2. La faiblesse des mesures de simplification entreprises
La volonté de juguler, voire de mettre un terme à la complexité administrative, n'est pas récente. Tant le pouvoir réglementaire que le pouvoir législatif ont déjà adopté des mesures de simplification.
a) Les simplifications opérées par la voie réglementaire
Diverses
mesures de simplification ont, depuis longtemps, été
menées par le pouvoir réglementaire, afin de réduire la
complexité de la réglementation administrative. Ainsi, dès
1953, avec l'adoption du décret n° 53-194 du 26 septembre 1953
portant simplification des formalités administratives, le pouvoir
exécutif reconnaissait déjà la nécessité
d'une simplification des formalités. Des dispositifs visant à
alléger certaines démarches furent alors adoptés.
Mais les mesures prises au niveau réglementaire ont surtout
consisté en la création de nouvelles instances administratives
destinées à apporter des réponses de fond à la
complexité des procédures administratives. En 1959, le
décret n° 59-153 du 7 janvier 1959 créa le Centre
interministériel de renseignements administratifs (CIRA) dont la
vocation première était «
d'indiquer aux
administrations les points sur lesquels une amélioration des relations
avec le public ou une simplification des formalités se
révéleraient nécessaires
». En 1966,
était institué le Centre d'enregistrement et de révision
des formulaires administratifs (CERFA) dont l'objet était de
rationaliser et d'encadrer l'édiction des formulaires par les
différentes administrations de l'Etat.
A partir de 1977, des programmes de simplification spécifiques furent
mis en oeuvre, sous l'impulsion d'un secrétariat d'Etat chargé
des réformes administratives et conduisirent à des
simplifications ponctuelles de la réglementation applicable aux
entreprises. En 1981, furent créés des centres de
formalités des entreprises (CFE), auprès desquels pouvaient
être accomplies, en un même lieu et sur un même document, les
diverses déclarations auxquelles sont légalement tenues les
entreprises. En 1983, une campagne gouvernementale intitulée
« Administrations portes ouvertes » aboutit à
l'adoption du décret n° 83-656 du 18 juillet 1983 portant
création d'une commission pour la simplification des formalités
incombant aux entreprises (COSIFORME).
Le décret n° 90-1125 du 18 décembre 1990 a mis fin à
l'approche strictement sectorielle de la simplification administrative, en
instituant auprès du Premier ministre une commission pour la
simplification des formalités (COSIFORM) destinée à
coordonner et à gérer l'ensemble de la politique de
simplification administrative. Le décret n° 98-1083 du 2
décembre 1998 relatif aux simplifications administratives a
substitué à ce précédent organisme l'actuelle
commission pour les simplifications administratives (COSA), dont la
compétence a été élargie.
Pourtant, malgré ces différentes démarches, le Conseil
d'Etat se faisait encore, en 1991
10(
*
)
, l'écho de la
nécessité de simplifier la réglementation applicable. Il
soulignait que la
prolifération et la complexité croissante de
la réglementation juridique contrevenaient
, dans leur essence,
à l'impératif de sécurité juridique
que les
citoyens sont légitimement en droit d'attendre des pouvoirs publics.
Depuis lors, la situation n'a guère évolué dans le sens
d'une simplification du droit. L'inflation législative et
réglementaire dénoncée s'est poursuivie et, à
certains égards, renforcée.
De nouvelles campagnes de simplification administrative ont pourtant
été engagées au niveau réglementaire. Le
décret susvisé du 2 décembre 1998 a ainsi imposé
à chaque ministre d'établir un programme annuel de simplification
des formalités et des procédures administratives. Des mesures
ponctuelles de simplification des démarches les plus couramment
accomplies par les citoyens ont été mises en oeuvre par le
décret n° 2000-1277 du 26 décembre 2000 portant
simplifications administratives et suppression de la fiche d'état civil
et le décret n° 2001-899 du 1
er
octobre 2001
portant abrogation des dispositions réglementaires relatives à la
certification conforme des copies de documents délivrés par les
autorités administratives.
Très récemment, le Gouvernement a créé de nouvelles
structures administratives à même de mener à bien le
chantier de la simplification. Le décret n° 2003-141 du 21
février 2003 portant création de services
interministériels pour la réforme de l'Etat a ainsi
institué deux délégations auprès du Premier
ministre, l'une chargée de la modernisation de la gestion publique et
des structures de l'Etat, l'autre des usagers et des simplifications
administratives. Le même texte a également mis en place une agence
pour le développement de l'administration électronique.
Ces dernières réformes devraient sensiblement contribuer à
créer une dynamique de la simplification afin de réduire la
lourdeur des mécanismes de décision administrative. Toutefois,
l'intervention du législateur est, en la matière,
également nécessaire.
b) Les simplifications opérées par la voie législative
La
simplification administrative ne saurait résulter de la seule
intervention du pouvoir réglementaire.
De nombreuses
formalités sont en effet instituées par des normes de nature
législative. Pour respecter la hiérarchie des normes, il est donc
indispensable que les mesures de simplification qui les concernent soient
adoptées par la voie législative.
En outre, afin d'assurer l'application des mesures de simplification à
l'ensemble des administrations, le recours à des textes
législatifs s'avère souhaitable. Il en va ainsi, en particulier,
à l'égard des collectivités territoriales et de leurs
établissements publics. En vertu du principe de libre administration des
collectivités territoriales, énoncé à l'article 72,
troisième alinéa, de la Constitution, seul le législateur
est compétent pour définir des mesures relatives à
l'organisation administrative des entités décentralisées.
Enfin, certaines procédures touchent aux libertés individuelles
des citoyens et, à ce titre, ressortissent du domaine de la loi, tel
qu'il est défini à l'article 34 de la Constitution.
Dans ce contexte, le législateur s'est parfois engagé dans la
simplification des règles juridiques applicables dans des domaines
sectoriels de la législation où la pesanteur des
procédures constituait tout particulièrement un frein tant pour
l'autorité administrative que pour les personnes privées. La loi
n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l'initiative et
à l'entreprise individuelle s'est ainsi efforcée de simplifier
les formalités administratives imposées jusqu'alors aux
entreprises.
D'autres textes législatifs ont, au contraire, adopté une
approche globale en matière de simplification. Ainsi, la loi n°
78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des
relations entre l'administration et le public a simplifié l'accès
des citoyens aux documents administratifs, tandis que la loi n° 79-587 du
11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs
permettait de briser l'opacité des mécanismes de décisions
administratives.
La volonté d'adopter une démarche globale en matière de
simplification est cependant principalement reflétée par la
loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans
leurs relations avec les administrations, dite loi
« DCRA »
. Cette démarche législative
partait du constat, fait par le Gouvernement, que «
les
règles de droit et les procédures administratives sont parfois
inutilement complexes, voire désuètes
» et qu'en
conséquence, «
les citoyens et les entreprises peuvent en
être pénalisés
».
Afin de remédier à cette situation, le législateur a
adopté une approche nouvelle, consistant à élargir le
champ de la simplification administrative au-delà des seules
administrations de l'Etat. Les dispositions de la loi du 12 avril 2000,
précitée, visent, en effet, tant les administrations de l'Etat
que les collectivités territoriales, les établissement publics
qui en relèvent, les organismes de sécurité sociale et les
autres organismes chargés de la gestion d'un service public
administratif.
La loi DCRA a, dans ce champ d'application élargi, entendu modifier en
profondeur la perception qu'avait l'administration de ses usagers, en
replaçant ces derniers au coeur de l'action administrative. Elle a
renforcé à leur profit des droits essentiels, à commencer
par des droits à la transparence administrative et à
l'accès au droit. La loi du 12 avril 2000 a ainsi incontestablement
apporté des améliorations et simplifications nécessaires
aux relations entre les administrés et l'administration.
Toutefois, trois ans après la promulgation de ce texte,
il
paraît aujourd'hui indispensable d'aller plus loin dans la recherche
d'une plus grande simplification
. Les enquêtes d'opinions continuent
de faire apparaître le mécontentement des citoyens face à
l'administration, à sa pesanteur et à sa complexité.
Ainsi, le premier motif de recours à l'Internet pour les
démarches administratives résulterait, pour 76 % des
sondés, du fait qu'il permet d'éviter de se déplacer, de
faire la queue et de perdre du temps
11(
*
)
. Malgré les services qu'elle
apporte au quotidien aux citoyens, l'administration demeure perçue comme
une source de complications et d'obstacles de toutes sortes.
Selon certaines études, si rien n'est fait rapidement pour simplifier
l'administration et les contacts qu'entretiennent avec elle les usagers, l'Etat
ne sera plus à même de remplir sa tâche, au service de tous
les citoyens. En effet, faute de simplification, «
l'Etat ne
pourrait même pas maintenir son niveau d'activité, car la
complexité administrative n'est pas derrière nous ; elle est
devant nous
»
12(
*
)
.
Il y a donc, plus que jamais, urgence à simplifier
.