B. LA CODIFICATION, UNE TRADITION FRANÇAISE TOUJOURS ACTUELLE
Processus très ancien, la codification demeure une préoccupation des gouvernements qui se succèdent. Relancée en 1989, puis en 1999 par le recours aux ordonnances, elle est aujourd'hui constitutionnellement consacrée.
1. Une pratique ancienne constitutionnellement consacrée
La codification est une préoccupation historique qui répond à la nécessité de permettre un accès simple et rapide aux règles de droit en vigueur.
a) Un accès essentiel à la règle de droit
Face
à
l'inflation législative
dont le Conseil d'État
dresse le constat dans son rapport public de 1991
13(
*
)
, la codification est un
outil
nécessaire
afin de permettre aux citoyens un accès
facilité aux règles de droit. D'après
M. Philippe Malaurie, «
plus un droit devient complexe
et abondant, plus il devient inintelligible, secret et donc arbitraire et
injuste, plus il devient un obscur message codé, et c'est par un code
qu'il est le mieux décodé
»
14(
*
)
.
Déjà le « rapport Picq »
15(
*
)
proposait notamment comme solution
à la prolifération des normes de «
codifier, d'ici
à la fin du siècle, l'ensemble des dispositions
applicables
».
La décision du Conseil constitutionnel n° 99-421 DC du
16 décembre 1999 précitée a
constitutionnellement consacré la codification
. Celle-ci permet
la
satisfaction de l'intérêt
général
16(
*
)
et
le respect de
l'accessibilité et l'intelligibilité de la
loi
, érigé à cette même occasion en
objectif
à valeur constitutionnelle
.
Le Conseil constitutionnel fonde cet objectif à valeur constitutionnelle
sur les articles 4, 5, 6 et 16 de la déclaration des droits de l'homme
et du citoyen : «
en effet, l'égalité devant la
loi énoncée par l'article 6 de la déclaration des
droits de l'Homme et du citoyen et " la garantie des droits " reprise
par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens
ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont
applicables ; une telle connaissance est en outre nécessaire
à l'exercice des droits et libertés garantis tant par
l'article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet exercice n'a de
bornes que celles déterminées par la loi, que par son
article 5, aux termes duquel " tout ce qui n'est pas défendu
par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être
contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas"
».
La codification permet en partie de répondre à cet objectif
d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, corollaire
nécessaire du principe selon lequel « nul n'est censé
ignorer la loi ».
Favorisant la sécurité juridique, la codification confère
aux citoyens davantage de
lisibilité
pour les actes juridiques
qui s'imposent à eux et participe à la consolidation du droit par
l'adoption d'un texte unique regroupant l'ensemble des règles
législatives et réglementaires d'un domaine juridique
délimité, sous une forme organisée et ordonnée.
Un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme,
« Sunday Times c/ Royaume Uni », du 26 avril 1979
a imposé que la «
loi
» soit
«
suffisamment accessible
» : «
Le
citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les
circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un
cas donné. [...] On ne peut considérer comme une
« loi » qu'une norme énoncée avec assez de
précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ;
en s'entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être
à même de prévoir, à un degré raisonnable
dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à
dériver d'un acte déterminé
».
La codification
contribue
ainsi
à la simplification formelle
du droit
, dans la mesure où elle
clarifie et ordonne
les
règles applicables pour les citoyens, supprime les contradictions, les
dispositions «
jamais appliqués et devenus
inapplicables
»
17(
*
)
ainsi que les dispositions
implicitement abrogées par les textes postérieurs.
Déjà Tocqueville défendait la création des codes
dans son étude sur les Etats-Unis d'Amérique afin de favoriser
l'accès des citoyens au droit : «
les légistes
américains font en général des éloges emphatiques
du droit coutumier. Ils s'opposent de toutes leurs forces à la
codification, ce qui s'explique de cette manière : 1) si la
codification avait lieu, il leur faudrait recommencer leurs
études ; 2) si la loi devenait accessible au vulgaire, ils
perdraient une partie de leur importance. Ils ne seraient plus comme les
prêtres de l'Egypte, les seuls interprètes d'une science
occulte
». Pour lui, «
il est essentiel que les
paroles des lois réveillent chez tous les hommes les mêmes
idées... les lois ne doivent point être subies : elles ne
sont point un art de logique, mais raison simple d'un père de
famille
».
La circulaire du 30 mai 1996 relative à la codification des
textes législatifs et réglementaires précise
également que la codification «
entraîne
déjà, par le regroupement et la clarification qu'elle
opère, une amélioration du droit. Elle précède
l'effort de simplification des textes, qu'elle prépare et
facilite
».
La codification participe également au
processus de réforme de
l'État
, la réunion et l'analyse des règles juridiques
d'un domaine permettant de mettre en évidence les incohérences
devant être corrigées ainsi que les évolutions à
apporter.
Technique nécessaire mais en aucun cas suffisante pour pallier la
prolifération des normes, la codification
favorise la
démocratisation des règles juridiques et renforce l'état
de droit
en rendant le droit plus simple et plus cohérent.
b) Une pratique ancienne
Les
tentatives les plus lointaines dans l'histoire de la codification paraissent
être les travaux menés par Hammourabi puis par Justinien. Le
« code Henri III », élaboré par
Barnabé Brisson, a beaucoup plus tard permis de regrouper dans un seul
volume l'ensemble des édits et ordonnances du Royaume de France, sans
toutefois les ordonner.
Ensuite, l'entreprise de codification a marqué une
première
étape essentielle avec les cinq codes
18(
*
)
élaborés à la
demande de Napoléon
sous le Consulat et l'Empire
19(
*
)
.
La
seconde vague
de codification ne fut relancée en France qu'un
siècle et demi plus tard,
sous la IVème République
,
avec l'institution d'une commission supérieure chargée
d'étudier la codification et la simplification des textes
législatifs et réglementaires par le décret
n° 48-800 du 10 mai 1948. Une quarantaine de codes fut publiée
au cours de cette période.
Les codes
étaient alors
adoptés par décrets en
Conseil d'État,
ce qui n'a pas manqué de provoquer certaines
difficultés. En effet, cette
codification de nature
administrative
ne confère qu'une valeur réglementaire aux
codes. Par conséquent, les lois antérieures ne sont pas
abrogées et subsistent malgré la codification de leurs
dispositions. Lorsque de nouvelles lois sont votées et modifient les
dispositions du code, ces dernières évoluent alors
différemment de celles contenues dans la loi.
La pratique de la codification par décrets fut reprise sous la
Vème République, malgré
l'incertitude
pesant
sur la portée juridique
des codes. Entre 1960 et
1982, sur vingt-et-un codes publiés comprenant une partie
législative, seuls trois furent adoptés par la loi et six firent
l'objet d'une validation législative.
Au cours des années 80, seuls le code de la sécurité
sociale
20(
*
)
et le code de la
mutualité
21(
*
)
furent
adoptés.
Le constat d'un ralentissement de la codification incita le gouvernement
à
relancer le processus
.
Par un décret n° 89-647 du 12 septembre 1989 relatif à la
composition et au fonctionnement de la commission supérieure de
codification, il institue tout d'abord une
nouvelle commission
supérieure de codification
«
chargée d'oeuvrer
à la clarification et à la simplification du
droit
. »
Sous la présidence du Premier ministre, la commission supérieure
de codification est présidée de fait par un
vice-président, ayant la qualité de président de section
ou président de section honoraire au Conseil d'État, actuellement
M. Guy Braibant. La commission est composée de membres de la Cour
de cassation, du Conseil d'État, de la Cour des Comptes et de six
directeurs d'administration centrale, les autres directeurs d'administration
centrale concernés par les projets en discussion pouvant
également être présents ou représentés.
Le
Parlement
est également
associé au travail de la
commission supérieure de codification
dans la mesure où un
député et un sénateur
22(
*
)
de la commission des Lois de chaque
assemblée sont désignés pour en être membres
permanents, et où peuvent y siéger un député et un
sénateur membres des commissions parlementaires compétentes sur
le projet de code examiné.
La commission supérieure de codification organise et coordonne les
travaux des groupes de travail des différents ministères, puis
adopte les codes qui sont ensuite transmis au gouvernement.
Votre rapporteur tient à profiter de cette occasion pour souligner le
rôle essentiel joué par la commission supérieure de
codification
dans l'élaboration des codes et le respect des
méthodes de travail fixées en 1989.
Outre le remplacement de la commission créée par le décret
précité du 10 mai 1948 par la Commission supérieure de
codification, de nouveaux principes furent fixés suite à la
relance du processus de codification en 1989.
Tout d'abord,
les codes sont désormais adoptés par le
Parlement.
Les lois antérieures sont, dès lors,
abrogées et les dispositions de la partie législative du code ont
force de loi.
Le premier rapport annuel de la commission supérieure de codification en
1990 a mis en évidence la difficulté de la codification par
décrets et justifie ainsi le choix du Gouvernement d'adopter
désormais les codes par une loi : «
tant qu'elle n'a
pas eu lieu, l'absence d'approbation par le Parlement entraîne de
sérieux inconvénients. D'une part, les lois codifiées
demeuraient en vigueur puisque le décret de codification ne pouvait
naturellement les abroger. D'autre part, un risque non négligeable de
contentieux apparaissait : on pouvait en effet, soutenir que le texte
codifié avait illégalement apporté à la loi des
modifications autres que de pure forme. Tant le Conseil d'État que la
Cour de cassation ont ainsi été conduits à écarter
l'application de certains articles des codes les plus variés. [...] Dans
de telles conditions, la codification, loin de simplifier le droit, complique
plutôt la situation et accroît
l'insécurité
».
Ensuite, la
codification
devait s'effectuer
à droit
constant
, c'est-à-dire que n'étaient rassemblées dans
les codes que les lois en vigueur à la date de leur adoption.
L'article 3 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits
des citoyens dans leurs relations avec les administrations
23(
*
)
a, depuis, consacré
légalement ce principe, tout en autorisant des modifications
lorsqu'elles sont nécessaires pour «
améliorer la
cohérence rédactionnelle des textes rassemblés, assurer le
respect de la hiérarchie des normes et harmoniser l'état du
droit.
»
La troisième réserve au principe de codification à droit
constant posée pour la première fois par la loi du 16
décembre précitée, c'est-à-dire la
possibilité de modifier les dispositions codifiées afin
d'«
harmoniser l'état du droit
», fut
ajoutée lors de l'adoption de cette loi par le Sénat, par un
amendement de votre commission
24(
*
)
. Au regard de la décision
n° 99-421 du 16 décembre 1999 précitée, elle
doit être interprétée comme permettant uniquement de
«
remédier aux incompatibilités pouvant
apparaître entre les dispositions soumises à
codification
».
Autre principe posé en 1989 lors de la relance de la codification, le
droit communautaire est exclu de la codification
, même si le
premier rapport de la commission supérieure de codification
prévoit que les dispositions communautaires du domaine concerné
seront indiquées en annexe du code.
La commission supérieure de codification distingue les
codes
« pilotes » des codes « suiveurs »,
c'est-à-dire qu'une disposition pouvant être inscrite dans deux
codes, «
fait l'objet d'une codification à titre principal
dans l'un de ces deux codes, l'autre se bornant à signaler l'existence
de ce code et à le reproduire
. »
25(
*
)
Le code n'est pas seulement un recueil ou une compilation de textes, il les
regroupe et les organise, comme le précise notamment le premier article
de la loi du 16 décembre 1999 précitée
26(
*
)
.
Tous ces principes encadrent le processus de codification depuis 1989, auxquels
se sont ajoutés les aménagements déjà
précisés de l'article 3 de la loi du 12 avril 2000
précitée.
Après la publication de la partie législative de cinq codes entre
1989 et 1996
27(
*
)
, plus aucun
code n'a été adopté par le Parlement, malgré la
circulaire du 5 juin 1996 qui, en annexe, prévoyait un programme
général de codification
28(
*
)
. Le Parlement s'est également
opposé à l'adoption de la partie législative du code de
l'éducation, du code de l'environnement et du code de commerce.
Principalement dû à l'
encombrement
du calendrier
législatif,
l'« essoufflement » du processus de
codification a conduit le Gouvernement à proposer l'adoption des
nouveaux codes par ordonnance. La loi du 16 décembre 1999
précitée fut votée par le Parlement qui, comme la
commission supérieure de codification, était conscient de la
situation de blocage dans laquelle se trouvait la codification depuis plusieurs
années.