13 ) Voir notamment le rapport très critique de la Cour des comptes n° 14/2000 sur la PAC et l'environnement, JOCE C353 du 8 décembre 2000.
* (14) Voir par exemple le cas non isolé de la Meuse. H.Cochet et S.Devienne, La mise en place des CTE dans la Meuse, Courrier de l'environnement de l'Inra, n° 47, 2002.
* (15) Décret du 25 avril 2002 relatif à la qualification des exploitations agricoles au titre de l'agriculture raisonnée et quatre arrêtés du 30 avril en portant application, dont l'un relatif au référentiel. Arrêté du 17 janvier 2003 portant nomination à la Commission nationale de l'agriculture raisonnée.
* (16) C'est-à-dire la loi du 19 juillet 1976, les textes applicables dans les zones vulnérables, le décret du 12 juin 1996 concernant les élevages non classés ainsi que le règlement sanitaire départemental.
* (17) Présentation de l'agriculture raisonnée sur le site internet du ministère de l'agriculture.
*
(18) Les services du
ministère de l'agriculture ont signalé par un astérisque
les exigences renvoyant à des exigences réglementaires lors de la
rédaction de l'arrêté du 30 avril 2002 relatif au
référentiel.
* (19) Le décret relatif à l'agriculture raisonnée prévoit d'ailleurs que « le référentiel peut comporter des exigences assorties de délais ». Autrement dit, la garantie offerte au consommateur peut se réduire au fait que le produit qu'il achète sera, à terme, produit conformément à la réglementation...