II. LE RECOURS À LA PROCÉDURE DES ORDONNANCES POUR PROCÉDER À LA SIMPLIFICATION ADMINISTRATIVE
Le
gouvernement a décidé de
recourir à la technique des
ordonnances
afin d'accélérer l'entrée en vigueur de
cet ensemble de mesures de simplification et de codification du droit. Le
Sénat est donc saisi en première lecture d'un projet de loi
habilitant le gouvernement à simplifier le droit, en vertu de la
procédure de
l'article 38 de la Constitution
31(
*
)
.
Il revient à votre commission des Lois de
contrôler le respect
des règles constitutionnelles
encadrant le recours à la
technique des ordonnances. Il appartiendra par ailleurs à chaque
commission saisie de se prononcer pour chacune des mesures relevant de son
champ de compétences sur
l'opportunité du recours à
l'ordonnance
plutôt qu'au débat législatif ou si elles
ne méritent pas d'en être écartées compte tenu du
vaste champ d'habilitation
qu'il confère.
A. UN RECOURS FRÉQUENT AUX ORDONNANCES SOUS LA CINQUIÈME RÉPUBLIQUE
Le
projet de loi qui nous est présenté s'inscrit dans une
pratique ancienne de recours aux ordonnances à la demande du
Gouvernement
. Toutefois, l'habilitation demandée s'avère
particulièrement importante, dans la mesure où
une quinzaine
de codes ainsi qu'une trentaine de lois devraient être
modifiées
par les ordonnances de simplification. Le
secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat a donc pu
qualifier ce projet de loi d'habilitation «
d'une ampleur sans
précédent sous la Cinquième
République
»
32(
*
)
.
Le recours aux ordonnances est le fruit d'une longue pratique
33(
*
)
consistant à autoriser le
gouvernement à prendre des mesures en principe du domaine du
législateur. Le Parlement autorise momentanément le pouvoir
exécutif à édicter des textes de nature
législative, créant ainsi une exception au principe figurant
actuellement à l'article 34 de la Constitution de 1958 selon lequel
«
la loi est votée par le Parlement
».
Après une première autorisation exceptionnelle attribuée
au Gouvernement de pouvoir prendre des actes réglementaires susceptibles
de modifier ou abroger des lois durant la première guerre mondiale,
cette pratique dite de législation déléguée a
perduré et s'est même développée sous la
Troisième République puis la Quatrième République,
depuis la première loi du 24 mars 1924 ayant habilité le cabinet
de Raymond Poincaré à prendre des décrets-lois, en dehors
de tout cadre constitutionnel. Ainsi, en une seule journée, en 1934,
furent pris quatre cents décrets-lois. Malgré les tentatives
d'extinction de cette technique législative, allant jusqu'à son
interdiction à l'article 13 de la Constitution du 27 octobre
1946
34(
*
)
, le recours aux
ordonnances a continué. Sous la Quatrième République, afin
de contrer l'interdiction constitutionnelle, furent créées, par
la loi « André Marie » du 17 août 1948, les
lois cadres, lesquelles consistaient simplement à énoncer des
principes et renvoyaient à des décrets qui, pour leur mise en
oeuvre, étaient susceptibles d'intervenir dans le domaine
législatif, et sans limitation de durée.
Des décrets-lois furent de nouveau employés par le Gouvernement
à partir de 1953, avant que la Constitution de la Cinquième
République n'entérine cette pratique en prévoyant dans son
article 38 la possibilité de légiférer par ordonnances.
Très encadré par ce texte et par la jurisprudence, le recours aux
ordonnances est
perçu comme une dérogation au principe de
l'article 34 de la Constitution
et, par conséquent, comme
étant
un pouvoir exceptionnel du Gouvernement
.
Sous la Cinquième République, après les premières
ordonnances de mise en place des institutions prises en 1958 et 1959 en
application de l'article 92 de la Constitution, le recours aux ordonnances
fut plus ou moins fréquemment usité par les gouvernements.
Des habilitations sur des domaines législatifs importants lui ont
été conférées. Ainsi a-t-il pu édicter des
ordonnances afin de réaliser des réformes en matière
économique et sociale
35(
*
)
ou plus récemment de transposer des directives communautaires en droit
français
36(
*
)
.
Employées pour accélérer la mise en oeuvre de la politique
du gouvernement ou alléger l'ordre du jour législatif des
dispositifs les plus techniques (codification à droit constant ou
directives), les ordonnances ont pu susciter l'opposition, en particulier lors
de la première cohabitation : le Président François
Mitterrand refusa à l'époque de signer trois ordonnances
relatives aux privatisations, aux circonscriptions électorales et
à l'aménagement du temps de travail.
Sous la précédente législature, le Gouvernement a
demandé et obtenu six fois l'habilitation du Parlement à prendre
par ordonnances des mesures législatives :
- la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 a habilité le Gouvernement
à prendre, par ordonnances, les mesures législatives
nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit
applicable outre-mer ;
- la loi n° 99-899 du 25 octobre 1999 a porté habilitation du
Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives
nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit
applicable outre-mer ;
- la loi n° 99-1071 du 16 décembre 1999 a habilité le
Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de
la partie législative de certains codes ;
- la loi n° 2000-517 du 15 juin 2000 a habilité le
Gouvernement à adapter par ordonnance la valeur en euros de certains
montants exprimés en francs dans les textes législatifs ;
- la loi n° 2001-1 du 3 janvier 2001 a porté habilitation du
Gouvernement à prendre, par ordonnances, des directives communautaires
et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit
communautaire ;
- la loi n° 2001-503 a porté habilitation au Gouvernement
à prendre, par ordonnances, les mesures législatives
nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit
applicable outre-mer.
Au total,
plus de deux cents ordonnances
ont été prises
sous la Cinquième République
.